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Date : 20200520


Dossier : IMM‑1498‑19

Référence : 2020 CF 633

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2020

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

SISSY ZHOU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  La demanderesse, Sissy Zhou, est une citoyenne canadienne d’origine chinoise. Elle a épousé Shouqiang Zhang, un citoyen de la Chine, en février 2015. À l’époque, Mme Zhou avait 42 ans, tandis que M. Zhang avait 44 ans. Les deux s’étaient rencontrés en ligne six mois plus tôt. Il s’agissait du troisième mariage de Mme Zhou et du second de M. Zhang.

[2]  Près d’un an après leur mariage, Mme Zhou a présenté une demande pour parrainer M. Zhang en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada. La demande a été rejetée, parce qu’il a été conclu que M. Zhang n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. Plus particulièrement, l’agent d’immigration qui a examiné la demande n’était pas convaincu que le mariage de M. Zhang et de Mme Zhou ne visait pas principalement l’immigration et qu’il était authentique : voir le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR].

[3]  Mme Zhou a interjeté appel du rejet de sa demande de parrainage auprès de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Après une audience de deux jours, la SAI a rejeté l’appel. Comme l’agent d’immigration, le commissaire de la SAI n’était pas convaincu que le mariage ne visait pas principalement l’immigration et qu’il était authentique. Par conséquent, l’appel de Mme Zhou a été rejeté.

[4]  Mme Zhou demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi]. Dans son mémoire des faits et du droit, Mme Zhou prétend que la décision devrait être annulée, parce qu’elle est déraisonnable et qu’il y a une crainte raisonnable de partialité de la part de la SAI. L’allégation de partialité n’a pas été soulevée lors de l’audition de la présente demande, mais elle n’a pas non plus été abandonnée.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie. Bien que je ne sois pas d’accord pour dire que la décision est viciée par une crainte raisonnable de partialité, je suis bel et bien d’accord pour dire qu’elle est déraisonnable sous certains aspects clés. L’affaire doit donc être réexaminée par un autre décideur.

II.  LE CONTEXTE

[6]  Mme Zhou est née à Fujian, en Chine, en novembre 1972. Elle est arrivée au Canada en octobre 2001 après avoir été parrainée par son deuxième époux, qu’elle avait épousé en Chine, en mars 1999, puis a divorcé en octobre 2003 (les deux se sont séparés en octobre 2002). Elle avait déjà été mariée en Chine (d’octobre 1992 à septembre 1998). Elle a un fils (né en mars 1993) qui est issu de son premier mariage et qui vit au Canada.

[7]  M. Zhang est né à Dongping, en Chine, en juillet 1970. Il a déjà été marié en Chine pendant 14 ans. Lui et sa première épouse ont divorcé en novembre 2012. Ils ont un enfant : un fils qui est né en avril 2000.

[8]  Mme Zhou a rencontré M. Zhang en août 2014 sur un site de rencontre chinois. À l’époque, Mme Zhou vivait à Orillia, en Ontario, et travaillait au Casino Rama. M. Zhang travaillait comme vice‑directeur général chez Nanping Musicflying Karaoke à Zhuhai, dans le Guangdong, en Chine.

[9]  Selon Mme Zhou et M. Zhang, les deux sont rapidement devenus [traduction« très proches ». Ils se parlaient tous les jours et continuaient aussi à communiquer à l’aide d’une plate‑forme de clavardage en ligne. Comme en témoignent leurs conversations, peu après qu’ils ont établi une relation en ligne, M. Zhang a abordé le sujet du mariage et le fait d’avoir des enfants ensemble. Mme Zhou semblait moins aimer cette idée, du moins au début.

[10]  En octobre 2014, Mme Zhou a effectué un voyage de dix jours en Chine pour rencontrer M. Zhang. Pendant ce voyage, ils ont visité la ville natale de Mme Zhou. Mme Zhou a présenté M. Zhang à sa mère et à ses sœurs.

[11]  En décembre 2014, Mme Zhou s’est de nouveau rendue en Chine. M. Zhang a fait sa demande en mariage, et les deux se sont fiancés.

[12]  Mme Zhou et M. Zhang se sont mariés le 12 février 2015, lors d’une petite cérémonie en Chine. Quatorze invités y ont assisté, [traduction« y compris des membres des deux familles », selon la demande de résidence permanente de M. Zhang. Mme Zhou a également témoigné devant la SAI que quatorze invités étaient présents. Elle a expliqué que les deux sœurs de M. Zhang ne pouvaient pas assister à la cérémonie, parce que le mariage coïncidait avec les célébrations régionales du festival du Printemps et qu’il leur aurait été difficile d’assister à la cérémonie de toute façon. (Les parents de M. Zhang étaient déjà décédés, tout comme le père de Mme Zhou.) Hormis cela et le fait que son fils était présent, on n’a pas posé d’autres questions à Mme Zhou concernant les personnes présentes au mariage (et aucune question n’a été posée à M. Zhang à ce sujet). La preuve documentaire produite à l’appui de la demande de parrainage indique que le fils de M. Zhang a également assisté au mariage.

