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Date : 20200507


Dossier : T-1438-17

Référence : 2020 CF 598

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2020

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

CAPITAINE ÉLIANE ROBERT

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Capitaine Éliane Robert conteste devant cette Cour le résultat du grief qu’elle a présenté relativement à sa date de promotion au grade de capitaine dans les Forces armées canadiennes. Cette contestation prend la forme d’une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le Chef d’état-major des forces armées. Il s’agit du palier ultime où un grief peut se retrouver pour disposition. Il s’agit donc de la décision dont on demande le contrôle judiciaire.

I.  Les faits

[2]  Une fois élaguée de dates plus ou moins utiles et d’acronymes qui se multiplient, cette affaire consiste à appliquer à différentes dates en cours d’une carrière militaire la règlementation et les directives appropriées afin de déterminer si la date de promotion au grade de capitaine est adéquate. La demanderesse s’est enrôlée dans les Forces armées canadiennes le 18 décembre 2007. Elle a choisi lors de son enrôlement le métier de pilote. Elle a complété sa qualification militaire de base des officiers (QMBO) entre le 7 janvier 2008 et le 25 avril 2008. Du 5 août 2008 au 5 juin 2009, la Capitaine Robert a suivi une formation de perfectionnement pour sa langue seconde. Le dossier n’est pas clair au sujet de son affectation après la fin de sa formation linguistique, mais on comprend qu’elle a été affectée à la 1re Division aérienne à Winnipeg.

[3]  Vu la difficulté de pouvoir recevoir la formation requise pour être pilote, la Capitaine Robert a demandé à être mutée dans un autre métier militaire. Elle aura cru qu’étant déjà détentrice d’un baccalauréat en Sciences de l’orientation obtenu à l’Université Laval, une mutation dans un poste qui était désigné comme étant de sélection du personnel (S PERS) serait appropriée. Son vœu a été exaucé. Cette mutation prenait effet le 18 mai 2010 et la Capitaine Robert était promue le même jour au grade de lieutenant.

[4]  Entre le 18 mai 2010 et le début de sa qualification militaire de base des officiers, le 7 janvier 2008, la Capitaine Robert occupait le grade de sous-lieutenant. Elle bénéficiait donc d’une promotion le jour de sa mutation, le 18 mai 2010. Elle était mutée à la Base des Forces armées à Valcartier en août 2010.

[5]  La demanderesse a complété sa formation militaire obligatoire pour le poste de sélection du personnel de septembre 2010 au 30 juin 2011 (qualification de base pour S PERS). On en sait peu au sujet de cette formation. À l’évidence, une formation était requise pour l’obtention de la qualification de groupe professionnel lorsque la demanderesse passe du groupe professionnel militaire de pilote à celui de sélection du personnel, son nouveau groupe auquel elle a demandé une mutation. Cette formation aura duré neuf mois. Cette formation de base permettait à la demanderesse d’atteindre le niveau fonctionnel pour son nouvel emploi militaire. La documentation requise pour attester de la réussite de la qualification de base était complétée le 8 août 2011.

[6]  Du fait de sa promotion au grade de lieutenant le 18 mai 2010, cela permettait à la Capitaine Robert d’entrer dans ce que le monde militaire appelle la zone de promotion au grade de capitaine trois ans plus tard, soit le 18 mai 2013. Cela veut dire que la personne qui entre dans une telle zone de promotion peut être promue à compter de cette date au grade supérieur immédiat, ce qui en l’espèce est le grade de capitaine. L’on passe du grade de lieutenant à celui de capitaine dans la branche des Forces armées dans laquelle la demanderesse s’était enrôlée.

[7]  Comme indiqué plus haut, la Capitaine Robert conteste sa date d’entrée dans la zone de promotion (EZP). Elle prétend maintenant que sa promotion aurait dû être à une date autre que celle du 18 mai 2013; le grief parlait de la date du 30 juin 2011, date à laquelle sa formation militaire obligatoire pour le poste de sélection du personnel a été complétée. C’est donc la date de référence en l’espèce puisque c’est la date sur laquelle le grief est fondé. D’autres dates évoquées plus tard sont sans pertinence. Une cour de révision, sur contrôle judiciaire, joue un rôle qui diffère de celui du tribunal administratif et ne considère que la légalité de la décision rendue. Elle ne saurait considérer des changements à la thèse d’un demandeur, changements qui n’étaient pas devant le tribunal administratif dont la décision est révisée, parce que la cour de révision examinerait alors à nouveau le mérite du grief (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 479 NR 189).

II.  Grief

[8]  Le grief dans cette affaire a été déposé par la Capitaine Robert le 20 août 2013. Il était intitulé « Demande de révision date d’entrée dans la zone promotion au grade capitaine ». La demanderesse demande dans son grief que sa date de promotion soit changée pour être fixée au 30 juin 2011, plutôt qu’au 18 mai 2013. On peut lire à la page 1 du grief (dossier certifié du tribunal, p. 474) : « Selon les calculs effectués en novembre 2011, ma date de promotion aurait dû être effective en date du 30 juin 2011 plutôt qu’en mai 2013 ». Les trois pages suivantes présentent le cheminement de carrière de la Capitaine Robert où on peut lire que « (J)’ai finalement effectué mon cours de formation S PERS du 14 sep au 26 oct 2010 et complété ma qualification en juin 2011 ». Comme indiqué plus haut, la qualification de base pour S PERS a été complétée le 30 juin 2011. Il semble donc que la Capitaine Robert faisait coïncider, dans son grief, sa promotion au grade de capitaine à la date où elle a complété sa formation de base dans son nouveau métier militaire.

