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Date : 20050211

Dossier : T-1864-00

Référence : 2004 CF 1422

ENTRE :

                                                        JOHN LETOURNEAU et

                                                 LETOURNEAU LIFE RAIL LTD.

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                             CLEARBROOK IRON WORKS LTD.

                                                                                                                                      défenderesse

                                        MOTIFS MODIFIÉS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                Certains genres d'édifices sont construits par coulage d'une cloison en béton armé sur une dalle horizontale posée au sol, puis par élévation de la cloison, pour former un mur vertical. La dalle peut alors être utilisée comme base du coulage de la cloison suivante. Finalement, un plancher ou un toit est placé au sommet des cloisons verticales ainsi disposées. À la base de travaux de construction, il y a la sécurité des travailleurs, notamment les précautions à prendre pour les empêcher de s'écarter du bord d'un plancher ou d'un toit monté. Les demandeurs ici présentent ce qu'ils croient être une nouvelle solution faisant intervenir des étançons périmétriques portables, mais solidement fixés, qui sont l'objet de la présente action.


[2]                Plus précisément, cette action concerne la prétendue contrefaçon d'un étançon breveté devant servir dans la construction de cloisons modulaires en béton, l'étançon étant fixé sur l'extérieur de la cloison, près du sommet, soit au moyen d'un manchon d'ancrage distinct coulé dans la cloison, soit par boulonnage à la cloison. L'étançon muni du manchon d'ancrage présente au bas un angle droit, afin de pouvoir entrer solidement dans le manchon fixé à la cloison, et un appui à doubles pattes décalées grâce auquel l'étançon retient le garde-corps métallique, qu'il supporte, largement à l'intérieur du bord du toit. Quand les travaux entrepris sur le toit sont achevés, l'étançon peut être enlevé, la douille d'ancrage demeurant, elle, en place.

[3]                Les présents motifs font suite à deux requêtes, instruites sur une période de deux jours, et à des moyens de droit déposés plus tard. La défenderesse voudrait que se poursuive l'interrogatoire préalable de M. John Letourneau, pour qu'il réponde à diverses questions, à la fois celles qui ont été refusées et celles dont les réponses ont été différées, qu'il produise d'autres documents et qu'il donne les détails de la première revendication du brevet en cause.


[4]                Les demandeurs voudraient, par leur requête, que se poursuive l'interrogatoire préalable de M. Noel Schellenberg, de Clearbrook Iron Works Ltd., afin qu'il donne suite aux engagements et aux questions dont les réponses ont été différées et qu'il réponde aux questions qui ont été refusées. Parmi les questions dont les réponses ont été différées, figurait une demande de détails sur le refus de la défenderesse de reconnaître que M. Letourneau était l'inventeur, ce qui soulève le principe selon lequel la charge de la preuve incombe à la partie qui conteste la validité d'un brevet.

[5]                L'action, qui, comme je l'ai dit, est une action en contrefaçon du brevet Letourneau, est également plus complexe que cela. La défenderesse, Clearbrook, prétend que le brevet est invalide, pour diverses raisons, et elle a déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle affirme que les demandeurs ont fait des déclarations fausses et trompeuses qui tendent à discréditer les activités, les produits et les services de Clearbrook.

QUELQUES PRINCIPES JURIDIQUES GÉNÉRAUX

[6]                Avant de passer à la requête de la défenderesse, puis à la requête des demandeurs, j'exposerai certains principes fondamentaux applicables.

[7]                Les deux parties se sont référées à six propositions générales, qui s'appliquent à l'interrogatoire préalable, et qui sont exposées dans la décision Scientific Games, Inc. c. Pollard Bank Notes Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3d) 461 (C.F. 1re inst.), à la page 468 :

1.              En ce qui concerne les documents qui doivent être produits, le critère est simplement celui de la pertinence. C'est par l'application de la loi et non dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, que l'on détermine quels documents les parties ont le droit de consulter. Il doit s'agir d'un document dont on peut raisonnablement supposer qu'il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire;

2.              Il n'est pas nécessaire de répondre aux questions qui sont trop générales ou sollicitent un avis ou qui ne font pas partie du renvoi;


3.              L'à-propos de toute question posée à l'interrogatoire préalable doit être déterminé en fonction de sa pertinence par rapport aux faits allégués dans la déclaration ou dans la défense, selon le cas, plutôt qu'en fonction de sa pertinence par rapport aux faits qu'une partie a l'intention d'établir;

4.              La partie interrogée ne devrait pas être tenue de répondre aux questions qui, bien qu'elles puissent être tenues pour pertinentes, ne sont pas du tout susceptibles de bénéficier de quelque manière que ce soit à la cause de la partie qui procède à l'interrogatoire;

5.              Avant d'obliger une personne à répondre à une question à un interrogatoire préalable, le tribunal doit apprécier la probabilité de l'utilité de la réponse en comparaison du temps, du mal et des frais que nécessite son obtention; la décision doit être raisonnable et équitable, vules circonstances;

6.              Il convient de décourager les recherches à l'aveuglette faites au moyen de questions vagues, d'une grande portée ou non pertinentes.

Ces propositions reprennent les principes exposés par le juge McNair dans la décision Reading & Bates Construction Corp. c. Baker Energy Resources Corp. (1998), 25 F.T.R. 226 (C.F. 1re inst.), à la page 230, où sont énumérés plusieurs précédents pour chaque proposition.

[8]                J'expliquerais le premier principe susmentionné en ajoutant qu'une question ou un document est pertinent même s'il ne conduit qu'indirectement à une enquête sur des événements pertinents : voir la décision Nolan c. Silex International Chemical Systems Inc. (1997) 77 C.P.R. (3d) 212 (C.F. 1re inst.), à la page 214, qui s'appuie sur la décision rendue par le juge MacKay dans l'affaire Sydney Steel Corporation c. Le navire « Omisalj » [1992] 2 C.F. 193 (C.F. 1re inst.), aux pages 197-198, et la décision Fiddler Enterprises Ltd. c . Allied Shipbuilders Ltd. (2002), 215 F.T.R. 305, à la page 307, qui s'appuie sur l'arrêt Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique v. Peruvian Guano Company (1882) 11 Q.B.D. 55 (C.A.). Lorsqu'on ne sait pas si une question appelle ou non une réponse, il faut présumer qu'elle appelle une réponse : voir la décision Omisalj, aux pages 198 et 199.


[9]                Comme je l'ai dit précédemment, l'un des points à décider est celui de savoir qui a le droit de se prétendre l'inventeur. Assurément, le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets dit que le brevet est présumé valide. Cette proposition fondamentale est examinée en détail par le président Thorson dans l'arrêt McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. c. Sharpe Instruments Ltd. [1956-1960] R.C.É. 467, aux pages 491-492. Le président Thorson, examinant la contestation d'un brevet, fait observer [traduction] « ... que la charge de prouver que le brevet est invalide incombe à la personne qui conteste le brevet, quel que soit le motif de contestation, et que la présomption légale de validité subsiste tant qu'il n'a pas été clairement prouvé que le brevet est invalide » . (page 492).

EXAMEN DE LA REQUÊTE DE CLEARBROOK

[10]            J'examinerai d'abord la requête de Clearbrook Iron Works Ltd., qui vise en général à obtenir d'autres réponses et détails de John Letourneau et de Letourneau Life Rail Ltd.

Expérience et antécédents de M. Letourneau


[11]            Ce qui est en cause dans la première catégorie de refus, c'est la portée des questions qui peuvent être posées à un témoin sur ses antécédents. Un bon point de départ est l'avis exprimé par le juge Rothstein (son titre à l'époque) dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1994], 75 F.T.R. 97 (C.F. 1re inst.), à la page 100 :

Normalement, en début d'interrogatoire, le déposant se verra poser, à son propre sujet, une question de caractère descriptif. Rien n'interdit de poser de telles questions afin d'identifier le déposant, voire de mettre en lumière ses antécédents, dans la mesure, bien sûr, où la partie qui interroge parvient à établir la pertinence des détails qu'elle cherche à obtenir concernant les antécédents du déposant, ou à démontrer que le détail voulu est nécessaire au plan de la crédibilité. Il ne suffit pas de dire « Nous voulons savoir qui il est » ou « Quelle est son expérience en matière de procès? » .

Le juge Rothstein explique cette idée de poser des questions adéquates sur les antécédents du témoin interrogé, soit en montrant la pertinence de la question, soit en plaçant la question dans le contexte de la crédibilité du témoin. Le juge Rothstein fait observer que, pour que la question soit valide, il doit exister un lien entre les points soulevés dans l'affaire et les antécédents du témoin. Cependant, il y a dans ce domaine une appréciable liberté d'action, notamment la liberté de vérifier si celui qui prétend être l'inventeur est bel et bien l'inventeur, un aspect que devait examiner le juge Lemieux dans l'affaire Goldfarb c. W.L. Gore and Associates, Inc. (2001) 11 C.P.R. (4th ) 129 (C.F. 1re inst.), aux pages 154-155 :

L'inventeur véritable

[115]        J'emprunte à la décision rendue par le Conseil privé dans l'affaire Canadian General Electric Co. c. Fada Radio Ltd., [1930] A.C. 97, 101, le principe suivant selon lequel l'inventeur véritable est la personne qui a fait preuve de génie créatif. Lord Warrington of Clyffe a cité ces propos du juge Maclean de première instance :

« Il doit avoir un exercice réel de l'esprit inventif, même si dans certains cas il peut être minime... si l'invention exige une réflexion, une ingéniosité et un savoir-faire indépendants qui produisent, sous une forme distinctive, un résultat plus satisfaisant, transforment un appareil relativement défectueux en un appareil utile et efficace, rejettent les éléments mauvais et inutiles des tentatives antérieures et retiennent ceux qui sont utiles et les fondent dans un dispositif qui, pris dans son ensemble, est une nouveauté, il y a matière à brevet. La réalisation d'une nouvelle combinaison de dispositifs bien connus et leur application à un but nouveau et utile peut exiger une démarche inventive et peut donner ouverture à un brevet. »


[116]        La décision rendue par le juge Strayer dans l'affaire Mahurkar c. Vas-Cath of Canada Ltd. (1988), 18 C.P.R. (3d) 417 (C.F.S.P.I.) établit le principe selon lequel ce sont les compétences et les connaissances d'une personne qui permettent de déterminer si celle-ci est l'inventeur véritable, en particulier lorsqu'il s'agit d'inventions de nature complexe et technique. De l'avis du juge Teitelbaum dans l'arrêt Procter & Gamble Co. c. Kimberley-Clarke of Canada Ltd. (1991), 40 C.P.R. (3d) 1 (C.F.S.P.I.), le fait de soumettre un problème en vue d'obtenir une solution ne constitue pas une invention. Il faut prouver que l'inventeur a joué un rôle important dans la résolution du problème.

Cet extrait concernait les connaissances et compétences de la personne qui revendique la paternité de l'invention, et en fait le point de savoir si cette personne a la réflexion, l'ingéniosité et le savoir-faire indépendants qui peuvent lui permettre d'exercer une capacité inventive ou même, ainsi que le disait le Conseil privé dans l'arrêt Fada Radio mentionné par le juge Lemieux, le génie créatif requis pour développer les étançons en cause. Je passe maintenant aux questions précises posées à M. Letourneau à propos de son expérience.


[12]            Les questions 25, 26, 27 et 33 concernent l'emploi de M. Letourneau comme opérateur de bulldozer : Quand a-t-il occupé cet emploi? Pour qui travaillait-il? Quelles étaient ses tâches? Puis la dernière question, la question 33 : « Que faisiez-vous dans l'exercice de vos fonctions en tant qu'opérateur de bulldozer? Que pouvez-vous dire d'autre? » M. Letourneau a répondu que, en sa qualité d'opérateur de bulldozer, il faisait des travaux de creusement, mais cela est assez éloigné de tout ce qui intéresse soit la mise en place d'étançons autour du rebord d'un toit, soit la préservation de renseignements confidentiels, étant donné surtout que c'est il y a environ quinze ans que M. Letourneau travaillait comme opérateur de bulldozer. Dire, comme le fait l'avocat de la défenderesse, que l'expérience de M. Letourneau dans le bâtiment « jette un vernis sur à peu près tout ce qu'il dit concernant sa présumée invention, ou ce qu'il a fait dans ses activités à compter de 1997 » étend trop loin les limites de la pertinence, n'est pas susceptible de faire avancer la position juridique de quiconque et ressemble davantage à une enquête à l'aveuglette qu'à n'importe quoi d'autre. Les questions 25, 26, 27 et 33 n'appellent pas de réponses.

[13]            Par la question 39, l'avocat de la défenderesse cherche à établir l'expérience professionnelle de M. Letourneau antérieure à 1981. Cette question peut être utile pour savoir quelles sont les aptitudes que M. Letourneau a pu mettre à contribution pour résoudre le problème d'étançon. De même, son expérience professionnelle antérieure pourrait n'avoir aucun rapport avec l'application de compétences données dans son rôle d'inventeur, mais ces interrogations fondamentales sont à propos, même si les réponses ne sont pas nécessairement susceptibles de conduire à d'autres questions valides. La question 39 appelle une réponse.

[14]            S'agissant des questions 53 et 55, M. Letourneau a parlé de ses relations dans l'industrie du bâtiment. Dans ces questions, on lui demandait s'il y avait quelqu'un d'autre qu'il connaissait dans l'industrie du bâtiment, ainsi que le nombre de ses relations du genre. Il a répondu qu'il n'y en avait pas beaucoup et que « je ne me souviens pas des noms de tous les gens que je connais dans le bâtiment » . Puis M. Letourneau fait observer que la question semble embrasser une période de quarante ans. L'avocat de la défenderesse a reçu une réponse raisonnable, qui est suffisante.

[15]            À la question 65, M. Letourneau était prié de dire ce qu'il comprenait de l'expression « construction par relevage » . Il a fait observer, selon la paraphrase employée par l'avocat de la défenderesse, que « la construction par relevage lui était très peu familière » , tout en définissant ainsi l'expression : « c'est lorsqu'on fait horizontalement des murs de béton et qu'on les élève avec une grue pour avoir tout de suite une dalle verticale » (réponse 69).


[16]            L'avocat de la défenderesse fait valoir que la construction par relevage est une notion importante, ce qui est bien possible, mais l'observation concernant sa pertinence, en ce sens que les activités de marketing des demandeurs se concentraient sur l'industrie du bâtiment par relevage, ne conduit nulle part en particulier, car une bonne partie du dispositif de M. Letourneau, et surtout le manchon coulé sur place qui sert à soutenir l'étançon, se fonde sur l'idée que le manchon peut être inséré facilement dans la dalle horizontale en béton, avant que le béton ne prenne, la dalle pouvant ensuite être hissée en position, et le manchon se trouvant alors dans la position adéquate pour prendre l'étançon. Cependant, le jugement Risi Stone Ltd. c. Groupe Permacon Inc. (1994) 56 C.P.R. (3d) 381 (C.F. 1re inst.), une décision du juge Nadon (son titre à l'époque), présente ici quelque intérêt car « le simple fait qu'une question puisse viser à obtenir l'expression d'une opinion technique d'un témoin qui n'est pas un expert n'est pas nécessairement fatal » (page 388). À ce stade, l'avocat des demandeurs dit que, bien que les actes de procédure attestent un refus d'admettre que M. Letourneau est l'inventeur, il y a insuffisance de précisions. C'est là oublier les nombreuses références à d'autres brevets qui peuvent fort bien utiliser un dispositif de montage comparable intégré dans un mur de béton. La défenderesse a le droit d'explorer davantage la connaissance qu'a M. Letourneau de l'expression « construction par relevage » , notamment selon ce qui apparaît dans les questions 65, 73, 74 et 75.

[17]            S'agissant de la question 80, M. Letourneau reconnaît qu'il a chez lui un atelier, puis il refuse d'expliquer ce qu'il fait dans l'atelier. C'est là une vérification adéquate des compétences et connaissances, évoquées dans l'espèce Goldfarb (précitée), qui pourraient être mises à contribution dans la solution du problème d'étançon. La question 80 est une question valide dans la mesure où les questions et réponses sont suffisamment génériques pour ne pas constituer une ingérence dans les autres activités inventives de M. Letourneau.


[18]            Aux questions 82 et 85, M. Letourneau était prié de dire ce qu'il savait des filins de sécurité horizontaux, essentiellement la palissade soutenue par les étançons. Je ne vois pas là une intrusion dans les connaissances de M. Letourneau sur l'état antérieur de la technique, ni une question hors de propos portant sur la validité du brevet, ni une question permettant de mesurer l'étendue de connaissances générales communes : si tel était le seul objet des questions, les questions seraient invalides : voir par exemple la décision Unilever PLC c. Proctor and Gamble Inc. (1989) 23 C.P.R. (3d) 279 (C.F. 1re inst.), à la page 282, et la décision Westinghouse Electric Corp. c. Babcock and Wilcox Industries Ltd. (1987) 15 C.P.R. (3d) 447 (C.F. 1re inst.), aux pages 450 et 451, un jugement du juge Strayer (son titre à l'époque). Cependant, la question intéresse l'esprit inventif de M. Letourneau et, de nouveau, je me réfère au jugement Goldfarb (précité), aux pages 154-155. Les questions 82 et 85 sont adéquates car elles portent sur les capacités inventives auxquelles a fait appel M. Letourneau pour concevoir l'étançon.

[19]            S'agissant de la question 478, M. Letourneau relate une conversation avec son beau-frère, qui lui avait signalé l'absence d'une rampe de sécurité efficace, pour la protection contre les chutes, sur certains chantiers de construction, et la possibilité de trouver une solution au problème. Fort bien. Toutefois, à la question 478, l'avocat demandait s'il y avait dans les antécédents de M. Letourneau quelque chose qui eût permis à son beau-frère de le qualifier d'ingénieux. M. Letourneau peut n'avoir aucune idée de ce que son beau-frère avait à l'esprit. La question 478 requiert une opinion qui dépasse celle que M. Letourneau peut raisonnablement exprimer, sans devoir se livrer à des conjectures. La question 478 est hors de propos et n'appelle aucune réponse.