[13]  En mai 2015, Mme Zhou s’est de nouveau rendue en Chine. Elle déclare qu’elle avait l’intention d’y rester, parce que son époux et son beau‑fils ne voulaient pas venir au Canada. Elle ajoute qu’elle n’a pas réussi à y trouver un emploi, puisqu’elle avait perdu sa nationalité chinoise et avait besoin d’un visa obtenu à la suite d’une demande de parrainage. Elle déclare aussi qu’elle est tombée enceinte et qu’elle a eu des problèmes de santé en raison de la pollution, ainsi des problèmes d’adaptation, ce qui l’a obligée à retourner au Canada en juillet 2015.

[14]  Selon Mme Zhou, elle a rendu visite à son époux en Chine cinq autres fois après mai 2015.

[15]  Peu après son retour au Canada en juillet 2015, Mme Zhou a fait une fausse couche. Par la suite, la demande de visa de visiteur canadien présentée par M. Zhang a été rejetée. Cependant, il a pu se rendre aux États‑Unis et Mme Zhou l’a rejoint au New Jersey pendant une semaine, en novembre 2015. Ils se sont retrouvés aux États‑Unis à l’automne 2016, puis à l’automne 2017.

[16]  Le 19 janvier 2016, Mme Zhou a présenté une demande pour parrainer M. Zhang, en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada. Le fils de M. Zhang (qui avait 15 ans à l’époque) a également été inclus dans la demande à titre de personne à charge.

[17]  Le 15 mai 2016, un agent d’immigration du consulat du Canada à Hong Kong a interrogé Mme Zhou et M. Zhang.

[18]  Dans une décision communiquée à M. Zhang et à Mme Zhou, au moyen d’une lettre datée du 28 juillet 2016, l’agent a rejeté la demande, parce qu’il a conclu que M. Zhang n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. Cela découlait du fait que l’agent n’était pas convaincu que le mariage de M. Zhang et de Mme Zhou [traduction« [était] authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition de la résidence permanente au Canada ». Les notes versées au Système mondial de gestion de cas par l’agent mentionnaient des préoccupations concernant la progression rapide de la relation de M. Zhang et de Mme Zhou; le manque de connaissances de Mme Zhou au sujet de la vie personnelle de M. Zhang et de son mariage précédent; le manque d’éléments de preuve pour appuyer [traduction« les déclarations concernant la genèse et l’évolution » de la relation; l’authenticité du deuxième mariage de Mme Zhou (qui s’est terminé par un divorce après l’arrivée de Mme Zhou au Canada).

[19]  Mme Zhou a interjeté appel de cette décision devant la SAI, en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR.

III.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]  Le paragraphe 12(1) de la LIPR prévoit ceci :

Regroupement familial

Family reunification

12 (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12 (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common‑law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

[21]  Par conséquent, aux termes de l’alinéa 117(1)a) du RIPR, les étrangers appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant s’ils sont « son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal ».

[22]  Cependant, le paragraphe 4(1) du RIPR, qui a pour titre « Mauvaise foi », prévoit que, pour l’application du RIPR, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

IV.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[23]  L’appel a été entendu par la SAI le 12 juillet 2018 et le 25 janvier 2019. Il a été rejeté pour des motifs écrits, datés du 6 février 2019.

[24]  Mme Zhou et M. Zhang ont tous les deux témoigné dans l’instance devant la SAI — Mme Zhou, en personne, et M. Zhang, par téléphone.

[25]  Étant donné que le critère relatif à la récusation est disjonctif, il incombait à Mme Zhou d’établir à la fois que son mariage avec M. Zhang ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi et qu’il est authentique.

[26]  Le commissaire de la SAI n’était convaincu d’aucun des deux aspects. Il a conclu que le mariage visait principalement l’acquisition par M. Zhang du statut de résident permanent et que le mariage n’était pas authentique. Le commissaire en est arrivé à ces conclusions, principalement parce qu’il a conclu que la preuve de Mme Zhou ou de M. Zhang n’était pas crédible.