[9]  Par la suite, le grief réfère aux Règles régissant la remise du brevet et les promotions – officier – forces régulières. Il s’agit des ordonnances administratives des Forces canadiennes et celle dont il est question dans cette affaire est la OAFC 11-6 (Ordonnances administratives des Forces canadiennes), adoptée en vertu de l’article 11.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Il s’agit du document qui s’applique pour déterminer des promotions des officiers de la force régulière. Personne ne semble contester que l’OAFC 11-6 est au centre de cette affaire. Une bonne partie de l’argumentaire de la demanderesse cherche d’ailleurs appui sur les dispositions particulières qu’on y retrouve. C’est que la Capitaine Robert a une interprétation qui diffère sensiblement de ce que les décideurs militaires ont convenu.

[10]  La Capitaine Robert a référé à une série de dispositions dans son grief du 20 août 2013. Il s’agit des articles 14, 29, 30, 31, ainsi qu’à différents articles se trouvant à l’annexe A dudit OAFC 11-6. Des extraits des articles 2, 15, 16, 17, 18 et 20 sont présentés. Je note que seulement des parties d’article sont souvent citées, mais de manière beaucoup plus significative, il n’y a au grief aucune explication détaillée de ce qu’est la démonstration que la Capitaine Robert veut faire pour soutenir que sa date de promotion à capitaine aurait dû être le 30 juin 2011.

[11]  Pour seule explication, on trouve ceci :

6. [...] mon ancienneté aurait dû être calculée à compter de ma date d’enrôlement puisque selon la directive tout officier QGP [qualification de groupe professionnel] conserve son ancienneté dans son grade lorsqu’il passe d’un GPM [groupe professionnel] à un autre. Or, puisqu’il s’agit d’une demande de réaffectation volontaire, mon ancienneté de plus de 2 ans aurait dû être reconnue au moment où j’ai obtenu ma qualification comme OSP [officier de sélection personnel].

7. Par conséquent, puisque j’avais les qualifications requises pour transférer de GPM et que mon transfert de métier n’est pas en raison d’un échec, mon ancienneté aurait dû être considérée et ma date EZP modifiée en conséquence pour être conforme aux directives de l’ORFC [sic] 11-6. C’est pourquoi, à la lumière des informations soumises dans ce présent grief que je demande de régler ce dossier qui aurait dû faire l’objet d’une révision en juin 2011. [...]

Comme on le verra, cet argument procède d’une lecture tronquée de l’OAFC 11-6. En fin de compte, on croit comprendre que la demanderesse disait être éligible au grade de capitaine le jour où sa formation pour devenir agent de sélection du personnel (sa formation de base) était complétée, plutôt que trois ans après avoir acquis le grade de lieutenant, le 18 mai 2010 (menant son éligibilité au 18 mai 2013, et non au 30 juin 2011).

[12]  L’explication donnée au grief n’est pas limpide et le factum de la demanderesse ne l’est pas davantage. Lors de l’audience, l’avocat de la demanderesse n’a toujours pas été en mesure d’éclairer la Cour sur sa thèse. Des notes supplémentaires ont donc été demandées aux parties aux fins d’expliquer leurs prétentions respectives. Elles ont été reçues en octobre 2019.

III.  Réponses au grief

[13]  Le grief est soumis à deux autorités au sein des forces armées. Dans un premier temps, il sera traité, et recevra une réponse de l’autorité initiale (AI). Dans ce cas, c’est le brigadier général Joyce qui constituait l’autorité initiale relativement aux griefs relatifs aux carrières militaires. Il était le directeur général – carrières militaires.

A.  L’autorité initiale

[14]  L’AI indique d’entrée de jeu que le grief porte sur une date de promotion qui, au dire de la demanderesse, devrait être le 30 juin 2011. Ayant étudié tous les aspects du grief qui a été soumis, l’AI conclut qu’il n’y a pas lieu de modifier en principe la date de promotion du 18 mai 2013. Il faut trois ans dans un grade pour devenir éligible à une promotion au grade supérieur; la Capitaine Robert avait été promue au grade de lieutenant le 18 mai 2010. Par ailleurs, l’AI a considéré que, en vertu de l’annexe B, Appendice 1 de l’OAFC 11-6, la demanderesse aurait dû être créditée d’une période de 110 jours, correspondant à la période passée pour obtenir sa qualification militaire de base des officiers (7 janvier au 25 avril 2008). Cela fait passer la date de promotion du 18 mai 2013 au 28 janvier 2013.

