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Date : 20060310

Dossier : IMM-2338-05

Référence : 2006 CF 320

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

OSMEL ENRIQUE RODRIGUEZ RODRIGUEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision en date du 7 mars 2005 (la décision) par laquelle un agent d'examen des risques avant renvoi (l'agent) a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution ou au risque d'être soumis à la torture ni à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé dans son pays de nationalité.

CONTEXTE

[2]                Le demandeur, Osmel Enrique Rodriguez Rodriguez, citoyen du Venezuela, est né le 10 novembre 1977.

[3]                Il est arrivé au Canada à titre d'étudiant international en 1995 et il y vit depuis lors.

[4]                Depuis l'arrivée au pouvoir de Hugo Chavez en 1998, la scène politique vénézuélienne est très polarisée; les sympathisants de l'opposition et les « Chavistes » se livrent bataille. La tension et la violence n'ont cessé de s'aggraver, faisant naître la crainte d'une guerre civile. Le demandeur et sa famille sont en désaccord avec les politiques et l'idéologie du gouvernement et ils sont réputés être des partisans de l'opposition.

[5]                À l'occasion d'une visite à sa famille en 1999-2000, le demandeur a constaté que le climat politique au Venezuela avait continué à se détériorer. Il a décidé de demeurer au Canada pour y terminer ses études et de ne pas retourner au Venezuela avant que la situation se soit améliorée.

[6]                Après qu'il eut terminé ses études, le demandeur a reçu un téléphone de son père, qui l'engageait vivement à rester au Canada pour des motifs de sécurité et qui lui a fait part des menaces qui avaient été proférées contre lui-même [le père] et sa famille pour le cas où son entreprise participerait à une grève organisée en vue de renverser le gouvernement. La famille du demandeur a dû quitter l'île de Margarita pour aller vivre à Caracas.

[7]                À la suite de cet appel, le demandeur a présenté une demande d'asile qui a été rejetée le 2 février 2004.

[8]                La Section de la protection des réfugiés (la Commission) a conclu que le demandeur n'avait pas démontré le caractère politique des menaces reçues par son père et qu'il avait pas établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté au Venezuela du fait de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social. La Commission a aussi jugé que le demandeur n'avait pas établi qu'il serait exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d'être soumis à la torture.

[9]                Depuis le rejet de sa demande d'asile, le demandeur est actif au Canada au sein de diverses organisations politiques qui s'opposent au gouvernement Chavez et notamment d'un groupe d'opposition de Kingston (Ontario), le Venezuela Libre.

[10]            Le 15 août 2004, le demandeur a pris part à une manifestation qui s'est tenue devant le Consulat général du Venezuela à Montréal. Il a aussi participé activement à la mobilisation de personnes disposées à voter contre le gouvernement vénézuélien dans un référendum qui a eu lieu en 2004.

[11]            Le 13 octobre 2004, le demandeur a présenté une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) au soutien de laquelle il a fourni de nouveaux éléments de preuve; dans sa demande, il a soutenu que, du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social et compte tenu de la réputation politique de sa famille, il serait en danger s'il retournait au Venezuela.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[12]            Le demandeur a présenté trois lettres et des documents postérieurs à la décision de la Commission.

[13]            La première lettre, en date du 20 octobre 2004, provient de Daniel Santamaria, l'organisateur en chef de Venezuela Libre. Son contenu étaye les allégations du demandeur portant que la famille de ce dernier reçoit de nombreuses menaces d'enlèvement et de mort en raison de son opposition au président Chavez, que le demandeur est un membre en vue de Venezuela Libre et qu'il pourrait subir un choc émotif et culturel grave s'il devait retourner au Venezuela.

[14]            La deuxième lettre, en date du 9 novembre 2004, est aussi signée par Daniel Santamaria. M. Santamaria y réitère le rang important qu'occupe le demandeur au sein de Venezuela Libre, la participation de ce dernier dans les activités politiques anti-Chavez au Canada et sa conviction selon laquelle la vie du demandeur pourrait être menacée s'il retournait au Venezuela.