[27]  Comme il est expliqué dans les motifs de la décision, cette conclusion défavorable quant à la crédibilité reposait sur plusieurs considérations, dont les suivantes :

  • M. Zhang, qui connaissait la citoyenneté canadienne de Mme Zhou en raison de son profil en ligne, a commencé à discuter de la possibilité d’un mariage presque immédiatement après leur première rencontre;

  • ils se sont mariés « à la hâte », tandis que, si la relation était authentique, il aurait été plus prudent pour Mme Zhou de progresser plus lentement, compte tenu de ses précédents mariages;

  • le mariage a été organisé « sans intérêt apparent à donner aux membres de la famille un avis afin que ceux‑ci assistent au mariage et le célèbrent », comme en témoigne le fait que ni les sœurs de Mme Zhou, ni les sœurs de M. Zhang, ni la mère de Mme Zhou n’y ont assisté;

  • il n’était pas nécessaire de passer si vite aux fiançailles et au mariage si cela ne visait pas à faciliter l’acquisition par M. Zhang d’un statut au Canada;

  • le couple en savait peu sur les mariages antérieurs de chacun;

  • Mme Zhou en savait peu sur l’emploi de M. Zhang;

  • la preuve documentaire concernant l’achat par M. Zhang d’une maison à Innisfil, en Ontario, a amené le commissaire à conclure que la maison était pour M. Zhang et son fils seulement;

  • Mme Zhou a reçu des avantages financiers de M. Zhang, ce qui a amené le commissaire à inférer qu’il s’agissait d’une rétribution pour qu’elle facilite l’acquisition par M. Zhang de la résidence permanente au Canada;

  • il est fort probable que le but du deuxième mariage de Mme Zhou fût de mauvaise foi et qu’il visait l’acquisition d’un statut au Canada.

[28]  Le commissaire a fait remarquer que Mme Zhou se trouvait en Chine de mai à août 2015, mais a rejeté son allégation selon laquelle elle s’y était rendue dans l’intention d’y déménager et avait ensuite changé d’avis après y être restée quelques mois. Le commissaire a fait également remarquer que Mme Zhou et M. Zhang s’étaient régulièrement vus en personne en Chine et aux États‑Unis, mais a conclu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que ces voyages visaient uniquement à renforcer l’allégation selon laquelle le mariage était authentique.

[29]  En outre, le commissaire a déclaré que, « dans de nombreuses parties », le conseil de Mme Zhou (non pas Me Nazami) avait mené l’interrogatoire principal de Mme Zhou et de M. Zhang en posant des questions suggestives. Bien qu’on l’ait mis en garde à ce sujet, le conseil a continué son interrogatoire de cette façon. Par conséquent, le commissaire a déclaré qu’il « ne [pouvait] accorder beaucoup de poids à la preuve fournie par l’appelante [c’est‑à‑dire Mme Zhou] et le demandeur [c’est‑à‑dire M. Zhang] ».

[30]  En raison de ces conclusions particulières, et après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la SAI a conclu que le mariage de Mme Zhou et de M. Zhang n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition par M. Zhang d’un statut ou d’un privilège au Canada. La SAI a donc rejeté l’appel.

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[31]  Les deux principaux motifs invoqués par Mme Zhou pour contester la décision de la SAI commandent des normes de contrôle différentes.

[32]  Premièrement, Mme Zhou prétend que la décision de la SAI devrait être annulée en raison d’une crainte raisonnable de partialité de la part de la SAI. Cette question est soulevée pour la première fois dans le cadre de la présente demande. On n’a jamais demandé au commissaire de la SAI de se récuser; en effet, à aucun moment durant l’audience, le conseil de Mme Zhou n’a soulevé des préoccupations quant à la partialité. Par conséquent, il semble peu logique de parler de l’application d’une norme de « contrôle » à une décision de la SAI. Néanmoins, étant donné que je dois effectuer ma propre analyse et fournir ce que je juge être la bonne réponse à la question de savoir si le dossier justifie une crainte raisonnable de partialité de la part de la SAI, cela revient, quant à la fonction, à appliquer la norme de contrôle de la décision correcte : voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 34 et 50; Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 54. Voir aussi Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CAF 222, au par. 12.

[33]  Deuxièmement, en ce qui concerne le fond de la décision, les parties conviennent, comme moi, que la décision de la SAI devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable : voir Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1522, au par. 17; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 657, au par. 15; Cao c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 364, aux par. 13 et 14; Idrizi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1187, au par. 21. La question de savoir si un mariage est authentique ou s’il visait principalement l’immigration requiert une analyse hautement factuelle, qui nécessite souvent un examen des conclusions quant à la crédibilité. Par conséquent, les cours de révision doivent faire preuve de déférence à l’égard des décideurs. Cela est particulièrement vrai lorsque le décideur a eu l’occasion d’interroger les époux.