[20]            S'agissant de la question 529, le témoin a relaté une discussion, encore une fois avec son beau-frère, qui portait sur la manière de résoudre le problème de protection contre les chutes. Dans la question et la réponse 524, le témoin confirme qu'il a épuisé sa mémoire. Le fond de la question suivante concerne le point de savoir si le témoin peut se souvenir d'autre chose. Il y a ensuite une discussion concernant le point de savoir si le témoin avait prévu d'être interrogé sur sa conversation avec son beau-frère, ce qui devient une conversation accessoire entre avocats. L'avocat de la défenderesse a sa réponse, et M. Letourneau n'est pas tenu de faire davantage ici.

[21]            À la question 558, le témoin est prié de dire si, outre son beau-frère, il connaissait quelqu'un d'autre s'intéressant à l'industrie de la construction par relevage. Suit un débat sur le point de savoir si cette question avait déjà été posée. À la question 58, le témoin avait indiqué qu'il avait mentionné tous les gens dont il pouvait se souvenir dans l'industrie du bâtiment. Aux questions 59 à 63, le témoin parlait des connaissances qu'il avait de l'industrie de la construction par relevage, connaissances qu'il tenait uniquement de son beau-frère. Il a donc été répondu à la question 558.

Les dispositifs des demandeurs

[22]            Les demandeurs se sont référés à des « rampes de protection » , des « rampes de protection par relevage » , des « rampes de protection d'urgence » et des « rampes de protection boulonnées » . À la question 110, M. Letourneau devait s'exprimer sur la nature de la rampe de protection d'urgence ou rampe de protection boulonnée. Les rampes de ce genre sont définies dans la réponse à la question 111. Il n'est pas nécessaire d'en faire davantage pour la question 110.

[23]            À la question 189, M. Letourneau était prié de dire à quel moment il avait commencé d'inscrire sur son produit l'expression « brevet en instance » . L'avocat des demandeurs fait observer à juste titre que les actes de procédure ne soulèvent aucune question concernant cette inscription. À la question 190, l'avocat de la défenderesse souscrit à cette réponse, ce qui dispose de cet aspect.


[24]            Les questions 194 à 201 concernent la couleur des étançons, un orange très visible. Cet échange est résolu dans la question et la réponse 200 : les rampes sont peintes de couleur orange, afin de les rendre très visibles et de les faire ressortir. L'avocat a sa réponse. Reste à savoir si la réponse sera recevable au procès.

[25]            Les questions 766, 767 et 776 parlent de l'utilisation d'une cale, à l'intérieur d'un manchon, au lieu d'un boulon fixant les étançons directement sur le mur extérieur. Ces questions sont le point culminant d'un long débat sur la simplicité d'utilisation d'une cale et sur la manière dont cette idée est apparue, en fait une suite d'idées : le boulonnage d'un étançon au mur, puis la fixation au travers du mur, et finalement l'emploi d'une cale dans une douille coulée dans le mur. À la question 776, l'avocat demande à M. Letourneau s'il y a d'autres avantages à utiliser la cale plutôt que de boulonner les pieux au mur. Pour l'avocat des demandeurs, c'est là comparer les avantages que présente l'invention sur l'état antérieur de la technique.


[26]            Il y a la proposition générale selon laquelle l'état antérieur de la technique, ou la connaissance générale commune, est l'affaire des témoins experts au procès et ne devrait pas faire partie d'un interrogatoire préalable : voir la décision Jackmorr Manufacturing Ltd c. Waterloo Metal Stampings Ltd. (1985) 8 C.P.R. (3d) 271 (C.F. 1re inst.), rendue par le protonotaire adjoint Giles. Toutefois, les questions présentes concernant les avantages de l'étançon sont plus étroites. L'avocat de la défenderesse s'est référé à la décision Scientific Games Inc. (précitée), dans laquelle, à la page 510, j'avais exigé des demandeurs qu'ils produisent des propositions représentatives que les demandeurs avaient faites et qui se référaient à l'avantage d'un nombre entier lié de manière algorithmique aux renseignements comptables apparaissant au recto d'un billet de loterie. La décision rendue dans ce précédent n'est pas strictement à propos, car l'information figurait dans des documents que les demandeurs avaient en fait déjà préparés et qui pouvaient donc être entièrement produits pour ce qu'ils valaient en tant que preuve. En l'espèce, l'avocat n'a fait état d'aucun précédent portant directement sur le point de savoir si un témoin profane, mais également un inventeur, pourrait donner un avis sur la valeur relative de deux dispositifs qu'il utilise dans des versions différentes de l'invention et je n'ai connaissance quant à moi d'aucun précédent semblable. J'analyserai donc la question dans le contexte de l'utilité.


[27]            La Cour suprême du Canada avait fait remarquer, dans l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd. [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 521, qu'un breveté n'a pas l'obligation d'établir l'utilité de son invention. À plus forte raison, je ne vois pas que le témoin, dans un interrogatoire préalable, ait l'obligation de donner son avis sur des utilités comparatives, c'est-à-dire l'avantage que présente une attache au mur, formée d'une cale et d'une douille, par rapport au boulonnage de l'étançon au mur. D'ailleurs, Fox on Canadian Patent Law and Practice, Carswell, 4e édition, 1969, fait remarquer que « l'invention est toutefois, comme la nouveauté et l'utilité, une question de fait et de degré qu'il appartient exclusivement à la Cour de trancher » (page 99). Il n'appartient donc pas à M. Letourneau de donner son avis sur l'utilité de ses étançons. Évidemment, s'il existait une communication écrite ou une annonce publicitaire de M. Letourneau, dans l'exercice de ses activités, exposant les avantages du système « cale et douille » par rapport au boulonnage des étançons au mur, alors cette communication ou annonce doit être produite, mais, dans le cas contraire, les questions 766 et 767 n'appellent pas de réponses.


[28]            La question 776 parle de la manière dont la cale, intégrée dans l'extrémité inférieure de l'étançon, soutient l'étançon dans le manchon qui a été coulé dans le mur de béton. Il s'agit de savoir si le système de calage par boulonnage, à l'extrémité de l'étançon, produisait un frottement par glissement entre lui et le tampon inséré dans le mur. Une meilleure expression serait peut-être « frottement par verrouillage » , car un frottement par glissement ferait échouer l'invention. L'avocat des demandeurs s'est opposé à cette question au motif que l'interprétation du fonctionnement du brevet par le témoin n'était pas pertinente. L'expression en cause, « frottement par glissement » , n'est pas utilisée dans le brevet, encore que cela ne soit pas comme tel un obstacle, et ici je mentionnerais la décision James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards Inc. (1997 ) 72 C.P.R. (3d) 157 (C.F. 1re inst.), à la page 163, où la juge Reed examinait des expressions soumises au témoin de Hallmark Cards, expressions qui n'avaient pas été employées par Hallmark. La juge Reed avait fait observer qu'il n'était pas légitime de rechercher, dans un interrogatoire préalable, une compréhension ou interprétation du brevet du point de vue du témoin. Cependant, il était légitime de demander des faits relevant de la connaissance de Hallmark, car, même si le témoin ne pouvait pas être interrogé sur la manière dont il comprenait ou interprétait le brevet, les faits sont jeu équitable :

Les questions en litige ne sont pas de cette nature. Elles portent sur les assiettes de la défenderesse, et leurs caractéristiques, en fonction de la compréhension qu'en a cette partie. Elles visent donc des faits qui relèvent des connaissances de Hallmark. Elles ne sont pas si différentes d'autres questions qui ont été posées et auxquelles on a répondu, questions qui ont été formulées à l'aide de termes employés dans le brevet, comme [TRADUCTION] languette, bord, pliure, paroi latérale, découpe du fond. Si les termes employés dans les questions en litige ne sont pas utilisés par la défenderesse, et que celle-ci ne peut y répondre de façon intelligible, ses réponses refléteront ce fait. La défenderesse n'est pas tenue de procéder à des examens pour fournir les réponses. Mais les questions elles-mêmes sont telles qu'on devrait y répondre.

En fait, il n'importe pas de savoir si les expressions employées dans la question apparaissent dans le brevet, sauf que, si les expressions ne sont pas employées par la partie interrogée et que des réponses pertinentes ne peuvent être données, alors les réponses refléteront cette situation. Toutefois, subsiste encore ici la question de la pertinence, et je crois que cela peut être considéré dans le contexte de la connaissance qu'a M. Letourneau du mode de fonctionnement du dispositif, compte tenu de son expérience effective et non d'une interprétation du brevet. Il se pourrait que M. Letourneau soit en mesure d'expliquer véritablement comment fonctionnait le système original de calage de l'étançon, mais l'évaluation de l'équivalence mécanique ne conviendrait pas. Un interrogatoire préalable sur le succès commercial ne serait pas non plus opportun car je ne vois pas l'utilité de questions de ce genre. Le principe du succès commercial, ainsi que son utilisation marginale, a d'ailleurs été l'objet de commentaires du juge Pinard dans l'affaire Équipements d'érablière CDL Inc. c. Ératube Inc., 2001 CFPI 107, un jugement non publié du 23 février 2001, no du greffe T-194-98 :


Les deux questions impliquent la considération de la théorie du succès commercial. À ce sujet, la doctrine et la jurisprudence établissent bien que le succès commercial n'est pertinent que dans certains cas marginaux et qu'il ne peut servir de prétexte à des « expéditions de pêche » (voir Fox, Canadian Patent Law and Practice, 4e édition, Toronto, The Carswell Company Limited, aux pages 76 et 78, CAE Machinery Ltd. v. Fuji Kogyo Kabushiki Kaisha, [2000] A.C.F. no 125, (21 janvier 2000), T-730-97 (C.F., 1re instance), Canadian Buttons Limited v. Patrician Plastic Co., 35 F.P.C. 87 et Edison and Swan Electric Light Co. v. Holland, (1889) 6 R.P.C. 243, à la page 277).

Un point plus persuasif est le fait qu'un inventeur peut être prié de préciser ce qu'il considère comme la substance de l'invention, car c'est là une question de fait, et ici je mentionnerais la décision Nolan c. Silex (précitée), aux pages 214 et 215 :

Toutefois, le procureur des défendeurs m'a convaincu en plaidoirie qu'au-delà de la formulation de cette question, ce que les défendeurs recherchent véritablement par celle-ci, et par des questions similaires qui porteraient sur les autres revendications au brevet, c'est d'obtenir du demandeur qu'il identifie les éléments essentiels de l'invention, somme toute la substance de celle-ci.

En l'espèce, certains précédents militent en faveur d'une réponse à la question 776, et d'autres contre, mais il convient, en application de la décision Omisalj (précitée), de présumer qu'une réponse s'impose; d'ailleurs, je préfère une divulgation intégrale, afin qu'il n'y ait aucune surprise; et finalement, je me reposerai sur la décision Nolan c. Silex (précitée), à la page 215 :

On doit retenir en premier lieu qu'il est convenable à un stade préliminaire des procédures de requérir d'une partie demanderesse qu'elle précise ce qu'elle considère comme la "substance" de son invention même si ultimement en bout de course c'est à la Cour de tirer une conclusion définitive sur la question (Northern Telecom Ltd. c. Reliance Electric Co. (1986), 8 C.P.R. (3d) 224, à la page 227).

La question 776 appelle une réponse dans les limites des propos ci-dessus, c'est-à-dire la compréhension factuelle qu'a M. Letourneau du fonctionnement des étançons dont il prétend être l'inventeur.

Photographies et observations


[29]            M. Letourneau a pris et produit quatre photographies, de divers chantiers de construction, puis il a répondu à des questions factuelles concernant ces photographies. Il a dit qu'il avait pris les photographies parce qu'il croyait que quelqu'un copiait sa manière de fixer les étançons ou rampes protectrices à un mur de bâtiment. Je relèverais ici que les photographies ne montrent pas, semble-t-il, les étançons en position. L'avocat de la défenderesse a ensuite demandé à M. Letourneau comment il en était venu à conclure que quelqu'un avait, dans le passé, fixé une rampe protectrice au mur, une rampe qui comportait une imitation de son étançon. Cette question franchit la ligne de démarcation entre une question de fait et l'interprétation ou l'opinion de ce qui est, ou peut être, illustré dans les photographies. L'avocat des demandeurs est d'avis qu'aller au-delà des questions de fait est une tentative d'amener M. Letourneau à préciser les faits que les demandeurs invoqueront pour établir la contrefaçon. Ici, l'avocat des demandeurs se réfère à la décision Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin & Bow Maker Inc. (1997 ) 76 C.P.R. (3d) 488 (C.F. 1re inst.), notamment à un passage que l'on trouve à la page 495. Toutefois, je crois qu'un point de départ plus adéquat est un précédent mentionné dans la décision Kun Shoulder Rest, à savoir Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, un jugement non publié du 25 juillet 1984, no du greffe T-1250-80, confirmé en appel, no du greffe A-972-84, le 26 février 1985. Dans la décision Aerlinte, le juge Strayer (son titre à l'époque) avait affaire à une demande de comparaison ou d'interprétation de la relation entre des redevances d'atterrissage et le coût de la fourniture de tels services : il n'était pas disposé à permettre que l'interrogatoire préalable aille aussi loin, faisant observer que le domaine pouvait être exploré à l'aide des opinions de spécialistes au procès. Voici ses propos :


L'objet de l'interrogatoire préalable est de vérifier les faits sur lesquels l'autre partie entend se fonder et non pas d'obliger cette dernière à communiquer les moyens de preuve qui lui permettront d'établir ces faits : voir notamment l'affaire Beloit Canada Ltée/Ltd. et autres c. Valmet Oy, (1981) 60 C.P.R. (2d) 145. Le témoignage d'opinion équivaut précisément à cela : c'est un moyen d'établir un fait, mais il ne s'agit pas du fait en soi. À moins que la qualité même de l'expert ne soit contestée, son opinion ne peut être sondée au cours de l'interrogatoire préalable : La Reine c. Irish Shipping Ltd. et autres, [1976] 1 C.F. 418 (C.A.); Rivtow Straits Limited c. B.C. Marine Shipbuilders Limited, [1977] 1 C.F. 735 (C.A.). Fondamentalement, les faits dont on peut prendre connaissance au cours de l'interrogatoire préalable sont ceux qui [TRADUCTION] « tombent sous le sens » : Bestway Lath & Plastering Co. Ltd. v. McDonald Construction Co. Ltd. et al., (1972) 31 D.L.R. (3d) 47 (C.A. de la N.-É.). Dans la présente espèce, les faits sont les coûts enregistrés tels qu'ils apparaissent dans les données fournies par les détenteurs. On semble reconnaître de part et d'autre que toute "répartition" de ces coûts entre les trois secteurs doit être fondée sur une estimation. Si bien documentée ou si logique que puisse être cette estimation, je suis d'avis qu'il s'agit toujours d'une opinion. Elle fera partie de la preuve au moyen de laquelle les demandeurs chercheront vraisemblablement à établir la discrimination et les droits excessifs allégués dans leur demande.

Dans la décision Kun Shoulder Rest, je résume en partie la question par les propos suivants :

Dans le cadre d'un interrogatoire préalable, il est possible de demander à un témoin de parler de tous les faits entourant un certain incident et dont il a connaissance ou dont il doit normalement s'informer. Il n'est toutefois jamais permis de poser à un témoin des questions sur des faits invoqués au soutien d'une allégation donnée car cela exige du témoin qu'il choisisse les faits et révèle comment son avocat pourrait prouver une allégation donnée. Même s'il se peut qu'un témoin connaisse la démarche générale que son avocat entend suivre, il ne peut savoir quels faits seront utiles à moins de connaître les règles de droit applicables. Les faits particuliers qui seront invoqués sont fondés sur l'opinion du droit qu'a l'avocat. L'interrogatoire préalable d'un témoin vise à découvrir des faits et non des arguments sur ce qui est pertinent pour prouver un argument donné.


Cette idée de permettre qu'un témoin, dans un interrogatoire préalable, expose des faits ou explique ce qu'il a observé, à propos d'un incident, est une bonne approche en matière d'interrogatoire préalable, mais l'interprétation des faits, ou le choix des faits, par le témoin, n'est pas une bonne approche en la matière. Cela dispose de la demande de la défenderesse pour des réponses aux questions 288 et 289, dans lesquelles M. Letourneau était prié de dire pourquoi il croyait que certains endroits d'un mur d'édifice, construit par quelqu'un d'autre, pouvaient révéler une imitation de sa méthode d'attache d'un étançon. La réponse pourrait être différente si M. Letourneau avait en fait exposé dans un document pouvant être produit une conclusion à laquelle il était arrivé, car le document lui-même serait un fait et il serait communicable pour ce qu'il vaudrait. Ici on lui demande quelque chose de moins concret : on lui demande, en tant que profane, de choisir des faits et de les interpréter, quelque chose qu'un témoin ne devrait pas être prié de faire. C'est plutôt le travail de l'avocat qui représente le témoin, car c'est lui qui est en mesure de déterminer, en raison de sa connaissance du droit, quels faits sont pertinents. La défenderesse a obtenu par l'interrogatoire préalable ce à quoi elle a droit, les faits observés et les faits observables sur les photographies, et cela constitue une réponse complète aux refus opposés aux questions 288 et 289.

[30]            Par la question 290, M. Letourneau est prié de dire qui a pu placer les rampes protectrices sur un édifice dans une photographie. M. Letourneau, qui, à ce stade de l'interrogatoire préalable, avait clairement compris l'attitude à adopter, a répondu qu'il n'en était pas certain, pour conclure ainsi : « Je veux dire, je peux l'imaginer, mais ce n'est pas ce que nous sommes censés faire ici » . À ce stade, l'avocat a une réponse, celle selon laquelle M. Letourneau ne sait pas avec certitude qui a placé les rampes protectrices. Évidemment, si cette réponse, rétrospectivement, se révèle incomplète, ou si elle induit la défenderesse en erreur, ou la fait tomber dans un piège au procès, alors M. Letourneau a l'obligation, en même temps que les documents sont produits, d'informer l'avocat de la défense, par l'entremise de son propre avocat, du caractère incomplet ou inexact de la réponse. Pour l'heure, les questions 288 et 289 n'appellent pas de réponses, et les questions 290 et 295 n'appelleront des réponses complémentaires que si M. Letourneau juge que ses réponses sont devenues incomplètes ou inexactes.


