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Date : 20060314

Dossier : IMM‑2631‑05

Référence : 2006 CF 330

 

 

ENTRE :

HYSEN LEVANAJ

et SANIE LEVANAJ

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE O'KEEFE

 

[1]        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), portant sur une décision en date du 6 avril 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a établi que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]        Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l'affaire pour réexamen par une formation différente de la Commission.

 

Contexte

 

[3]        Les demandeurs sont âgés et forment un couple marié. Ils affirment avoir fui le pays dont ils ont la nationalité, soit l'Albanie, parce que l'État les y persécutait en raison des activités politiques et des opinions anticommunistes et monarchistes de leur famille, en particulier de leur fils Eduard. Eduard Levanaj a quitté l'Albanie et est arrivé au Canada en mars 2001, après avoir été détenu et battu par la police à de nombreuses reprises, en raison de ses activités politiques dans le Parti du mouvement pour la légalité (le PML), favorable à l'instauration d'une monarchie constitutionnelle. La Commission a rejeté la demande d'asile d'Eduard le 6 octobre 2003, aux motifs qu'elle n'était pas crédible, qu'il n'était qu'un membre ordinaire du PML et que la documentation ne confirmait pas le fait que les membres de ce parti autres que ses cadres supérieurs étaient exposés à un risque sérieux de persécution.

 

[4]        Par ordonnance en date du 28 octobre 2004, la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire du rejet de la demande d'asile d'Eduard Levanaj et a ordonné que l'affaire soit renvoyée pour réexamen par une formation différente de la Commission. Madame la juge Mactavish a conclu au nom de la Cour que la preuve n'étayait tout simplement pas les conclusions de la Commission touchant la crédibilité d'Eduard et la plausibilité de sa demande, et que ces conclusions avaient joué dans l'analyse de la Commission un rôle assez important pour commander l'annulation de sa décision.

 

[5]        Les demandeurs à la présente espèce sont arrivés au Canada en octobre 2002 et y ont demandé l'asile. Dans l'exposé circonstancié de leur Formulaire de renseignements personnels (FRP), ils ont adopté les motifs qu'avait invoqués Eduard pour fuir l'Albanie et ont insisté sur le fait que ce dernier était un cadre du PML et qu'il avait fondé un syndicat.

 

[6]        Les demandeurs ont inscrit les renseignements complémentaires suivants dans l'exposé circonstancié de leur FRP. En avril 2001, des policiers se sont présentés chez eux, dans la ville de Lac, à la recherche d'Eduard. Quand les demandeurs leur ont dit que leur fils avait quitté le pays et qu'ils n'en savaient pas plus, les policiers les ont battus. En août 2001, les demandeurs se sont rendus avec leur neveu à la ville de Dukas pour s'enquérir de leur propriété ancestrale, qui avait été confisquée sous le régime communiste. Ils y ont demandé aux autorités locales la restitution de cette propriété. Un fonctionnaire a alors appelé la police, qui a détenu les demandeurs et les a roués de coups. Le mari a été battu si brutalement qu'il a dû être hospitalisé. En janvier 2002, l'épouse a été attaquée par de jeunes socialistes alors qu'elle revenait de faire des courses. En mai 2002, des socialistes en vue ont tiré des coups de feu dans la direction de l'appartement des demandeurs. Le mari a signalé ce fait à la police, qui l'a brutalisé et a exigé qu'il cesse d'accuser faussement d'honnêtes citoyens.

 

[7]        Les demandeurs sont entrés au Canada en vertu de visas de visiteurs et s'y sont installés chez leur fils Eduard. La demande d'asile des demandeurs a été entendue le 25 juin 2004. Par décision en date du 6 avril 2005, la Commission l'a rejetée.

 

[8]        Un événement malheureux s'est produit après que la Commission ait rendu sa décision sur la demande d'asile des demandeurs. Ceux‑ci ont reçu le 15 avril 2005 la lettre les avisant de cette décision. Leur fils Eduard a lu cette lettre le même jour et en a été déprimé et bouleversé. Il a dit à ses parents que la Commission avait pour la deuxième fois mal compris la base de leur demande d'asile. Le lendemain, soit le 16 avril 2005, vers cinq heures du matin, Eduard a dit à ses parents qu'il se sentait mal. Ces derniers ont immédiatement appelé du secours, mais malgré les efforts des auxiliaires médicaux, Eduard est mort à son domicile. À ce moment, la Commission n'avait pas encore fixé la date de l'audition de réexamen de sa demande d'asile.

 

[9]        La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de la Commission rejetant la demande d'asile des demandeurs.