[34]  Par suite de Vavilov, la norme de la décision raisonnable est maintenant la norme présumée s’appliquer, sous réserve d’exceptions précises « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige » (au par. 10). À mon avis, rien ne justifie de déroger à la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique en l’espèce.

[35]  Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85).

[36]  Une appréciation du caractère raisonnable de la décision doit être sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, aux par. 12 et 13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au par. 83). Il faut accorder une « attention particulière » aux motifs du décideur et « les interpréter de façon globale et contextuelle. L’objectif est justement de comprendre le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, au par. 97).

[37]  Il incombe à Mme Zhou de démontrer que la décision de la SAI est déraisonnable. Elle doit établir « [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100) ou que la décision est « indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, au par. 101).

VI.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[38]  Comme il a été souligné, la présente demande soulève deux questions :

  • a) La décision est‑elle viciée par une crainte raisonnable de partialité?

  • b) La décision de la SAI est‑elle déraisonnable?

VII.  ANALYSE

A.  La décision est‑elle viciée par une crainte raisonnable de partialité?

[39]  Les principes régissant l’allégation de crainte raisonnable de partialité sont bien établis. Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui allègue une partialité (réelle ou perçue). Le critère consiste à se demander si une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste. Le critère vise à s’assurer non pas que les processus décisionnels sont justes, mais qu’ils semblent l’être. La question de la partialité est inextricablement liée à la nécessité d’impartialité. L’analyse de la question de savoir si le comportement du décideur suscite une crainte raisonnable de partialité est intrinsèquement contextuelle et fondée sur les faits, et doit tenir compte de l’ensemble de l’instance. Une allégation de partialité (réelle ou perçue) est une question sérieuse qui ne devrait pas être soulevée à la légère. En l’absence d’une preuve contraire, les commissaires des tribunaux administratifs, comme les juges, sont présumés avoir agi de façon juste et impartiale. Le seuil à franchir pour conclure à une partialité (réelle ou perçue) est donc élevé. La partie qui l’allègue doit établir une réelle probabilité de partialité; de simples soupçons ne suffisent pas. Voir Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, aux par. 20 à 26, et la jurisprudence qui y est citée; Zündel c Citron, [2000] 4 CF 225 (CAF), aux par. 36 et 37.

[40]  Mme Zhou ne mentionne aucun aspect de la conduite de la procédure d’appel par la SAI pour appuyer l’allégation de partialité. Elle ne s’appuie plutôt que sur les motifs prononcés par la SAI pour rejeter l’appel. Elle prétend que les motifs démontrent [traduction« [qu’]aucune preuve, si abondante soit‑elle, n’aurait été suffisante pour permettre au tribunal de tirer une conclusion différente ».

[41]  Cette plainte est sans fondement. Cela n’équivaut qu’à un simple désaccord quant au résultat. Le fait que la SAI n’ait pas apprécié la preuve de la façon dont Mme Zhou aurait préféré ne suffit pas à démontrer que la SAI a traité la preuve avec un esprit fermé ou que le résultat a été prédéterminé : voir Sandhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 889, aux par. 61 et 62. La question de savoir si l’une de ces conclusions est déraisonnable constitue, bien sûr, une autre question, que j’examine maintenant.

B.  La décision de la SAI est‑elle déraisonnable?

[42]  La SAI a décidé que M. Zhang n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial parce qu’elle a conclu qu’il avait épousé Mme Zhou principalement pour acquérir le statut de résident permanent au Canada et que leur relation n’était pas authentique. L’une ou l’autre de ces conclusions aurait permis à la SAI de rejeter l’appel de Mme Zhou. Mme Zhou prétend que les deux sont déraisonnables. Je suis d’accord.

[43]  Le libellé actuel du paragraphe 4(1) du RIPR a été adopté en septembre 2010. Bien que le critère comporte toujours les mêmes éléments que dans la version précédente, la nouvelle disposition a remplacé ce qui était un critère conjonctif aux fins de l’exclusion par un critère disjonctif. Comme je l’ai mentionné récemment dans Idrizi, aux par. 25 à 30, la version modifiée de la disposition visait à simplifier la décision d’exclure un époux : voir le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2010‑208 (le 30 septembre 2010), Gazette du Canada, partie II, vol. 144, no 21, aux p. 1942 à 1946 [le Résumé de l’étude d’impact]. En même temps, étant donné que l’un ou l’autre des éléments du paragraphe 4(1) du RIPR suffit à présent à exclure un époux, il peut être plus difficile d’établir qu’un époux n’est pas exclu. Cela découle du fait que la partie invoque la relation doit démontrer à la fois que le mariage, l’union de fait ou la relation conjugale (selon le cas) ne visait pas principalement l’immigration et que la relation est authentique, tandis qu’avant, l’un ou l’autre aurait suffi (Ferraro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 22, au par. 12).