[15]  L’AI déclare que l’article 31 de l’OAFC 11-6 ne peut s’appliquer au cas de la demanderesse, comme elle le prétendait. Cet article s’applique au cas de l’officier qui passe d’un groupe professionnel militaire à un autre alors qu’il possède déjà la qualification de groupe professionnel voulu. La demanderesse ne rencontre pas cette condition. Le Brigadier général note à sa décision que la Capitaine Robert n’a complété sa qualification de groupe professionnel que le 30 juin 2011, ce qui démontrerait qu’elle ne possédait pas déjà la qualification de groupe professionnel pour joindre son nouveau groupe professionnel militaire (relatif à l’occupation de sélection du personnel). La Capitaine Robert avait aussi soulevé son obtention d’une maîtrise qu’elle disait être reliée à son nouvel emploi militaire. Des études subséquentes pour l’obtention d’une maîtrise ne sont pas créditées parce que lesdites études ne sont pas reliées à l’occupation de la demanderesse. L’autorité initiale réfère à l’annexe B de l’OAFC 11-6 où il est prévu qu’une année ou deux peuvent être créditées en tenant compte « de la pertinence du diplôme dans les circonstances ». Un tableau des diplômes jugés acceptables en l’espèce établissait que les maîtrises en psychologie, en relations industrielles ou en sociologie se qualifiaient. Le diplôme en développement organisationnel sur lequel la demanderesse avait travaillé n’était pas un diplôme pertinent puisqu’il relève, selon le Brigadier général, de l’administration publique. Il en résulte que, au final, la date d’entrée dans la zone de promotion (EZP), une fois créditée une période de 110 jours, est fixée au 28 janvier 2013 plutôt qu’au 18 mai 2013, tel qu’originellement décidé.

B.  L’autorité de dernière instance

[16]  L’affaire était portée au second palier, que l’on désigne comme l’Autorité de dernière instance (ADI). En vertu de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch N-5, il est prévu que « le Chef d’état-major de la défense est l’autorité de dernière instance en matière de grief. Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il agit avec célérité et sans formalisme » (art. 29.11).

[17]  C’est évidemment de cette décision dont on recherche le contrôle judiciaire. La décision est rendue le 17 août 2017. On y apprend que le grief a fait l’objet d’un renvoi discrétionnaire devant un Comité externe d’examen des griefs (en vertu de l’article 7.20 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes). Le décideur (le Chef d’état-major délègue l’autorité de dernière instance en ces matières au Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC)) indique avoir revu le dossier, y compris les conclusions et recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires et les observations faites par la Capitaine Robert tout au cours du processus. Il semble y en avoir eu un certain nombre, ce qui n’a pas eu l’heur de clarifier les choses. Le Comité externe avait recommandé le rejet du grief, mais l’examen de novo de l’ADI lui fait conclure qu’une période supplémentaire devrait être créditée à la Capitaine Robert. En effet, il fait maintenant passer la zone de promotion du 18 mai 2013 au 8 mars 2012. La décision explique comment il en arrive à ce résultat.

[18]  L’ADI fait une chronologie détaillée des étapes de la carrière de la Capitaine Robert. Il identifie ce qui, je crois, est au cœur du litige devant la Cour.

[19]  En effet, l’ADI est en désaccord avec la prétention de la demanderesse qu’elle était qualifiée pour la profession de S PERS dès sa mutation [ou enrôlement], l’argument étant que son baccalauréat en sciences de l’orientation constituait la qualification préalable. Ainsi, la Capitaine Robert n’était pas qualifiée « S PERS »; elle ne l’est devenue que lorsque la formation de base a été complétée le 30 juin 2011 (elle avait commencé le 14 septembre 2010). Elle ne recevait la qualification de groupe professionnel qu’à cette date. Tout argumentaire fondé sur la notion que la demanderesse avait déjà la qualification de groupe professionnel est donc basé sur une prémisse erronée, dit l’ADI.

[20]  Partant de là, l’ADI se dit d’accord avec l’Autorité initiale pour créditer à la Capitaine Robert 110 jours en reconnaissance de sa formation en qualification militaire de base officier, soit la période du 7 janvier 2008 au 25 avril 2008. Mais la période en formation en langue seconde n’avait pas, elle, été créditée. Reconnaissant qu’il ne s’agit pas d’une formation préalable spécifique au métier militaire choisi (profession S PERS), l’ADI note que la Directive et ordonnance administrative de la défense 5039-7 (Éducation et formation en seconde langue officielle pour les militaires) encourage ce perfectionnement et que telle compétence est universelle à toutes les professions militaires. L’ADI conclut donc que toute la période passée en formation linguistique sera créditée, soit un total de 326 jours, qui viennent s’ajouter au 110 jours crédités pour la formation de base.

[21]  C’est ainsi que la date initiale du 18 mai 2010, date où la Capitaine Robert a été promue au grade de lieutenant, devient le 8 mars 2009. Il en résulte que la date d’éligibilité pour passer au grade supérieur de capitaine devenait le 8 mars 2012, et non le 18 mai 2013. Mais elle ne sera pas celle du 30 juin 2011. Grâce aux ajustements faits, la promotion au grade de lieutenant passait rétroactivement du 18 mai 2010 au 8 mars 2009. La période de trois ans dans un grade commençait à cette date.