 

Les motifs de la décision de la Commission

 

[10]      La Commission a déclaré que la question déterminante était de savoir si les demandeurs avaient établi l'existence d'un fondement objectif à leur crainte d'être persécutés en raison de leurs liens, et des liens de leur fils, avec le PML.

 

[11]      La Commission a conclu que, suivant la prépondérance de la preuve, le fils des demandeurs était un membre ordinaire du PML. Elle a aussi conclu que le mari du couple des demandeurs avait des liens avec ce parti du fait que son fils en était membre, et que la famille était dans son ensemble anticommuniste et monarchiste.

 

[12]      La Commission a en outre conclu que la preuve documentaire n'étayait pas l'affirmation des demandeurs selon laquelle les membres du PML de leur niveau ou les monarchistes en général sont persécutés. Elle a retenu la preuve documentaire plutôt que la preuve des demandeurs au motif que celle‑là avait été rassemblée par des organismes tiers réputés n'ayant pas d'intérêt dans l'issue de la demande d'asile.

 

[13]      La Commission a formulé les observations suivantes sur la base de la preuve documentaire :

 

            1.         L'Albanie ne respecte pas les droits de la personne à certains égards, étant donné que la police y bat ou maltraite autrement les suspects, les prévenus et les détenus.

            2.         Il n'y a pas en Albanie de persécution généralisée des opposants au gouvernement; on n'y trouve pas de cas confirmés de détention pour des motifs strictement politiques; et l'État, à l'heure actuelle, n'y persécute pas systématiquement les membres des partis d'opposition.

            3.         S'il est vrai que, dans le passé, les autorités ont créé des difficultés aux membres et sympathisants du PML, aucun élément de preuve documentaire récent et crédible ne donne à penser qu'ils aient fait l'objet de mauvais traitements ou de violences du seul fait de leurs opinions politiques ou que des citoyens aient été malmenés pour avoir des parents dans ce parti. La Commission a noté que le chef du PML, Ekrem Spahiu, avait été arrêté le 24 septembre 1998 sous l'inculpation d'actes de violence contre des institutions de l'État.

            4.         Seuls les membres actifs ou les cadres du PML peuvent faire l'objet de [TRADUCTION] « harcèlement » en raison de leurs opinions politiques.

 

[14]      Se fondant sur la prépondérance de la preuve documentaire, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas fait l'objet des mauvais traitements allégués dans l'exposé circonstancié de leur FRP. Par conséquent, elle a statué qu'ils n'encourraient pas une possibilité sérieuse d'être persécutés en Albanie en raison de leur profil politique, ou de leurs opinions anticommunistes ou monarchistes.

 

[15]      La Commission a aussi statué que les demandeurs n'étaient pas des personnes à protéger, au motif qu'ils n'avaient pas le profil politique allégué, de sorte qu'ils ne seraient pas personnellement, par leur renvoi vers l'Albanie, exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. En outre, la Commission a conclu à l'absence de motifs sérieux de croire qu'ils seraient, par leur renvoi vers l'Albanie, exposés au risque d'être soumis à la torture.

 

Questions en litige

 

[16]      Les demandeurs ont présenté dans leur mémoire les questions suivantes à l'examen de la Cour :

            1.         La Commission a‑t‑elle évalué la situation en Albanie de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance?

            2.         La Commission a‑t‑elle évalué la crédibilité des demandeurs de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas produit de pièces corroborant leur témoignage et que, par conséquent, les faits de persécution allégués n'avaient pas eu lieu?

            4.         La décision de la Commission a‑t‑elle été influencée par celle qu'avait déjà rendue une autre formation de cet organe sur la demande d'asile du fils des demandeurs, et la Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant d'aviser les demandeurs qu'elle prenait cette décision en considération, de sorte que ceux‑ci ne connaissaient pas les arguments qu'ils avaient à réfuter?

            5.         Y a‑t‑il matière à crainte raisonnable de partialité dans le fait que tout semble indiquer que la décision de la Commission faisant l'objet de la présente espèce a été influencée par la décision d'une autre formation de cet organe, touchant la demande d'asile du fils des demandeurs?

