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[TRADUCTION FRANÇAISE]

Date : 19980707

 

Dossier : IMM-3066-97

ENTRE :

  VOLODIMIR GORODISKIY

  demandeur

  et

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

  défendeur

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE MACKAY :

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée le 22 juillet 1997, à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) le 27 juin 1997 par laquelle la CISR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]  L’audition de cette affaire a eu lieu à Toronto, le 23 juin 1998, et la décision a été mise en délibéré. Après examen des arguments présentés à l’audience et du dossier, une ordonnance rejetant la demande pour les motifs énoncés ci-après a été rendue le 25 juin 1998.

Faits

[3]  M. Gorodiskiy est citoyen de l’Ukraine. Il travaillait comme matelot et avait obtenu un emploi grâce à une entreprise ukrainienne qui fournissait des membres d’équipage à d’autres compagnies. Après le versement répété de pots-de-vin à cette entreprise, M. Gorodiskiy a finalement obtenu, en avril 1994, une promesse d’emploi avec une société de transport maritime allemande du nom de Clipper Management. L’employeur ukrainien avait assorti son offre d’une condition finale; il exigeait que M. Gorodiskiy adhère au syndicat de marins d’Odessa (Odessa Seaman Trade Union [OSTU]) et paie une cotisation mensuelle de 50 $ US.

[4]  À son arrivée en Belgique pour commencer son emploi, le demandeur a constaté que les modalités de son contrat d’emploi, quant au salaire, aux heures supplémentaires et aux conditions de travail, n’étaient pas respectées. Il a par la suite été forcé de signer des formulaires en blanc avant de recevoir sa paie, et on l’a menacé de représailles s’il portait plainte.

[5]  En mars 1995, le demandeur a finalement déposé une plainte, par téléphone, auprès de la Fédération syndicale internationale, qui a envoyé un inspecteur qui a arraisonné le navire lorsqu’il était à quai, en Finlande. La société de transport maritime allemande Clipper a dû payer une amende. Le capitaine du navire a alors dit au demandeur d’arrêter de se plaindre, « sinon... ».

[6]  En juin 1995, le demandeur est retourné à Kiev, en Ukraine, pour apprendre que sa mère avait subi une crise cardiaque causée, croyait-il, par le harcèlement dont elle avait été victime de la part d’hommes qui cherchaient à obtenir des renseignements sur le demandeur. Lorsque le demandeur est retourné à Odessa, le syndicat s’est plaint à son sujet à la police qui l’a obligé à signer un document lui interdisant de quitter Odessa. Le récit du demandeur, figurant sur son formulaire de renseignements personnels (FRP), est ainsi rédigé : [traduction]

  ... Le 5 août 1995, j’ai reçu une sommation indiquant que je devais me présenter pour une audience prévue le 15 septembre 1995, pour un crime non spécifié. Je craignais d’être injustement poursuivi et condamné et d’être emprisonné indéfiniment. Je savais que je devais fuir l’Ukraine. En septembre, j’ai obtenu un visa pour le Canada et, le 26 octobre 1995, j’ai pris un vol pour le Canada.

 

  […]

 

  Je n’ai pas cherché à obtenir la protection de l’État pour la fraude dont j’étais victime de la part de la société Ters (mon employeur ukrainien), car je craignais d’être incarcéré ou harcelé par la police pour avoir porté plainte. De plus, étant membre du syndicat OSTU, je ne pouvais contester les pouvoirs ou les pratiques abusives de ce syndicat, car il était dirigé par l’État.

 

  […]

 

  Si j’étais expulsé vers mon pays d’origine, je serais immédiatement arrêté et injustement poursuivi, condamné et incarcéré pour une longue période, pour avoir fui illégalement Odessa en flagrante violation des ordres de la police. Je serais également puni pour avoir dénoncé et critiqué les pratiques d’un syndicat contrôlé et exploité par l’État. Les systèmes judiciaire, syndical et politique de l’Ukraine conspireraient tous pour me faire subir de grandes persécutions, dès mon rapatriement de force.

 

  […]

 

  Je ne pourrais jamais échapper en permanence aux autorités, une fois en Ukraine. En effet, pour obtenir un emploi en Ukraine, tous les citoyens doivent présenter leur propiska, un document équivalant à un permis de résidence et d’autorisation délivré par l’État. Je serais arrêté dès que je présenterais ce document.

