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Date : 20010214


Dossier : T-266-00

Référence neutre : 2001 CFPI 69

Entre :

     BELL CANADA

     Demanderesse/

     Défenderesse reconventionnelle

     ET

     US WEST, INC.

     UNICAL ENTERPRISES, INC. et

     SONIGEM PRODUCTS INC.

     Défenderesses/

     Demanderesses reconventionnelles

     ET

     SONIGEM PRODUCTS INC.

     Demanderesse dans la mise en cause

     ET

     US WEST, INC. et

     UNICAL ENTERPRISES, INC.

     Mises en cause



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:



[1]      La Cour est saisie en l'espèce d'une requête de la demanderesse (Bell) afin d'obtenir en vertu de l'alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) la radiation de divers paragraphes des défenses et demandes reconventionnelles (pour chaque défenderesse, la défense) déposées séparément par chacune des défenderesses US West, Inc. (US West), Unical Enterprises, Inc. (Unical) et Sonigem Products Inc. (Sonigem). Alternativement, Bell recherche à ce qu'il soit ordonné aux défenderesses de lui fournir des détails plus amples et plus précis sur la majorité des paragraphes visés par ses demandes de radiation.


CONTEXTE

[2]      Bell a intenté une action par laquelle elle allègue que son droit exclusif d'utiliser certaines marques de commerce au Canada, dont la marque BELL, a été violé par les défenderesses qui ont apposé la même marque, ou des marques semblables, sur des équipements téléphoniques vendus au Canada.


[3]      Les défenderesses ont déposé des défenses par lesquelles elles allèguent que la marque BELL n'est plus distinctive de la demanderesse en raison de l'utilisation de la marque par les défenderesses et par des tiers depuis plusieurs années et ce, à la connaissance de Bell.


[4]      De plus, en se portant demanderesses reconventionnelles, US West, Unical et Sonigem réclament des dommages de Bell.

Radiation et demandes de détails: principes applicables

[5]          La possibilité de rechercher la radiation d'un acte de procédure dans le cadre d'une action est prévue à la règle 221.

[6]          Cette règle se lit comme suit:


     221.(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

     (a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,
     (b) is immaterial or redundant,
     (c) is scandalous, frivolous or vexatious,
     (d) may prejudice or delay the fair trial of the action,
     (e) constitutes a departure from a previous pleading, or
     (f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

     (2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

     221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

     a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

     b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

     c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

     d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

     e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

     f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit

enregistré en conséquence.

     (2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

[7]      Cette règle est l'équivalent de la règle 419 des Règles de la Cour fédérale. La jurisprudence élaborée sous cette dernière règle est donc applicable à la règle 221.

[8]      Partant, sous l'alinéa 221(1)a) il se doit d'être clair et patent (voir l'arrêt Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat, [1980] 2 R.C.S. 735, page 740) que les allégués de la défense de chaque défenderesse ne révèlent aucune cause raisonnable de défense ou d'action.

[9]      Par ailleurs, avant de rendre une ordonnance en matière de détails, la Cour doit se demander si une partie dispose de renseignements suffisants pour comprendre la thèse de la partie adverse et préparer une réponse adéquate, qu'il s'agisse d'une défense ou d'une réponse. (Voir Astra Aktiebolag c. Inflazyme Pharmaceuticals Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 178 (C.F. 1re inst.), à la page 184.)

[10]      Dans la décision Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood Agencies Inc. et al. (1979), 43 C.P.R. (2d) 285 (C.F. 1re inst.), à la page 287, le juge Marceau explique dans quelle mesure la partie défenderesse est en droit d'obtenir, à l'étape des plaidoiries, des détails quant à la preuve de la partie demanderesse:

À ce stade préliminaire, un défendeur a le droit d'obtenir tous les détails qui lui permettront de mieux saisir la position du demandeur, de savoir sur quoi se fonde l'action contre lui et de comprendre les faits sur lesquels elle s'appuie, afin de pouvoir répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense, mais il n'a pas le droit d'aller plus loin et d'en demander plus.
[Non souligné dans l'original.]

[11]      Le but d'une requête en détails n'est pas celui d'un interrogatoire au préalable de la partie adverse et, tel qu'exprimé dans l'affaire Embee, supra, le but d'une telle requête n'est pas nécessairement de permettre à la défenderesse de connaître tous les faits sur lesquels l'action est fondée. Dans l'arrêt Quality Goods I.M.D. Inc. v. R.S.M. International Active Wear Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 499 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé de cette Cour, en se référant lui-même à l'affaire Embee, a précisément rappelé cette distinction dans les termes suivants:

     At discovery a party is entitled to be informed of any and every particular which will enable it to prepare its case for trial. However, before the filing of its defence the defendant is only entitled to particulars which are necessary for filing its defence. A request for particulars before defence ought not to be a fishing expedition and in any event is not as broad as discovery.
Citation omise.

