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Date : 20000630


Dossier : IMM-4770-99



OTTAWA (Ontario), le vendredi 30 juin 2000

EN PRÉSENCE DE : Mme LE JUGE B. REED


ENTRE :


     ABDUL MAJEED


     demandeur


     et



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur


     ORDONNANCE

     AYANT entendu la demande de contrôle judiciaire à Toronto (Ontario), le mercredi 21 juin 2000;

     ET pour les motifs de l'ordonnance délivrés ce jour.

     LA COUR ORDONNE QUE :

     La demande est rejetée.




B. Reed

Juge


Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.





Date : 20000630


Dossier : IMM-4770-99



ENTRE :


     ABDUL MAJEED


     demandeur


     et



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED


[1]      Ces motifs font suite au contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas, datée du 16 août 1999, par laquelle ce dernier a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur, nonobstant le fait qu'il avait obtenu 71 points d'appréciation (il en faut 70 pour obtenir un visa). L'agent des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 11(3)b) du Règlement sur l'immigration de 1978 et il a refusé de délivrer un visa parce qu'il était d'avis que le nombre de points d'appréciation obtenus ne reflétait pas les chances du demandeur de réussir son installation au Canada.

[2]      L'avocat du demandeur cite l'arrêt récent Sadeghi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (2000), 48 Imm.L.R. (2d) 136 (C.A.F.). Cet arrêt établit que lorsque l'agent des visas prend une décision discrétionnaire privant une personne de son attente légitime d'obtenir un visa s'il satisfait au critère des 70 points, une plus grande protection sur le plan de la procédure s'impose par rapport à la situation où le pouvoir discrétionnaire est général :

     [15] En conséquence, dans l'exercice du pouvoir que lui confère l'alinéa 11(3)b ), l'agente des visas a pris une décision discrétionnaire privant l'appelant de son attente légitime selon laquelle, comme il avait rempli les critères de sélection particuliers prévus par la loi, qui, pour la plupart, sont conçus pour apprécier la capacité du demandeur de réussir son installation au Canada sur le plan économique, il obtiendrait un visa, à moins d'être jugé non admissible en application du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration. Les décisions qui frustrent une personne de son attente légitime de recevoir un bénéfice attirent généralement une plus grande protection sur le plan de la procédure que celles où le pouvoir discrétionnaire est général.

[3]      Dans l'affaire Sadeghi, l'agente des visas a pris sa décision en vertu de l'alinéa 11(3)b) en donnant comme motifs les [traduction] « connaissances limitées de l'appelant des conditions d'emploi au Canada, le fait qu'il n'avait aucun contact professionnel au Canada et qu'il n'était pas préparé pour aller au Canada » , alors qu'elle n'avait pas communiqué ses réserves à l'intéressé de façon à lui donner la possibilité d'y répondre. La Cour d'appel a jugé que ce fait constituait une violation de l'équité procédurale.

[4]      L'avocat soutient que, de la même façon, l'agent des visas en l'instance a fondé sa décision, du moins en partie, sur le fait que le demandeur n'avait pas d'expérience nord-américaine dans son domaine (directeur du personnel et de l'administration) et qu'il n'avait pas d'amis ou de parents au Canada.

[5]      Je ne peux conclure que l'arrêt Sadeghi est d'une quelconque utilité pour le demandeur en l'instance. Les formulaires d'immigration que le demandeur a complétés de façon implicite, dans la première affaire, et de façon explicite, dans la seconde, donnent au demandeur l'occasion de fournir l'information pertinente. Le demandeur doit décrire son expérience de travail de façon très détaillée, d'abord par écrit et ensuite lors de l'entrevue. S'il y avait eu une expérience nord-américaine, il en aurait été fait état à ce moment-là. Dans le formulaire pour obtenir le statut de résident, les demandeurs doivent donner la liste de toutes les personnes ou employeurs qui peuvent leur accorder une aide au Canada. Le demandeur n'en a cité aucun et l'agent d'immigration a indiqué sur le formulaire [traduction] « aucune famille au Canada/aucune famille ou ami aux É.-U. » .

