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Date : 20001106

Dossier : IMM-1227-00

ENTRE :

                                                            MAHMUT YILMAZ,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

MADAME LE JUGE SIMPSON

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision que la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) a rendue le 15 janvier 2000. Le demandeur, Mahmut Yilmaz (le « demandeur » ), est un citoyen de la Turquie qui revendique le statut de réfugié en raison de son appartenance à l'ethnie kurde. La Commission a rejeté cette revendication, estimant qu'elle n'était pas crédible.

La question en litige


[2]         Avant d'en arriver à la question de la crédibilité, je dois examiner l'argument que le demandeur a soulevé au sujet de la procédure et selon lequel la Commission a omis de statuer sur sa demande d'ajournement et l'a forcé à procéder à l'audience sans conseiller juridique, contrairement aux principes de justice fondamentale.

La demande d'ajournement

[3]         La présente affaire a été portée pour la première fois à l'attention de la Commission lors d'une audience qui avait été fixée au 10 août 1999. À cette date, le demandeur était représenté par une avocate. Cependant, l'audience n'a pas eu lieu à cette date, parce que le ministre est intervenu et a demandé et obtenu un ajournement. L'audience a donc été reportée au 23 novembre 1999.

[4]         À la reprise de l'audience le 23 novembre 1999, le représentant du ministre était présent, tout comme un agent chargé de la revendication ( « l'ACR » ). Cependant, le demandeur n'avait pas d'avocat. Il a expliqué à la Commission qu'après l'intervention du ministre, son avocate a augmenté ses honoraires, de sorte qu'il ne pouvait plus se permettre de retenir les services de celle-ci. Il a ajouté que sa demande d'aide juridique avait été refusée et que, bien qu'il ait consulté cinq ou six avocats, il n'avait pas suffisamment d'argent pour verser une avance. Le demandeur a ensuite formulé les remarques suivantes à la Commission :

[TRADUCTION] J'ai pensé que, si je pouvais obtenir un délai supplémentaire, je gagnerais suffisamment d'argent pour payer les services d'un avocat et je pourrais alors procéder (transcription, p. 8).

[5]         Après avoir entendu ces remarques, le président de l'audience a demandé au demandeur s'il savait qu'il pouvait procéder sans avocat et le demandeur a répondu par la négative. Le président lui a alors dit qu'il avait le droit d'être représenté par un avocat, mais il l'a encouragé à envisager la possibilité de procéder sans être représenté :

[TRADUCTION] Bien entendu, vous avez le droit d'être représenté par un avocat, mais il me semble que vous avez fait de votre mieux pour vous trouver un avocat et votre affaire est en cours depuis quelque temps déjà. Vous êtes au Canada depuis plus d'un an et vous aimeriez sans doute que votre situation se règle d'une façon ou d'une autre. Il se peut que vous soyez en mesure de gagner l'argent [pour retenir les services d'un avocat], mais le contraire est aussi possible.


Par conséquent, vous devriez comprendre qu'il est tout à fait possible pour vous de poursuivre et de raconter votre version au tribunal. Avant que nous débutions, nous devrions demander à M. Duncan [l'ACR], dans le cadre de ses autres fonctions, de revoir avec vous les conditions de la définition que vous devez respecter, comme votre avocate l'a sans doute fait (transcription, p. 8).

[6]         Le demandeur a indiqué qu'il comprenait ce que la Commission lui proposait. Le membre de la Commission s'est ensuite exprimé en ces termes :

[TRADUCTION] Nous ne voulons certainement pas vous forcer; cependant, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire et du fait que votre revendication a été déposée depuis un bon moment et que vous êtes ici en Amérique du Nord depuis quelque temps déjà, je ne suis pas certain que le fait de reporter à nouveau l'audience permettra de régler la situation (transcription, p. 8).

[7]         La Commission a ensuite proposé au demandeur de rencontrer l'ACR et de lui offrir [TRADUCTION] « une possibilité générale de décider s'il est suffisamment à l'aise pour procéder de cette façon et si cette démarche est raisonnable » (transcription, p. 9). La Commission a également dit au demandeur que [TRADUCTION] « toutes les personnes concernées veulent être certaines que vous êtes parfaitement au courant de la situation avant de procéder » (transcription, p. 10).

[8]         Après cette discussion, l'ACR a rencontré le demandeur afin de tenter de le préparer à procéder sans avocat, si tel était son désir. Après une interruption d'une heure, l'audience a repris et la Commission a posé la question suivante au demandeur :

[TRADUCTION] À ce moment-ci, je vous demanderais d'abord, Monsieur Yilmaz, si vous avez eu la possibilité d'examiner votre revendication aujourd'hui et si vous êtes prêt à procéder. Nous aimerions que vous nous informiez des raisons pour lesquelles nous ne devrions pas procéder aujourd'hui (transcription, p. 17-18).