 

 

Moyens des demandeurs

 

[17]      Les demandeurs soutiennent que le contenu de l'exposé circonstancié du FRP de leur fils montre qu'il était beaucoup plus qu'un membre ordinaire du PML. Dans cet exposé, Eduard Levanaj a rendu compte de manière très détaillée de ses liens avec le Parti démocratique à différentes périodes de sa vie, du rôle qu'il avait joué comme l'un des membres fondateurs du premier syndicat indépendant de mineurs d'Albanie, de son rôle de membre du comité exécutif de la section de Lac du PML, ainsi que du fait que ces divers liens et son militantisme politique avaient amené les agents de l'État à l'arrêter, à le détenir et à le maltraiter à de nombreuses reprises. La Commission, font valoir les demandeurs, n'a aucunement expliqué pourquoi elle n'avait pas tenu compte du poste de membre du comité exécutif du PML qu'avait occupé leur fils ni de ses autres fonctions et activités politiques et, ce faisant, elle a écarté de façon abusive et arbitraire des éléments de preuve portés à sa connaissance. Selon les demandeurs, le niveau de la participation de leur fils aux activités du PML était une question déterminante, puisque la Commission a conclu que les membres ordinaires de ce parti n'encouraient pas une possibilité sérieuse de persécution.

 

[18]      Les demandeurs font valoir que la décision de la Commission ici contrôlée ressemble beaucoup par sa formulation à la décision qu'elle avait rendue sur la demande d'asile de leur fils. Ces ressemblances donnent selon eux de fortes raisons de penser que la Commission s'est fondée sur cette décision antérieure sans effectuer sa propre analyse de manière indépendante.

 

[19]      Les demandeurs font valoir que la Commission ne les a pas avisés qu'elle prendrait en considération la décision rendue antérieurement sur la demande d'asile de leur fils, de sorte qu'ils n'étaient pas pleinement informés des arguments qu'ils avaient à réfuter. S'ils avaient été avisés de ce fait, ils auraient eu la possibilité de faire savoir à la Commission que ladite décision antérieure avait été annulée par notre Cour à l'issue d'une procédure de contrôle judiciaire. Les demandeurs soutiennent que la Commission doit être réputée avoir connaissance des décisions de notre Cour annulant ses décisions. On ne peut reprocher au demandeur d'asile le fait que la Commission se soit fondée sur une de ses propres décisions antérieures sans d'abord s'assurer que notre Cour ne l'avait pas annulée.

 

[20]      Les demandeurs affirment que dans le cas où, comme en l'occurrence, la décision antérieure n'a pas été produite formellement devant la Commission, où celle‑ci paraît s'être fondée sur cette décision secrètement et où ladite décision avait été annulée par notre Cour plusieurs mois avant que ne fût rendue la décision faisant l'objet du contrôle judiciaire, la Commission peut être dite avoir rendu une décision manifestement déraisonnable et avoir agi de mauvaise foi. Les demandeurs invoquent à ce sujet la décision Dinehroodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 758, qu'ils affirment parfaitement pertinente. Dans cette affaire, le juge Rouleau a statué qu'il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission d'invoquer une conclusion défavorable quant à la crédibilité formulée par une autre formation à l'appui de sa propre conclusion dans le même sens, même si le demandeur d'asile savait que la conclusion antérieure avait été admise en preuve et avait eu la possibilité de présenter des observations sur cet élément de preuve. La jurisprudence, font valoir les demandeurs, établit clairement que la Commission ne peut se fonder sur les conclusions d'une autre formation que de manière [TRADUCTION] « restreinte, prudente et justifiée ».

 

[21]      Les demandeurs soutiennent que l'analyse de la Commission pèche par simplisme parce qu'elle se limite à la question de savoir si les personnes liées au PML sont persécutées, sans tenir compte de la complexe histoire politique dont fait état l'exposé circonstancié de leur fils.

 

[22]      Les demandeurs soutiennent que la preuve documentaire contredisait la conclusion suivante de la Commission :

[TRADUCTION] (…) il n'a pas été produit devant moi de preuve documentaire récente et crédible comme quoi les membres, les compagnons de route ou les sympathisants de ce parti [le Parti du mouvement pour la légalité] auraient fait l'objet de mauvais traitements ou de violences du seul fait de leurs opinions politiques, ou qu'auraient subi le même sort les personnes comptant des parents dans la base dudit parti du seul fait de ces liens, comme le soutient le demandeur principal.

 

Les demandeurs font valoir que la preuve documentaire évoquait de nombreux cas où la police avait exercé des sévices sur les membres ou les sympathisants des partis d'opposition. Par exemple, les extraits cités par la Commission dans l'exposé de ses motifs portent que les membres ou les sympathisants du PML dans la région de Shkoder et de Mat font l'objet d'agressions physiques et de harcèlement de la part de la police.

 

[23]      Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a cité seulement les passages qui lui convenaient de la preuve documentaire et n'a pas tenu compte de ceux qui indiquent que la répression politique, les règlements de compte et les vengeances constituent des problèmes très sérieux. Ainsi, la preuve documentaire rapporte que le chef et des membres du PML ont été arrêtés pour avoir protesté contre l'assassinat du député du Parti démocratique, Azem Hadjari. Les demandeurs font observer que ces événements sont explicitement rappelés dans l'exposé circonstancié du FRP de leur fils, lui-même ayant été détenu et brutalisé par la police pour avoir protesté contre l'arrestation et le traitement injustes du chef du PML.