IV.  Argument et analyse du grief

[22]  Il n’a pas été simple de tenter de cerner l’argument fait par la demanderesse parce que les dates pertinentes changent au fil de l’argument. En fin de compte, il procède d’une lecture erronée, dit l’ADI, des Règles régissant la remise du brevet et les promotions dans les Ordonnances administratives des Forces canadiennes. La vraie question sur contrôle judiciaire est de déterminer si la décision prise sur grief constitue une décision légale selon la bonne norme de contrôle (Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, 472 NR 171 [Delios]). Il faut donc revenir aux textes pertinents pour voir si la décision prise satisfait à la norme de contrôle appropriée. C’est la OAFC 11-6 qui est à la base de l’argumentaire de la demanderesse, et en particulier les articles 29, 30 et 31. La demanderesse se réclame de l’article 31. L’ADI parle plutôt de l’article 30 comme étant celui qui s’applique au cas de la demanderesse. Je les reproduis d’entrée de jeu :

PROMOTION À LA SUITE D'UN CHANGEMENT DE GPM

PROMOTION ON MOC TRANSFER

29. Tout officier QGP conserve l'ancienneté dans son grade lorsqu'il passe d'un GPM à un autre, sauf pour ce qui est de l'établissement de la date à laquelle il entrera dans la zone de promotion. Le DACO détermine la date d'entrée dans la zone de promotion selon les modalités prévues aux paragraphes 30 et 31 ci-après.

29. A MOC qualified officer will retain seniority in rank when transferred from one MOC to another, except for the purpose of determining when an officer enters the promotion zone. DPCAO will adjust the EPZ date based on paragraphs 30 and 31.

30. Lorsqu'un officier est tenu de recevoir de l'instruction en prévision de son passage à un autre GPM, sa situation est la suivante:

30. When an officer is required to undergo training for transfer to another MOC promotion status is as follows:

a. un sous-lieutenant demeure admissible à une promotion au grade de lieutenant en conformité avec l'annexe A ou B; et

a. a second-lieutenant remains eligible for promotion to lieutenant in accordance with Annex A or B; and

b. tout officier, autre qu'un participant au Programs de formation - Dentistes militaires (PFDM), au Programme de formation - Médecins militaires (PFMM) et au Programme de formation - Avocats militaires (PFAM) du grade de lieutenant ou d'un grade supérieur:

b. an officer, other than those officers governed by Military Dental Training Plan (MDTP),  Military Medical Training Plan (MMTP) and Military Legal Training Plan (MLTP) in the rank of Lieutenant or above will -

(1) demeure admissible à une promotion dans son GPM actuel jusqu'à la date effective de sa mutation;

(1) remain eligible for promotion in the officer's current MOC until the effective date of transfer, and

(2) après sa date effective de mutation et s'il est admissible à une promotion en conformité avec l'alinéa 4, sa candidature sera analysée par le premier conseil de promotion au mérite du GPM auquel appartient cet officier qui se réunira après:

(2) subsequent to the effective date of transfer if eligible for promotion in accordance with paragraph 4, be considered for promotion by the first merit board assessing officers' in the officer's new MOC which convenes after -

(a) que ce dernier aura terminé avec succès l'instruction lui permettant de répondre aux exigences de son nouveau GPM;

(a) the successful completion of MOC qualification training in the new MOC, and

(b) la présentation d’un RAP fondé sur son rendement dans son nouveau GPM;

(b) the submission of a PER based on the officer's performance in the new MOC, and

c. tout officier participant au PME-DENT, au PMEM et au PMED n'est pas admissible à une promotion tant qu'il n'a pas terminé la formation lui permettant de passer à un nouveau GPM.

c. an office; governed by MDTP, MLTP, and MMTP is not eligible for promotion while undergoing training for transfer to a new MOC and will remain ineligible for promotion until the cessation of training.

31. Lorsqu'un officier passé à un GPM dont il possède déjà la QGP, sa date d'entrée dans la zone de promotion est redressée afin que son nom puisse être inscrit dans la liste de promotion au mérite de son nouveau GPM par un conseil de promotion au mérite qui siège après le changement de GPM et la présentation d'un RAP fondé sur son rendement dans le nouveau groupe.

31. When an officer is transferred to another MOC in which the member is MOC qualified, the EPZ date will be adjusted to permit merit listing in the new MOC by a merit board that sits subsequent to the MOC transfer and the submission of a PER, based on the officer's performance in the new MOC.

[Je souligne.]

[23]  Sans être limpides, ces dispositions me semblent tout de même relativement claires. Elles cherchent à couvrir les cas de promotion lorsqu’il y aura eu un changement de groupe professionnel militaire (GPM), comme cela aura été le cas en notre espèce. Quelles seront les règles applicables aux promotions en pareilles circonstances?

[24]  La demanderesse argue que l’article 29 déclare que le changement de groupe professionnel militaire ne fait pas perdre à l’officier son ancienneté dans son grade lorsqu’elle change de groupe professionnel militaire. Ce que la demanderesse omet est que cette règle vaut « sauf pour ce qui est de l’établissement de la date à laquelle il entrera dans la zone de promotion ». Cela donne ouverture à l’article 30 qui vise nommément le cas où de la formation est requise pour le passage dans un autre groupe professionnel militaire. C’est le cas ici.

[25]  On aura vu que l’ADI avait conclu que la Capitaine Robert n’était pas « qualifiée S PERS » lorsqu’elle a choisi un nouveau métier militaire. Son baccalauréat en sciences de l’orientation ne suffisait pas pour la qualification de groupe professionnel; il fallait la formation qu’elle a reçue de septembre 2010 au 30 juin 2011 : ce n’est qu’alors que « vous étiez qualifiée QGP dans votre nouvelle profession ». C’est dire que c’est l’article 30 qui trouve application.