[44]  Aux termes de la version antérieure et du libellé actuel du paragraphe 4(1) du RIPR, le critère de l’objet principal et le critère de l’authenticité sont tranchés en fonction de différentes périodes. La période pertinente pour le critère de l’objet principal est le passé (c’est‑à‑dire le moment du mariage); celle pour le critère d’authenticité est le présent (c’est‑à‑dire le moment de la décision) (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077, au par. 20; Ferraro, au par. 13; Résumé de l’étude d’impact, à la p. 1944).

[45]  Il convient de noter que, lorsque le paragraphe 4(1) du RIPR a été modifié, on s’attendait à ce que, dans la plupart des cas, les décideurs se concentrent sur le critère du but principal (Résumé de l’étude d’impact, à la p. 1944). Néanmoins, « [t]out élément de preuve montrant que la relation n’est pas authentique est toutefois aussi digne d’être pris en considération pour déterminer si la relation visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » (ibid). Ainsi, bien que la version modifiée de la disposition distingue les critères du but principal et de l’authenticité, et traite chacun comme étant suffisante, en soi, pour justifier la conclusion selon laquelle une personne n’est pas considérée comme un époux, il peut toujours y avoir un lien étroit entre les deux dans un cas donné. La preuve qu’un mariage n’est pas authentique peut appuyer l’inférence selon laquelle il visait principalement l’immigration. L’inverse est également vrai.

[46]  Comme l’a également souligné le Résumé de l’étude d’impact, ces décisions peuvent être extrêmement difficiles. Les décideurs doivent « procéder avec soin et prudence en ayant constamment en mémoire la nécessité de faciliter la réunification des familles tout en préservant, parallèlement, l’intégrité du processus d’immigration » (à la p. 1944). Il y aura rarement une preuve directe de l’existence d’un but inapproprié. Plutôt, « [i]ls doivent normalement déduire cette intention du comportement des parties et des circonstances particulières qui se rapportent au cas » (ibid). Par conséquent, il ne suffit pas pour les époux de simplement établir que leur mariage est authentique (parce que le décideur peut exclure le mariage au seul motif qu’il visait principalement l’immigration), mais la preuve de l’authenticité du mariage peut encore avoir une incidence sur la question de savoir s’il conviendrait de tirer une conclusion défavorable au sujet de l’intention des parties lorsqu’elles se sont mariées (Lawrence c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 369, aux par. 14 et 15; Trieu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 925, aux par. 37 et 38). Le défaut de tenir compte d’une telle preuve peut constituer une erreur susceptible de contrôle.

[47]  En l’espèce, le principal facteur sur lequel la SAI s’est appuyée pour conclure que le mariage visait l’immigration était la vitesse à laquelle la relation s’était développée. Le commissaire a écrit ce qui suit : « À l’instar de l’agent d’immigration, le tribunal est très préoccupé par la façon dont cette relation a évolué aussi rapidement et hâtivement qu’elle l’a fait entre la première rencontre en ligne le 2 août 2014 et le mariage le 12 février 2015. »

[48]  Bien que la rapidité à laquelle une relation s’est développée puisse être un facteur pertinent, il doit être abordé avec prudence. Les relations amoureuses se développent rarement de manière rationnelle. Il n’existe pas de point de repère objectif permettant de déterminer si une relation s’est développée à la vitesse appropriée ou non. Un décideur doit plutôt déterminer si l’évolution de la relation est logique dans le contexte de la vie des parties en question et en l’absence d’un motif inavoué. Ce dernier point est important, parce que la partie qui prétend que le mariage n’était pas de mauvaise foi a la tâche difficile de prouver une négation — à savoir que le mariage ne visait pas principalement l’immigration. Cela ne peut habituellement se faire qu’indirectement, en démontrant qu’il n’est pas nécessaire d’avancer un motif inavoué pour expliquer pourquoi les parties ont agi comme elles l’ont fait.

[49]  À mon avis, la conclusion de la SAI à cet égard est minée par des conclusions de fait déraisonnables.

