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Date : 20050919

Dossier : T-2171-04

Référence : 2005 CF 1281

ENTRE :

LE LIEUTENANT (MARINE) T.P. MCMANUS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

LE CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du chef d'état-major de la Défense (par intérim), datée du 29 octobre 2004, dans laquelle il a été décidé que le demandeur avait droit, en vertu du paragraphe 209.997(4) des Ordonnances et règlements royaux, à une somme qui correspond à 30 fois le montant de l'allocation quotidienne de dépenses imprévues en ce qui a trait aux logements non commerciaux.

[2]                Le demandeur, le lieutenant (Marine) T.P. McManus, est membre des Forces canadiennes depuis 1984. Il a été affecté à l'organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve en Israël le 10 juillet 2000 et il a quitté cette affection pour revenir au Canada le 23 août 2002. Pendant cette période, l'épouse et les enfants du lt (M) McManus sont demeurés au Canada.

[3]                Pendant son affectation en Israël, le lt (M) McManus a reçu des Nations Unies une indemnité de subsistance en mission (ISM), laquelle indemnité est décrite en ces termes par les Nations Unies :

[TRADUCTION]

L'indemnité de subsistance en mission (ISM) est une indemnité quotidienne versée par l'Organisation au titre des frais de subsistance défrayés sur le lieu de l'affectation par le personnel affecté temporairement ou nommé à une mission spéciale.

[Y]

Le taux de l'IMS est établi pour chaque mission selon le coût du logement à long terme, des vivres et des diverses dépenses sur le lieu d'affectation de la mission.

[4]                Le lt (M) McManus a loué un appartement et il a payé les services publics et ses vivres pendant qu'il était en Israël. Sa famille a continué de payer ses frais de subsistance habituels au Canada.

[5]                Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC) sont des règlements pris en vertu de la Loi sur la défense nationale. Ces dispositions prévoient notamment une indemnité supplémentaire au personnel des Forces canadiennes affecté à l'étranger. En l'espèce, les dispositions de l'article 209.997 qui était en vigueur pendant que le lt (M) McManus était affecté à l'étranger sont particulièrement intéressantes. Elles se lisent comme suit :

209.997(2) Sous réserve des dispositions énoncées dans le présent article et de toutes les restrictions et conditions prescrites par le chef de l'état-major de la défense, un officier ou militaire du rang est admissible aux frais d'absence du foyer pour compenser les dépenses supplémentaires qui découlent du fait que le militaire soit séparé des personnes à sa charge au tarif mensuel déterminé dans le présent article :

[Y]

(3)    Un officier ou militaire du rang qui a été affecté et est en service dans une base, une unité ou un élément où l'on ne fournit pas de logements pour célibataires ou le vivre, ou les deux, a droit à l'indemnité d'absence du foyer, selon les taux prévus ci-dessous :

[Y]

(4)    Un officier ou militaire du rang qui a été muté à une base, unité ou élément où les logements pour célibataires et le vivre sont disponibles est admissible au remboursement des frais d'absence du foyer et ce, au taux mensuel qui correspond à 30 fois le montant de l'allocation versée pour les dépenses imprévues, tel qu'il est énoncé à l'alinéa (1)d) de l'article 209.30 en ce qui a trait aux logements non commerciaux.

[6]                Les Forces canadiennes émettent les Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC), des documents de politique qui permettent d'interpréter et de compléter diverses dispositions des Ordonnances et règlements royaux. Les OAFC ne sont pas des textes législatifs. L'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-3 applicable à l'époque vise les frais d'absence du foyer. Les dispositions suivantes sont pertinentes :

OBJET

1.      La présente ordonnance complète l'article 209.95 des OAFC, Frais d'absence du foyer (FAF), et établit les circonstances et conditions en raison desquelles on peut fournir les FAF à un militaire muté ou en affectation temporaire dans un nouveau lieu de service. Les cas dont la situation n'est pas spécifiée, mais qui satisfont aux exigences de cette ordonnance peuvent être soumis au Directeur-Rémunération et avantages sociaux (Administration) DRASA/QGDN, suivant les voies normales, afin d'y être étudiés.