[26]  Or, la demanderesse ne démontre jamais en quoi cette compréhension de la part de l’ADI serait ou déraisonnable, ou même incorrecte. De fait, elle n’identifie pas clairement la norme de contrôle applicable et l’impact qu’une telle norme doit avoir sur son fardeau. La demanderesse argumente que la décision est déraisonnable (Mémoire des faits et du droit, para 29), mais elle ne semble pas reconnaître l’impact de la norme à être appliquée. Cela fait en sorte qu’elle glisse plutôt vers un examen au mérite. En fait, elle argumente comme si la cour de révision pouvait substituer son opinion à celle de l’ADI, comme si la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[27]  La norme de la décision correcte ne laisse pas de place à la déférence à laquelle a droit le décideur administratif lorsque la norme est plutôt la norme de la décision raisonnable. La présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable a été solidement confirmée par la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. De fait, les cas où la présomption peut être réfutée apparaissent comme étant plutôt rares (Vavilov, para 17). De toute évidence, aucun ne trouve application en notre espèce. La demanderesse avait donc le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov, para 100) au sens du droit public. À défaut de faire cette démonstration, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[28]  Cette jurisprudence récente ne fait que confirmer les prononcés de la Cour d’appel fédérale et de notre Cour selon lesquels les décisions de l’ADI sont révisables selon la norme de la décision raisonnable (McBride v Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181, au para 32 ; Morose c Canada (Procureur général), 2015 CF 1112, au para 24 ; Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 775, para 34). La demanderesse devait donc s’astreindre à montrer non pas son désaccord avec l’interprétation de l’ADI, ou que son interprétation est supérieure, mais plutôt elle devait montrer le caractère non raisonnable de la décision prise.

[29]  La demanderesse aura cherché à s’éviter l’application de l’article 30. Toute sa thèse repose sur sa prétention que l’article 31 s’applique à son cas. Elle déclare, plutôt que ne démontre, qu’elle avait la qualification de groupe professionnel (Mémoire des faits et du droit, paras 40 et 41) pour ainsi argumenter que c’est l’article 31 de l’OAFC 11-6 qui s’applique à son cas. Pourtant, tout le monde convient que la demanderesse a reçu de la formation. D’être détentrice d’un baccalauréat en sciences de l’orientation est certes utile et peut constituer une qualification préalable, de dire l’ADI, mais cela ne rencontre pas la qualification de base pour la profession militaire de S PERS.

[30]  La demanderesse déclare à son grief avoir « effectué mon cours de formation S PERS du 14 sep au 26 oct 2010, et complété ma qualification en juin 2011 », ce qui semble concéder que la qualification pour son nouveau métier militaire requérait formation. La demande de réaffectation volontaire correspondait à son domaine d’études et était un domaine d’intérêt pour elle. Elle avait, pensait-elle, les qualifications requises de par son baccalauréat. La demanderesse ne semble pas reconnaître que sa qualification était fonction de sa formation pour le poste. Ce n’est pas l’avis de deux décideurs (l’AI et l’ADI), pas plus d’ailleurs que du Comité externe d’examen des griefs militaires à qui l’avis a été demandé. La preuve au dossier révèle qu’il y a eu formation.

[31]  À mon avis, la demanderesse n’a pas démontré en quoi la lecture faite au grief des articles 29 à 31 ne satisfait pas la norme de la décision raisonnable. L’article 30 s’applique lorsque l’officier doit « recevoir de l’instruction [sic] ». C’est le cas ici alors que la qualification de base n’est acquise qu’après une formation de neuf mois. La version anglaise parle de « undergoing training for transfer to another MOC ».

[32]  Ainsi, l’article 29 prend garde de décréter que l’ancienneté dans le grade d’un métier militaire à un autre est maintenue « sauf pour ce qui est de l’établissement de la date à laquelle il entrera dans la zone de promotion ». On ne peut omettre cette partie de l’article. L’article 30 quant à lui prévoit le cas où le militaire « est tenu de recevoir de l'instruction en prévision de son passage à un autre » métier militaire. Cela semble bien être la situation de la demanderesse.

[33]  La qualification de base pour la profession militaire de S PERS n’était pas satisfaite, à l’évidence, sur la seule base d’un baccalauréat en sciences de l’orientation puisqu’une formation de neuf mois a dû être suivie. La décision de considérer que c’est l’article 30 qui trouve application est justifiée et cohérente. On ne saurait dire qu’elle n’est pas intelligible ou transparente.

[34]  La Capitaine Robert se réclame plutôt de l’article 31 parce que, dit-elle, elle passe à un nouveau métier militaire pour lequel elle a la qualification. Cela n’est pas conforme au fait qu’elle a dû recevoir de la formation pour ensuite pouvoir être en mesure de remplir la nouvelle fonction. Lorsque les articles 29, 30 et 31 sont lus ensemble, dans leur contexte, aux fins de dégager le sens du mécanisme mis en place, on constate qu’on a tenté de couvrir et différencier les cas qui requièrent de la formation de ceux qui n’en requièrent pas, ayant établi au préalable que l’ancienneté est préservée lors du changement de métier, mais pas aux fins de promotion. Il ne semble pas étonnant que l’intention derrière les articles 29 et 30 soit qu’on veuille une certaine période dans un poste pour lequel de la formation doit être fournie avant de passer à la zone de promotion.