Documents antérieurs communiqués en août 1997

[31]            Dans l'arrêt Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd. (2002 ) 17 C.P.R. (4th ) 478, la Cour d'appel était saisie d'une allégation d'invalidité d'un brevet, pour cause d'antériorité, le brevet ayant été divulgué d'une manière utile. En fait, on prétendait que le brevet était invalide parce qu'il avait été divulgué dans le public, et mis à sa disposition, contrairement à l'article 28.2 de la Loi sur les brevets, qui prévoit que l'objet d'une demande de brevet ne doit pas, plus d'un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait l'objet d'une communication. De plus, selon l'article 28.3 de la Loi, s'il y a eu communication plus d'un an avant la date de dépôt de la demande de brevet, alors le brevet est invalide. Tout cela est discuté en détail dans l'arrêt Baker Petrolite, aux pages 497 et suivantes, où le juge Rothstein écrit notamment :

Pour qu'une vente ou utilisation antérieure constitue une antériorité opposable à une invention, il doit s'agir d'une divulgation qui permet de réaliser celle-ci ( « enabling disclosure » ).

Hughes & Woodley on Patents, Butterworths, édition à feuilles mobiles, section 16A, définit une divulgation habilitante comme une divulgation qui permet au public de faire ou d'obtenir l'invention. Je crois comprendre de cela que le critère est simplement celui selon lequel l'invention est mise à disposition et qu'il n'est pas nécessaire que le public fabrique ou obtienne effectivement l'invention, mais simplement que la possibilité en soit offerte à une personne non autorisée. C'est d'ailleurs là un point avancé par le juge Rothstein, dans l'arrêt Baker Petrolite, à la page 499, où il s'en rapporte à l'arrêt Lux Traffic Controls Ltd. c. Pike Signals Ltd. [1993] R.P.C. 107, à la page 133 :


[TRADUCTION] De plus, il est bien reconnu en droit qu'il n'est pas nécessaire de prouver qu'une personne a effectivement pris connaissance de la divulgation, pourvu que celle-ci ait été rendue publique. Ainsi, une description antérieure contenue dans un ouvrage aura pour effet d'invalider un brevet si l'ouvrage en question se trouve sur une étagère d'une bibliothèque ouverte au public, indépendamment du fait que personne ne l'a lu et que celui-ci se trouve dans un coin sombre et poussiéreux de la bibliothèque. Si l'ouvrage était accessible au public, celui-ci aura le droit d'utiliser les renseignements qu'il contient pour réaliser l'invention sans devoir faire face à un obstacle découlant d'un monopole accordé par l'État. [Non souligné dans l'original.]

La Cour d'appel fédérale est donc d'avis que le brevet peut être invalidé par une divulgation, quand bien même personne n'aurait effectivement vu l'article en question quand il était exposé : le critère est simplement de savoir si le dispositif pour lequel un brevet est demandé était accessible à quiconque se fût donné la peine de vérifier.


[32]            M. Letourneau avait un prototype de l'étançon d'acier tubulaire carré fabriqué par Aggressive Tube Bending, à Surrey (Colombie-Britannique). À la question 1004, M. Letourneau était prié de donner une description approximative de l'implantation de l'atelier d'Aggressive Tube Bending. Il est clair que l'avocat a amorcé ce sujet parce que Aggressive Tube Bending fabriquait à la fois le prototype et les étançons subséquents depuis plus d'un an avant que M. Letourneau ne demande le brevet. Les prototypes ont été conservés à l'atelier de Aggressive Tube Bending durant quelque temps jusqu'à ce que M. Letourneau les découvre. L'implantation de l'atelier constitue une série acceptable de questions : par exemple, les prototypes ont pu être conservés dans un endroit de l'atelier où les membres du public auraient pu voir ou examiner un étançon. La question 1004 appelle une réponse, de même que les questions découlant validement de cette réponse, mais M. Letourneau n'est pas tenu de faire des suppositions sur l'implantation exacte de l'atelier de Aggressive Tube Bending, car l'interrogatoire préalable concerne des faits, non des suppositions ou des conjectures. Cela conduit à la démonstration du fonctionnement des étançons dans ce que l'on appelle le Beedie Building, et aux questions 1167 à 1168, 1170, 1171, 1174, 1175, 1178 à 1179, 1196 et 1204, toutes rattachées au Beedie Building et à la zone qui l'entoure.

[33]            Aux questions 1167 et 1168, M. Letourneau devait se rappeler de la disposition des rues situées près de l'avenue Bainbridge, sans doute l'endroit où se trouvait l'édifice. Au vu de la transcription, j'admets que M. Letourneau n'a pas un très bon souvenir de la disposition des rues entourant le Beedie Building. Ni le témoin ni l'avocat ne semblent d'ailleurs pouvoir dire si l'une des routes adjacentes est parallèle à l'édifice ou s'il s'agit d'une route diagonale. Il n'y a pas lieu de demander à M. Letourneau de se livrer à des conjectures. Si la question est importante, les routes sont probablement encore là, et l'avocat peut assigner quelqu'un d'autre à comparaître pour témoigner sur ce sujet. Les questions 1167 et 1168 n'appellent pas de réponses. La question 1170 traite de la même route, sans doute une route diagonale : la question n'appelle pas de réponse.


[34]            À la question 1171, l'avocat de la défenderesse demandait à M. Letourneau de dire la distance entre la rue et le Beedie Building. J'admets ici que, dans la mesure où M. Letourneau est capable d'estimer les distances séparant l'édifice des diverses routes, cette question est pertinente; pour autant que la divulgation du dispositif soit concernée, telles estimations et opinions concernant la distance, même si elles sont données par un témoin qui n'est pas un expert, sont légitimes : voir l'arrêt Graat c. La Reine [1982] 2 R.C.S. 819, à la page 835. Les questions 1171 et 1174 appellent donc des réponses.

[35]            Par la question 1175, l'avocat demandait si M. Letourneau avait observé une circulation sur la voie publique le jour où une démonstration du fonctionnement des étançons a été faite dans le Beedie Building. La présence ou l'absence de circulation sur la route, eu égard à la distance séparant l'édifice et la route, pourrait bien intéresser l'aspect de la divulgation. La question 1175 appelle une réponse.

[36]            Les questions 1178, 1179 et 1196 concernent la distance, le stationnement du camion de M. Letourneau et le tracé des routes. Eu égard à l'arrêt Graat, précité, la meilleure estimation d'une distance est adéquate. Toutefois, il se peut que M. Letourneau ne puisse donner plus qu'une estimation à l'intérieur d'un registre, et c'est là l'objet des questions 1196 et suivantes. Il est assez clair que l'avocat a la meilleure réponse qu'il puisse obtenir et, s'il veut davantage, il peut toujours envoyer un autre témoin prendre les mesures réelles. Dans la mesure où les questions 1178 et 1179 sont pertinentes, l'avocat a ses réponses. Les questions 1178 et 1179 et les questions 1196 et 1204, une autre tentative d'obtenir une meilleure estimation, n'appellent donc pas de réponses complémentaires.


[37]            La question 1243 est le point culminant d'une explication de la manière dont un étançon est mis en place quand un manchon n'est pas coulé dans le mur, mais plutôt quand l'étançon est maintenu par un boulon. M. Letourneau explique que le boulon, qui est semble-t-il, pour utiliser le jargon habituel, un boulon breveté, c'est-à-dire un boulon ingénieux ou un boulon à l'égard duquel pourrait être faite une revendication exclusive, n'est pas vissé dans le mur, mais plutôt glissé dans une cavité du mur, puis resserré. La réponse est claire. Il n'est pas nécessaire pour M. Letourneau d'en dire davantage sur la méthode employée pour mettre le boulon en place, car cela est accompli dans sa réponse à la question 1243.

[38]            Dans la question 1276, M. Letourneau était prié de dire ce qu'il faisait pour faire comprendre aux autres, qui assistaient à la démonstration du fonctionnement de ses étançons, que les aspects concernant son invention étaient confidentiels ou privés. Ici, l'avocat de M. Letourneau croit que son client n'a sans doute pas dit aux autres « cela est confidentiel » , mais que le contexte de la démonstration donnait sans doute lieu de croire que ce qui s'y déroulait était confidentiel. Cela semble être le fond de la question 1276, car elle donne au témoin le loisir de dire ce qu'il a fait en réalité ou quelles mesures il a prises pour prévenir une divulgation abusive de son invention. Il est juste que la défenderesse sache quelles mesures ont été appliquées, afin de ne pas être prise au dépourvu au procès. La question 1276 appelle une réponse.


[39]            La question 1293 traite de la relation sociale entre M. Letourneau et un ami, un certain M. Younger. Le nom de M. Younger apparaît plus tôt dans la transcription, car M. Letourneau a pris plusieurs étançons non peints, près de chez M. Younger, dans sa camionnette, pour ensuite emprunter un pistolet à peinture pour les peindre. Toutefois, la question 1293, « que faisiez-vous ensemble? » , n'est pas pertinente, d'autant que sa relation d'affaires avec M. Younger, voire leur relation d'amitié, a déjà été explorée et a déjà été l'objet d'une réponse. La question 1293 n'appelle pas de réponse.

[40]            Les questions 1314 et 1511 concernent la date de l'essai de charge. M. Letourneau, à la question 1313, a dit qu'il ne pouvait pas se souvenir de la date de l'essai de charge du système de garde-corps, mais, aux questions 1314 et 1511, il était prié de dire s'il avait une raison de ne pas souscrire à la date du 7 août 1997 ou s'il avait des doutes à propos de cette date. Si M. Letourneau ne peut se rappeler de la date, il lui sera difficile de dire s'il est d'accord ou non avec la date. Il a donné sa meilleure réponse à la question 1510, réponse selon laquelle une note de service, qu'il n'a pas rédigée, mentionne comme date le 7 août 1997 « et c'est sans doute la bonne date » . Ces questions n'appellent pas de réponses complémentaires.

[41]            S'agissant de la question 1460, cette question fait état d'une conversation entre M. Letourneau et un certain M. Rufenecht à propos de divers aspects des garde-corps en câble métallique. M. Letourneau a indiqué qu'il ne savait pas la date de la conversation, ajoutant qu'il lui était impossible de se souvenir si c'était avant ou après le 28 août 1997. L'avocat a tenté d'amener M. Letourneau à admettre qu'il n'était pas contesté que la conversation avait eu lieu en août 1997, mais M. Letourneau a dit qu'il ne savait tout simplement pas. Aller plus loin est inutile, ou bien cela ne ferait avancer la position de personne. La question n'appelle pas de réponse.


[42]            La question 1505 concerne une photographie, non prise par M. Letourneau, mais sur laquelle il a identifié un mur, avec trois étançons fixés au mur, et un panier dans lequel se trouve un individu. L'avocat lui a alors demandé : « Et c'est bien cela qu'elle montre? » L'objection est que M. Letourneau ne devrait pas être prié d'interpréter une photographie. Dans la mesure où une question se limite à ce que la photographie illustre, sans chercher à obtenir une interprétation de la photographie, alors la question est valide. Il y a un passage instructif sur ce point dans la décision Simpson Timber Co. (Sask.) c. Bonville [1986] 5 W.W.R. 180, un jugement de la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan, aux pages 187 et 188, que je résumerai ainsi :

1.          L'admission de photographies, de vidéocassettes et de films dans la preuve est régie par les mêmes règles.

2.          Il n'importe pas de savoir qui a pris la photographie, mais, lorsqu'elle est produite comme preuve de ce qu'elle représente, elle doit être rattachée au témoin.

3.          Le témoin qui présente la photographie doit être un témoin compétent et qualifié, capable de dire que la photographie est représentative de sa connaissance, et capable de dire que la photographie représente ce qu'il dit être une illustration véritable et exacte des choses qu'il a vues.

4.          Un témoin, même s'il n'était pas présent quand la photographie a été prise, ou un autre témoin, doit pouvoir donner une indication raisonnable de la date à laquelle la photographie a été prise, de l'endroit où elle l'a été et des circonstances dans lesquelles elle l'a été.


5.          La pertinence dépend si un témoin serait ou non autorisé à décrire la scène illustrée par la photographie.

6.          S'agissant de la recevabilité, la Cour doit être persuadée qu'une photographie est une reproduction fidèle de ce qu'elle est censée reproduire, et que le contenu ou la qualité de la photographie ne sera pas trompeur ou préjudiciable, mais contribuera plutôt à fournir une preuve utile, toute controverse sur son exactitude affectant le poids qui sera donné à cette preuve, et non sa recevabilité.

En l'espèce, n'est pas recevable l'objection consistant à dire que M. Letourneau n'a pas pris la photographie. Au lieu de cela, à la question 1505, l'avocat de la défenderesse peut interroger M. Letourneau sur la photographie en observant les lignes directrices applicables susmentionnées.


[43]            Aux questions 1661 et 1683, il y a une objection commune. À la question 1661, M. Letourneau devait dire, après une série de questions qui semblent porter sur la démonstration initiale du fonctionnement des étançons et de la rampe de sécurité devant la Commission des accidents du travail, s'il se souvenait de quelque chose d'autre à propos de la rencontre. À la question 1683, M. Letourneau était prié de dire si, à la suite de la démonstration initiale faite devant la Commission des accidents du travail, un événement appelé « la rencontre de l'essai de charge » , quelque chose d'autre était survenu à propos des étançons ou du système de garde-corps avant une deuxième rencontre avec les entrepreneurs. Ces questions sont beaucoup trop larges et n'appellent pas de réponses. Par ailleurs, il n'y a aucun préjudice envers la défenderesse, car l'avocat a suivi chacune des deux questions de plusieurs questions spécifiques. Les questions 1661 et 1683 n'appellent pas de réponses.


[44]            S'agissant de la question 1692, demande est faite des documents qui ont été générés entre la démonstration de l'essai de charge devant la Commission des accidents du travail et une rencontre ultérieure avec des entrepreneurs. L'avocat des demandeurs est d'avis que tous les documents pertinents ont été divulgués et que le simple soupçon de l'existence d'un document, ou de l'existence d'un document pertinent, constitue une enquête à l'aveuglette. L'avocat de la défenderesse dit que la production d'un document, et ici je crois qu'il veut dire la production d'un document, qu'il soit ou non pertinent par lui-même, pourrait rafraîchir la mémoire du témoin : à titre d'exemple, l'avocat donne à entendre qu'un reçu de dîner hypothétique portant la date du 8 août 1997, reçu qui représente sans doute un dîner devant célébrer l'essai de charge, pourrait conduire le témoin à conclure que l'essai avait eu lieu avant le 8 août. J'admets que l'avocat des demandeurs a examiné divers documents et conclu qu'ils n'étaient pas pertinents. En conséquence, il ne s'agit pas d'évaluer la pertinence marginale, car un document est pertinent ou bien il ne l'est pas, mais, s'il est le moindrement pertinent, il doit être produit. Il ne s'agit pas non plus d'un cas où il y a lacune dans la production de documents pertinents, comme c'était le cas dans l'affaire Liebmann c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1994) 87 F.T.R. 154. L'avocat recherche plutôt des documents inconnus, qui peut-être n'existent pas, mais dont la partie adverse dit qu'ils sont hors de propos et qu'il s'agit même de documents qui, en eux-mêmes, ne sauraient raisonnablement renfermer des informations pouvant appuyer ou favoriser les arguments d'une partie ou être préjudiciables aux arguments de l'autre. Le simple soupçon qu'un document pertinent a été supprimé, ou le simple soupçon qu'un tel document existe, ou qu'il puisse être pertinent, ou qu'il puisse indirectement rafraîchir la mémoire du témoin dans une direction utile, constitue une enquête à l'aveuglette : voir par exemple la décision Galehead Inc. c. Le « Trinity » (1998) 160 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.), à la page 232, et les précédents qui y sont mentionnés. L'existence ou l'existence probable de documents qui pourraient avoir quelque utilité est une chose, mais le litige ne doit pas être élargi par une enquête à l'aveuglette sur de possibles documents pouvant n'avoir aucune pertinence directe, ni même une pertinence indirecte. C'est aller trop loin que de vouloir rafraîchir la mémoire d'une personne sur un sujet pertinent, à l'aide d'un document totalement hors de propos. Il n'est pas besoin de faire quoi que ce soit d'autre en réponse à la question 1692.

Information obtenue d'un agent de brevets sur la divulgation antérieure

[45]            En l'espèce, la défenderesse voudrait obtenir de M. Letourneau des informations sur ses conversations avec un certain M. Edwards, son avocat, qui l'a représenté lors de la préparation des demandes de brevets canadien et américain et durant les premiers stades du présent procès.


[46]            L'avocat des demandeurs se réfère à l'arrêt Stevens c. Canada (Premier ministre) [1998] 4 C.F. 89, rendu par la Cour d'appel fédérale. Il s'agissait de savoir si et dans quelle mesure les honoraires facturés par un avocat étaient soustraits à la divulgation en raison du privilège du secret professionnel de l'avocat. Dans cet arrêt, le juge Linden fait un historique intéressant du privilège du secret professionnel de l'avocat, ainsi que de l'équilibre que les tribunaux ont tenté d'établir entre le caractère sacré de la relation avocat-client et l'importance de la divulgation publique. Le juge Linden faisait observer que, bien que le privilège en cause ait toujours été considéré comme une règle de preuve, la Cour suprême du Canada avait établi, dans l'arrêt Solosky c. La Reine [1980] 1 R.C.S. 821, qu'il était devenu un droit au sens propre : voir l'arrêt Stevens, aux pages 104 et suivantes. L'avocat de M. Letourneau fait état de l'application large donnée au privilège du secret professionnel de l'avocat, à la page 118 de l'arrêt Stevens, le privilège s'étendant, à titre de protection générale, aux relevés de services envoyés par les avocats. L'une des raisons d'un tel élargissement du privilège est la suivante :

Au surplus, la protection générale accordée aux relevés de services d'avocat empêche une ingérence pernicieuse des avocats qui pourraient insister pour que chaque relevé soit examiné et jugé individuellement en vue de déterminer si tout élément qui y est consigné pourrait être divulgué. Cela pourrait encourager une situation où, sur le plan tactique, il pourrait être avantageux pour l'avocat de persister dans ses efforts pour obtenir la communication des comptes dans l'espoir que, en raison de quelque erreur résultant uniquement du volume des documents, certains renseignements protégés se retrouvent entre ses mains. Je ne pense pas qu'un tel état de choses favoriserait le libre échange de communications entre client et avocat, que cette protection vise à susciter.