ADMISSIBILITÉ.

2.      Le commandant de l'unité d'affectation peut autoriser le remboursement des frais d'absence du foyer (FAF), pour les raisons énoncées à l'annexe A au militaire avec une personne à charge telle que celle-ci est définie au sous-alinéa 209.80(3)b) des ORFC, à condition que la personne à charge demeure normalement avec le militaire à son lieu de service. Pour l'application de la définition de personne à charge, le mot « conjoint » s'entend aussi bien d'une personne vivant en union de fait avec un militaire si cette union est reconnue aux termes de l'article 1.075 des ORFC (Unions conjugales reconnues). Le militaire ayant droit aux FAF doit utiliser les vivres et logement (VL), s'ils sont disponibles. Le militaire doit percevoir un montant mensuel pour faux frais tel qu'indiqué à l'alinéa 209.997 (4) ou (5) des ORFC, selon le cas. Si, conformément à l'alinéa 209.997 (3) des ORFC, les VL ne sont pas disponibles, le militaire a droit à un montant mensuel pour ses frais de logement commercial, ou privé, ses frais de repas et ses faux frais. Les frais de stationnement additionnels encourus par le militaire occupant un logement commercial et recevant les FAF peuvent aussi être remboursables.

Nota - Le militaire muté à l'étranger qui a droit au facteur de péréquation de la solde (FPS), conformément au paragraphe 35 de l'OAFC 205-5, Règlement sur le service militaire à l'étranger, et qui a droit aussi aux FAF, verra son FPS réduit de 25 p. cent.

18.    VL ou indemnités pour VL fournis par un tiers. Les FAF sont remboursables au taux indiqué à l'alinéa 209.997 (4) ou (5) des ORFC, selon le cas, durant toute période où des logements pour célibataires, des vivres, ou des indemnités versées à leur place, sont fournis par un tiers.

[7]                Il n'est pas contesté qu'en vertu des dispositions du paragraphe 209.997(3), lorsque « l'on ne fournit pas de logements pour célibataires ou le vivre, ou les deux » , une personne a droit à toute époque pertinente à environ 42 $US par jour alors qu'en vertu du paragraphe 209.997(4), si « les logements pour célibataires et le vivre sont disponibles » , une personne n'a droit qu'à environ 4 $US par jour.

[8]                Le lt (M) McManus a reçu 4 $US par jour pendant son affectation en Israël. S'il avait reçu la somme de 42 $US par jour, il aurait touché environ 20 000 $US de plus. Il a déposé un grief dans lequel il a présenté divers scénarios concernant les célibataires et le personnel marié des Forces canadiennes qui sont affectés à l'étranger dans des situations différentes. Il a soutenu qu'il y avait un écart inopportun entre les sommes qu'il aurait dû toucher et celles qu'on lui avait versées, compte tenu des circonstances qui lui étaient propres. Dans un premier temps, la question a été examinée par le directeur général, Rémunération et Avantages sociaux, qui, dans une lettre au demandeur datée du 16 août 2001, a dit sur cette question :

[TRADUCTION]