[6]      En conséquence, le fait que l'agent des visas a mentionné l'absence d'une expérience nord-américaine du demandeur, ainsi que le fait qu'il n'avait ni famille ni ami au Canada, lorsqu'il a décidé d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 11(3)b) du Règlement, ne constitue pas une violation de l'équité procédurale.

[7]      L'avocat du demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur importante en se rapportant à la grille des seuils de faible revenu (SFR) pour évaluer la capacité du demandeur de s'établir avec succès au Canada. L'avocat soutient que cette grille a pour but de déterminer si un répondant établi au Canada peut subvenir aux besoins de la personne qu'il parraine. Il soutient qu'en évaluant la situation financière d'une personne qui demande le droit d'établissement en tant qu'immigrant indépendant, l'agent des visas doit utiliser la partie du Guide de l'immigration qui porte sur les fonds nécessaires à l'établissement.

[8]      Après avoir lu avec attention la décision de l'agent des visas et examiné les grilles en question, je constate qu'il n'y a pas eu d'erreur. Tout d'abord, la grille portant sur les fonds nécessaires à l'établissement fournit un chiffre estimatif de la somme nécessaire pour vivre au Canada pendant six mois (16 000 $ pour une famille de quatre personnes), sans avoir recours à l'aide sociale. La grille SFR donne des chiffres estimatifs quant aux ressources requises pour vivre au-dessus du seuil de pauvreté pendant une année (32 759 $ pour une famille de quatre personnes dans la région où le demandeur voulait s'installer).

[9]      L'évaluation que l'agent des visas devait faire n'était pas limitée aux premiers six mois de présence du demandeur au Canada. Il lui fallait évaluer si oui ou non à long terme le demandeur pouvait réussir son installation et celle de sa famille au Canada. Ceci ne se limitait pas à la somme requise pour assurer les six premiers mois de l'établissement.

[10]      Le demandeur possédait à peu près 25 000 $. Avec ceci, il devait assurer le transport de sa femme et de ses enfants à partir de Chicago (ce qui n'est pas beaucoup), ainsi que le sien à partir du Pakistan. Il a déclaré avoir l'intention de vendre les meubles et autres biens qu'il possédait au Pakistan, pour ensuite acheter des articles neufs en arrivant au Canada.

[11]      L'agent des visas a tenu compte des facteurs suivants : les fonds en possession du demandeur; les dépenses qu'il devait engager pour louer un appartement meublé (ou pour meubler un appartement vide) pour loger sa famille au Canada; le fait qu'il n'avait pas de famille ou d'amis au Canada pouvant l'aider. Encore plus important, il a tenu compte du fait que l'offre d'emploi qu'on lui proposait (de Comp-U-Learn, une organisation ayant déclaré que les connaissances informatiques du demandeur l'intéressaient) ne semblait pas assurer l'avenir, étant donné que les connaissances informatiques du demandeur étaient celles d'un utilisateur, savoir qu'il savait comment se connecter à l'internet. L'agent des visas a conclu qu'au vu de ce qui semblait une offre d'emploi éphémère, ainsi que du fait qu'il n'avait pas d'expérience nord-américaine dans le domaine, que le demandeur aurait des difficultés à trouver un emploi différent de celui que lui offrait Comp-U-Learn. Par conséquent, l'agent des visas a conclu que les points d'appréciation octroyés au demandeur ne reflétaient pas sa capacité de s'établir avec succès au Canada. Il a donc décidé de ne pas lui accorder de visa.

[12]      Les facteurs dont l'agent des visas a tenu compte sont pertinents dans le cadre de la décision qu'il devait prendre. Je note que dans Yazdanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 170 F.T.R. 129, Mme le juge Tremblay-Lamer a décidé que l'absence d'une expérience dans le monde occidental pouvait être un facteur à considérer, à condition qu'on ne lui accorde pas une importance indue :

     Je reconnais que pour se prononcer sur la demande émanant de quelqu'un originaire d'un pays non occidental, il peut convenir de tenir compte du facteur que constitue l'expérience du monde « occidental » étant donné que les conditions de travail et de commerce varient d'un pays à un autre, mais, me semble-t-il, en accordant trop d'importance à l'expérience qu'un candidat peut avoir du monde du commerce en Occident, on arriverait à rejeter les demandes présentées par des entrepreneurs chevronnés qui ont fait leurs preuves au sein d'autres cultures.