[9]         Le demandeur a alors répondu comme suit, comme l'indique la réponse de la page 18 de la transcription :[TRADUCTION] « je veux poursuivre » .

[10]       À ce moment, l'ACR a formulé quelques appréhensions au sujet de l'exercice du rôle de conseiller du demandeur à l'audience :

[TRADUCTION] ...Je dois franchement informer le tribunal dès maintenant que je me sens mal à l'aise de continuer à agir à titre d'ACR dans la présente affaire. J'ai passé beaucoup de temps avec le revendicateur... (transcription, p. 18).

[11]       L'ACR a ensuite expliqué comment il avait passé en revue la preuve et les questions de droit avec le demandeur et comment il lui avait décrit le rôle et les fonctions de l'ACR au cours des audiences relatives au statut de réfugié. Il a dit au demandeur que l'ACR devait présenter tous les éléments de preuve pertinents à la Commission, y compris ceux qui n'appuyaient pas la revendication. Le demandeur s'est apparemment opposé à ce rôle et l'ACR a relaté cette objection à la Commission :

[TRADUCTION] Le revendicateur m'a accusé d'être opposé à lui, d'être contre lui et, dans ces circonstances, je me sens vraiment mal à l'aise dans la présente affaire; le représentant du ministre était présent dans la salle lorsque le revendicateur a formulé ces remarques, et il les a dites en anglais (transcription, p. 19).

[12]       La Commission a conclu que le demandeur avait mal interprété le rôle de l'ACR et lui a donné des explications à ce sujet. Après s'être excusé auprès de l'ARC, le demandeur l'a remercié d'avoir passé les procédures en revue avec lui et a reconnu que l'ACR l'avait mal compris parce qu'il avait du mal à s'exprimer en anglais. Finalement, l'ACR et le demandeur ont convenu qu'il était possible de procéder à l'audience avec l'aide d'un interprète (p. 20-22).

Les arguments du demandeur

[13]       Le demandeur a dit que la Commission a rejeté sa demande d'ajournement sans examiner le bien-fondé de la demande. Il a ajouté que la Commission l'a encouragé à procéder sans avocat en formulant des remarques comme [TRADUCTION] « Vous aimeriez sans doute que votre situation se règle... » . Enfin, le demandeur a insisté sur le fait que l'ACR était mal à l'aise devant la perspective de jouer le double rôle d'ACR et de conseiller. Le demandeur a soutenu qu'à tout le moins, la Commission aurait dû reporter l'audience lorsque l'ACR a exprimé des appréhensions au sujet de la démarche.


Les arguments du défendeur

[14]       Le défendeur a soutenu que le demandeur s'était désisté de sa demande d'ajournement lorsqu'il a dit à la Commission qu'il voulait procéder sans avocat.

Commentaires

[15]       Les principales circonstances de la présente affaire sont les suivantes : (i) l'intervention du ministre a eu pour effet d'ajouter de nouvelles questions au litige; (ii) la crédibilité du demandeur était en litige; (iii) le demandeur avait retenu les services d'une avocate, qui avait comparu pour lui, et a cherché activement par la suite à retenir les services d'un autre avocat pour la remplacer tant directement que par l'entremise de l'aide juridique; (iv) il s'agissait de la première demande d'ajournement du demandeur.

[16]       À mon avis, même si je pense que la Commission a agi avec les meilleures intentions du monde, elle a commis une erreur lorsqu'elle a procédé à la tenue de l'audience. La preuve indique de façon plus qu'évidente que le demandeur voulait être représenté par un avocat et, dans les circonstances décrites ci-dessus, la Commission lui a refusé une possibilité réelle d'être entendu lorsqu'elle l'a vivement encouragé à procéder sans avocat. Je suis convaincue que, malgré les déclarations de la Commission, le demandeur n'a pas compris qu'il pouvait refuser de procéder sans avocat, comme la Commission le lui proposait, ou qu'il pouvait réitérer sa demande d'ajournement.

[17]       J'en suis donc arrivée à la conclusion qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle dans la présente affaire et la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. En


conséquence, il n'est pas nécessaire d'examiner l'évaluation de la Commission en ce qui concerne la crédibilité du demandeur.

(S) "Sandra J. Simpson"

Juge

Vancouver (C.-B.)

6 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                     

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         MAHMUT YILMAZ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

No DU GREFFE :                                           IMM-1227-00

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            4 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SIMPSON

EN DATE DU :                                               6 novembre 2000

ONT COMPARU :

Me Alp Debreli                                                  pour le demandeur

Me Ian Hicks                                                                 pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alp Debreli                                                  pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                                                    pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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