[15]            L'auteur de la troisième lettre, datée du 8 novembre 2004, est le père du demandeur. Il explique que la situation politique s'est aggravée au cours des mois précédents et que la victoire du président Chavez au récent référendum a encore consolidé le pouvoir du président. Il affirme avoir en vain demandé protection aux autorités policières par suite des menaces qu'il a reçues; il a décidé de déménager à Caracas avec sa famille pour des motifs de sécurité. Il prie instamment son fils de demeurer au Canada, parce qu'il serait dangereux qu'il revienne au Venezuela et en raison du chômage endémique qui règne dans le pays.

[16]            L'agent expose dans ses motifs qu'il a examiné le contenu des lettres et que, bien qu'il ne doute pas de l'action politique du demandeur au Canada, [Traduction] « la preuve est insuffisante pour établir de manière convaincante que le demandeur serait menacé » en raison de ses activités politiques au Canada s'il retournait au Venezuela. L'agent note que le demandeur n'a eu aucune activité politique au Venezuela.

[17]            L'agent a aussi conclu que même si le père du demandeur était bien déménagé à Caracas, il n'existait [traduction] « pas suffisamment d'éléments de preuve probants » pour démontrer que celui-ci subissait des difficultés dans cette ville ou que les menaces qui lui avaient été adressées à l'île de Margarita découlaient de ses opinions politiques.

[18]            Le demandeur a également déposé les documents suivants :

(a)                 un article de l'Associated Press en date du 4 mars 2004 faisant état de ce que l'ambassadeur du Venezuela à l'Organisation des Nations Unies avait démissionné en signe de protestation contre les violations des droits de la personne et les menaces à la démocratie dans son pays;

(b)                un rapport d'Amnistie Internationale en date du 4 mars 2004 selon lequel des dirigeants et des sympathisants de l'opposition étaient arrêtés et molestés par la police et la Garde nationale par suite de manifestations de protestation d'envergure contre le gouvernement Chavez au Venezuela;

(c)                 un rapport d'Amnistie Internationale en date du 29 octobre 2004 rapportant que le frère d'un propriétaire de bar à Aragua avait, semble-t-il, été assassiné par des agents de la police de l'État d'Aragua après s'être disputé avec un policier ivre à l'extérieur de l'établissement et que les autorités policières ne prenaient apparemment aucune mesure pour enquêter sur cette affaire. Selon le rapport, on estimait que la famille de la victime courait de grands dangers;

(d)                un rapport de l'Associated Press en date du 11 décembre 2004 selon lequel des modifications au code pénal du Venezuela ont édicté des sanctions plus sévères à l'égard de la diffamation verbale et du libelle diffamatoire, mesures perçues par l'opposition comme une tentative pour réprimer la dissidence;

(e)                 un éditorial du 18 décembre 2004 du Los Angeles Times soutenant que le président Chavez et ses partisans étaient en voie de transformer le Venezuela en une dictature bafouant les valeurs démocratiques et privant les citoyens de l'exercice des droits de la personne.

[19]            L'agent a aussi tenu compte d'un rapport de 2003 du United States Department of State décrivant le piètre bilan du Venezuela en matière de respect des droits de la personne et des valeurs démocratiques. L'agent a néanmoins conclu que même si la preuve documentaire en sa possession montrait que [traduction] « la situation des droits de la personne au Venezuela est loin d'être favorable » , il n'était pas pour autant convaincu que le demandeur serait personnellement visé s'il rentrait au Venezuela. L'agent conclut comme suit l'exposé de ses motifs :

[Traduction]

Après un examen attentif de toute la preuve mise à ma disposition, je conclus qu'il existe moins qu'une simple possibilité que le demandeur soit exposé à la persécution pour l'un des motifs prévus à la Convention. Il est moins que probable qu'il existe des motifs sérieux de croire que le demandeur risque d'être soumis à la torture aux termes de l'alinéa 97(1)a) de la Loi. De même, il est moins que probable que le demandeur soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités conformément au critère énoncé à l'alinéa 97(1)b) de la Loi.

DISPOSITIONS PERTINENTES

[20]            Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

...

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

...