[13]      Notre Cour a décidé qu'un agent des visas peut fonder sa décision d'exercer son pouvoir discrétionnaire à l'encontre d'un demandeur sur plusieurs facteurs, y compris ceux qu'on trouve à l'annexe I, à condition que ces facteurs soient liés aux possibilités que le demandeur puisse s'établir avec succès au Canada. (Voir Mao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-844-96, le 16 janvier 1997 (C.F. 1re Inst.)).

[14]      Dans Mao, l'application du pouvoir discrétionnaire par l'agente des visas à l'encontre d'un demandeur qui avait obtenu le nombre de points requis était fondée sur le fait qu'elle était d'avis que ce dernier ne pouvait s'établir avec succès au Canada et y travailler dans la profession qu'il envisageait d'exercer. L'agente des visas se fondait sur le fait que le demandeur avait des difficultés en anglais et qu'il ne parlait pas le français, ainsi que sur la valeur de ses actifs personnels. Le juge Pinard a noté qu'en donnant ses motifs, l'agente des visas avait notamment déclaré que :

     ... Ses actifs personnels s'élèvent en tout à 11 000 $ US (14 729 $ CAN), ce qui, selon IS 4, serait normalement suffisant pour subvenir aux besoins d'une personne pendant six mois au Canada. Ce calcul ne tient pas compte des frais de transport aérien et de déménagement. J'estime toutefois que l'immigrant éventuel aurait beaucoup de difficulté à se trouver un emploi dans le domaine du génie ou de `informatique, compte tenu de ses grandes difficultés à communiquer en anglais et à ses connaissances inexistantes en français. Compte tenu de son domaine de travail professionnel, on peut s'attendre à ce qu'une grande partie de son travail, sinon la totalité de celui-ci, se déroule dans l'une ou l'autre de ces deux langues. J'estime qu'il lui faudrait beaucoup plus de temps pour se trouver du travail et qu'il épuiserait rapidement les ressources limitées dont il dispose, de sorte qu'il lui faudrait probablement recourir à l'aide sociale. Je demande donc la permission d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement de manière à rendre une décision défavorable.

Le juge Pinard déclare ensuite :

     ... À mon avis, les motifs invoqués par l'agente des visas à l'appui de sa décision défavorable, à savoir la connaissance insuffisante de l'anglais du requérant et ses ressources financières limitées, constituaient des facteurs pertinents qui reflétaient de façon juste ses chances de s'établir avec succès au Canada sur le plan économique (voir Chen c. Canada (M.C.I.), [1991] 3 C.F. 350 (1re inst.); [1994] 1 C.F. 639 (C.A.F.) et [1995] 1 R.C.S. 725). Dès lors que les motifs invoqués par l'agent des visas pour justifier l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vue de rendre une décision défavorable se rapportent aux chances du requérant de s'établir avec succès au Canada sur le plan économique, et qu'ils ne se rapportent pas à une autre mesure de ses chances de s'établir avec succès, l'agent des visas peut à bon droit fonder sa décision sur un nombre indéterminé de facteurs, y compris ceux que l'on trouve à l'annexe 1 du Règlement (voir Covrig c. Canada (M.C.I.), [1995] 104 F.T.R. 41 (C.F. 1re inst.) et Savin c. Canada (M.C.I.), [1995] 102 F.T.R. 67 (C.F. 1re inst.), à la page 71).