ANALYSE

[12]      J'entends procéder suivant les grands thèmes proposés par la demanderesse et toucher sous chacun des thèmes aux défenses des trois défenderesses tant sous l'angle de la radiation que sous celui des détails.

I      Utilisation de la marque Bell par des tierces parties

[13]      Ce thème vise les paragraphes 23, 26 et 38 de la défense de US West et les paragraphes 38 et 45 de la défense de Sonigem.

[14]      Je suis d'avis pour les fins de la présente requête - et les présentes remarques valent également pour le thème II abordé ci-dessous - que les défenses des défenderesses doivent être lues dans leur ensemble et non pas en s'arrêtant ou en se limitant à un seul paragraphe que l'on peut retrouver ici et là dans la défense, le tout tel que plus avant élaboré par les défenderesses dans leurs représentations écrites soumises à l'encontre de la requête.

[15]      Si cet exercice est accompli, il ressort clairement que l'on ne peut conclure qu'il est clair et patent que les paragraphes mentionnés ci-avant ne dévoilent pas une cause raisonnable de défense ou d'action relativement à l'utilisation de la marque Bell par des tierces parties. En conséquence, ces paragraphes ne seront pas radiés.

[16]      Quant à la nécessité pour plus de détails, la demanderesse ne m'a pas convaincu que l'on se devait de conclure que les mêmes paragraphes alliés aux détails additionnels fournis par les défenderesses ne lui permettaient pas de plaider maintenant intelligemment à l'encontre des défenses. Aucun détail additionnel ne sera ordonné quant à ces paragraphes.

II      Allégations d'acquiescement par Bell

[17]      Sous ce thème ce qui est dit aux paragraphes [14] à [16] supra, s'applique mutatis mutandis aux paragraphes 27 et 39 de la défense de US West, aux paragraphes 22, 34, 35, 36, 39 (radiation partielle), 42, 43, 45 et 49 de la défense d'Unical (ainsi qu'à la radiation partielle recherchée au paragraphe 21 de cette défense) et aux paragraphes 36, 40 et 46 de la défense de Sonigem.

[18]      J'ajouterais de plus ici quant aux faits matériels-clés que la demanderesse soutient qu'il lui manque pour pouvoir plaider à l'encontre des défenses - c'est-à-dire essentiellement "qui a dit quoi à qui et quand?" - qu'elle se devait de soumettre en preuve dans le cadre de la présente requête un affidavit établissant la nécessité pour elle d'obtenir ces informations pour fins de plaider et les circonstances qui font qu'elle ne peut elle-même faire enquête à l'interne pour étayer ces aspects. En conséquence, aucun détail additionnel ne sera donc ordonné quant à ces paragraphes.

III      Les dommages allégués par US West et Sonigem

[19]      Ce sont ici les paragraphes 35(g) de la défense de US West et 41(g) de la défense de Sonigem qui sont visés à l'effet que ces paragraphes ne dévoilent aucun fait matériel suffisant pour justifier les montants y réclamés et qu'en conséquence, ces paragraphes doivent être vus comme frivoles, vexatoires et constituant un abus de procédure.

[20]      Lesdits paragraphes se lisent comme suit:

35      The defendant US WEST, plaintiff by counterclaim, claims:
(g)      $100 million in damages, or such amount as may be proved at trial, or by reference following trial, for the violation of subsection 7(a) of the Trade-Marks Act, unlawful interference with economic and contractual relations, injurious falsehood and intimidation.

41      The Defendant SONIGEM, Plaintiff by counterclaim, claims:
(g)      $35,000,000 in damages or such amount as may be proved at trial, or by reference following trial, for the violation of subsection 7(a) of the Trade-Marks Act, unlawful interference with economic and contractual relations, injurious falsehood and intimidation;

[21]      Il m'apparaît clair de l'arrêt International Business Machines Corp. v. Printech Ribbons Inc. (1994), 55 C.P.R. (3d) 337, ainsi que des arrêts y cités, c'est-à-dire les affaires Canadian Olympics Association v. National Gym Clothing (1984), 2 C.P.R. (3d) 145 (F.C.T.D.) et Teknion Furniture Systems v. Artopex Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 504, 56 F.T.R. 204, 35 A.C.W.S. (3d) 390 (T.D.), que des allégations telles celles que l'on retrouve aux paragraphes ci-avant mentionnés n'ont pas, pour les fins de la préparation d'une défense ou d'une réponse, à être explicitées davantage.

[22]      Ceci dispose des demandes de détails.

[23]      Quant à leur radiation - et sous réserve et en conséquence de ce qui sera décidé sous le thème IV ci-dessous - je ne pense pas que l'on puisse à ce stade-ci conclure qu'il est clair et patent que les sommes qu'ils avancent sont vexatoires et abusives. Au terme des plaidoiries des procureurs des parties sur la présente requête, il m'est apparu que la demanderesse s'était fait une idée trop restreinte de la base d'attaque sous-jacente aux chiffres invoqués. Les défenderesses n'ont pas nécessairement l'intention de restreindre leur approche à une question de pertes de royautés ou à une perte de profits sur une base de quelques années. Elles soutiennent que la demanderesse les a "sorties" carrément du marché par ses gestes et elles entendent réclamer la pleine mesure desdits gestes qu'elles jugent fautifs.