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

QUESTIONS EN LITIGE

[21]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.                   L'agent a-t-il appliqué un critère erroné quant au fardeau de la preuve qui incombait au demandeur?

2.                   Les conclusions de l'agent sont-elles suffisamment motivées?

LA POSITION DES PARTIES

1.                   L'agent a-t-il appliqué un critère erroné quant au fardeau de la preuve qui incombait au demandeur?

Le demandeur

[22]            Le demandeur prétend que l'agent n'a pas appliqué le critère approprié pour décider de l'existence d'une crainte fondée de persécution, à savoir le critère défini par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (CAF).

[23]            L'argument du demandeur repose sur le fait que l'agent, dans ses motifs, a employé les mots « persuade » [persuader] et « convince » [convaincre], mots que le demandeur estime dénoter un fardeau de preuve plus exigeant que le critère applicable. Il invoque à cet effet l'arrêt Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),[1991] A.C.F. no 292 (C.A.F.), dans lequel la Cour d'appel fédérale a annulé une décision de la Commission rejetant une demande d'asile. Le juge Arthur J. Stone y écrit, à la page 7 :

Au surplus, l'emploi du mot « convaincue » , pris dans le contexte du critère objectif, nous autorise à nous demander si la Commission a bien compris ce critère.

[24]            Le demandeur invoque aussi l'arrêt Madelat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (CAF), dans lequel la Cour d'appel fédérale a annulé une décision de la Commission rejetant une demande d'asile pour différents motifs, notamment la question de la norme de preuve. Le juge Mark R. MacGuigan a exposé à la page 1 :

Outre ce qui précède, il y a la remarque de la Commission selon laquelle [traduction] « elle doit être convaincue que la personne en cause a raison de craindre d'être persécutée » [...], qui soulève la question de savoir si la Commission a compris que l'appelante avait un fardeau de preuve limité, comme on l'a statué dans l'arrêt Adjei [...]

            Le défendeur

[25]            Le défendeur soutient que l'agent n'a pas appliqué une norme de preuve plus exigeante que ne l'exige la Loi pour statuer sur les demandes présentées en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

[26]            L'agent a accepté la conclusion de la Commission relativement à la demande fondée sur l'article 96 et n'a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que la preuve n'établissait pas la motivation politique des menaces adressées au père du demandeur.

[27]            Quant à la demande fondée sur l'article 97, le défendeur cite l'arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1, 2005 CAF 1 (QL), et affirme que l'agent a décidé à juste titre qu'il n'avait pas été démontré selon la prépondérance de la preuve qu'il est plus probable que le contraire que le demandeur soit exposé personnellement au risque d'être soumis à la torture, ni que le degré de risque pouvait de fait être qualifié de probable.

2.                   Les conclusions de l'agent sont-elles suffisamment motivées?

Le demandeur

[28]            Le demandeur fait valoir que même si l'agent a fourni quelques motifs à l'appui de sa décision, ces motifs sont trop sommaires et ne proposent pas clairement une appréciation du risque de persécution. Il estime que l'agent s'est contenté de faire état de la teneur de la preuve, ce qui ne peut tenir lieu de motifs suffisants pour étayer ses conclusions.

[29]            Invoquant l'arrêt Northwestern Utilities Ltd. c. Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, le demandeur souligne que des motifs insuffisants peuvent être assimilés à des motifs invalides et il soutient que cette lacune devrait porter atteinte à la validité de la décision en l'espèce.

            Le défendeur

[30]            Le défendeur est d'avis que les motifs de l'agent sont suffisants. Il fait valoir que l'agent a clairement établi un lien entre ses principales conclusions de fait et certains éléments de preuve et qu'il a justifié ses conclusions.

[31]            Pour étayer sa position, le défendeur propose les deux exemples suivants :

(a)                 l'agent a expliqué dans ses motifs que, bien que les lettres de l'organisateur en chef de Venezuela Libre établissent effectivement que le demandeur a pris une part active à des activités politiques au Canada, elles n'indiquent pas que le demandeur a eu des activités politiques au Venezuela;

(b)                l'agent a écrit qu'il acceptait que le père du demandeur était déménagé à Caracas, mais que la lettre du père ne démontrait pas que les problèmes que ce dernier avait subis étaient attribuables à ses opinions politiques.