[50]  Il n’est pas contesté que M. Zhang a soulevé les sujets du mariage et des enfants très peu de temps après avoir rencontré Mme Zhou en ligne. Cela pourrait être probant quant à ses intentions. Toutefois, la SAI a également conclu que le mariage avait été organisé « à la hâte, sans intérêt apparent à donner aux membres de la famille un avis afin que ceux‑ci assistent au mariage et le célèbrent », puis a en déduit que le mariage avait un motif inavoué. Cette caractérisation du mariage repose sur des conclusions précises selon lesquelles ni les sœurs de Mme Zhou, ni les sœurs de M. Zhang, ni la mère de Mme Zhou n’y ont assisté. Bien que la preuve concernant les personnes présentes au mariage n’ait pas été aussi claire qu’elle aurait pu l’être, comme je l’ai lu dans le dossier, il n’y a aucune preuve à l’appui de la conclusion de la SAI selon laquelle les sœurs et la mère de Mme Zhou n’étaient pas présentes. Par contre, les fils respectifs de M. Zhang et de Mme Zhou ont assisté au mariage (le fils de Mme Zhou ayant voyagé à partir du Canada à cette fin). La conclusion tirée par la SAI, que « [l]es familles n’avaient pas besoin d’y assister, car il s’agissait d’un mariage rapide, proposé en premier par le demandeur, selon le tribunal, principalement dans le but d’obtenir un statut ou un privilège au Canada », n’est pas raisonnablement étayée par la preuve concernant les personnes présentes au mariage.

[51]  En clair, en rendant cette décision, je ne me fie pas à l’affidavit de Mme Zhou, qui a été produit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, dans lequel elle déclare que sa mère et ses sœurs étaient présentes au mariage. Cette preuve complète de façon inacceptable le dossier dont la SAI disposait : voir Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux par. 17 à 20; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux par. 13 à 28. Le fait est que, contrairement à la conclusion de la SAI, il n’y a aucune preuve dans le dossier dont disposait la SAI pour démontrer que ces personnes n’étaient pas présentes.

[52]  Pour revenir à la question des motifs de M. Zhang, considérés isolément, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de se demander si son intérêt presque immédiat à épouser Mme Zhou suggérait la présence d’un motif inavoué de sa part. Cela dit, la preuve portant que la relation est authentique pourrait contribuer à réfuter cette suggestion. Cependant, l’appréciation de cette preuve par la SAI est également minée par des conclusions déraisonnables.

[53]  Par exemple, la SAI n’a pas cru que le témoignage de Mme Zhou ou de M. Zhang, selon lequel, si l’appel était accueilli, ils prévoyaient vivre ensemble à la maison d’Innisfil. La preuve documentaire présentée à la SAI indiquait que le processus d’achat de la maison (qui était une nouvelle construction) avait commencé en septembre 2016. La date de clôture prévue était le 7 mai 2020, au plus tôt. Les chèques de dépôts provenaient du compte bancaire de Mme Zhou, et M. Zhang avait fourni les fonds.

[54]  Le commissaire a conclu que, contrairement à leur témoignage, Mme Zhou et M. Zhang n’avaient pas l’intention de vivre ensemble dans cette maison, parce que le nom de Mme Zhou ne figurait pas sur la convention d’achat‑vente. Bien que le nom de Mme Zhou ne figure pas dans un contrat de courtage d’achat conclu entre M. Zhang et Coldwell Banker (le courtier immobilier), la convention d’achat‑vente désigne à la fois M. Zhang et Mme Zhou en tant qu’acheteurs, et tous deux semblent avoir signé le document, contrairement à la conclusion du commissaire. Un addenda à la convention d’achat‑vente, qui indique les dates de clôture possibles, n’a été rempli qu’avec le nom de M. Zhang, mais, encore une fois, il semble que Mme Zhou et lui aient tous deux signé ce document. Compte tenu de l’ensemble de la preuve documentaire concernant l’achat de la maison, la conclusion défavorable de la SAI manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[55]  De même, la SAI semble avoir accepté le fait que Mme Zhou avait fait une fausse couche après son retour de Chine, au cours de l’été 2015. De plus, la SAI n’a pas remis en question le fait que M. Zhang était le père. Bien que cela ne soit aucunement déterminant en soi, le fait que Mme Zhou et M. Zhang aient conçu un enfant ensemble constitue un facteur important dans l’appréciation de l’authenticité de leur mariage (Nijjar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 903, au par. 31). Cependant, la SAI n’en a aucunement tenu compte, sauf lorsqu’elle a fait remarquer ceci, en passant : « Il est vrai qu’un couple serait attristé de perdre un enfant, surtout s’il veut fonder une famille. » Le commissaire s’est ensuite concentré uniquement sur la façon dont M. Zhang avait dit vouloir un enfant avec Mme Zhou et en a tiré une conclusion défavorable. Le défaut de tenir vraiment compte des éléments de preuve potentiellement très probants portant que Mme Zhou et M. Zhang avaient conçu un enfant ensemble fait également en sorte que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité à cet égard.