Ici, l'une des raisons données pour le privilège du secret professionnel de l'avocat est de faire obstacle aux enquêtes à l'aveuglette dans des documents protégés, aux enquêtes pernicieuses entreprises dans l'espoir que certains renseignements privilégiés seront révélés. L'avocat de M. Letourneau dit qu'un relevé de services soumis au privilège pourrait comprendre notamment les dates auxquelles un avocat a rencontré un client.


[47]            L'avocat de la défenderesse recherche généralement des documents et des renseignements que M. Letourneau aurait pu obtenir de M. Edwards, son agent de brevets ou ancien agent de brevets, et il se fonde sur la décision Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corporation (1986) 10 C.P.R. (3d) 284 (C.F. 1re inst.), qui concernait la remise d'un document portant sur un sujet pertinent relatif à un brevet : le protonotaire adjoint Giles avait fait observer, dans la décision Control Data, que, si le document avait été préparé avant l'attribution du brevet, il était hors de propos, et à plus forte raison si le document avait été remis après l'attribution du brevet. Dans la décision Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp., (1987) 13 C.P.R. (3d) 546, le juge Cullen, se fondant sur le paragraphe 465(15) des Règles alors en vigueur, dont l'équivalent actuel est l'article 241, avait exigé de la demanderesse qu'elle s'informe auprès de son agent de brevets car, comme dans le cas de la règle 241 actuelle, la personne soumise à un interrogatoire préalable devait se renseigner en s'adressant à diverses catégories de personnes, notamment préposés et mandataires. Cependant, l'actuelle règle 241 ne vient pas nécessairement en aide à la défenderesse, car, bien que cette règle fasse obligation au témoin soumis à un interrogatoire préalable de s'informer, notamment en s'adressant aux employés, préposés ou mandataires, la règle ne force pas un témoin à divulguer des renseignements privilégiés, sujet que j'aborderai maintenant.


[48]            L'idée généralement acceptée est que « les échanges entre un client et un agent de brevets ne font pas l'objet du secret professionnel de l'avocat, à moins que les documents n'aient été préparés par l'intermédiaire de l'avocat du client et qu'ils l'aient été en prévision d'un litige » , comme on peut le lire dans la décision Whirlpool Corporation c. Camco Inc. (1997) 72 C.P.R. (3d) 444 (C.F. 1re inst.), à la page 448. Fait intéressant à noter, la Cour d'appel avait souligné, dans un arrêt dont fait état la décision Whirlpool, que l'unique raison pour laquelle le privilège qui s'attache aux professionnels du droit ne s'étend pas aux agents de brevets « est que les agents de brevets en tant que tels ne sont pas membres de la profession juridique » (Lumonics Research Ltd. c. Gould (1983) 70 C.P.R. (2d) 11, à la page 15 (C.A.F.)). La décision Whirlpool ne traite pas d'un cas où l'agent de brevets est également un avocat, un aspect effleuré par le juge Walsh dans la décision Montreal Fast Print (1975) Ltd. c. Polylok Corporation (1983) 74 C.P.R. (2d) 34 (C.F. 1re inst.), une affaire qui concernait des agents de brevets américains et canadiens et des avocats qui leur communiquaient leurs instructions. Aux pages 43 et 44, le juge Walsh avait reconnu la difficulté, s'agissant du privilège, lorsqu'un avocat est engagé à la fois pour donner des consultations à titre d'avocat et pour déposer des demandes de brevet, puis il avait écrit ce qui suit :

La jurisprudence semble cependant avoir fait cette distinction, du moins dans les cas ou aucun procès n'était envisagé. Même si, dans un sens, on peut dire que toute demande de brevet peut donner lieu à un litige, rien n'indique en l'espèce que le but principal des conseils donnés à leur cliente, par les avocats américains ou par les avocats canadiens, n'était pas d'obtenir les brevets en question; cela relève principalement du travail des agents de brevets même si ceux-ci peuvent consulter d'autres membres de leur bureau ayant les compétences requises pour donner des conseils au sujet de ces demandes, et leur demander des conseils juridiques.

Selon ce raisonnement, le privilège devrait être refusé lorsqu'un avocat agit comme agent de brevets, mais l'extrait cité de la décision Montreal Fast Print ne dispose pas de l'observation antérieure de la Cour d'appel, dans l'arrêt Lumonics (précité), selon laquelle l'unique raison qui fait que le privilège attaché à la profession juridique ne s'étend pas aux agents de brevets est qu'ils ne sont pas membres de la profession juridique. L'édition courante de Sopinka and Lederman on the Law of Evidence in Canada, deuxième édition, 1999, Butterworths, n'est elle non plus d'aucune aide, car les éditeurs traitent simplement des communications entre clients et agents de brevets qui ne sont pas des avocats, quand bien même les agents de brevets donnent parfois des consultations de nature juridique (page 741); les éditeurs se réfèrent ici à l'arrêt Lumonics (précité).

[49]            Il est instructif d'examiner l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Lumonics, pour un point omis dans les grandes généralisations sur les règles juridiques concernant les avocats qui sont également des agents de brevets. Dans l'arrêt Lumonics, le juge Pratte, qui s'était exprimé pour la Cour sur une affaire qui concernait un brevet américain et la production d'une correspondance échangée entre les agents de brevets américains et leurs clients, exposait à la page 15 les règles canadiennes relatives au privilège et au travail des agents de brevets, tel que le voyait la Cour :

Au Canada, il est clair que le privilège de la profession juridique ne s'étend pas aux agents des brevets. Toutefois, la seule raison en est que les agents des brevets, en tant que tels, n'appartiennent pas à la profession juridique. C'est la raison pour laquelle la correspondance entre eux et leurs clients n'est pas confidentielle, même si cette correspondance est échangée dans le dessein d'obtenir ou de donner des conseils juridiques.

D'autre part, tous les renseignements confidentiels donnés à un membre de la profession juridique ou provenant de ce dernier en vue d'obtenir des conseils juridiques sont exempts de production, que ces renseignements se rapportent ou non au genre d'avis ou d'opinions juridiques que donnent normalement des agents des brevets. Un conseil juridique ne cesse pas de l'être simplement parce qu'il a trait à des procédures devant le Bureau des brevets. D'habitude, ces procédures donnent lieu à des questions juridiques; pour cette raison, lorsqu'on a recours aux services d'un procureur relativement à ces procédures, ce qu'on demande réellement, ce sont des conseils et de l'aide juridiques. [Non souligné dans l'original]


Gardant à l'esprit que le point soulevé dans la décision Montreal Fast Print (précitée) concernait la position d'avocats qui n'agissaient pas comme agents de brevets, et la position d'agents de brevets qui agissaient comme agents de brevets, il n'y a aucune raison pour laquelle je ne devrais pas suivre la règle telle que l'a exposée la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Lumonics, une règle qui refuse aux agents de brevets le bénéfice du privilège uniquement parce qu'ils ne sont pas membres de la profession juridique, et qui confirme le privilège dans les communications faites par les membres de la profession juridique, « que ces renseignements se rapportent ou non au genre d'avis ou d'opinions juridiques que donnent normalement des agents de brevets » (arrêt Lumonics, page 15).

[50]            À la question 1680, M. Letourneau était prié de dire, à propos de sa première conversation avec M. Edwards, à quel moment ils avaient conféré par la suite. La question s'est heurtée à une objection, au motif qu'elle se rapportait à une communication échangée avec un avocat et que la question ne pouvait être utilisée dans le dessein de révéler des communications bénéficiant du privilège. La question est rejetée en raison du privilège, y compris le privilège examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Stevens (précité).


[51]            La question 1738 concerne une lettre relative à une demande de brevet provisoire américain. D'après la jurisprudence, la divulgation de la lettre des agents de brevets américains est valide. Il s'agit de savoir si M. Letourneau peut interpréter une lettre qu'il n'a pas écrite, et en particulier le mot « divulgation » , pour ce qui est de savoir à quelle date la divulgation de l'invention avait été faite et, bien que refusée, avait conduit à une question sur la date à laquelle la divulgation avait été faite. Les témoins sont autorisés à donner leur avis sur les déductions qu'ils font de ce qu'ils ont observé et, en effet, la ligne de démarcation entre un fait observé et une opinion est souvent imprécise. Évidemment, il y a de nombreux cas, s'agissant notamment de la connaissance personnelle, où le témoin est en meilleure position que la Cour pour se faire une opinion, où le témoin a l'expérience requise pour arriver à une conclusion et où le témoin est confronté à une situation qu'il est possible de décrire plus brièvement et plus complètement en donnant un avis plutôt qu'en exposant des faits. Toutefois, les tribunaux ont toujours refusé qu'un témoin donne un avis qui pourrait constituer une conclusion juridique. Dans la décision Bande indienne Wewayakum c. Canada et Bande indienne Wewayakai (1995) 99 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), à la page 190, le juge Teitelbaum se réfère aux observations du juge Sopinka dans The Law of Evidence :

[traduction] Les tribunaux jouissent aujourd'hui d'une liberté accrue d'entendre les opinions des témoins profanes; toutefois, au fur et à mesure que ces témoignages se rapprochent de la question centrale à trancher, on peut encore s'attendre à ce que l'on insiste pour que les témoins se limitent aux faits principaux et se gardent d'exprimer leurs conclusions. C'est toujours une question de mesure. Plus le témoignage ressemble à une conclusion en droit, plus la résistance est forte. [Page 119 de la décision Wewawakun]

Cette idée du développement d'une résistance à mesure qu'un témoignage prend la couleur d'une conclusion juridique trouve un parallèle dans l'arrêt Sherrard v. Jacob [1965] N.I. 151 (C.A.), où lord McDermott, à la page 156, disait notamment :

[traduction] La déduction peut concerner un point de droit qu'il appartient au tribunal seul de décider et sur lequel l'avis du témoin est tout simplement hors de propos. Ainsi, un témoin ne peut être autorisé à dire qu'un défendeur a été négligent ou que le défendeur dans un procès en divorce s'est rendu coupable des infractions matrimoniales de cruauté, car, bien qu'il s'agisse là de points de fait, ils nécessitent l'application de normes établies par la loi.

Une notion intéressante ici est qu'un point de fait peut nécessiter l'application d'une norme juridique, laquelle dépasse la compétence d'un témoin profane.


[52]            S'agissant de la question 1738, la mention de la divulgation dans la lettre de son avocat à propos de la procédure du brevet américain peut entraîner une réponse qui est une question de fait. Si M. Letourneau sait véritablement ce à quoi se réfère la divulgation, il doit répondre. Toutefois, aller plus loin, c'est forcer le témoignage à prendre la couleur d'une conclusion juridique et donc à aller au-delà de la déduction qu'un témoin profane est autorisé à tirer. Les questions 1738 et 1739 sont toutes deux des exemples d'une coloration prononcée vers une conclusion juridique et, en fait, comme elles obligent M. Letourneau à tirer une conclusion juridique sur la date à laquelle a lieu la divulgation d'une invention, elles ne sont pas valides et n'appellent aucune réponse. L'avocat de la défenderesse dit qu'il y a eu renonciation à tout privilège du seul fait que la lettre a été produite. Cela n'importe pas : la défenderesse a la lettre et elle peut en faire ce qu'elle veut, mais M. Letourneau ne saurait être tenu d'expliquer la lettre, car cela dépasse sa compétence et conduirait à une explication totalement hors de propos.

[53]            La question 1743 demande à M. Letourneau de dire si, en réponse à la lettre de son avocat, il lui a indiqué la « date précise de la première divulgation publique » . Évidemment, il y a l'argument selon lequel le privilège a été l'objet d'une renonciation, mais, comme je l'ai indiqué ci-dessus, cela n'est d'aucune aide, car le problème, c'est la capacité de M. Letourneau de répondre à une telle question. Elle tombe manifestement au-delà de la barre fixée par lord MacDermott dans l'arrêt Sherrard (précité), et elle n'appelle aucune réponse.


[54]            À la question 1744, M. Letourneau est prié de demander à son avocat et à son agent de brevets, M. Edwards, la source de l'indication selon laquelle la divulgation a eu lieu vers le 18 août 1997. Eu égard à l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Lumonics (précitée), la demande vise des renseignements privilégiés. Il ne s'agit pas ici de renoncer à un privilège en produisant une lettre, mais plutôt de poser une question qui va au-delà de la lettre, à moins que, en renonçant au privilège sur la lettre, il n'y ait également abandon accessoire du privilège sur des communications connexes portant sur le même sujet. Ici, l'avocat de la défenderesse s'appuie sur la décision Risi Stone Ltd c. Groupe Permacon Inc. [1990] 3 C.F. 10 (C.F. 1re inst.), rendue par la juge Reed. Cette décision concerne la divulgation de la totalité d'un document révisé et ne dit pas que l'abandon du privilège sur un document constitue un abandon du privilège attaché à des communications connexes portant sur le même sujet.

[55]            L'avocat de la défenderesse s'appuie aussi sur un passage de l'ouvrage Sopinka on the Law of Evidence, 1999, deuxième édition, Butterworths, à la page 757, selon lequel, si le privilège est abandonné pour un document, alors la production de tous les documents se rapportant aux actes contenus dans la communication sera ordonnée, le précédent invoqué pour cette proposition étant Doland (George ) Ltd. v. Blackburn, Robson Coates and Co. [1972] 3 All E.R. 959, [1972] 1 W.L.R. 1338 (Q.B.). La décision George Doland est cependant légèrement plus étroite, et il se pourrait même qu'elle soit erronée. Le privilège en jeu était celui de la profession juridique et il concernait des documents en existence avant que le procès ne soit envisagé. L'affaire intéressait également la Civil Evidence Act de 1968, qui apportait des modifications au droit de la preuve, et d'ailleurs, avant les modifications en question, la décision rendue dans l'affaire George Doland n'aurait pas été possible. Cependant, il ne m'est pas nécessaire de m'aventurer sur ce terrain. Dans la décision George Doland, aucun précédent n'est cité, et le juge Lane avait même invité les parties à faire appel de sa décision.


[56]            Quelque dix années plus tard, le même aspect était exploré d'une manière beaucoup plus approfondie par le juge Hobhouse (son titre à l'époque) dans la décision General Accident Fire and Life Assurance Corporation Limited v. Tanter [1984] 1 W.L.R. 100. Le juge Hobhouse avait conclu, discrètement et après avoir examiné une abondante jurisprudence et suivi un raisonnement marqué au coin du bon sens, que [traduction] « le jugement rendu dans l'affaire George Doland Ltd. v. Blackburn, Robson Coates and Co. [1972] 1 W.L.R. 1338, est sans doute erroné à moins qu'il ne s'agisse tout simplement d'un cas d'espèce » (page 114). Puis le juge Hobhouse faisait observer que, puisque le document en cause, à l'égard duquel il y avait eu renonciation au privilège, n'avait pas été produit comme preuve, il n'y avait aucune renonciation pour les autres documents et, quand bien même les documents eussent été déposés comme preuve, les conséquences de la renonciation au privilège devaient être interprétées très étroitement, pour se limiter à ce qui avait été ou n'avait pas été dit à la date du document, et que l'effet de la renonciation n'était pas tel qu'il révélerait plus tard des communications privilégiées échangées entre un avocat et son client, car la renonciation ne s'élargit pas et les documents de ce genre ne cessent pas d'être privilégiés (loc cit.). Le juge Hobhouse résumait ensuite les principes sur lesquels il s'était fondé pour arriver à la conclusion, principes qui constituent une lecture intéressante, mais ce qui est à propos ici, c'est que, même si la renonciation à une partie d'un document vaut renonciation à l'ensemble du document, l'abandon du privilège dans un document donné ne vaut pas en tant que tel renonciation au privilège sur quoi que ce soit d'autre (loc cit.). Puis il fait immédiatement remarquer que c'est seulement lorsqu'on produit des preuves au procès que l'on s'expose à de nouvelles renonciations. Il relève alors que toute autre approche, c'est-à-dire une renonciation au privilège dans un seul document et qui, par un effet ondulatoire, entraîne une renonciation au privilège dans d'autres documents aurait [traduction] « les conséquences les plus considérables, voire donneraient lieu à une reductio ad absurdum » (page 115). La notion tout entière de privilège perdrait tout son sens.

[57]            Les avocats n'ont pas été en mesure de me renvoyer à un précédent canadien à propos de ce que j'appellerai la renonciation accessoire, si ce n'est une référence à Sopinka on the Law of Evidence in Canada, l'édition de 1997, qui indique simplement qu'une renonciation accessoire générale fait son apparition par l'effet de la décision George Doland. La décision Risi Stone Ltd. c. Groupe Permacon Inc. [1990] 3 C.F. 10 (C.F. 1re inst.), bien que mentionnée par l'avocat, n'est d'aucune aide, car ce précédent ne concernait que la divulgation du contenu intégral d'un document, et non des seules portions d'un document pour lesquelles est revendiqué un privilège. Par ailleurs, le jugement Lapointe c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) [1987] 1 C.F. 445 (C.F. 1re inst.), mentionné en passant par la juge Reed dans la décision Risi Stone, n'est d'aucune aide. Dans l'affaire Lapointe, il ne s'agissait pas d'une renonciation accessoire, mais d'un plaidoyer selon lequel, en fait, le défendeur s'était fondé sur un avis juridique dans le contexte de l'action, et qui, de l'avis du juge Cullen, requérait la divulgation de tous les avis juridiques donnés par l'avocat de la Couronne au demandeur, M. Lapointe. Le juge Cullen avait noté, à la page 450, qu'il avait « de sérieuses réserves contre l'abandon du privilège du secret professionnel de l'avocat » , mais que les circonstances de cette affaire justifiaient la divulgation de tous les avis. Je noterais encore une fois ici qu'il n'était pas question de renonciation accessoire.