[32]            Le défendeur conclut en déclarant que les motifs de l'agent sont [traduction] « détaillés et complets » . L'agent a soigneusement examiné et soupesé la preuve, et ses motifs en présentent une appréciation et une analyse détaillées.

ANALYSE

            Le critère applicable

[33]            Le demandeur affirme que l'agent a appliqué un critère erroné pour évaluer si le demandeur craint avec raison d'être persécuté s'il retourne au Venezuela.

[34]            Il attire l'attention de la Cour sur divers passages de la décision de l'agent où celui-ci déclare qu'il n'est pas persuadé ou convaincu par la preuve du demandeur. Il souligne en particulier le passage suivant :

[Traduction]

Le demandeur a eu l'occasion de présenter des éléments de preuve nouveaux qui pourraient me persuader d'arriver à une conclusion différente de celle de la Section de la protection des réfugiés. La preuve ne m'a pas persuadé de tirer une conclusion différente de celle de la Section de la protection des réfugiés.

[35]            Ce passage et d'autres passages où l'agent a employé le mot « persuade » [persuader] ne définissent pas le critère juridique appliqué par l'agent à la nouvelle preuve. L'agent dit tout simplement que la preuve mise à sa disposition n'a pas eu pour effet de le persuader de rendre une décision différente de celle de la Section de la protection des réfugiés. L'agent indique clairement qu'il n'a pas été persuadé de rendre une décision différente parce qu'après avoir appliqué le critère approprié, il ne croit pas qu'il existe un risque de persécution. Dans le paragraphe qui suit immédiatement le passage relevé par le demandeur, il décrit le critère qu'il a appliqué :

[Traduction]

Après un examen attentif de toute la preuve mise à ma disposition, je conclus qu'il existe moins qu'une simple possibilité que le demandeur soit exposé à la persécution pour l'un des motifs prévus à la Convention. Il est moins que probable qu'il existe des motifs sérieux de croire que le demandeur risque d'être soumis à la torture aux termes de l'alinéa 97(1)a) de la Loi. De même, il est moins que probable que le demandeur soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités conformément au critère énoncé à l'alinéa 97(1)b) de la Loi.

[36]            L'avocat du demandeur a déclaré à l'audience qu'il s'agit là d'un énoncé correct du critère applicable et que si l'agent avait effectivement appliqué ce critère, la décision ne pourrait être contestée pour ce motif.

[37]            Si l'on examine le contexte d'ensemble de la décision, il me semble évident que l'agent a appliqué le critère qu'il a énoncé dans le passage reproduit ci-dessus, et que l'emploi du mot « persuade » n'est qu'une façon de dire que la preuve n'est pas suffisante pour satisfaire au fardeau qui incombe au demandeur au regard du critère juridique approprié.

[38]            La Cour d'appel fédérale a eu l'occasion récemment, dans l'affaire Li, précitée, de se prononcer sur la norme de preuve et sur le critère juridique applicable.

[39]            Comme l'a fait remarquer le juge Marshall E. Rothstein dans Li, au paragraphe 10, « il ne faut pas confondre norme de preuve et critère objectif » .

[40]            En ce qui concerne l'article 96, le juge Rothstein rappelle que le juge MacGuigan a énoncé dans l'arrêt Adjei, à la page 682, que « le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution [...] bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire » et il dit :

Le juge McGuigan, J.C.A. a adopté le critère de la « possibilité raisonnable d'être persécuté » comme étant le critère à respecter dans une demande de statut de réfugié au sens de la Convention, c'est-à-dire, il n'est pas nécessaire qu'il y ait une possibilité supérieure à 50 p. 100, mais il faut davantage qu'une possibilité minime.