 

[24]      Les demandeurs font valoir que la Commission n'a déclaré nulle part que leur témoignage présentait des incohérences ou des contradictions internes. La Commission a formulé ses conclusions sur la crédibilité des demandeurs à la note de bas de page 23 de sa décision. Elle y reproche aux demandeurs de n'avoir pas étayé de documents les éléments clés de leur version des faits et conclut à ce sujet dans les termes suivants : [TRADUCTION] « Vu l'absence de preuve documentaire, je conclus que les demandeurs d'asile n'ont pas été agressés et battus par les socialistes et la police comme ils l'affirment. » Les demandeurs font valoir que le fait de ne pas produire de documents à l'appui de son témoignage ne peut infirmer la crédibilité du demandeur en l'absence de preuve contredisant ce témoignage; voir Miral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 254 (1re inst.) (QL), au paragraphe 23.

 

[25]      Les demandeurs soutiennent qu'il y a matière à crainte raisonnable de partialité dans le fait que la Commission a fondé sa décision sur une décision antérieure défavorable à leur fils.

 

Moyens du défendeur

 

[26]      Le défendeur soutient que l'examen des motifs de la Commission montre que la conclusion de celle‑ci selon laquelle le fils des demandeurs n'était qu'un membre ordinaire du PML n'est pas un élément central de la décision attaquée, puisque le défaut de la demande d'asile était l'absence de fondement objectif à la crainte d'être persécuté.

 

[27]      Le défendeur fait valoir qu'il incombait aux demandeurs d'informer la Commission de toute décision applicable de la Cour fédérale, comme celle qui avait accueilli la demande de contrôle judiciaire de la demande d'asile de leur fils. Selon le défendeur, la Commission avait le droit de tenir compte du rejet de la demande d'asile du fils des demandeurs, étant donné que ceux‑ci avaient déclaré dans leur FRP qu'ils adoptaient le FRP de leur fils. Le défendeur soutient que le fait que l'avocat des demandeurs n'ait pas donné connaissance à la Commission de la décision de la Cour fédérale ne vicie pas la décision de la Commission, puisque cette dernière avait statué sur le fondement de la preuve dont elle disposait au moment pertinent.

 

[28]      Le défendeur soutient en outre que la Commission a eu raison de conclure que des personnes présentant le profil des demandeurs n'étaient pas menacées, étant donné que la preuve documentaire faisait état de risques pour les personnes [TRADUCTION] « exprimant publiquement leurs opinions » et que les demandeurs ne sont pas de telles personnes, mais sont simplement associés au PML par l'intermédiaire de leur fils.

 

[29]      Le défendeur répond à l'argument des demandeurs selon lequel la Commission n'a cité que ce qui l'arrangeait de la preuve documentaire en faisant valoir qu'elle s'est référée aux passages les plus pertinents des articles en question et qu'il ne serait pas réaliste d'exiger qu'elle cite toutes les pièces produites. Il ajoute qu'il est loisible à la Commission de retenir la preuve documentaire de préférence au témoignage des demandeurs.

 

Analyse et décision

 

[30]      Aux fins du présent jugement, j'examinerai la question suivante :

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur une de ses décisions antérieures pour statuer que les demandeurs n'encouraient pas une possibilité sérieuse d'être persécutés?

            Pour répondre à cette question, il faut d'abord établir si la Commission s'est effectivement fondée sur une de ses décisions antérieures, à savoir celle portant sur la demande d'asile du fils des demandeurs. La Commission ne se réfère pas explicitement à une décision antérieure dans l'exposé de ses motifs, pas plus qu'elle n'a avisé les demandeurs qu'elle s'appuierait sur une telle décision. Les demandeurs, cependant, soutiennent que la Commission a secrètement fondé la décision attaquée dans la présente espèce sur la décision antérieure en cause, étant donné les ressemblances de forme entre les deux textes, rédigés par des membres différents de la Commission. Les demandeurs citent les exemples suivants :

            La décision relative à Eduard Levanaj contient le passage suivant :

Le tribunal conclut que la documentation sur le pays n'appuie pas l'allégation du demandeur à l'effet que des membres du Parti du mouvement de la légalité à son niveau d'engagement sont persécutés pour un motif prévu à la Convention. Cette documentation a été recueillie par des agences de tierce partie dignes de confiance qui n'ont aucun intérêt dans la présente demande. (Voir le dossier de la demande, page 270.)