[58]            Eu égard au jugement General Accident Corporation v. Tanter (précité), il n'existe aucun principe général de la renonciation accessoire et, certainement, dans la présente affaire, aucune renonciation accessoire à un privilège qui s'étend à toute la correspondance privilégiée, du seul fait qu'il y a eu renonciation au privilège sur une lettre. La question 1744 n'appelle donc aucune réponse.

Privilège attaché aux conjoints

[59]            Parmi les nombreux points découlant des interrogatoires préalables de la présente action, il y a celui de savoir si John et Elizabeth Letourneau, comme on les appelle dans leur collectivité, qui, avec leurs enfants, constituent une cellule familiale depuis de nombreuses années, peuvent invoquer un privilège pour des conversations portant sur les étançons, en ce qui concerne leur divulgation. L'objection ici est fondée sur la pertinence et sur le privilège. Des conversations, et ici j'entends ce mot d'une manière générale, relatives au développement des étançons, pourraient concerner la divulgation et donc être pertinentes. Plus intéressante est l'objection concernant le privilège.

[60]            Un point de départ intéressant, pour la question de savoir si un privilège s'attache aux conversations entre conjoints, est le paragraphe 4(3) de la Loi sur la preuve au Canada :

Nul ne peut être contraint de divulguer une communication que son conjoint lui a faite durant leur mariage. [C'est moi qui souligne]


La difficulté que pose cet article, et abstraction faite pour l'instant d'un aspect du texte législatif qui a été critiqué par les juges, à savoir que la communication faite par un mari à sa femme n'est privilégiée que dans la mesure où la femme revendique le privilège et refuse de témoigner sur le contenu de la communication, est que les Letourneau, n'étant pas officiellement mariés, n'entrent pas strictement dans le texte du paragraphe 4(3) de la Loi sur la preuve, une disposition qui s'adresse à un couple marié et qui s'applique durant leur mariage. Je reconnais avec l'avocat des demandeurs que le refus du privilège à des conjoints de fait constitue probablement un déni d'égalité des droits selon la Charte, compte tenu du raisonnement exposé par la juge McLachlin (son titre à l'époque) dans l'arrêt Miron c. Trudel [1995] 2 R.C.S. 418, aux pages 497-498, et que, en principe, une relation de fait devrait donner droit à l'avantage et au privilège conférés par le paragraphe 4(3) de la Loi sur la preuve au Canada, mais cela n'est d'aucune aide car, comme je le faisais remarquer plus haut, un mari peut néanmoins être contraint de témoigner sur ce qu'il a dit à son épouse.

[61]            Comme la Loi sur la preuve au Canada ne s'applique manifestement pas au cas présent, il convient d'examiner le privilège dans le contexte de cette situation particulière, en appliquant les quatre critères exposés dans Wigmore on Evidence, McNaughton Revision, Little, Brown and Company of Toronto, 1961, section 2285, pages 527-528 :

[traduction] ... quatre conditions fondamentales sont reconnues comme nécessaires à l'établissement d'un privilège contre la divulgation de communications :

(1) Les communications doivent prendre naissance dans l'assurance qu'elles ne seront pas révélées.

(2) Cet élément de confidentialité doit être essentiel à la préservation intégrale et satisfaisante de la relation entre les parties.

(3) La relation doit être une relation qui, de l'avis de la collectivité, devrait être assidûment entretenue.

(4) Le préjudice que ferait subir à la relation la révélation des communications doit être plus grand que l'avantage qui en serait recueilli pour la bonne disposition du litige.

Ce n'est que si ces quatre conditions sont présentes qu'un privilège sera reconnu.


Leur présence dans la plupart des privilèges reconnus est assez évidente; et l'absence de l'une ou plusieurs d'entre elles sert à expliquer pourquoi certains privilèges n'ont pas obtenu la reconnaissance parfois exigée pour elles. Dans le privilège applicable aux communications entre un avocat et son client, par exemple, les quatre conditions sont présentes, la seule condition susceptible d'un débat étant la quatrième. Dans le privilège applicable aux communications entre mari et femme, les trois premières conditions sont là encore manifestement présentes, seule la quatrième suscitant un doute;...

Le critère de Wigmore relatif au privilège a été appliqué dans de nombreux cas, y compris par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Gruenke [1991] 3 R.C.S. 263, aux pages 284 et suivantes (arrêt rédigé par le juge en chef), pour qui l'application du critère Wigmore nécessitait une analyse du privilège au cas par cas.


[62]            En l'espèce, j'admets, eu égard à la preuve par affidavit de M. Letourneau et à l'avis de l'éditeur de Wigmore, que les trois premiers éléments sont manifestement présents. Il faut maintenant considérer le quatrième élément et le point de savoir si la divulgation de la communication entraînerait pour la relation au sein du couple Letourneau un préjudice plus grand que l'avantage qui pourrait être recueilli, ce qui permettra de disposer correctement de la question de la divulgation. Il y a ici deux aspects. D'abord, il est essentiel que les communications échangées au sein d'un couple demeurent confidentielles. Il est très important qu'un couple soit parfaitement libre de s'utiliser l'un l'autre comme des caisses de résonnance lui permettant d'exprimer ses aspirations, ses plans et ses idées, et à plus forte raison lorsque l'un des partenaires est un inventeur, intéressé, voire excité, par un projet, et nécessitant une bonne écoute, et peut-être une écoute critique. Quant à la nécessité de l'accès à la conversation pour la bonne disposition du présent litige, je serais très surpris qu'un juge, examinant la discussion d'une invention entre partenaires dont la relation est une relation entre mari et femme, arrive jamais à la conclusion qu'une discussion entre ces deux partenaires, l'un qui invente et l'autre qui écoute, parfois d'une oreille critique, équivalait à une divulgation. L'avantage recueilli par la divulgation de conversations ayant pu être échangées à propos des étançons entre John Letourneau et Elizabeth Letourneau ne serait tout au plus qu'un très minime avantage pour la bonne disposition de la partie de la présente action qui concerne la divulgation au sens du droit des brevets. Les questions 1053 et 1306 à 1312 n'appellent pas de réponses.

Demandes canadiennes et historique du dossier

[63]            Dans cette catégorie, la défenderesse est en quête de réponses à plusieurs questions se rapportant à la procédure d'examen de la demande de brevet de M. Letourneau au Canada. L'objection formulée à l'encontre de ces questions est que les documents, étant partie de la procédure d'examen du brevet au Canada, ne sont pas pertinents. Ici, l'avocat des demandeurs invoque la décision CAE Machinery Ltd. c. 29598505 Quebec Inc., un jugement non publié du 21 janvier 2000, no du greffe T-730-97, rendu par le juge Hugessen, qui s'exprimait sur la recevabilité du dossier de la demande de brevet ou, comme on l'appelle également, l'historique de la procédure d'examen du brevet :

[7]        J'estime en outre que, comme le moyen d'irrecevabilité tiré du dossier de demande de brevet ne peut être invoqué au Canada, les questions portant sur l'instruction de la demande de brevet, sur les dossiers des agents de brevet ou sur l'instruction de demandes de brevets étrangers ne sont en règle générale pas admissibles. Dans certaines circonstances, une question précise portant sur des faits relatifs à une telle instruction peut être admise, mais toutes les questions posées en l'espèce sont, à mon avis, trop larges et générales pour remplir les conditions requises.


J'en déduis que, dans certains cas, des questions assez précises portant sur la procédure d'examen du brevet peuvent être admissibles. Cette divulgation est également limitée par le fait que l'information créée après la date de dépôt de la demande de brevet n'a ni valeur probante ni pertinence, un point avancé par le protonotaire Morneau dans l'affaire Richter Gedeon Vegyészeti Gyav RT c. Merck & Co. (1996) 68 C.P.R. (3d) 8 (C.F. 1re inst.), à la page 15 :

Enfin, je suis d'avis que le 4 août 1987 - date de dépôt du brevet en litige - doit servir de date limite relativement à toute demande dont il est question dans le cadre de la présente requête puisque je ne vois pas comment des renseignements créés ou déposés après le 4 août 1987 pourraient légitimement lancer une enquête ayant quelque valeur probante en termes de pertinence.

Cependant, il est intéressant de noter que le protonotaire Morneau était d'avis que l'historique interne de la procédure d'examen des brevets du demandeur, qu'il s'agisse du brevet étranger ou du brevet canadien, pouvait aider les défendeurs, ou préjudicier à la position du demandeur, y compris quant à l'état antérieur de la technique (page 14).

[64]            L'avocat de la défenderesse admet que l'historique de la procédure d'examen n'est pas pertinent quand il s'agit de la portée du brevet tel qu'il a été délivré, une remarque faite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Free World Trust c. Electro Santé Inc. (2000) 9 C.P.R. (4th) 168, à la page 197, [2000] 2 R.C.S. 1024, le juge Binnie faisant ensuite observer que la preuve extrinsèque ne doit pas servir à définir le monopole accordé par le brevet quand l'accent devrait être mis sur le texte des revendications elles-mêmes. Cependant, il faisait la confession suivante :

[67]          Il ne s'ensuit pas que l'examen de la demande de brevet ne puisse jamais être pertinent pour une autre fin que celle de définir l'étendue du monopole accordé: Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.), à la p. 47. La Cour ne se prononce toutefois pas à ce sujet, car la question n'est pas soulevée en l'espèce. [Page 198].


Dans la décision Foseco Trading, mentionnée dans cet extrait, la juge Reed avait estimé qu'il était manifeste que l'information figurant dans les dossiers, national ou étranger, pouvait être pertinente à certains fins et à certaines occasions :

Il semble clair que les renseignements contenus dans les dossiers, qu'ils soient canadiens ou étrangers, peuvent être pertinents pour certaines fins et dans certaines circonstances. Peut-être bien que la plupart des renseignements obtenus en posant des questions sur ces dossiers se révéleront dénués de pertinence, mais c'est une décision qu'il revient au juge de première instance de prendre en tenant compte des circonstances de l'espèce. Il est souvent difficile de savoir si la réponse à une question est pertinente avant d'en connaître la teneur et de voir comment elle s'inscrit dans la défense de la partie défenderesse. En conséquence, je suis d'avis que le protonotaire s'est fondé sur un principe erroné en n'exigeant pas que des réponses soient fournies aux questions. Il s'agit d'une enquête que la partie défenderesse a le droit de faire à ce stade-ci. Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, je suis d'avis qu'il est prématuré à l'étape de l'interrogatoire préalable d'empêcher une partie de poser des questions au sujet des renseignements contenus dans des dossiers.

La juge Reed faisait ensuite observer, dans ce jugement, à la page 49, que, lorsque des questions sont posées à propos de documents, une distinction s'impose entre l'interprétation du document par le témoin et les questions dans lesquelles sont demandés des renseignements sur des faits qui sont exposés dans le document.


[65]            Ainsi que le faisait remarquer le juge Muldoon dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2000) 8 C.P.R. (4th) 87 (C.F. 1re inst.), à la page 98, « il est de jurisprudence constante que les éléments de preuve extrinsèques sont admissibles, sauf lorsqu'il s'agit d'interpréter un brevet » (page 98). Par ailleurs, dans la décision Samsonite Corp. c. Holiday Luggage Inc. (1988) 20 C.P.R. (3d) 291 (C.F. 1re inst.), la juge Reed avait reconnu que les documents d'un dossier de demande pouvaient servir à montrer ce que l'état antérieur de la technique avait été devant l'examinateur de brevets, encore qu'elle fît remarquer ensuite que cette preuve, même si elle est techniquement recevable, aurait sans doute un faible poids (pages 315 et 316). Sur le même point, celui de l'état antérieur de la technique devant l'examinateur de brevets, voir aussi la décision Scientific Games Inc. c. Pollard Banknote Ltd. (précitée), à la page 501. Cela conduit au genre de questions auxquelles la défenderesse voudrait des réponses car, généralement, dans la mesure où les questions du dossier ne concernent pas la portée du brevet et ne requièrent pas l'interprétation du brevet, elles peuvent, selon les circonstances, être des questions valides, sous réserve de la valeur probante que le juge accordera aux réponses.

[66]            Dans la présente affaire, les questions concerneraient la présomption de validité du dossier dont était saisi l'examinateur de brevets et, implicitement, du dossier dont il n'était pas saisi; elles concerneraient aussi l'indemnité payable en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets entre la date de dépôt de la demande de brevet, en mars 1999, et la date de délivrance du brevet, le 11 juillet 2000, et ici il y a lieu de se demander si des changements ont été apportés au brevet ou si c'est la demande originale qui a été transposée dans le brevet; les questions concerneraient aussi un document délivré par M. Letourneau à Clearbrook, et le point de savoir si ce document faisait ou non partie de la demande canadienne de brevet, puisqu'il est allégué que la demande est fictive et que le document est faux. Rien de tout cela ne concerne la portée du brevet. Le demandeur doit répondre aux questions 1768, 1779 et 1782 puisqu'aucune des questions ne dépasse la date de dépôt de la demande.


Questions relatives à la demande américaine correspondante de brevet

[67]            Cette série de questions concerne une demande américaine de brevet, les demandeurs ayant produit l'état antérieur de la technique cité dans la demande de brevet américain. Plus précisément, les questions concernent l'état antérieur de la technique et les communications en la matière échangées avec le Patent and Trade-mark Office des États-Unis, y compris les motifs des oppositions à la demande et du refus de la demande.

[68]            L'avocat des demandeurs met en doute la recevabilité de telles questions, puis, à juste titre, fait observer que, lorsque de telles questions sont recevables, elles doivent être assez précises : voir par exemple la décision CAE Machinery Ltd. c. 29598505 Québec Inc., un jugement non publié du 21 janvier 2000, no du greffe T-730-97. L'avocat se réfère ensuite à une autre décision du juge Hugessen, Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (2000) 8 C.P.R. (4th) 413 (C.F. 1re inst.), aux pages 415-416 :

¶ 5 J'en arrive maintenant au paragraphe 5 dans lequel on demande la production de documents versés au dossier de la demande étranger, non au dossier canadien. Le seul élément de ces documents qui serait, suggère-t-on, susceptible d'être pertinent aux questions débattues sont les antériorités. Je me suis déjà prononcé sur la question des antériorités. Je sais bien que, dans certaines affaires soumises à la Cour, celle-ci a ordonné la production de ce genre de documents étrangers. J'imagine que ces affaires reposaient sur des faits qui leur étaient propres ou qu'elles contenaient des allégations précises étayant ces ordonnances de production. Dans le présent cas, je ne vois pas d'allégations susceptibles d'étayer la production demandée et, comme je l'ai dit au début, j'estime que les connaissances du breveté ou de l'inventeur sur les antériorités ne sont tout simplement pas pertinentes à la question de l'évidence.


Dans la décision Eli Lilly, le juge Hugessen devait statuer sur la production de documents, mais, dans le passage susmentionné, il fait ensuite observer que, selon lui, « les connaissances du breveté ou de l'inventeur sur les antériorités ne sont tout simplement pas pertinentes à la question de l'évidence » .

[69]            En revanche, l'avocat de la défenderesse se réfère à la décision Denharco Inc. c. Forespro Inc., une décision non publiée du 9 juillet 2002 du juge Pinard, no du greffe T-1868-98, où étaient posées des questions découlant du rejet d'une demande, aux États-Unis, d'un brevet correspondant. Au début, l'objection aux questions de l'interrogatoire préalable a été maintenue, mais, en appel de la décision du protonotaire, le témoin fut obligé de confirmer que la demande américaine de brevet n'avait jamais été acceptée, de dire si les motifs de la non-acceptation du brevet américain avaient été divulgués, de préciser les motifs pour lesquels la demande américaine correspondante de brevet avait été rejetée, et d'expliquer ce en quoi consistait l'état antérieur de la technique, en ce qui concernait la demande américaine de brevet. Ici, le juge Pinard s'est fondé sur la décision Samsonite Corp. c. Holiday Luggage Inc. (1998) 20 C.P.R. (3d) 291 (C.F. 1re inst.) et sur la décision Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties, Ltd. (1991) 36 C.P.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.).


[70]            Dans l'affaire Samsonite, la demande de dépôt du dossier américain visait à démontrer ce que l'état antérieur de la technique avait été et n'avait pas été devant l'examinateur des brevets. La juge Reed avait ensuite exprimé l'avis que l'état antérieur de la technique, devant l'examinateur des brevets, intéressait la réfutation de la présomption de validité, car le point à décider ne concernait pas l'interprétation des revendications : voir les pages 315 et 316. Dans la décision Foseco Trading, la juge Reed s'était fondée sur l'arrêt Beatty Bros. Ltd. c. Lovell Manufacturing Co. and Maxwell Ltd., (1959) 30 C.P.R. 142 (C.S.C.), où il s'agissait de savoir si un acte de procédure pouvait ou non se référer à une instance introduite devant le Patent Office des États-Unis, à propos d'une demande de brevet. Dans l'arrêt Beatty Bros., la Cour suprême avait fait observer, à la page 144, que la recevabilité d'une telle preuve devait être laissée à l'appréciation du juge du fond. La juge Reed, dans l'affaire Foseco Trading, s'était ensuite référée à de nombreux précédents, dont l'arrêt Laboratoire Pentagon Ltée c. Parke, Davis & Co. [1968] R.C.S. 307, des précédents qui ne concernaient pas des documents américains sur la portée ou l'interprétation de la revendication, et où l'information figurant dans les dossiers était une preuve valide de l'état antérieur de la technique dont avait été saisi l'examinateur des brevets. La juge Reed avait résumé la question, à la page 47 :

Sur la base de tous ces arrêts, quel est le principe applicable? Il semble clair que les renseignements contenus dans les dossiers, qu'ils soient canadiens ou étrangers, peuvent être pertinents pour certaines fins et dans certaines circonstances. Peut-être bien que la plupart des renseignements obtenus en posant des questions sur ces dossiers se révéleront dénués de pertinence, mais c'est une décision qu'il revient au juge de première instance de prendre en tenant compte des circonstances de l'espèce. Il est souvent difficile de savoir si la réponse à une question est pertinente avant d'en connaître la teneur et de voir comment elle s'inscrit dans la défense de la partie défenderesse. En conséquence, je suis d'avis que le protonotaire s'est fondé sur un principe erroné en n'exigeant pas que des réponses soient fournies aux questions. Il s'agit d'une enquête que la partie défenderesse a le droit de faire à ce stade-ci. Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, je suis d'avis qu'il est prématuré à l'étape de l'interrogatoire préalable d'empêcher une partie de poser des questions au sujet des renseignements contenus dans des dossiers.