[35]  La demanderesse ne saurait se contenter des mots introductifs de l’article 29 de l’OAFC 11-6 pour déclarer conserver son ancienneté dans son grade lorsqu’elle passe d’un groupe professionnel militaire à un autre et ainsi échafauder une théorie selon laquelle elle devait devenir capitaine sans jamais avoir exercé un métier militaire choisi par elle. Le maintien de l’ancienneté « sauf pour ce qui est de l’établissement de la date à laquelle il entrera dans la zone de promotion » n’est pas l’effet du hasard. L’article 13 de l’OAFC 10-1 (Mutation dans un autre groupe professionnel) prévoit la même chose.

[36]  L’interprétation prônée par le défendeur selon laquelle un officier est qualifié dans son groupe professionnel lorsqu’il a complété les formations requises est certes raisonnable. Comme le défendeur le note au paragraphe 9 de ses notes supplémentaires, « la demanderesse n’a jamais été qualifiée dans le groupe professionnel de pilote, elle n’était pas qualifiée dans le groupe professionnel militaire de sélection du personnel lors de sa mutation et n’est seulement devenue qualifiée dans ce groupe professionnel que le 30 juin 2011, au moment où elle a complété les formations obligatoires, tel qu’énoncé dans le Manuel applicable ». On pourrait ajouter que l’interprétation que voudrait donner la demanderesse ne me semble pas tenir compte du principe énoncé à l’article 14 de l’OAFC 11-6 : « un officier entre dans la zone de promotion le jours [sic] où il a accumulé assez d’ancienneté à son grade et dans son GPM [groupe professionnel militaire] ». Il faut donc de l’ancienneté dans le GPM même, pas seulement dans son grade. Le même article déclare aussi que la date d’entrée dans la zone de promotion est fonction, entre autres, « de tout échec pendant l’instruction du GPM, de tout changement de GPM ».

[37]  Pour réussir dans son entreprise, la demanderesse doit non seulement éliminer de nombreuses dispositions du texte général qu’elle invoque, soit l’OAFC 11-6 (voir aussi la définition de « date d’entrée dans la zone de protection », art. 2), mais elle doit aussi pouvoir convaincre que l’article 31 lui est applicable. Pour ce faire, elle doit démontrer qu’elle est passée d’un groupe professionnel militaire pour lequel, très évidemment, elle n’avait pas la qualification de groupe professionnel (personne ne prétend qu’elle était pilote) à un autre groupe militaire pour lequel de la formation (« instruction »), formation qu’elle n’aura acquise qu’en juin 2011, lui aura été fournie. La seule raison donnée pour voir sa situation incluse à l’article 31 est qu’elle détenait un baccalauréat en sciences de l’orientation. Comme il a été dit, un métier militaire requiert plus, ce qui explique bien sûr la formation qui est donnée et prise par la demanderesse qui disait elle-même dans son grief du 23 août 2013 qu’elle a complété sa qualification en juin 2011. Si la demanderesse voulait prétendre avoir la qualification de groupe professionnel pour le nouveau groupe professionnel militaire, elle devait le démontrer. Selon la preuve au dossier, c’est bien loin d’avoir été établi.

[38]  En notre espèce, la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que la décision de l’ADI, selon laquelle elle n’avait pas obtenu sa qualification de base pour la profession militaire de S PERS avant le 30 juin 2011, constitue une décision qui ne satisfait aux exigences de la raisonnabilité. La qualification de groupe professionnel dans le contexte militaire n’est pas nécessairement acquise sur la seule base d’un baccalauréat général.

[39]  Dans l’une des différentes permutations au sujet des dates de promotion auxquelles la demanderesse s’est livrée au fil du temps, la demanderesse arrivait maintenant à la date du 18 décembre 2010, trois ans à peine après s’être enrôlée, pour être promue au grade de capitaine. Selon cette permutation, le début de sa zone de promotion pour le grade de capitaine est la date où elle s’est enrôlée, avant même d’être sous-lieutenant ou d’être promue au grade de lieutenant. C’est dire la fluidité de son interprétation.

[40]  Dans ses notes supplémentaires d’octobre 2019, la demanderesse applique sa lecture de certaines dispositions aux faits de notre affaire. Outre que cette interprétation ne corresponde plus au grief, laquelle ne peut être d’une grande utilité à cette Cour, deux observations doivent être faites. D’abord, encore une fois on constate que son argumentaire se fonde sur sa croyance qu’elle avait dès le jour de sa mutation, le 18 mai 2010, la qualification de groupe professionnel. On doit comprendre qu’elle croyait pouvoir exercer le métier militaire de S PERS sur la seule base de son baccalauréat en sciences de l’orientation. La demanderesse n’explique pas cette croyance qui participe donc davantage du postulat que du théorème. Elle déclare posséder la qualification de groupe professionnel (Notes supplémentaires, para 24); elle déclare ne pas être requise « de recevoir de l’instruction supplémentaire en prévision de son passage à un autre groupe GPM » (Notes supplémentaires, para 25); et puisqu’elle a déjà la qualification de groupe professionnel, ce devrait être l’article 31 de l’OAFC 11-6 qui s’applique à elle. Non seulement cela n’est pas conforme à la preuve, mais cela confirme à nouveau la croyance erronée que l’article 29 peut être lu sans considérer sa deuxième partie.