[56]  En outre, Mme Zhou soutient que la conclusion défavorable de la SAI concernant son deuxième mariage était non seulement déraisonnable, mais aussi déterminante quant à l’issue de son appel. Je n’irais pas aussi loin, mais je conviens que cette conclusion a joué un rôle important dans l’analyse du commissaire. Je conviens également que l’appréciation, par la SAI, de l’importance de ce facteur est déraisonnable.

[57]  Comme il a été mentionné ci‑dessus, Mme Zhou est arrivée au Canada en octobre 2001 après avoir été parrainée par son deuxième époux, qu’elle avait épousé en Chine, en mars 1999, puis a divorcé en octobre 2003, après avoir été séparée pendant un an. Elle avait expliqué à l’agent d’immigration, lors de son entrevue à Hong Kong, et à nouveau lors de son appel, que la relation avait pris fin en raison du fait que son mari souffrait d’une dysfonction sexuelle. Selon Mme Zhou, cela a amené son mari à vouloir mettre fin au mariage. Seize ans après qu’elle a épousé son deuxième mari, et plus de treize ans après qu’ils ont divorcé, Mme Zhou a épousé M. Zhang.

[58]  Le commissaire de la SAI a déclaré ce qui suit dans ses motifs (il désigne Mme Zhou en tant qu’appelante et M. Zhang en tant que demandeur) :

L’agent d’immigration était préoccupé et le tribunal demeure préoccupé par le fait que le deuxième mariage de l’appelante, qui lui a permis d’immigrer avec succès au Canada, était un moyen d’arriver à une fin, car il y avait certains aspects d’un problème conjugal avant son arrivée au Canada. L’appelante a choisi de venir au Canada et s’est ensuite séparée de son époux peu de temps après son arrivée, avec peu ou pas de tentative de réconciliation. Il s’agit d’un facteur raisonnable à prendre en considération dans l’évaluation globale du présent appel.

[59]  Le commissaire est revenu sur ce sujet quelques paragraphes plus loin, énonçant ainsi ses conclusions finales concernant l’appel :

Malheureusement pour l’appelante et le demandeur, la présente audience de novo relative à l’appel n’a pas été suffisante pour convaincre le tribunal que la relation conjugale en cause est authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada. Ainsi, à la lumière de ce qui a été déclaré précédemment dans les présents motifs, de l’avis du tribunal, le mariage entre l’appelante et le demandeur avait pour but de permettre au demandeur et à son fils d’acquérir un statut ou un privilège au Canada.

L’appelante et le demandeur demeurent mariés depuis maintenant quatre ans parce que c’est un moyen d’entrer au Canada pour le demandeur et son fils. Si la résidence permanente était accordée, les antécédents de l’appelante indiquent que la séparation et le divorce se produiraient probablement peu de temps suivant l’immigration du demandeur et de son fils. Cela est vraisemblable puisqu’ils ne se connaissent pas vraiment l’un et l’autre dans le but de soutenir un mariage, car il n’est pas authentique. Par conséquent, la séparation et le divorce seraient la prochaine étape logique si la résidence permanente devait être obtenue.

[60]  Les antécédents conjugaux et d’immigration respectifs de M. Zhang et de Mme Zhou peuvent être pertinents, parce qu’ils pourraient éclairer leurs motifs respectifs de se marier (Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1207, au par. 29; Bercasio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244, au par. 37; Kaur, au par. 19). Ainsi, bien que le mariage de mauvaise foi puisse être pertinent pour trancher la question de savoir s’il s’agit d’une nouvelle occurrence, le lien entre les deux dans un cas particulier doit être expliqué pour qu’une décision satisfasse aux exigences de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. Il ne suffit pas de déclarer, comme l’a fait le commissaire de la SAI en l’espèce, qu’il s’agit « d’un facteur raisonnable à prendre en considération », parce que ce qui rend ce facteur pertinent peut varier d’un cas à l’autre.