La juge Reed a exprimé l'avis que le dossier national et le dossier étranger pouvaient être pertinents, qu'il appartenait au juge du fond de se prononcer sur la pertinence, mais que, en tout état de cause, il serait prématuré, dans un interrogatoire préalable, d'empêcher que des questions soient posées concernant l'information figurant dans le dossier.


[71]            En conséquence de tout cela, les questions 1752, 1753, 1755 à 1758 et 1760 appellent des réponses. Les questions 1759 et 1761 concernent le point de savoir si l'avocat antérieur représentant les demandeurs, Me Edwards, avait ou non indiqué par lettre qu'il déposerait, au Patent and Trademark Office des États-Unis, les pièces de correspondance, les dossiers ou les communications se rapportant à la demande de brevet, ainsi que l'état antérieur de la technique traité dans les procédures américaines de brevet. Il existe une lettre datée du 1er août 2001, adressée par Me Edwards à Davis & Company, dans laquelle Me Edwards consent à produire ces documents, dans la mesure où ils concernent l'état antérieur de la technique, et il est donc répondu aux questions 1759 et 1761. La question 1754, qui concerne l'état actuel de la demande de brevet américain, est hors de propos et n'appelle aucune réponse.

Une prétendue demande fictive


[72]            Ce qui est en cause ici, c'est une lettre de cessation et de désistement que Me Edwards, avocat des demandeurs, avait prié M. Letourneau de remettre à M. Schellenberg, de la défenderesse, Clearbrook Ironworks Ltd., et qui concernait une demande de brevet en instance. Ici, une question qui avait été refusée concerne les directives données par M. Letourneau à Me Edwards, et l'autre les documents que Me Edwards avait remis à M. Letourneau. Il y a diverses façons de qualifier cette opération et ici je commencerais par faire observer qu'il n'y a aucune preuve de fraude ou de conduite illégale, et je ne suis pas disposé à présumer leur existence sans une meilleure preuve, et M. Letourneau a d'ailleurs expliqué la modification apparente apportée à un dessin comme une modification faite durant une discussion avec M. Schellenberg pour illustrer la version boulonnée de la rampe de protection, par rapport à la rampe de protection ancrée dans une douille qui traverse le mur. J'accepte cette explication.

[73]            Par ailleurs, permettre l'expiration de cet aspect reviendrait à ignorer le privilège à l'existence duquel j'ai déjà conclu, entre M. Letourneau et Me Edwards. À mon avis, il n'y a pas eu renonciation au privilège. Les questions 1999 et 2017 n'appellent aucune réponse, et aucun autre document n'a besoin d'être déposé en la matière.

Questions soumises à réflexion

[74]            Ce point relatif aux questions touchant la production de documents de Nu-Westech Engineering Ltd. n'a pas été plaidé dans la requête. Toutefois, au vu des documents, il semblerait que les demandeurs ont procédé aux enquêtes requises et que, si quelque chose reste à faire, alors il appartient à la défenderesse de recourir à la règle 233(1), qui concerne la production de documents de personnes non parties à l'action.

[75]            S'agissant de la seconde catégorie de refus, les questions portant sur les modifications apportées à la demande canadienne de brevet, cet aspect a été traité dans mes propos antérieurs sur les demandes canadiennes et l'historique du dossier. Tout comme dans ce cas-là, les documents peuvent être pertinents et devraient être produits.


Détails

[76]            Il s'agit de détails des caractéristiques du brevet des demandeurs que l'on ne trouve pas dans la rampe fabriquée par la défenderesse Clearbrook. Essentiellement, il s'agit de la demande de détails sur ce que sont les éléments essentiels de la première revendication du brevet, à savoir « dispositif de montage d'une rampe permettant de monter sur des murs de béton des rampes formées d'un étançon et d'un tampon » . Assurément, les demandeurs ont décrit la substance de l'invention dans les paragraphes 8 à 12 de la déclaration modifiée de nouveau.


[77]            Arriver aux éléments essentiels ou les définir est un aspect important d'un dossier de contrefaçon de brevet, car il pourrait n'y avoir aucune contrefaçon si l'un ou plusieurs des éléments essentiels sont soit différents soit omis. À l'inverse, les éléments non essentiels peuvent être omis, sans qu'il y ait contrefaçon matérielle sur la structure ou sur le mode d'exploitation de l'invention : cette notion est exposée dans la décision Free World Trust c. Electro Santé Inc. (précitée), aux pages 178 à 180, 184-185 et aux pages 190 à 195, avec résumé aux pages 198 et 199. Il y a aussi conflit entre d'une part le fait d'obliger un demandeur à interpréter la revendication du brevet et d'autre part la tâche de la Cour, après audition de toute la preuve, qui consiste à interpréter la revendication. Ce conflit a été examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Northern Telecom Ltd. c. Reliance Electric Co. (1986) 8 C.P.R. (3d) 224. Dans cette affaire, la Cour avait jugé qu'il n'était pas abusif d'obliger un demandeur à interpréter une revendication, aux premières étapes d'une procédure visant à faire respecter un brevet, bien que cela fût la tâche de la Cour. En fait, un demandeur doit détailler les droits auxquels il prétend et dont il affirme qu'ils ont été violés. C'est évidemment une question différente de celle qui consiste à prier le demandeur d'émettre une opinion technique. C'est plutôt une description du droit auquel, selon le demandeur, il a été porté atteinte. Cela est contraire à l'avis donné par le juge Marceau dans la décision McMaster Nitschke and Larimar c. Tamglass O.Y. (1981) 55 C.P.R. (2d) 69, à la page 71, car, dans cette affaire, tout ce qui était requis, c'était les détails révélés dans les actes de procédure, le juge Marceau étant d'avis que particulariser davantage un aspect conduirait les demandeurs à exposer dans le brevet de larges portions de la revendication, ce qui serait une procédure inutile, ou ce qui forcerait autrement les demandeurs à interpréter lesdites revendications, ce qui serait irrégulier : voir la décision Tamglass, à la page 71. Dans cette affaire, le juge Marceau avait exprimé l'avis que les défendeurs n'avaient pas besoin des détails qu'ils demandaient pour comprendre la position des demandeurs, pour connaître les arguments avancés contre eux ou pour apprécier les faits sur lesquels ils étaient fondés. Naturellement, dans la décision Tamglass, la question concernait les détails produits avant le dépôt d'une défense (page 71). Dans l'affaire Ermanco Inc. c. Rexnord Canada Ltd. (1982) 67 C.P.R. (2d) 176, le juge Walsh avait rejeté une demande de détails au motif qu'il eût été incorrect pour les demandeurs, en fournissant d'autres détails, de donner leur propre interprétation de ce qui constituait les sujets de l'invention. Après examen de plusieurs précédents de poids, le dernier étant la décision Tamglass, le juge Walsh avait conclu que les détails fournis étaient suffisants et qu'il serait incorrect pour les demandeurs de donner leur propre interprétation de ce qui constituait la substance de l'invention : voir les pages 178 à 180.

[78]            À ce stade, il est utile de revenir à l'arrêt Free World Trust (précité), aux pages 183 à 185. Dans cet arrêt, le juge Binnie, s'exprimant pour la Cour, faisait observer que l'identification d'éléments selon qu'ils sont essentiels ou non essentiels devrait se faire à l'aide d'une interprétation libérale du texte de la revendication, mais que l'on ne devrait pas recourir à une preuve extrinsèque de l'intention de l'inventeur. Je crois comprendre de cela que la preuve de l'inventeur qui sert à dire si un élément est essentiel ou non est hors de propos.

[79]            Si l'on prend en compte la jurisprudence et si l'on considère la déclaration et les revendications figurant dans la copie annexée du brevet, aucun détail complémentaire ne sera requis, puisqu'il appartient maintenant à la Cour de déterminer la substance de l'invention, car, ainsi que le faisait observer le juge Rouleau dans l'affaire Lapierre c. Echochem International Inc. (2002) 22 C.P.R. (4th) 536, à la page 541, les questions qui concernent la substance de l'invention ou l'interprétation du brevet ne sont pas appropriées. Dans l'affaire Lapierre, le juge Rouleau voyait les questions en cause comme des questions qu'il était impossible de rattacher à la substance ou aux éléments essentiels du brevet. Les questions en cause dans la présente affaire, une invitation faite aux demandeurs pour qu'ils définissent les éléments essentiels et les éléments non essentiels, relèvent du principe énoncé dans l'arrêt Free World Trust et dans la décision Lapierre.


EXAMEN DE LA REQUÊTE DE M. LETOURNEAU

[80]            Je passe maintenant à la requête des demandeurs exigeant la présence de Neil Schellenberg pour la poursuite de son interrogatoire préalable, afin qu'il examine, selon le cas, divers engagements, qu'il réponde aux questions dont la réponse était différée, qu'il réponde aux questions refusées et qu'il réponde aux questions découlant validement de réponses exigées.

Engagements

[81]            S'agissant des engagements de l'interrogatoire préalable, l'avocat des demandeurs dit qu'ils ont été fournis, ou sans doute plus justement, fournis dans la mesure où ils sont actuellement pertinents, car certains concernent des aspects sujets à une ordonnance de bifurcation.

Questions dont la réponse était différée

[82]            Dans cette catégorie, celle des questions dont la réponse était différée, il s'agit encore des questions 355 et 600.

[83]            D'abord, l'avocat des demandeurs dit que, lorsqu'il diffère la réponse à une question, le témoin ou, en pratique, l'avocat, doit préciser les raisons qu'il a de ne pas donner une réponse sur-le-champ.


[84]            L'article 95 des Règles dit que des motifs doivent être donnés lorsqu'est soulevée une objection au sujet d'une question, et cela est juste, parce que l'interrogatoire est ainsi plus efficace, et notamment parce que l'avocat de la partie qui interroge sait alors s'il doit consacrer du temps et de l'argent pour obtenir une réponse : voir la décision Scientific Games Inc. c. Pollard Banknote Ltd. (1997) 73 C.P.R. (3d) 461 (C.F.), à la page 491. Le juge Evans (son titre à l'époque) fait observer, dans la décision Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1999) 3 C.P.R. (4th) 333 (C.F.), à la page 339, que les réponses à des questions ne doivent pas être différées à seule fin d'éviter l'application de l'article 95 des Règles, selon laquelle la personne qui soulève une objection au sujet d'une question doit énoncer les motifs de son objection, en particulier pour donner à l'avocat qui interroge l'occasion de revoir la question et de la rendre conforme à l'objection.

[85]            L'avocat des demandeurs dit que, si l'avocat de la défenderesse avait eu l'intention de s'opposer aux questions dont les réponses étaient différées, il aurait dû exposer les motifs de son opposition durant l'interrogatoire préalable : les Règles ne vont pas aussi loin, et il n'y a pas eu non plus abus évident de la procédure de report des réponses, un aspect qui avait retenu l'attention du juge Evans dans l'affaire Glaxo Group (précitée).


[86]            La question 355 elle-même concerne la validité du brevet Letourneau et en particulier, vu un refus apparaissant dans la défense nouvellement modifiée et dans la demande reconventionnelle, le fait que John Letourneau est l'inventeur de l'étançon breveté, transformant ainsi en refus cristallisé le report de la réponse à la question.

[87]            M. Schellenberg estimait que l'invention était largement tombée dans le domaine public, mais l'avocat de la défense a dit :

[traduction] ... nous mettrons la demande en délibéré et vous informerons en conséquence des noms particuliers d'autres inventeurs que nous évoquerons au procès.

Puis

[traduction] Les détails de ce que nous recherchons n'ont pas été établis, mais, dès qu'ils le seront, nous vous en informerons bien avant le procès.

À ce stade, l'avocat des demandeurs fait valoir que la demande est une demande qui pourrait être déposée dès le dépôt de la défense, encore que parfois elle soit différée jusqu'à l'interrogatoire préalable, ajoutant que, à son avis, il ressort clairement de la jurisprudence que de tels détails doivent être fournis.

[88]            Dans la présente affaire, l'avocat de la défenderesse dit que les demandeurs recherchent ces détails pour le procès, mais il fait observer ensuite que la traverse d'une allégation ne fait pas naître un droit à des détails, en se référant sur ce point à la décision Bande indienne du lac McLeod c. Chingee (1998) 144 F.T.R. 156 (C.F. 1re inst.), à la page 159, ainsi qu'à une décision connexe au même effet, Bande indienne du lac McLeod c. Chingee, (1998) 149 F.T.R. 113 (C.F. 1re inst.), une décision non publiée du 8 mai 1998, no du greffe T-2327-97, au paragraphe 5. Cependant, l'affaire ne s'arrête pas là.


[89]            L'avocat des demandeurs fait observer que, selon le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, le brevet est présumé valide et que c'est à la partie qui le conteste de prouver qu'il est invalide. Il se réfère ici à la décision McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. c. Sharpe Instruments Ltd. (1960) 35 C.P.R. 105 (C. de l'É.), à la page 129 :

[TRADUCTION] Il faut déduire de la disposition de la Loi qu'un brevet accordé en vertu de cette Loi « est par la suite prima facie valide » et accorde au breveté et à ses représentants légaux, pendant la durée du brevet, un avantage, à savoir que la charge de prouver que le brevet est invalide incombe à la personne qui conteste le brevet, quel que soit le motif de contestation, et que la présomption légale de validité subsiste tant qu'il n'a pas été clairement prouvé que le brevet est invalide.

Cela ne signifie pas que le brevet ne peut être attaqué, ni que le titulaire du brevet s'est libéré des obligations qui lui incombent du fait que son produit a été examiné aux fins de l'octroi du brevet qui lui assure le monopole, mais il semble clair que le Parlement, ayant délibérément conféré une présomption de validité pour les brevets accordés aux termes de la Loi, n'a pas eu l'intention de faciliter la tâche à ceux qui tentent de prouver l'invalidité de ce brevet. Cela étant, les précédents anglais selon lesquels un breveté doit prouver l'existence des attributs essentiels de la brevetabilité de l'invention visée par son brevet avant qu'il ne puisse réussir dans une action en dommages-intérêts pour atteinte à ses droits selon son brevet ne sont plus applicables au Canada. Le breveté n'a pas à prouver l'existence de tels attributs, car il commence avec une présomption légale de leur existence en sa faveur, et c'est au présumé contrefacteur du brevet qu'il appartient de prouver qu'ils n'existent pas. L'adoption de la présomption légale de validité a apporté un important changement dans le droit canadien des brevets et a marqué une avance appréciable dans la protection des droits d'un breveté.


Dans la défense nouvellement modifiée, la défenderesse nie que M. Letourneau soit l'inventeur ou l'unique inventeur de l'étançon breveté. Par ailleurs, la défenderesse, dans sa demande reconventionnelle, conteste la validité du brevet, et donc sa position va au-delà d'une simple traverse. L'avocat de la défenderesse dit que, afin d'avoir l'intérêt requis pour engager la présente action, les demandeurs doivent établir que M. Letourneau est le breveté, sans quoi il ne peut pas faire respecter le brevet, nonobstant la validité du brevet. L'avocat se réfère ici à un arrêt de la Cour d'appel fédérale, 671905 Alberta Inc. c. Q'Max Solutions Inc. (2003) 241 F.T.R. 160, aux paragraphes 37 à 40. Dans cette affaire, il s'agissait des titres successifs, le juge de première instance ayant estimé que les titres successifs, du breveté initial jusqu'au demandeur dans cette action, n'avaient pas été établis. Cependant, dans la présente affaire, il ne s'agit pas de titres successifs, mais plutôt de l'affirmation de la défenderesse selon laquelle quelqu'un d'autre, une personne non identifiée, est le véritable breveté. Ici, l'avocat de la défenderesse se réfère à un sommaire de l'arrêt Traver Investments Inc. c. Union Carbide Corp. [1967] R.C.S. 196, sommaire selon lequel la charge de la preuve reposait sur l'inventeur non seulement parce qu'il affirmait être l'inventeur, mais aussi parce que l'objet des allégations, qui concernaient le brevet, relevait tout particulièrement de la connaissance de l'inventeur. Il est toujours quelque peu dangereux de s'en rapporter aux sommaires pour énoncer des propositions. L'arrêt Traver ne vient pas particulièrement en aide à la défenderesse, car je ne crois pas qu'il soit ici pertinent. Par ailleurs, nous n'en sommes pas rendus au point où les demandeurs doivent convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que M. Letourneau est le véritable inventeur. Je me réfère de nouveau ici à la décision McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. c. Sharpe Instruments Ltd., et je répète l'observation selon laquelle la charge de la preuve repose sur la partie qui conteste le brevet et selon laquelle la présomption légale de validité subsiste jusqu'à ce qu'elle soit réfutée.


[90]            En général, lorsqu'un défendeur conteste la validité d'un brevet en affirmant que l'inventeur désigné n'est pas le véritable inventeur, la production de détails sera ordonnée : voir par exemple la décision Contour Optical B.T.K.I. Inc. c. Hakim Optical Laboratory Ltd. (2001) 201 F.T.R. 152 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 7 à 34, et la décision Amerace Corp. c. Minnesota Mining & Manufacturing Corp. (1975) 20 C.P.R. (2d) 105 (C.F. 1re inst.), à la page 107.

[91]            Je relève aussi, comme l'a à juste titre fait observer l'avocat des demandeurs, que les détails en vue du procès, comme c'est le cas ici, sont beaucoup plus étendus, de telle sorte qu'une partie pourra validement préparer ses arguments en vue du procès : voir par exemple la décision Cat Productions Ltd. c. Macedo (1984) 1 C.P.R. (3d) 517 (C.F. 1re inst.), aux pages 519-520.