[41]  Deuxièmement, et dans la même veine, la demanderesse accepte avoir complété sa qualification au groupe professionnel militaire et être apte à travailler dans son groupe professionnel militaire à la suite de sa formation. De fait, elle indique au paragraphe 32 de ses notes supplémentaires avoir été affectée à un poste d’officier de sélection du personnel uniquement le 30 septembre 2011, « soit un mois après sa qualification à son GPM actuel », pas avant.

[42]  Mais ce qui continue de faire défaut est l’explication d’en quoi la décision de l’ADI ne serait pas raisonnable. Dit autrement, le rôle de la cour de révision n’est pas de choisir une version mais plutôt de déterminer si la décision prise est raisonnable. On ne saurait transformer la norme de la décision raisonnable en celle de la décision correcte (Delios, précité).

[43]  En puisant dans l’article 31 de l’OAFC 11-6 et l’alinéa 3f. de l’annexe A du même instrument, la demanderesse cherche à faire disparaître le reste des dispositions de l’OAFC. Par exemple, cette lecture fait fi de la formation requise pour accéder à un groupe professionnel militaire et traite son ancienneté (3 ans à compter de son accès aux Forces armées) sans tenir compte des articles 29 de l’OAFC 11-6 et 13 de l’OAFC 10-1 qui, rappelons-le, prévoient spécifiquement que l’ancienneté dans un grade est conservée lorsque muté dans un autre groupe professionnel militaire « sauf pour ce qui est de déterminer le moment où cet officier entre dans la zone de promotion ». Ces articles forment un tout cohérent avec l’article 14 de l’OAFC 11-6 qui pourvoit que l’officier « entre dans sa zone de promotion le jour où il a accumulé assez d’ancienneté dans son grade et dans son GPM ». La façon de voir de la demanderesse fait fi de toute forme d’ancienneté dans un métier militaire, principe que l’on trouve pourtant dans les instruments pertinents. Et, qui plus est, elle déclare effectivement être lieutenant depuis son enrôlement original en janvier 2008 plutôt que celui de sous-lieutenant.

[44]  À sa face même, une telle lecture ne peut qu’être déraisonnable, amputant certains textes et ne tenant aucunement compte du contexte et de l’économie générale du régime de promotions. Sans même avoir été apte à pratiquer son nouveau métier militaire la demanderesse aurait droit, selon elle, à une promotion au grade de capitaine le jour où sa formation est complétée, le 30 juin 2011, ou même plus tôt encore selon certaines permutations qui n’étaient même pas devant le décideur administratif. Si ce doit être le résultat auquel on en arrive selon la lecture faite par la demanderesse, on en arriverait à une incohérence puisque l’article 14 de l’OAFC 11-6 prévoit spécifiquement la nécessité d’ancienneté dans son GPM.

[45]  Au contraire, la décision de l’ADI ne mène à aucune absurdité. Son point de départ n’est pas celui de la demanderesse, en ce que la qualification du groupe professionnel n’est pas acquise avant que la formation n’ait été complétée. Au dire de l’ADI, c’est la qualification au groupe militaire qui fait foi, c’est-à-dire une fois que la formation aura été donnée et reçue. Cela est conforme à l’économie générale du régime de promotions, mais, plus spécifiquement, la demanderesse n’a pas démontré que cette interprétation est déraisonnable parce que non justifiée, non transparente et non intelligible. Ceci dit avec égard, c’est plutôt la version offerte par la demanderesse qui ne serait ni transparente ni intelligible et qui n’est pas justifiée en fonction de l’économie générale de l’OAFC 11-6 et de l’OAFC 10-1.

V.  L’équité procédurale

[46]  La demanderesse a indiqué dans son mémoire des faits et du droit qu’on lui aurait caché lors de la divulgation l’analyse qui lui aurait été favorable. Ni dans son mémoire, ni dans ses notes supplémentaires, ni à l’audience, la demanderesse n’a articulé sa prétention. Tout au plus, on déclare que l’ADI aurait été partial parce que quelqu’un lui aurait offert une analyse qu’il n’aurait pas suivie. Cette analyse proviendrait d’un analyste qui aurait favorisé la demanderesse. On allègue aussi que le cas d’un autre militaire aurait résulté en une décision différente. Les détails manquent.

[47]  Le défendeur s’oppose vertement à quelqu’allégation d’anicroche à l’équité procédurale. Je partage l’avis du défendeur que la demanderesse a fourni en vrac une grande quantité de documents, sans analyse ou présentation d’un quelconque argumentaire. L’avocate du défendeur dit ne pas pouvoir répondre à une allégation qui n’est ni articulée ni même faite. Beaucoup de ces documents sont des courriels échangés au sujet de l’OAFC 11-6. Il semble bien que de nombreux avis circulent à cet égard au sein des Forces armées. D’autres courriels sont entre la demanderesse et un analyste, en 2016 et 2017, qui aurait travaillé sur le grief pour le compte de l’ADI et qui, étonnement, aurait fourni à la demanderesse un projet de décision contenant évidemment ses recommandations qui n’auront pas été suivies.