[24]      Toutefois en raison de ma conclusion sous le thème IV ci-dessous, la phrase suivante contenue à chacun desdits paragraphes sera rayée:

unlawful interference with economic and contractual relations, injurious falsehood and intimidation;
IV      Absence de juridiction de la Cour

[25]      La demanderesse soutient que cette Cour n'a pas juridiction pour se prononcer quant à diverses déclarations contenues aux défenses des défenderesses. En fait, ces déclarations sont contenues à la partie demande reconventionnelle des défenses. Elles sont donc de la nature d'un "sabre" d'attaque et non simplement soulevées à titre de moyen de défense à une action en matière de propriété intellectuelle. Je considère que la demanderesse a raison sur ce point. Ces déclarations à l'encontre de la demanderesse sont basées sur:

     a)      le fait que les défenderesses sont en droit de vendre leur produit: US West, paragraphe 35(b); Unical, paragraphe 52 C; Sonigem, paragraphe 41(b);
     b)      le délit de "unlawful interference with economic and contractual relations": US West, paragraphes 35(d) et 46; Sonigem, paragraphe 41(d);
     c)      le délit d'"injurious falsehood and intimidation": US West, paragraphes 35(e) et 47; Sonigem, paragraphe 41(e);
     d)      le délit de "disparagement of defendant's business": US West, paragraphe 47;
     e)      le délit d'intention arrêtée d'éliminer du marché les défenderesses: US West, paragraphe 48; Unical, paragraphe 61; Sonigem, paragraphe 56;
     f)      la réclamation de la T.P.S.: US West, paragraphe 35(j); Sonigem, paragraphe 41(j).

[26]      Il m'apparaît clair et évident que les paragraphes des défenses mentionnés aux points a) à e) ci-dessus - qu'ils soient des paragraphes visant une déclaration ou des paragraphes supportant de telles déclarations - visent des conclusions de droit qui n'ont aucun lien avec Loi sur les marques de commerce. Il s'agit de conclusions qui ressortent de la juridiction des tribunaux provinciaux et non des pouvoirs statutaires exprès de cette Cour.

[27]      Les défenderesses reprochent spécifiquement à la demanderesse d'avoir commis l'interdiction contenue à l'alinéa 7a) de cette Loi. Cet alinéa se lit:


     7. Nul ne peut:

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

     7. No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

[28]      Puisque les déclarations visées aux points a) à e) sont érigées en chefs de réclamation séparés c'est qu'elles doivent forcément viser autre chose en addition à l'alinéa 7a) de la Loi. On ne peut donc voir ces réclamations additionnelles comme de simples corollaires à l'alinéa 7a). Pour ces autres chefs, la Cour n'a pas juridiction statutaire et les paragraphes des défenses mentionnés aux points a) à e) seront radiés.

[29]      Conséquemment, la phrase "unlawful interference with economic and contractual relations, injurious falsehood and intimidation" sera rayée des paragraphes 35(g) de la défense de US West et 41(g) de la défense de Sonigem.

[30]      Quant au point f) ci-haut traitant de la T.P.S., les paragraphes des défenses y reliés pourront demeurer puisque ces paragraphes ne peuvent viser plus en bout de ligne que ce qui est autrement octroyable en vertu du droit existant. De plus, il fut affirmé en Cour par les procureurs des défenderesses que cette T.P.S. s'appliquerait aux dépens qui pourraient être octroyés et non aux dommages compensatoires ou exemplaires.

[31]      Puisque le succès sur la présente requête est partagé, il n'y aura pas d'adjudication de dépens à l'une ou l'autre partie.

[32]      Une ordonnance sera émise en conséquence.


Richard Morneau

     protonotaire


MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 14 février 2001

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-266-00

Entre:

BELL CANADA

     Demanderesse/

     Défenderesse reconventionnelle

ET

US WEST, INC.

UNICAL ENTERPRISES, INC. et

SONIGEM PRODUCTS INC.

     Défenderesses/

     Demanderesses reconventionnelles

Et entre:

SONIGEM PRODUCTS INC.

     Demanderesse dans la mise en cause

ET

US WEST, INC. et

UNICAL ENTERPRISES, INC.

     Mises en cause



LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 13 décembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 14 février 2001



ONT COMPARU:


Me David R. Collier

Me Brian Daley

pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle Bell Canada

Me Jim Holloway

pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle US West, Inc.

Me Richard Uditsky


pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles Unical Enterprises, Inc. et Sonigem Products Inc.




PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)

pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle Bell Canada

Baker & McKenzie

Toronto (Ontario)

pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle US West, Inc.

Mendelsohn Rosentzveig Shacter

Montréal (Québec)

pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles Unical Enterprises, Inc. et Sonigem Products Inc.

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