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Date : 19990205


Dossier : IMM-1447-98

Entre :

JOSE GREGORIO QUINTERO MORENO,

MARIELA JOSEFINA PENA QUINTERO,

DIEGO ALBERTO QUINTERO PENA

     Demandeurs

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER :

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision du statut de réfugié, concluant que Jose Gregorio Quintero Moreno (le "demandeur") est exclu de l"application de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu de l"article 1(F)(b) de la Convention et qu"il n"est pas réfugié au sens de la Convention. La décision concluait également que sa femme Mariela Josefina Pena Quintero (la "demanderesse") et que son fils Diego Alberto Quintero Pena, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      Les demandeurs sont des citoyens du Venezuela. En août 1990, le demandeur mâle s"est joint au mouvement politique d"extrême gauche nommé Bandera Roja . Deux fois, le 4 février et le 27 novembre 1992, le demandeur a participé, comme membre du Bandera Roja, aux tentatives de coup d"État perpétrées au Venezuela.

[3]      Lors de la première tentative, le demandeur a chargé une camionnette d"armes afin de les levier aux combattants du Bandera Roja . Suite à la première livraison d"armes, le demandeur et son groupe devaient tenter de prendre le contrôle d"une station de radio afin de permettre au mouvement de diffuser leurs messages.

[4]      Lors de la seconde tentative de coup d"État, le groupe a tenté de prendre contrôle d"une station de télévision. Cependant, lorsque le demandeur est arrivé avec les armes, le combat était déjà amorcé. Ce dernier aurait porté assistance aux personnes blessées lors du combat.

[5]      Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié le 13 juillet 1995 au motif d"une crainte bien-fondée de persécution dans leur pays et ce, en raison des opinions politiques du demandeur.

QUESTIONS EN LITIGE

     1)      Est-ce que le tribunal a commis une erreur lorsqu"il a conclu que la situation politique au Venezuela n"était pas suffisamment oppressive pour justifier les actions du demandeur ?
     2)      Est-ce que la participation du demandeur dans les activités du Bandera Roja durant les tentatives de coup d"État constitue un acte inclu à l"article 1(F)(b) ?
     3)      Est-ce que le tribunal a eu raison d"exclure le demandeur de la Convention suivant l"article 1(F)(b) ou avait-t-il l"obligation de considérer la gravité des offenses et de la comparer avec la possibilité de persécution que subirait le demandeur advenant son retour au Venezuela ?
     4)      Est-ce que le tribunal a commis une erreur en refusant d"accorder le statut de réfugié à la demanderesse ?

ANALYSE

[6]      L"article 1(F)(b) de la Convention se lit comme suit :

1F      Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

b) Qu"elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d"accueil avant d"y être admises comme réfugié.

1F      The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

b) he has committed a serious non-political crime outside the country or refuge prior to his admission to that country as a refugee.


     La proportionnalité entre le crime et la situation politique

[7]      Dans l"affaire Gil c. M.E.I.1, la Cour d"appel fédérale a indiqué que pour déterminer si le crime est " un crime grave de droit commun ", il y a deux volets. Premièrement, le tribunal doit déterminer si les actions n"ont pas été commises pour des raisons personnelles, mais pour un but politique clairement identifiable. Deuxièmement, il faut faire une analyse de la proportionnalité entre la gravité du crime et la situation contre laquelle la personne luttait. Eu égard au premier volet, le tribunal a conclut que compte tenu de la situation d"instabilité politique qui prévalait à l"époque des coups d"état, il existait un contexte politique remettant en question la légitimité des décisions d"un gouvernement au prise avec une crise économique majeure. En conséquence, le tribunal était satisfait que le premier volet du test était rencontré.

[8]      Quant au deuxième volet le tribunal a conclut que la situation ne justifiait pas les actions du demandeur :

Il est impossible, dans ces circonstances, de conclure que le coup d"État était un moyen justifié pour changer la situation au pays en 1992, et que ce moyen effectivement utilisé, qui a entraîné la mort de nombreuses personnes, était proportionné aux difficultés que vivait alors le Venezuela.

[9]      Le tribunal a d"ailleurs constaté que :

Le Venezuela n"était pas dirigé par une dictature où aucun parti politique n"était permis, où aucune élection n"était organisée et où aucune expression de dissidence n"était tolérée. Les élections à la présidence se succédaient depuis déjà plusieurs années. La constitution de 1961 prévoit l"existence d"un sénat et d"un congrès fédéral ainsi que des assemblées législatives dans chacun des états du pays pour lesquelles des élections sont tenues. Les gouverneurs et les maires étaient alors également choisis lors d"élections populaires. Un grand nombre de partis politiques existaient en 1992 et pouvaient présenter des candidats aux élections.

[10]      Compte tenu de la situation qui prévalait au Venezuela, il était raisonnable pour le tribunal de conclure que de participer dans un coup d"État entraînant la mort de nombreuses personnes ne constituait pas un moyen proportionnel et approprié à la situation politique au Venezuela.