[48]  Le seul fait qu’il y ait divergence de vues au sein de l’appareil militaire n’est pas surprenant. C’est souvent le cas dans de grandes organisations. Il faut noter que le Comité externe d’examen des griefs militaires avait été mandaté pour étudier le grief de la Capitaine Robert. Dans une décision étayée de 14 pages, le Comité recommandait le rejet complet du grief, avec une date d’entrée de zone de promotion « pour le grade de capitaine pour la plaignante aurait dû être établi au 28 janvier 2014 afin d’être conforme aux normes et politiques en vigueur dans le FAC » (page 14 de 14). Comme quoi les avis divergent. D’ailleurs, même la demanderesse semble avoir oscillé au fil du temps entre diverses dates, comme je l’ai indiqué plus tôt, alors que les notes supplémentaires s’écartent du grief en arrivant à une date de promotion différente qui correspond à trois années depuis son enrôlement, le 18 décembre 2007. Ce qui importe, c’est de déterminer si l’interprétation de l’ADI est raisonnable.

[49]  À l’audience, l’avocat de la demanderesse a retiré son allégation de violation de principes d’équité procédurale. C’était bien tard. Il a expliqué qu’il cherchait à éviter qu’on lui oppose que de la nouvelle preuve n’est pas permise sur contrôle judiciaire. On croit comprendre que l’avocat voulait démontrer que des avis divergent au sein de l’appareil militaire, y inclus chez la personne chargée d’étudier le dossier aux fins de faire une recommandation à l’ADI.

[50]  L’avocat semblait croire que l’opinion d’un analyste avait une importance particulière. Pourtant, l’AI, le Comité externe des griefs et l’ADI étaient unanimes sur l’interprétation fondamentale à donner aux instruments. Après avoir lu le texte de cette autre analyse, je ne puis conclure qu’elle soit plus persuasive. L’utilisation de bribes prises ici et là n’est pas convaincante si elle ne tient pas compte des articles lus en contexte, en fonction de l’économie générale des instruments sous étude, en cherchant à en dégager le sens qui soit en harmonie avec les textes et le contexte (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27). Une interprétation qui mènerait à une absurdité, comme par exemple une interprétation qui ne tient pas compte du principe voulant qu’un militaire ait acquis de l’expérience dans son métier militaire, me semblerait n’être ni intelligible, ni justifiée ou transparente, ce qui sont les apanages de la raisonnabilité. Ce n’est pas le cas de la décision sous étude qui a ces apanages. À mon avis, la décision sous étude rencontre les prescriptions de Vavilov (précité) :

[85]  Comprendre le raisonnement qui a mené à la décision administrative permet à la cour de révision de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Comme nous l’expliquerons davantage, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision.

[86]  L’attention accordée aux motifs formulés par le décideur est une manifestation de l’attitude de respect dont font preuve les cours de justice envers le processus décisionnel : voir Dunsmuir, par. 47-49. Il ressort explicitement de l’arrêt Dunsmuir que la cour de justice qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable « se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » : par. 47. Selon l’arrêt Dunsmuir, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : ibid. En somme, il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Si certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné.

[En italique dans l’original.]

La décision est raisonnable et la Cour doit faire preuve d’une certaine déférence.

VI.  Conclusion

[51]  La tâche d’une cour de révision n’est pas de déterminer le mérite de la décision, mais plutôt de déterminer si la décision a les apanages de la raisonnabilité, reconnaissant qu’il n’y a pas toujours une solution unique. La cour de révision doit éviter de devenir une cour autre que celle qui contrôle la légalité des décisions des tribunaux administratifs (Vavilov, para 83). Le pouvoir décisionnel a été conféré à un organisme autre qu’une cour de justice et c’est un choix qui doit être respecté (Vavilov, para 14). Comme le dit la majorité dans Vavilov, « la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (para 15).

[52]  La première obligation de qui veut attaquer une décision en contrôle judiciaire est d’en démontrer le caractère déraisonnable. En l’espèce, la demanderesse a échoué dans son entreprise; mais en plus, c’est sa lecture des articles invoqués qui, à mon sens, mène à une absurdité. Il eut été possible de conclure que deux versions sont raisonnables : même si c’était le cas, cela ne voudrait pas dire que la version de l’ADI devrait être rejetée sur contrôle judiciaire. Mais ce choix ne se pose même pas en l’espèce puisque l’alternative offerte ne tient pas la route.

[53]  Si on devait en croire les conclusions et recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires, la réponse donnée par l’ADI est plus généreuse que nécessaire selon une interprétation stricte. La demanderesse n’a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision à cet égard et la décision de l’ADI reste entière.

[54]  Enfin, l’allégation de violation de l’équité procédurale est sans fondement. Tout au plus la demanderesse met en preuve qu’il existe des points de vue différents sur la question au sein des Forces canadiennes. Comme on l’aura vu, même la demanderesse a proposé des dates de promotion différentes au fil du temps. L’existence d’autres analyses ne porte aucunement atteinte à l’équité de la procédure suivie. À tout événement, l’allégation aura été officiellement retirée.

[55]  Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le défendeur a réclamé ses dépens et il y a droit. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT au dossier T-1438-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1438-17

INTITULÉ :

CAPITAINE ÉLIANE ROBERT c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 7 mai 2020

COMPARUTIONS :

Guy Vézina

Pour le demandeur

Gabrielle White

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MVF avocats

Québec (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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