[41]            Quant au paragraphe 97(1), le juge Rothstein donne les indications suivantes au paragraphe 29 de l'arrêt Li :

Il devient immédiatement apparent que les termes utilisés pour décrire la norme de preuve - la probabilité la plus forte - sont équivalents à ceux qui sont utilisés pour décrire le critère objectif auquel il doit être satisfait afin d'avoir qualité de personne à protéger en vertu de l'alinéa 97(1)a), à savoir, plus probable que le contraire. Même si les termes sont à peu près identiques, il y a deux étapes distinctes. La preuve selon la prépondérance des probabilités est la norme de preuve que le tribunal applique dans l'appréciation d'une preuve afin de tirer ses conclusions de fait. Le critère permettant de déterminer le risque de torture est de savoir, compte tenu des faits dont le tribunal est saisi, si le tribunal est convaincu qu'il est plus probable que le contraire que l'individu serait personnellement soumis à un danger de torture.

[42]            Se fondant sur cette approche, la Cour d'appel fédérale a conclu dans Li que « [l]e degré de risque de torture requis, selon l'expression " motifs sérieux de croire " est que le risque doit être plus probable que le contraire » (paragraphe 36). Elle a aussi conclu que « [l]e degré de risque exigé en vertu de l'alinéa 97(1)b) est le risque plus probable que le contraire » (paragraphe 39).

[43]            Compte tenu de ces principes, il me semble évident que l'agent a appliqué les critères appropriés pour rendre sa décision à l'égard des demandes présentées en vertu des articles 96 et 97 en l'espèce. Il emploie le mot « persuade » pour exprimer en termes familiers sa conclusion selon laquelle, suivant son appréciation des faits mis en preuve, il n'est pas persuadé que le demandeur a satisfait au fardeau de preuve qui lui incombe parce qu'en l'espèce, il existe moins qu'une simple possibilité de risque de persécution et que le risque que le demandeur soit soumis à la torture ou soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités sont moins élevés que la probabilité, selon les faits mis en preuve.

[44]            Même en appliquant la norme de la décision correcte, je ne peux conclure à l'existence d'une erreur donnant lieu à révision sur ce point.

            La suffisance des motifs

[45]            Le second motif invoqué par le demandeur pour contester la décision est l'insuffisance des motifs. À son avis, l'agent s'est contenté de faire l'inventaire de la preuve, ce qui, dit-il, ne peut [traduction] « en droit constituer des motifs suffisants au soutien de l'appréciation de la crainte de persécution du demandeur » .

[46]            J'ai examiné la décision et je conclus que l'agent y fait certes une revue détaillée et précise de la preuve du demandeur. Mais il ne s'arrête pas là. Il explique pourquoi la preuve ne répond pas au degré de risque exigé lorsque l'on applique les critères juridiques appropriés.

[47]            Ainsi, l'agent résume soigneusement les lettres de Venezuela Libre et du père du demandeur. Il résume ensuite avec précision ce que ces lettres prouvent, à savoir que le demandeur a des activités politiques au Canada. Il explique enfin que les activités politiques du demandeur au Canada ne sont pas suffisantes pour répondre au degré de risque prescrit par les articles 96 et 97. Il souligne que les activités politiques au Canada ne peuvent être assimilées aux activités politiques et aux risques que celles-ci comportent au Venezuela. Cet exposé représente plus qu'un simple inventaire de la preuve : il décrit avec précision, à l'intention du demandeur et de la Cour, la façon dont l'agent est parvenu à ses conclusions, quelles sont ces conclusions et pourquoi le degré de risque requis n'existe pas en l'espèce.

[48]            L'agent procède de façon semblable pour le reste de la preuve du demandeur. Ses motifs sont suffisants. Il n'y a pas d'erreur susceptible de révision à cet égard.
ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                   Aucune question n'est certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2338-05

INTITULÉ :                                        OSMEL ENRIQUE RODRIGUEZ RODRIGUEZ c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 10 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Kibondo M. Kilongozi

POUR LE DEMANDEUR

Elizabeth Kikuchi

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kibondo M. Kilongozi

Avocat

75, rue Albert, bureau 509

Ottawa (Ontario)

K1P 5J4

POUR LE DEMANDEUR

Elizabeth Kikuchi

Ministère de la Justice du Canada

Édifice de la Banque du Canada

Tour Est, 12e étage, bureau 1233

234, rue Wellington,

Ottawa (Ontario)

K1A 0H8

POUR LE DÉFENDEUR

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