[61]  Par exemple, au moment d’apprécier la crédibilité d’une partie, il pourrait être raisonnable pour le décideur d’utiliser le mépris du droit canadien en matière d’immigration que cette partie a démontré en se mariant de mauvaise foi : voir, par exemple, Thach c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 658, au par. 26. Cependant, ce n’est pas ainsi que la SAI l’a utilisé en l’espèce. En fait, la SAI semble avoir suivi un raisonnement selon lequel, puisque Mme Zhou s’était déjà mariée pour un motif inavoué, elle le ferait à nouveau, et, par conséquent, c’est ce qu’elle a fait en l’espèce. La SAI semble penser que les deuxième et troisième mariages de Mme Zhou constituent une tendance, mais, en toute déférence, la logique de cette inférence m’échappe. Le commissaire juge que le deuxième mariage de Mme Zhou était un moyen d’arriver à ses fins, mais selon sa propre analyse, le mariage de cette dernière avec M. Zhang visait des buts différents, du moins en ce qui concerne Mme Zhou. Sans autre explication, je ne vois pas comment elle découle du fait (comme l’a conclu la SAI) que Mme Zhou a épousé son deuxième mari pour obtenir la résidence permanente et qu’elle a donc épousé son troisième mari pour permettre à ce dernier d’obtenir la résidence permanente. De même, sans autre explication, les antécédents conjugaux et d’immigration de Mme Zhou ne mettent guère en lumière les motifs de M. Zhang de se marier avec elle.

[62]  Enfin, je suis d’accord avec Mme Zhou — bien que ce soit pour un motif légèrement différent de celui qu’elle a invoqué — pour dire que la conclusion de la SAI selon laquelle elle ne pouvait pas accorder « beaucoup de poids » à sa preuve, parce qu’elle avait été présentée en interrogatoire principal pour répondre aux questions suggestives, est déraisonnable. L’interrogatoire principal de M. Zhang n’était pas le plus habile, et il a effectivement donné lieu à une objection selon laquelle on lui posait des questions suggestives, ainsi qu’à une mise en garde de la part du commissaire portant que, si cela continuait, il [traduction« ne [pourrait] » accorder [traduction« beaucoup de poids » aux réponses. Cependant, Mme Zhou avait témoigné avant cela, et aucune objection de ce genre n’a été soulevée pendant son interrogatoire principal. La décision de la SAI d’accorder peu de poids à son témoignage pour ce motif n’est pas raisonnablement étayée par le dossier.

[63]  Bien qu’il ne soit pas nécessaire, à proprement parler, de le faire, j’ajouterais également que la solution du commissaire de la SAI au problème relatif à la façon dont l’interrogatoire principal de M. Zhang s’est déroulé laisse beaucoup à désirer. Le commissaire a déclaré que, si le conseil de Mme Zhou continuait de poser des questions suggestives, il ne l’arrêterait pas, et qu’il n’était pas nécessaire que la conseil du ministre s’oppose [traduction« à toute éventuelle question suggestive ». Au lieu de cela, il n’accorderait pas [traduction« beaucoup de poids » aux réponses. Le problème de cette approche, c’est que ce ne sont pas toutes les questions suggestives posées lors de l’interrogatoire principal qui sont inacceptables. Elles peuvent faciliter la présentation d’éléments de preuve sur des sujets non controversés. Les questions suggestives sur des sujets controversés devraient certainement être évitées, mais les conseils n’ont peut‑être pas convenu à l’avance de ce qui était controversé et de ce qui ne l’était pas, et il n’est peut‑être pas toujours évident de déterminer ce qui est en litige. En outre, étant donné que le commissaire n’est pas au fait du dossier de l’une ou l’autre des parties, il ne peut pas être certain de ce que celles‑ci considèrent comme étant controversé ou non, à moins que quelqu’un ne lui en fasse part. C’est pourquoi la pratique habituelle, selon laquelle le conseil de la partie adverse soulève une objection lorsqu’elle semble justifiée et le commissaire à l’audience rend une décision sur l’objection, est à la fois nécessaire et salutaire. Elle permet, à tout le moins, de s’assurer que le conseil ne tombe pas involontairement dans le piège consistant à présenter une preuve que le décideur jugera plus tard comme ayant une moins grande valeur, en raison de la façon dont elle a été présentée.

VIII.  CONCLUSION

[64]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAI annulée et l’affaire renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

[65]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

[66]  Enfin, l’intitulé initial désigne le défendeur comme étant le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Bien que ce soit la manière dont le défendeur est maintenant communément connu, son nom dans la législation demeure le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22; paragraphe 4(1) de la LIPR. Par conséquent, dans le cadre du présent jugement, l’intitulé est modifié pour que le défendeur soit désigné comme étant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1498‑19

LA COUR STATUE :

  1. que l’intitulé est modifié de manière à désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme étant le défendeur approprié;

  2. que la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  3. que la décision de la Section d’appel de l’immigration, datée du 6 février 2019, est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision;

  4. qu’aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1498‑19

 

INTITULÉ :

SISSY ZHOU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 20 mai 2020

 

COMPARUTIONS :

Hadayt Nazami

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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