[92]            Dans la décision Cat Productions, le juge McNair faisait observer que « les détails sont ordonnés plus libéralement qu'autrefois car l'époque du "procès par embuscade" est maintenant révolue » (loc cit.). Dans la présente affaire, la défenderesse produira des détails sur la ou les personnes qu'elle croit, pour diverses raisons, être l'inventeur ou les inventeurs. D'abord, il ne s'agit pas ici d'une simple traverse, mais, de par la demande reconventionnelle, il s'agit d'une allégation formelle qui va au-delà d'une simple traverse. Deuxièmement, refuser les détails de l'avis de la défenderesse sur l'inventeur effectif serait ouvrir la porte à un procès par embuscade. Finalement, l'avocat de la défenderesse a entrepris, à l'interrogatoire préalable, d'informer l'avocat des demandeurs « des noms précis d'autres inventeurs que nous invoquerons au procès » (page 63) et, pour le cas où la défenderesse n'aurait pas établi les détails, « d'informer [les demandeurs] bien avant la tenue du procès » (page 64).

[93]            Les allégations insérées dans une défense ou dans une demande reconventionnelle, surtout lorsqu'il s'agit d'allégations formelles, ne doivent pas être faites dans l'abstrait, dans l'espoir que quelque chose surgira avant le procès. Dans la mesure où la défenderesse dispose présentement de détails sur la personne ou les personnes qu'elle croit être l'inventeur ou les inventeurs, ces détails seront fournis sur-le-champ. Dans la mesure où la défenderesse entend faire valoir, au procès, qu'une autre personne ou d'autres personnes sont les véritables inventeurs, elle complétera sa recherche, et, afin de donner aux demandeurs la possibilité d'évaluer leur position, avant que d'autres ressources de temps et d'argent soient inutilement employées, elle communiquera ces détails, comme il est demandé dans la question 355, dans un délai de 45 jours.


[94]            Suivant la question 600, l'avocat des demandeurs voudrait les détails de la défense, c'est-à-dire du déni de la contrefaçon, en demandant quels aspects de la revendication 1 du brevet, à savoir le dispositif de montage de la rampe, formé d'un étançon et d'un tampon d'ancrage avec, entre autres caractéristiques, un appui d'étançon permettant d'élever la rampe par-dessus le bord du toit d'où l'on travaille, ne sont pas constatés dans le produit rival fabriqué par la défenderesse, Clearbrook : en fait, ce qui est demandé, ce sont les détails de la défense, du déni de l'atteinte au brevet, un aspect soumis à réflexion. Ici, l'avocat des demandeurs se réfère à un long paragraphe de la défense, le paragraphe 11, dans lequel la défenderesse dit que, après le 11 juillet, date à laquelle le brevet a été délivré aux demandeurs, la défenderesse fabriquait des étançons qui « pouvaient être employés pour être montés sur des murs de béton et sur d'autres structures et pouvaient être employés en même temps que des garde-corps » , mais que, semble-t-il, elle ne fabriquait pas d'étançon comportant un tampon d'ancrage dans un mur de béton, mais plutôt fabriquait, vendait ou louait un étançon de compensation ou étançon à double patte décalée, conçu pour être boulonné à un mur ou autre structure, et semble-t-il coulé au préalable dans le mur de béton.

[95]            En l'espèce, les demandeurs se réfèrent à la décision Cabot Safety Intermediate Corp. c. Minnesota Mining and Manufacturing Co., une décision du 27 juin 2000 rendue par le protonotaire Morneau, no du greffe T-385-00. Cette affaire concernait la conception de protège-tympan et en particulier la simple dénégation de divers paragraphes de la déclaration. Les défenderesses faisaient valoir que l'énoncé des faits matériels sur lesquels elles se fondaient pour justifier les dénégations constituerait une interprétation des revendications trouvées dans le brevet. La production de détails avait été ordonnée. Cela s'accorde avec la proposition générale selon laquelle une explication de points pertinents afin de prouver ou réfuter une allégation s'impose : voir la décision Hayden Manufacturing Co. c. Camplas Industries Ltd. (1998) 83 C.P.R. (3d) 19 (C.F.), à la page 21.


[96]            En l'espèce, je m'en rapporte au jugement rendu par le juge Muldoon dans l'affaire Ductmate Industries Inc. c. Exanno Products Ltd. (1983) 75 C.P.R. (2d) 190 (C.F. 1re inst.), à la page 193, un jugement qui rejetait la demande faite par la demanderesse pour que la défenderesse indique, au cours de l'interrogatoire préalable, les éléments de la revendication de la demanderesse qui ne figuraient pas dans le système utilisé par la défenderesse. En l'espèce, j'admets que la défenderesse a présenté des échantillons de ses produits, mettant ainsi les parties en position de faire valoir au procès, eu égard aux renseignements factuels prenant la forme des étançons produits par les deux parties et du brevet détenu par les demandeurs, que le produit de la défenderesse comprend ou ne comprend pas les caractéristiques revendiquées dans le brevet.

[97]            Certes, une explication des points pertinents séparant les parties s'impose en général. Cependant, dans la présente affaire, c'est à un tribunal qu'il appartient de faire la distinction entre revendications essentielles et revendications non essentielles du brevet, par rapport au produit de Clearbrook et, à la suite de cet exercice, de déterminer la protection à laquelle ont droit les demandeurs. Ici, je me référerais à l'analyse intéressante de revendications d'un brevet dans le contexte de clôtures et de bornes, pour établir le champ du monopole selon l'examen qu'en fait la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc. (précité), aux pages 178-179. Il n'est pas nécessaire pour la demanderesse de répondre à la question qui suit immédiatement la question 600. Je passe maintenant aux refus de la défenderesse, qui sont exposés dans la section « C » de la requête des demandeurs.

Refus


[98]            Les refus de diverses questions posées par la défenderesse durant l'interrogatoire, questions que les demandeurs qualifient pour l'essentiel comme des questions relevant du privilège et de l'identité de témoins, sont de loin la catégorie la plus importante traitée dans cette requête par les demandeurs. Ici, l'avocat des demandeurs, comme de raison, ne cherche pas des communications postérieures au début du litige. Toutefois, les demandeurs cherchent ce qu'ils qualifient de faits bruts à propos desquels le témoin peut s'informer.

Privilège

[99]            Plus précisément, la question 216 découle d'une procédure déjà liquidée qui avait fait intervenir Fairwind Construction Products Ltd., Ram Construction Inc. et M. Al Lloyd. M. Schellenberg a reconnu qu'il avait parlé à Fairwind à propos de son système de garde-corps. À la question 216, l'avocat de la défenderesse s'oppose donc à la divulgation de la substance d'une conversation entre M. Schellenberg et un représentant de Fairwind, au motif que les communications avec des tiers, intéressant un autre litige, sont privilégiées.

[100]        Aux questions 222 et 223, l'avocat de la défenderesse adopte la même position pour les discussions entre sa cliente et Ram Construction et entre sa cliente et M. Al Lloyd, dont ni l'un ni l'autre ne sont parties au présent litige, mais qui étaient concernés dans une action engagée par les présents demandeurs et réglée depuis. Ces conversations étaient postérieures au début du présent litige et, alors que l'avocat des demandeurs recherche la divulgation non pas de communications, mais plutôt de renseignements factuels, lesdits renseignements sont, d'après l'avocat de la défenderesse, des renseignements privilégiés. De même, à la question 243, l'avocat de la défenderesse adopte la position selon laquelle le contenu des discussions entre son client et des personnes non parties à la procédure, aux fins du présent litige, est privilégié.


[101]        La position de base des demandeurs est que le privilège des communications dans le cadre d'un procès s'attache aux communications adressées à un avocat ou par un avocat aux fins du litige, mais ne s'applique pas aux faits pertinents qui relèvent de la connaissance d'un témoin, quelle que soit la source de l'information. Assurément, les avis juridiques et les preuves utilisées pour établir des faits juridiques n'ont pas à être divulgués. Cependant, l'avocat des demandeurs dit que l'information factuelle découlant des discussions entre M. Schellenberg et des personnes non parties à l'instance n'est pas privilégiée.

[102]        Comme point de départ à l'appui de cette position, il y a le jugement rendu par le juge Hugessen dans l'affaire Dupont Canada Inc. c. Emballage St-Jean Ltée, [1999] A.C.F. no 1429 (QL), aux paragraphes 3 et 4 :

La demanderesse a toutefois refusé de répondre aux questions en invoquant le privilège des communications dans le cadre d'un procès. Ce privilège est différent du privilège du secret professionnel de l'avocat. Il s'agit à mon avis d'un privilège beaucoup plus restreint que celui qui s'applique aux communications entre un avocat et son client. À mon avis, ce privilège s'applique aux documents transmis à un avocat pour un procès ou en vue d'un procès. Il ne s'applique cependant pas aux faits pertinents dont une partie a eu connaissance, même si ces renseignements peuvent se retrouver également dans les documents générés à l'occasion d'un procès. C'est la communication et non le renseignement communiqué qui est protégé.

Il ne faut par ailleurs pas oublier qu'à l'interrogatoire préalable, c'est, non pas un témoin, mais une partie qui est interrogée et que ce qu'on essaie de savoir, c'est ce qu'elle sait des faits qui sont pertinents et qui sont en litige dans le procès en cause.


En bref, le juge Hugessen circonscrit et limite le privilège des communications dans un procès aux documents transmis à un avocat aux fins du procès ou en prévision du procès. En l'espèce, ce ne sont pas des documents qui sont en cause, mais simplement des faits pertinents, lesquels doivent être communiqués, même s'ils sont relatés dans des documents générés aux fins du litige, dans la mesure où les faits en question relèvent de la connaissance de la partie.

[103]        Dans le même sens, il y a l'arrêt rendu par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'affaire Global Petroleum Corp. v. CBI Industries Inc. (1998) 172 D.L.R. (4th) 689. Dans cette affaire, il y avait eu refus de répondre à des questions, un refus fondé sur le privilège des communications dans un procès, sur le produit du travail des avocats et sur les règles applicables aux dossiers des avocats. On trouve dans l'arrêt Global Petroleum plusieurs passages intéressants, à la page 695 :

[traduction] ... La communication privilégiée elle-même n'a pas à être divulguée et une partie n'est pas non plus tenue de divulguer la preuve qu'elle invoquera pour exposer ses arguments au procès, c'est-à-dire qu'elle n'a pas à divulguer sa stratégie en vue du procès. Cependant, les faits dont les appelants étaient informés et qui se rapportent aux allégations contenues dans leur déclaration -- quelle qu'en soit la source, y compris leurs avocats -- doivent être divulgués. La source n'a pas à l'être.

Il est incontestable que le privilège ne peut être invoqué pour empêcher la divulgation de faits si ces faits sont invoqués par une partie au soutien de ses arguments. Il n'importe pas que le fait ait été découvert par l'entremise de l'avocat ou à raison des directives de l'avocat. S'il est invoqué, il doit être divulgué.

Je ferais observer que, durant l'interrogatoire préalable, l'avocat de la défenderesse n'était pas disposé à dire qu'il ne serait pas allégué que l'un des produits fabriqués par Fairwind constituait une solution de remplacement au produit du demandeur. Je note ici l'idée exposée par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Global Petroleum, selon laquelle, si une partie entend invoquer un fait, elle doit le divulguer.


[104]        Fait intéressant à noter, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, dans l'arrêt Global Petroleum, s'est ensuite référée à un extrait de l'ouvrage Maines and Silver on Solicitor-Client Privilege in Canadian Law, Butterworth, 1993, à la page 32, où les auteurs se réfèrent à la décision rendue par le président Jackett, de la Cour de l'Échiquier, dans l'affaire Susan Hosiery Ltd. c. Ministre du Revenu national [1969] C.T.C. 353, à la page 361 :

[traduction] Qu'il s'agisse d'une lettre adressée à un avocat pour obtenir un avis juridique, ou de l'exposé de faits, dans une forme donnée, à la demande d'un avocat pour utilisation dans un litige, la lettre elle-même ou l'exposé lui-même est privilégié, mais les faits qui y figurent ou les documents d'où les faits en question ont été tirés ne sont pas soustraits à l'interrogatoire préalable lorsque, les faits n'eussent-ils pas figuré dans les documents privilégiés, ils auraient été sujets à interrogatoire préalable.

Et dans le même sens, un autre passage de la décision Susan Hosiery :

[traduction] Ce qui est privilégié, ce sont les communications ou les documents de travail qui ont pour origine le désir d'obtenir un avis juridique... dans un cas, et les pièces établies pour le dossier de l'avocat, dans l'autre. Les faits ou documents dont il se trouve qu'il est fait état dans ces communications ou pièces ne sont pas soustraits à l'interrogatoire préalable lorsque la partie serait par ailleurs tenue de les divulguer.

En résumé, la position des demandeurs est qu'ils recherchent une information purement factuelle auprès du témoin de la défenderesse, M. Schellenberg.

[105]        L'avocat de la défenderesse s'appuie sur l'affidavit de M. Schellenberg, qui évoque une rencontre avec M. Lloyd, de Ram Construction Inc., aux environs de juillet 2000, au cours de laquelle il fut question de la menace de procédures judiciaires résultant des approches et exigences antérieures de M. Letourneau. Par la suite, Clearbrook et Ram Construction Inc. se sont adressées chacune au même avocat pour qu'il les représente dans la procédure introduite contre elles, en octobre 2000.


[106]        L'avocat de la défenderesse se réfère d'abord à la décision Commercial Union Assurance Co. PLC c. M.T. Fishing Co., une décision du 14 janvier 1999 de la Cour fédérale, no du greffe T-248-95, confirmée le 10 juin 1999, no du greffe A-70-99. Dans cette affaire, l'analyse reposait sur le privilège des communications dans un procès, et sur l'objet principal d'une communication, qui, ainsi que le faisait observer le juge Dubé, au paragraphe 6, s'appliquait à une communication faite par une partie avant qu'elle constitue avocat. Dans l'affaire Commercial Union, il y avait eu enquête sur une possible fraude à l'assurance. Puis le juge Dubé avait fait observer que « le moment précis où l'objet principal des communications devient celui de faciliter le déroulement de l'instance est déterminé à la lumière des faits particuliers de l'espèce » (paragraphe 6). Il y a ici divergence entre d'une part l'avis du juge Dubé, confirmé par la Cour d'appel, et d'autre part l'avis exprimé par le juge Hugessen dans la décision Dupont Canada Inc., confirmée (2000) 266 N.R. 366, et l'avis de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Global Petroleum, qui s'appuie sur l'ouvrage de Maines and Silver et sur la décision Susan Hosiery (précitée). Toutefois, tandis que l'avocat de la défenderesse invoquait le privilège des communications dans un procès, pour s'opposer à la question de l'interrogatoire préalable, il a maintenant modifié sa position, en se référant au privilège de l'intérêt commun, et donc, bien que je préfère le point de vue exprimé dans la décision Dupont Canada Inc. (précitée), il ne m'est pas nécessaire de choisir entre deux courants jurisprudentiels quelque peu contradictoires.


[107]        La juge Reed effleure le privilège de l'intérêt commun dans la décision Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (1998) 85 C.P.R. (3d) 30 (C.F. 1re inst.), à la page 33, en définissant le privilège de l'intérêt commun comme le privilège entre un demandeur ou un défendeur et d'autres personnes partageant le même point de vue que lui, qui ont le même intérêt et qui ont consulté des avocats sur le même point, mais qui n'ont pas été jointes comme parties à l'action. La juge Reed s'est référée à l'ouvrage Sopinka on the Law of Evidence, Butterworth, 1992, à la page 669 :

Dans tous ces cas, je crois que les tribunaux devraient, dans le contexte de l'enquête préalable, considérer tous les intéressés comme s'ils étaient des associés d'un même cabinet ou des services d'une même compagnie. Chacun peut se prévaloir du privilège pour défendre sa cause au procès. Chacun peut recueillir des renseignements à l'intention de son avocat ou de celui d'autres personnes. Chacun peut conserver des originaux et faire des copies. Et ainsi de suite. Tous sont visés par le privilège invoqué en vue d'un procès éventuel, même s'il s'avérait par la suite, une fois le procès ouvert, qu'un seul d'entre eux est partie à l'action. Peu importe qu'un d'entre eux ait les originaux et l'autre, les copies. Tous les documents sont protégés.

Dans la décision Pitney Bowes of Canada Ltd. c. Canada (2003) 225 D.L.R. (4th) 747 (C.F. 1re inst.), le juge O'Reilly, à la page 750, considérait le privilège de l'intérêt commun comme un privilège s'attachant à des documents à la date où un litige était envisagé. Ces documents pouvaient être partagés avec d'autres, non parties au litige, mais qui avaient un intérêt commun, et le privilège serait maintenu. De même, dans la décision St. Joseph Corp. c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux) (2002) 218 F.T.R. 41 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 78, la juge Heneghan considérait que le privilège de l'intérêt commun « protège les communications partagées, mais secrètes d'autre part, entre des personnes qui ont un intérêt commun dans un litige anticipé contre la divulgation à la société en général » (page 538). De même, l'avocat de la défenderesse se réfère à l'ouvrage de Maines and Silver (précité), pour la proposition suivante, à la page 65 :

[traduction] Si deux clients qui ont le même intérêt et le même avocat échangent des renseignements en vue d'obtenir un avis juridique, les communications sont privilégiées entre les mains de chacun d'eux à l'égard du monde extérieur.

[108]        Finalement, je mentionnerais la décision UPM-Kymmene Corp. c. Repap Enterprises Inc., [2001] O.J. no 4220 (QL), rendue par la Cour supérieure de l'Ontario, no du greffe 99-CL3536. Se fondant sur l'ouvrage de Maines and Silver (précité) le juge O'Driscoll y exprimait l'avis suivant :

[traduction] Si deux clients qui ont le même intérêt et le même avocat échangent des renseignements en vue d'obtenir un avis juridique, les communications sont privilégiées entre les mains de chacun d'eux à l'égard du monde extérieur.