     Le demandeur comme leader ou comme participant

[11]      Le demandeur allègue qu"il n"était pas un leader du mouvement Bandera Roja , qu"il n"était pas armé et qu"il n"a pas participé " personnellement et consciemment aux actes de persécutions. "

[12]      Il admet cependant connaître et souscrire d"emblée à l"idéologie et aux moyens utilisés par le Bandera Roja en vue de réaliser leurs objectifs.

[13]      Dans l"affaire Ramirez2 le juge MacGuigan précisait qu"il suffisait de prendre part à l"exécution d"un plan ou d"un complot pour entraîner la responsabilité de tous les actes commis par les personnes en exécution de ce plan. Ainsi, les complices sont visés au même titre que les " leaders " ou acteurs principaux.

[14]      Pour le juge MacGuigan " la complicité dépend essentiellement de l"existence d"une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont. "

[15]      En l"espèce, le demandeur avait clairement exprimé ses intentions communes avec le mouvement Bandera Roja . Comme l"indique le tribunal :

Le revendicateur a clairement exprimé ses opinions politiques à l"effet que l"usage de la violence était nécessaire pour accomplir les desseins du mouvement auquel il appartenait. La participation de son groupe aux coups d"État s"inscrivait alors tout à fait dans la ligne de leur idéologie. Le revendicateur partageait cette opinion et l"a réaffirmée devant le tribunal. ... De plus, le revendicateur a très clairement établi son intention de participer et sa participation à deux tentatives de renversement de gouvernement. [Emphase ajoutée].3

[16]      Il fut chargé de livrer des armes sachant qu"elles seraient utilisées dans un combat armé. Le demandeur a démontré le degré de participation requis pour être un complice.

     La considération du statut de réfugié après avoir déterminer que 1F(b) s"applique

[17]      Le demandeur soumet aussi que le tribunal doit déterminer s"il est un réfugié avant de considérer l"article 1F(b).

[18]      La décision de Gonzalez c. Canada (M.E.I.)4 de la Cour fédérale d"appel indique que le tribunal n"est pas obligé de procéder dans un ordre précis, et qu"ayant déterminé l"exclusion par 1F, il peut terminer l"évaluation :

Dans les arrêts Ramirez c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) et Sivakumar c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), la section du statut de réfugié avait estimé que le demandeur avait établi qu"il craignait avec raison d"être persécuté pour l"un des motifs prévus à la Convention s"il devait retourner dans son pays. Dans l"arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), le tribunal n"avait pas jugé nécessaire de trancher cette question, ayant conclu à l"application de l"exclusion de la section Fa) de l"article premier.

...

L"exclusion de la section Fa) de l"article premier fait, en vertu de la loi, partie intégrante de la définition. Quel que soit par ailleurs le bien-fondé de sa revendication, le demandeur ne peut aucunement être un réfugié au sens de la Convention si l"exclusion s"applique.

À mon avis, l"une ou l"autre voie est exempte d"erreur de droit mais il serait souhaitable, pour des raisons pratiques, que la section du statut de réfugié traite dans sa décision de tous les éléments d"une revendication. [Emphase ajoutée].5

[19]      La Section du statut de réfugié n"a donc pas commis d"erreur en ne poursuivant pas l"évaluation de la revendication après qu"il a déterminé que le demandeur était exclu de la Convention suivant l"alinéa 1F(b).

     La pondération entre les activités du demandeur et la possibilité de persécution

[20]      Le demandeur soumet que le tribunal aurait dû pondérer la nature des crimes et la possibilité de persécution qu"il pourrait subir s"il devait retourner au Venezuela. La Cour fédérale d"appel dans Gonzalez a indiqué qu"un tel exercice n"est pas permis.

À mon avis, rien dans la Loi ne permet à la section du statut de réfugié d"apprécier la sévérité de la persécution potentielle au regard de la gravité de la conduite qui l"a amenée à conclure qu"il s"agissait d"un crime visé par la section Fa) de l"article premier.6

[21]      Dans l"affaire Gil , le juge Hugessen a aussi rejeté cette approche en étendant le principe à l"article 1F(b) :

Je ferai une dernière remarque. Un autre tribunal de la présente Cour a déjà rejeté la prétention de bon nombre d"auteurs voulant que la section Fa) de l"article premier exige un type de critère de proportionnalité qui soupèserait la persécution que risque de subir le demandeur du statut de réfugié en regard de la gravité de son crime. La question de savoir si un critère semblable convient pour l"application de la section Fb) de l"article premier me semble encore plus problématique.7



     La demanderesse

[22]      Quant à la demanderesse, la preuve documentaire révèle que toutes les personnes impliquées dans les coups d"État ont été amnistiées. Il était donc raisonnable de conclure que si elle retournait au Venezuela, elle n"aurait plus de raison de craindre la persécution à cause des activités de son époux.

[23]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24]      Aucun procureur n"a soumis une question à certifier.

     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 février 1999.

__________________

1      [1995] 1 C.F. 508 (C.A.F.).

2      Ramirez c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) [1992] 2 C.F. 306 (C.A.F.).

3      Motifs du tribunal, à la p. 6.

4      [1994] 3 C.F. 646 (C.A.F.).

5      Ibid. aux pp.655 et 657.

6      Ibid.

7      Supra note 1 at 534-35.

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