[15]      L'agent des visas a examiné un certain nombre de facteurs, parmi lesquels on n'en trouve aucun qui serait non pertinent ou déraisonnable, pour arriver à la décision d'exercer son pouvoir discrétionnaire à l'encontre du demandeur. L'agent des visas a examiné la valeur et la permanence de l'offre d'emploi, les actifs nets du demandeur, ses attentes quant au coût d'installation de sa famille, l'existence d'une possibilité d'aide et de soutien d'amis ou de parents au Canada, la possibilité que le demandeur puisse trouver un autre emploi, ainsi que le fait que son épouse n'avait pas l'intention de travailler à l'extérieur du foyer. L'avocate soutient que l'agent des visas a étudié de façon complète et équitable la demande et que la conclusion à laquelle il est arrivé est raisonnable.

[16]      L'avocat du demandeur soutient que de toute façon un agent des visas n'est pas autorisé à exercer son pouvoir discrétionnaire à l'encontre d'un demandeur en vertu de l'alinéa 11(3)b) du Règlement, sauf lorsque ce dernier n'a reçu aucun point pour le facteur personnalité. Il fonde cet argument sur la décision rendue dans Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 350 (1re Inst.). Dans cette décision, M. le juge Strayer déclare ceci :

     ...En l'espèce, M. Spunt a examiné l'appréciation de la « personnalité » effectuée par Mme Trillo, qui avait accordé 7 points sur 10, et il l'a confirmée. Je ne vois pas comment il peut motiver l'exercice négatif de son pouvoir discrétionnaire par le fait que le requérant n'a pas un degré suffisant de personnalité. Il est concevable que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) puisse être utilisé adéquatement lorsqu'un immigrant souffre d'une telle insuffisance à l'égard d'un des facteurs énumérés dans la colonne I qu'un zéro comme résultat ne refléterait pas adéquatement l'incidence négative de cette insuffisance sur son aptitude à s'établir avec succès. Il me semble toutefois que préalablement à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire pour ce motif, l'agent devrait attribuer un zéro dans l'appréciation de ce facteur.

[17]      Ceci n'équivaut pas à déclarer que l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'encontre d'un demandeur exige que ce dernier n'ait reçu aucun point pour le facteur personnalité. La Cour a noté que l'agent des visas ne pouvait fonder sa décision sur un manque de personnalité alors que le demandeur avait reçu 7 points à ce titre. Ceci équivaudrait à dire qu'un demandeur ne pourrait réussir parce qu'il ne pourrait communiquer avec les employeurs, alors qu'on lui aurait accordé tous les points pour ses capacités linguistiques. Ceci serait contradictoire.

[18]      Dans Savin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 35 Imm.L.R. (2d) 122 (C.F. 1re Inst.), M. le juge Cullen a rejeté l'argument voulant qu'un demandeur devait avoir reçu 0 point pour le facteur personnalité avant qu'on puisse exercer à son encontre le pouvoir discrétionnaire prévu à l'alinéa 11(3)b) du Règlement (dans l'affaire Savin, le demandeur avait reçu quatre points pour le facteur personnalité). M. le juge Cullen s'est expliqué en disant que « l'agent des visas doit posséder un certain pouvoir discrétionnaire de décider que, pour un ensemble de raisons, un requérant n'arriverait pas à l'autonomie financière au Canada ... La décision de l'agent des visas n'est pas erronée. » .

[19]      Le facteur personnalité exige une évaluation des candidats à l'immigration au vu de leurs « faculté d'adaptation, motivation, esprit d'initiative et ingéniosité » , afin de déterminer s'ils sont en mesure de réussir leur installation au Canada. Cette évaluation n'est pas identique à celle qui doit être faite aux fins de l'alinéa 11(3)b), même si les deux se recoupent.

[20]      Par conséquent, l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'encontre du demandeur par l'agent des visas, compte tenu des facteurs qu'il a examinés, ne constitue pas une erreur alors que le demandeur avait reçu 5 points pour le facteur personnalité.

[21]      Pour les motifs énoncés, la requête est rejetée.



     B. Reed

                                 Juge




OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 juin 2000





Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :              IMM-4770-90
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Abdul Majeed c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 21 juin 2000

MOTIFS DE JUGEMENT DE MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :              30 juin 2000



ONT COMPARU


M. Max Chaudhary                          POUR LE DEMANDEUR

Mme Marianne Zoric                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


M. Max Chaudhary                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)


M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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