[109]        Les précédents qui intéressent le privilège de l'intérêt commun sont ambigus, certains d'entre eux se référant aux documents échangés entre des clients ayant un intérêt commun, et d'autres se référant aux communications. C'est là, à mon sens, une distinction qui n'a pas à être faite. Par ailleurs, établir une distinction entre l'information purement factuelle et l'information privilégiée, ce serait en quelque sorte forcer la notion de privilège, car toute l'information, jusqu'à un certain point en tout cas, doit être factuelle. De plus, la notion de communication est large, puisqu'elle englobe le partage de connaissances, la transmission de l'information et l'échange délibéré de pensées ou d'opinions : voir l'arrêt Chmara v. Nguyen [1993] 6 W.W.R. 286 (Cour d'appel du Manitoba), à la page 292, où l'on se réfère à la rubrique « communication » dans le Black's Law Dictionary, 6e édition, 1990. On peut y ajouter la notion selon laquelle, lorsqu'un privilège valide existe, l'information est privilégiée et n'a pas à être divulguée : voir par exemple l'arrêt Smith c. Jones (1999) 169 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.), aux pages 399-400, et aussi, pour une proposition semblable, l'avis dissident du juge Major, aux pages 392 à 397.

[110]        Si l'on analyse dans un contexte légèrement différent cette question du privilège, une demande de communication d'informations factuelles, recherchées par un client en vue principalement d'un litige en instance, donnerait à l'autre partie, si lesdites informations ne sont pas sujettes au privilège, le droit de connaître le contenu du dossier de l'avocat adverse. Pour reprendre les propos du président Jackett dans la décision Susan Hosiery Ltd. (précitée), à la page 34, [traduction] « Si les avocats pouvaient fouiller dans les dossiers les uns des autres au moyen du processus de l'interrogatoire préalable, la simple préparation des dossiers pour l'instruction se transformerait en une regrettable parodie de notre système actuel » . En bref, cela affaiblirait le privilège, et ce serait une mesure rétrograde.


[111]        Manifestement, certains faits ne bénéficient pas du privilège, et ici j'ai à l'esprit l'exemple souvent cité tiré de l'arrêt Lyell v. Kennedy (No. 2) (1883) 9 App. Cas. 81 (C.A.), selon lequel, si une personne a vu la chose même qui n'est pas un fait privilégié, mais que le fait vient du dossier de l'avocat, alors il y a privilège (page 87). Cette notion est reprise et expliquée par le président Jackett dans la décision Susan Hosiery (précitée), à la page 34, par extension du privilège aux communications dont l'existence résulte du désir d'obtenir une assistance juridique, notamment aux documents établis pour le dossier de l'avocat. En bref, est privilégiée l'information qui vient d'une communication privilégiée, en l'occurrence une communication entre clients ayant un même avocat, information qui, ici, doit d'abord servir dans un litige. Les questions 216, 222, 223 et 243 n'appellent donc pas de réponses, sauf pour les noms de témoins et les adresses, qui, d'après ce que je constate, ont maintenant été communiqués à l'avocat des demandeurs.

État antérieur de la technique

[112]        À la question 235, il s'agit de la connaissance que peut avoir quiconque, chez Fairwind ou chez Ram Construction, de l'état antérieur de la technique. Ce point est maintenant théorique, car non seulement le témoin a-t-il indiqué qu'il n'en avait aucune idée, mais aussi il y a eu un interrogatoire considérable de Fairwind et de Ram Construction, par l'avocat des demandeurs, dans l'action connexe.

[113]        Plusieurs domaines et principes du droit, notamment ceux qui concernent la divulgation de l'invention, l'intervention de la Commission des accidents du travail, les déclarations de M. Letourneau à M. Tecklenborg, et les documents relatifs à la forme des ligatures de bobines, ont été examinés dans les présents motifs, dans le contexte de la requête de la défenderesse. J'examinerai d'abord les questions de divulgation de l'invention qui ont été posées par l'avocat des demandeurs.


Allégations de divulgation de l'invention

[114]        Le groupe de questions de cette rubrique, qui ont été posées à M. Schellenberg, renvoie à une série parallèle de questions qui ont été posées à M. Letourneau et que j'ai déjà examinées. J'ai également exposé le droit applicable plus haut dans les présents motifs.

[115]        À la question 373, non désignée dans la transcription, mais à la page 87, ligne 8, l'avocat demande à M. Schellenberg ce qu'il sait de conversations antérieures au 17 août 1997, échangées entre M. Letourneau et les gens de Aggressive Tube Bending. Ici, et aux lignes 20 et 25, qui concernent la connaissance de conversations entre M. Letourneau et d'autres personnes, le témoin répond qu'il n'a aucune connaissance personnelle. C'est là une réponse valide. Je ne vais pas exiger de M. Schellenberg qu'il fouille dans le dossier de son avocat pour produire des réponses. L'avocat a déjà une réponse factuelle à ces questions. Rien d'autre n'est requis.

[116]        Les questions du paragraphe 426, pages 105 et 106, concernent l'information que M. Schellenberg pourrait avoir sur la démonstration publique du fonctionnement du système de M. Letourneau, et les sources de cette information. Ici, le témoin répond d'abord qu'il a obtenu son information en assistant à l'interrogatoire préalable de M. Letourneau, et ensuite qu'il n'a aucune connaissance personnelle qu'il considérerait comme factuelle ou digne de foi. Les réponses n'indiquent pas ce qui peut se trouver dans le dossier de l'avocat. La réponse est suffisante.

[117]        Les questions 501, 543 et 544 cherchent à explorer la connaissance qu'a M. Schellenberg de déclarations faites par M. Letourneau, et l'information que M. Schellenberg a pu obtenir de tiers et qui intéresse la divulgation de l'invention par M. Letourneau. M. Schellenberg précise qu'il n'a lui-même aucune information sur ce qu'a pu dire M. Letourneau à diverses tierces parties. Les questions n'appellent pas d'autres réponses.

Documents de la Commission des accidents du travail

[118]        Aux questions 358 et 359, l'avocat des demandeurs cherche à savoir quelles demandes ont été adressées à la Commission des accidents du travail en vue d'obtenir des documents, des noms et des adresses de personnes de la CAT qui ont fourni tel ou tel renseignement pertinent, et il cherche à savoir si une demande de renseignements a été faite au nom de la défenderesse. Ici, la réponse de M. Schellenberg est qu'aucune demande n'a été adressée à la CAT en vue d'obtenir un renseignement quelconque et qu'il ne croit pas qu'une demande de renseignements lui a été faite en son nom.

[119]        On ne sait pas si l'avocat a pu ou non, aux fins de son dossier, obtenir des renseignements de la CAT. Cependant, l'avocat adopte la position selon laquelle, si des renseignements ont été recueillis aux fins de l'action, ces renseignements sont sacro-saints car ils se trouvent dans le dossier de l'avocat.

[120]        Il y a deux aspects. Le premier concerne les renseignements factuels connus de M. Schellenberg. Il s'agirait de renseignements que M. Schellenberg a recueillis ou a vus par lui-même. Nous avons la réponse de M. Schellenberg : il n'y en a aucun.

[121]        La deuxième catégorie, ici dans la question 358, concerne des noms et adresses de personnes de la CAT qui ont fourni tel ou tel document. Ici, l'avocat des demandeurs invoque de nouveau la décision Dupont Canada Inc., selon laquelle le privilège des communications dans un procès s'attache aux documents, mais ne s'applique pas aux faits dont une partie a connaissance, même si tels renseignements se trouvent dans les documents qui sont privilégiés. En fait, ce qui est pertinent, c'est la connaissance de la partie. Or, M. Schellenberg dit qu'il n'a personnellement aucun renseignement de ce genre.

[122]        L'avocat des demandeurs se réfère aussi à la décision Risi Stone Ltd. c. Groupe Permacon Inc. (1994) 56 C.P.R. (3d) 381 (C.F. 1re inst.), rendue par le juge Nadon (son titre à l'époque), à la page 386. Dans cette affaire, le juge Nadon avait estimé que le témoin aurait dû s'informer en se renseignant auprès de ceux qui travaillaient pour lui, et qu'il aurait dû répondre aux questions concernant les noms et adresses de personnes « dont on pouvait raisonnablement croire qu'ils avaient la connaissance d'un point quelconque soulevé dans l'action » . Toutefois, cette liste ne comprenait que les membres de l'équipe employée par Risi Stone dans les activités de recherche-développement du projet donné.

[123]        Plus à propos est la décision Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc. (1996) 69 C.P.R. (3d) 474, rendue par le juge Rothstein (son titre à l'époque). Ce qui était en cause, dans l'interrogatoire préalable, c'était les noms et les adresses de personnes qui avaient des renseignements se rapportant aux points soulevés. Le juge Rothstein écrivait :

... Je ne suis pas convaincu que les renseignements demandés sont assujettis au privilège des communications liées à une instance. On demande les noms et adresses des personnes qui peuvent posséder des renseignements pertinents au sujet des questions en litige. Selon moi, la question vise à obtenir les noms des personnes qui possèdent des renseignements factuels. Le privilège des communications liées à une instance protégera les renseignements obtenus par un avocat principalement pour les utiliser dans un litige, mais il ne s'applique pas aux noms de témoins des faits même si l'avocat a communiqué avec ces témoins. (Page 476)

Puis le juge Rothstein avait souligné ensuite que la question devait être interprétée d'une manière restrictive pour ceux qui avaient produit des documents spécifiques et des renseignements factuels, à la fois positifs et négatifs, à propos des points soulevés, à l'exclusion des témoins experts.

[124]        En l'espèce, les noms et adresses des témoins qui ont communiqué des renseignements factuels et des documents spécifiques à la défenderesse doivent être communiqués tels qu'ils sont demandés dans une partie de la question 358. Le reste de la question 358 et la question 359 n'appellent pas de réponses.

Déclarations de M. Letourneau à M. Tecklenborg

[125]        Ce sujet est abordé dans la demande reconventionnelle, et il prend la forme d'un discrédit jeté par les demandeurs sur les activités de la défenderesse, et en particulier ce qui suit :


[traduction]

19a)          Le 2 juin 2000 ou vers cette date, Letourneau a fait de telles déclarations à George Tecklenborg, de Teck Construction. En conséquence de ces déclarations, Teck Construction a annulé une commande passée à la demanderesse reconventionnelle;

C'est assez grave, étant donné que la demande reconventionnelle place l'allégation dans le contexte d'une déclaration fausse et trompeuse. Assurément, l'alinéa 181a) des Règles prévoit que l'acte de procédure doit contenir des précisions sur diverses allégations graves, notamment sur les fausses déclarations et les fraudes. Je ne vois aucune fraude dans l'acte de procédure, mais il y est manifestement allégué une déclaration fausse et trompeuse, que j'assimile à une fausse déclaration au sens de l'alinéa 181a) des Règles. Afin que le demandeur puisse adéquatement répondre à la demande reconventionnelle, afin de faire échec à toute embuscade et afin d'éviter une perte de temps pour tous, y compris pour le juge qui présidera l'audience, il doit être répondu à la question 628, pour autant qu'elle concerne la section 19 de la demande reconventionnelle, où sont alléguées des déclarations fausses et trompeuses.

Production de documents additionnels

[126]        Je crois comprendre que la question 361, qui concerne une lettre adressée par Weiler Smith Bowers, en date du 18 juillet 1997, à la Commission des accidents du travail, a été résolue à la satisfaction des parties, et les questions et réponses qui suivent sembleraient même épuiser tout ce que le témoin pourrait dire d'utile.


Validité du brevet Letourneau

[127]        À la question 375, l'avocat des demandeurs se réfère à un plaidoyer de connaissance générale commune, au paragraphe 7 de la défense modifiée. Le paragraphe 7 expose d'une manière assez détaillée ce qui constituerait une information à la fois connue et à la disposition de ceux qui sont versés dans l'art de concevoir des garde-corps, expression qui comprend les rampes de sécurité et les étançons d'appui. Toutefois, le paragraphe 7 concerne le montage d'étançons sur divers matériaux, « y compris le béton » . Je reconnais ici que la connaissance générale commune est habituellement déterminée par les spécialistes et que les parties à un litige n'ont pas à exprimer d'avis sur l'état de la connaissance générale commune : voir par exemple la décision Westinghouse Electric Corp. c. Babcock & Wilcox Industries Ltd. (1987) 14 C.P.R. (3d) 214, aux pages 217-218, confirmée 15 C.P.R. (3d) 447 (C.F. 1re inst.), à la page 449. Le protonotaire adjoint Giles, dans la décision Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc. (1998) 23 C.P.R. (3d) 279, faisait par la suite observer qu'une défense radicale faisant intervenir la connaissance générale commune devrait être circonscrite dans un interrogatoire préalable, car elle peut entraîner une surprise. Toutefois, le témoin dans la présente affaire a donné ensuite ce qui est sans doute la meilleure réponse qu'il fût en mesure de donner. Rien d'autre n'est requis en ce qui concerne la question 375.


[128]        La question 386 concerne un essai de charge effectué sur un prototype d'étançon fabriqué par la défenderesse Clearbrook et soulève la question de l'épaisseur de l'étançon et des queues de cochon soutenant la rampe elle-même. L'avocat de la défenderesse s'y est opposé en invoquant la pertinence. La position de l'avocat du demandeur est que la question est pertinente, car il se peut que Clearbrook se soit fondée sur un étançon préexistant de Letourneau pour déterminer les dimensions de ses propres étançons, et il dit que cela influerait sur l'évidence. Les dimensions pourraient donc être pertinentes. La question 387 est rattachée à la question 985, dans laquelle l'avocat demandait au témoin de Clearbrook si Clearbrook avait un étançon Letourneau à sa disposition lorsqu'elle avait conçu son propre étançon. Là encore, l'évidence est en cause, et aussi le point de savoir si Clearbrook avait besoin de copier l'étançon des demandeurs, ou si elle l'a même copié. La défenderesse n'a pas à répondre à cette question, car la date d'établissement de l'évidence est la date de l'invention, laquelle était antérieure à la fabrication, par la défenderesse, du produit rival, car « la mise au point ultérieure d'un produit prétendument contrefait n'a aucune importance si elle a eu lieu après l'époque pertinente pour évaluer l'évidence » : Hayden Manufacturing Co. c. Camplas Industries Ltd. (1998) 83 C.P.R. (3d) 19, à la page 24, et les précédents qui y sont mentionnés, et Risi Stone Ltd. c. Groupe Permacon Inc. (précité), à la page 387, le juge Nadon exprimant l'avis que les détails et documents se rapportant à la mise au point d'un produit n'étaient pas pertinents dans une action en contrefaçon (page 387). Les questions 387 et 985 n'appellent pas de réponses complémentaires, mais je ferais observer qu'il y a, aux questions 986 et suivantes, une explication raisonnablement complète du choix de dimensions pour l'étançon de Clearbrook.


Contrefaçon du brevet Letourneau

[129]        Les questions 950, 961 et 1006 concernent l'interprétation, par M. Schellenberg, de Clearbrook, d'une lettre adressée à Teck Construction concernant la probabilité de l'introduction d'une procédure de contrefaçon par M. Letourneau, et elles concernent aussi le point de savoir si M. Schellenberg avait indiqué à d'autres si, à son avis, il réussirait à opposer une défense à la présente action, et enfin l'utilisation de la marque de commerce du demandeur dans la description du système que Clearbrook aurait voulu produire.

[130]        Il s'agit au départ de savoir si la question 950 appelle des conjectures ou des suppositions dans la manière dont un document doit être interprété, ce qui est irrégulier, ou s'il convient de demander à l'auteur d'un document comment il interprète une expression, et l'idée qu'il voulait communiquer : voir par exemple Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. (1997) 76 C.P.R. (3d) 488 (C.F. 1re inst.), aux pages 493-494. Je ferai mienne ici la position adoptée par l'avocat de la défenderesse, pour qui le document se passe de commentaires et pour qui il n'appartient pas au témoin de tirer une déduction, raisonnable ou non, sur la question de savoir si l'objet de la lettre était de dire à M. Tecklenborg, de Teck Construction, qu'il n'allait pas valoir la peine, pour les intérêts de M. Letourneau, d'introduire une procédure de contrefaçon. La question 950 n'appelle pas de réponse.


[131]        La question 961 concerne une possible discussion avec quiconque pour savoir si Clearbrook réussirait ou non. Je crois qu'il a été répondu à cette question, en dehors de l'interrogatoire préalable, dans l'affidavit du 30 octobre 2003 de M. Schellenberg, affidavit qui indique, en ses paragraphes 17 et 18, que, abstraction faite de la discussion d'un avis juridique, portant sur les chances de succès, avec le personnel de Clearbrook, ou avec le groupe de défendeurs de Ram Construction, M. Schellenberg ne se souvenait pas d'avoir parlé à quiconque de l'avis juridique relatif aux chances de succès. Par ailleurs, ce que Teck Construction peut comprendre par l'expression « garde-corps » est un exercice spéculatif qui intéresse la manière de voir de quelqu'un d'autre. Les questions 950, 961 et 1006 n'appellent pas d'autres réponses.

Organisation financière de Clearbrook

[132]        En raison de la bifurcation, cet aspect est aujourd'hui théorique.

Identification de témoins

[133]        Ces questions sembleraient avoir été englobées ailleurs et, dans la mesure où elles ne l'ont pas été, elles sont régies par la décision Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc. (précitée), et par l'avis du juge Rothstein selon lequel le privilège ne s'étend pas à la protection des noms de témoins factuels, même si ces témoins ont pu être approchés par l'avocat concerné. Les questions de la catégorie 10, dans la mesure où il n'y a pas été répondu, appellent donc des réponses.


DISPOSITIF

[134]        Il est opportun que les deux témoins de l'interrogatoire préalable se présentent de nouveau pour répondre à des questions selon ce que précisent les présents motifs et les ordonnances qui l'accompagnent, ainsi qu'à toute question valide découlant des réponses données. Comme les témoins habitent dans la région, c'est à leurs propres frais initiaux qu'ils comparaîtront de nouveau.

[135]        Je remercie les avocats pour leurs exposés approfondis. Les dépens seront établis au cours d'une conférence de gestion de l'instance.

       « John A. Hargrave »       

   Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                    T-1864-00

INTITULÉ :                   John Letourneau c. Clearbrook Iron Works Ltd.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 4 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:               LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE DES MOTIFS : LE 14 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Paul Smith                                                         POUR LE DEMANDEUR

Kevin Wright                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul Smith Intellectual Property Law                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver

Davis & Co.                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Vancouver


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