La décision de la Section du statut de réfugié

[7]  Le tribunal a entendu les arguments présentés par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, durant l’audience où le demandeur n’était pas représenté et où le tribunal n’était pas secondé par un agent de protection des réfugiés. Bien que, dans sa décision écrite, le tribunal fasse mention d’un tel agent, la transcription de l’audience inclut une déclaration du président de l’audience précisant que [traduction] « le tribunal ne sera pas secondé par un agent de protection des réfugiés aujourd’hui ». Un interprète maîtrisant le russe et l’ukrainien était présent tout au long de l’audience.

[8]  Le tribunal a conclu que les éléments de preuve du demandeur, concernant les événements s’étant produits à bord du navire de son ancien employeur, étaient crédibles. Il a toutefois conclu que la crainte de persécution du demandeur, s’il devait retourner en Ukraine, n’était pas fondée :

 

[traduction] Le tribunal ne croit pas que les autorités gouvernementales, ou quiconque, cherchent à persécuter le demandeur et, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés, il ne peut être établi que la crainte de persécution du demandeur soit fondée s’il devait retourner en Ukraine.

 

[9]  Le tribunal a formulé les motifs de sa décision en ces termes :

 

[traduction] [...] le tribunal ne croit pas que le demandeur ait participé à quelque action qui l’exposerait à la persécution. Le demandeur est retourné en Ukraine après la saisie du navire et le paiement d’une amende par son employeur. Peu après son retour en Ukraine, le demandeur a reçu trois sommations consécutives par la poste en provenance du tribunal populaire d’Odessa, dans lesquelles le demandeur était convoqué au tribunal à titre de partie demanderesse dans une affaire criminelle concernant la violation, par l’ancien employeur du demandeur, de l’article 19 du contrat de travail (Labor Agreement) passé entre l’employeur et le demandeur. Le tribunal a fait remarquer au demandeur que les avis (sommations) ne sont pas des accusations portées contre lui. Il s’agit simplement de documents signifiants que le demandeur devait se présenter devant le tribunal pour présenter son témoignage concernant l’infraction commise par son ancien employeur. Rien, dans ces sommations, n’indique que le syndicat d’Odessa est impliqué ou qu’il est un défendeur. Ces sommations demandent simplement au demandeur de se présenter pour discuter de la question de la violation, par l’employeur, de l’article 19 du contrat de travail. Il est donc raisonnable de croire que l’État a instauré des procédures judiciaires normales pour examiner les allégations d’actes répréhensibles formulées par le demandeur à l’endroit de son ancien employeur. L’État ne cherche pas à accuser ou à poursuivre le demandeur. Lorsque les documents ont été traduits et que l’objet réel de ces documents a ensuite été expliqué au demandeur, ce dernier a répondu « Je ne sais pas – je n’y étais pas et je ne connais pas les procédures ». Par conséquent, la crainte du demandeur d’être injustement poursuivi, condamné et incarcéré pour une période indéterminée n’est que pure spéculation de sa part. Aucune importance ne peut donc être accordée à cet élément de preuve, sur ce point.

 

L’argument du demandeur

[10]  Lorsque l’affaire a été entendue, l’avocat du demandeur a décrit la procédure inhabituelle suivie par le tribunal durant l’audience, le demandeur se représentant seul, sans avocat ni autre conseiller, et sans la présence d’un agent de protection des réfugiés. Les questions posées au demandeur l’ont été directement par les membres du tribunal, ce qui a créé une certaine confusion dans l’esprit du demandeur.

[11]  Dans son affidavit déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur souligne ce point et, plus précisément, sa confusion lorsque le tribunal a demandé à l’interprète de traduire les trois sommations que le demandeur avait présentées, puis a expliqué au demandeur le but de ces sommations, comme s’il était incapable de lire les originaux rédigés dans sa langue maternelle.