 

On trouve dans la décision relative aux demandeurs le passage analogue suivant :

[TRADUCTION] Je conclus que la preuve documentaire n'étaye pas l'allégation du demandeur d'asile selon laquelle les membres du Parti du mouvement pour la légalité de son niveau ou les monarchistes en général seraient persécutés pour un motif prévu par la Convention. Cette documentation a été recueillie par des organismes tiers de bonne réputation qui n'ont pas d'intérêt dans l'issue de la présente demande. (Voir le dossier de la demande, page 12.)

 

On lit aussi dans la décision touchant Eduard Levanaj :

En raison de la primauté de la preuve documentaire, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n'a pas souffert des agressions décrites dans son FRP. (Voir le dossier de la demande, page 272.)

 

Or, on trouve un passage semblable dans la décision relative aux demandeurs :

[TRADUCTION] Me fondant sur la prépondérance de la preuve documentaire dont je dispose, je conclus, suivant la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d'asile n'ont pas subi les agressions décrites dans les exposés circonstanciés de leur FRP. (Voir le dossier de la demande, page 16.)

 

La conclusion suivante est formulée dans la décision relative à la demande d'asile d'Eduard Levanaj :

Par conséquent, considérant l'ensemble de la preuve, le tribunal conclut que le demandeur était un membre ordinaire du PML en Albanie. (Voir le dossier de la demande, page 272.)

 

La même conclusion se retrouve dans la décision concernant les demandeurs :

[TRADUCTION] Me fondant sur les documents produits par l'avocat, je conclus, suivant la prépondérance de la preuve, que le fils des demandeurs était un membre ordinaire du Parti du mouvement pour la légalité. (Voir le dossier de la demande, page 12.)

 

[31]      Il me paraît, vu la ressemblance de ces passages, que la Commission s'est référée à sa décision antérieure touchant le fils des demandeurs, Eduard, et l'a utilisée pour établir la décision relative aux demandeurs. Le membre en cause de la Commission n'a pas soufflé mot à l'ouverture de l'audience de son intention d'utiliser la décision relative à Eduard Levanaj dans l'affaire qui nous occupe. Cette décision n'a pas été produite en preuve, et les demandeurs ne savaient pas qu'on s'en servirait.

 

[32]      Il faut maintenant établir quel est l'effet de l'utilisation par la Commission d'une décision antérieure pour évaluer la crédibilité de demandeurs différents dans une autre affaire, sans les en aviser au préalable.

 

[33]      Les demandeurs soutiennent que la Commission s'est rendue coupable de déni de justice naturelle en s'appuyant sur la décision antérieure relative à leur fils sans les aviser au préalable de ce fait. Le demandeur affirme, quant à lui, que la Commission avait le droit d'utiliser ladite décision antérieure au motif que les demandeurs avaient adopté le FRP de leur fils. Cependant, la question est de savoir si la Commission aurait dû prévenir les demandeurs qu'elle allait se reporter à cette décision afin de leur permettre de se préparer à en réfuter les conclusions.

 

[34]      Je souscris à la thèse des demandeurs selon laquelle la Commission a manqué à son obligation d'équité procédurale en ne les informant pas de son intention d'utiliser la décision relative à leur fils pour en tirer des conclusions touchant leur propre crédibilité aux fins de la décision les concernant. Cette thèse est d'autant plus convaincante que la juge Mactavish, membre de notre Cour, a statué que la preuve n'étayait tout simplement pas les conclusions de la Commission touchant la crédibilité d'Eduard Levanaj et la plausibilité de sa demande d'asile, et a par conséquent annulé la décision de rejet de cette demande.

 

[35]      En conséquence, la décision de la Commission est annulée, et l'affaire est renvoyée pour réexamen à une formation différente de cet organe.

 

[36]      Ayant tranché ainsi cette question, je n'ai pas à examiner les autres qu'ont soulevées les demandeurs.

 

[37]      Les parties auront une semaine à compter de la date du présent jugement pour proposer à mon attention toute question grave de portée générale qu'elles voudraient voir certifier, et trois jours pour présenter, le cas échéant, leur réponse à ce sujet.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE

 

 

Dispositions législatives applicables

 

 

            L'alinéa 95(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, dispose que la protection de l'asile est conférée à toute personne à qui la Commission reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger :

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas:

 

. . .

 

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

 

 

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

 

. . .

 

 

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

 

 

            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi définissent comme suit les expressions « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

 

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2631‑05

 

INTITULÉ :                                       HYSEN LEVANAJ

                                                            et SANIE LEVANAJ

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                     L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 1ER MARS 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O'KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 MARS 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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