[12]  Il est possible que la procédure ait été inhabituelle; cependant, le tribunal de la Section du statut de réfugié est généralement habilité à établir ses propres procédures pour la tenue d’une audience, à condition que ces procédures respectent les principes de justice naturelle et d’équité. Aucune circonstance particulière du processus d’audience ne peut être contestée en invoquant une iniquité sur le plan procédural ou la violation de quelque principe de justice naturelle applicable. De plus, vers la fin de l’audience, le demandeur a été invité à ajouter ou à formuler tout commentaire qu’il souhaitait en lien avec sa demande d’asile. Il n’a alors exprimé aucune préoccupation au sujet du processus, ses commentaires se résumant à reconnaître et à remercier le tribunal et les autres personnes qui l’avaient aidé à se préparer ainsi que durant l’audience.

[13]  Il convient de souligner que, d’après le dossier du tribunal, y compris la transcription de l’audience, tous les éléments de preuve documentaire sur la situation en Ukraine, que l’agent de protection des réfugiés a rassemblés à l’intention du tribunal, ont été communiqués au demandeur avant l’audience. Le tribunal avait également le formulaire de renseignements personnels du demandeur, une copie de son passeport et des trois sommations que le demandeur avait reçues avant de quitter l’Ukraine, ainsi qu’une copie d’un rapport d’Amnistie internationale daté du 3 décembre 1996 et portant vraisemblablement sur l’Ukraine. Bref, le tribunal avait en sa possession tous les éléments de preuve documentaire réunis à son intention, ainsi que tous les éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur, comme c’est le cas habituellement.

Analyse

[14]  Dans sa décision, le tribunal note ce qui suit :

 

[traduction] Le demandeur base sa demande d’asile sur une crainte fondée de persécution en Ukraine, au motif que les autorités vont l’incarcérer parce qu’il a formulé une plainte contre le syndicat des marins d’Odessa (OSTU).

 

[15]  Dans son affidavit déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir que le tribunal n’a tout simplement pas compris les interrelations entre l’État, la police, la corruption profondément ancrée et les employeurs en Ukraine, bon nombre avec, ou sous la présidence, d’anciens membres du KGB, ni les mesures qui peuvent être prises pour endiguer toute protestation.

[16]  Que le tribunal ait ou non parfaitement compris la situation en Ukraine n’a de l’importance que dans la mesure où les éléments de preuve qui lui ont été présentés décrivent cette situation. En d’autres termes, les éléments de preuve sur lesquels le tribunal doit se baser pour déterminer s’il existe un fondement objectif corroborant la crainte de persécution alléguée par le demandeur sont essentiellement les éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[17]  En l’espèce, les éléments de preuve documentaire présentés au tribunal montrent l’existence de corruption et de violations des droits de la personne en Ukraine. En revanche, ils ne fournissent aucune preuve indiquant que les personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur, à savoir être convoqué devant un tribunal chargé de faire enquête sur des actes répréhensibles qui auraient été commis par des personnes autres que le demandeur, courent un risque de persécution. Je constate que, dans l’une des sommations, le demandeur est mentionné à titre de « défendeur ». Cependant, cette sommation, comme les autres, semble porter sur le contrat de travail et on ne peut, de prime abord, l’interpréter comme signifiant que le demandeur est poursuivi pour une infraction criminelle. Il est possible que le demandeur craigne que les sommations qui lui ont été délivrées ne soient en fait qu’un prétexte. Cette notion n’est toutefois pas corroborée par les éléments de preuve documentaire qui ont été présentés par le demandeur ou dont le tribunal a été saisi.

[18]  Le tribunal note que la réponse fournie par le demandeur, lorsqu’on lui a expliqué le but des sommations, semblait indiquer que c’est ce qu’il avait compris. Le demandeur n’a pas protesté alors contre l’incompréhension, par le tribunal, des procédures auxquelles il avait été convoqué ou des risques auxquels il serait, selon lui, exposé s’il donnait suite aux sommations. Il a dit au contraire qu’il ne savait pas et qu’il ne connaissait pas les procédures.

[19]  À la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés, le tribunal pouvait conclure, comme il l’a fait, que le demandeur n’a pu établir le fondement objectif de sa crainte de persécution, et donc que sa crainte n’était pas fondée.

[20]  Comme je ne suis pas convaincu que le tribunal ait commis une erreur, je rends une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire et la demande d’ordonnance annulant la décision contestée.

[21]  L’avocat n’a pas proposé de question grave de portée générale à certifier conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration, et aucune question n’est certifiée.

 

  Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 7 juillet 1998

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