4.      En ce qui concerne la question des FAF, cet avantage a pour objet de compenser les membres des Forces canadiennes d'une partie des dépenses imprévues qui découlent du fait qu'ils sont séparés de leur famille. Dans son grief, le lt (M) McManus nous renvoie à l'annexe E qui dit que, dans des circonstances exceptionnelles, le taux des FAF peut être augmenté si le montant prescrit est jugé inadéquat. Toutefois, on ne saurait dire que le montant des FAF versé au lt (M) McManus ait été inadéquat. Le lt (M) McManus reçoit une indemnité de subsistance en mission (ISM), qui est un avantage prévu par les Nations Unies dans le but de compenser les dépenses d'un membre sur le lieu de son affectation. À l'annexe F (tiré du scénario relatif aux coûts soumis par le lt (M) McManus à l'annexe A), il est clair que l'ISM lui permet de vivre sur les lieux de son affectation sans frais et, selon les propres calculs du lt (M) McManus, cet avantage lui procure plus de 617 $ chaque mois. Ainsi, le lt (M) McManus ne subvient pas aux besoins de deux résidences comme il le prétend puisque, en réalité, il ne paye que ses dépenses au Canada. En outre, une partie de l'IMS s'applique aux dépenses imprévues sur les lieux de l'affectation, même si les FAF doivent également compenser ces frais. Ainsi, le lt (M) McManus reçoit le double des dépenses imprévues nécessaires, question qui devrait être révisée par l'autorité compétente. Par conséquent, toutefois, il est clair qu'un taux plus élevé de FAF ne saurait être justifié en l'espèce.

[Y]

7.      Compte tenu des circonstances en l'espèce, je suis convaincu que le lt (M) McManus a été traité d'une manière juste et équitable comme toute autre personne dans des circonstances semblables. Par conséquent, la réparation qu'il demande lui est refusée. Toutefois, il peut toujours soulever la partie trois des RSME.

[9]                Le lt (M) McManus, insatisfait de la réponse, s'est prévalu de la procédure de règlement des griefs et un membre du Comité des griefs des Forces canadiennes a tranché en sa faveur. Dans ses conclusions et recommandations datées du 21 juin 2004, le membre a dit notamment :

[TRADUCTION]

Il ressort clairement des annexes fournies par le plaignant, en particulier l'annexe A (page 6), qu'il touchait l'indemnité de dépenses imprévues de 4 $ par jour visé par le paragraphe (4). Le plaignant a indiqué que son taux de FAF avait été déterminé par le fait que son ISM était versée essentiellement pour les vivres et le logement gratuits (page 8), ce qui est conforme à l'OAFC 209-3, paragraphe 18, qui se lit, en partie, comme suit :

[Y]les FAF sont remboursables au taux indiqué à l'alinéa 209.95(4) ou (5) des ORFC, selon le cas, durant toute période où des logements pour célibataires, des vivres, ou des indemnités versées à leur place, sont fournis par un tiers.

L'API a tenu compte de cette méthode de calcul des FAF, de façon indirecte, déclarant que l'ISM que recevait le plaignant couvrait toutes ses dépenses en affectation, ce qui sous-entendait qu'elle était analogue aux vivres et au logement (page 14).

Cette méthode de calcul, selon laquelle le fait de recevoir une ISM rendait le plaignant admissible seulement au remboursement des dépenses imprévues quotidiennes, n'est pas appuyée par le règlement. Il n'y a aucune disposition à l'article 209.997 qui accorde un pouvoir discrétionnaire permettant de substituer une indemnité analogue pour les vivres et le logement. De même, rien dans la réglementation ne prévoit une réduction des FAF lorsque le militaire reçoit l'ISM, pas plus que le pouvoir discrétionnaire d'imposer une réduction.

Lorsque les législateurs ont prévu une réduction des avantages parce que le militaire a droit à d'autres avantages, ils l'ont clairement indiqué dans la réglementation. À titre d'exemple, les règlements sur le FPS prévoient clairement une réduction lorsque des indemnités sont reçues d'un tiers. De même, le règlement sur les FAF, au sous-alinéa (5), prévoit une réduction lorsque le militaire reçoit une indemnité de service à l'étranger.

De plus, l'article 209.015 des ORFC prévoyait que les indemnités pouvaient être réduites lorsque les dépenses ou d'autres rémunérations étaient versées par un tiers; toutefois, cette réduction était limitée aux indemnités reçues en vertu des sections 2 (Transport et installation), 3 (Frais de voyage) et 4 (Dépenses imprévues de voyages). Les FAF sont prévus à la section 9, qui ne fait pas partie de l'article 209.015.

Selon un principe d'interprétation des lois, les dispositions législatives ou réglementaires doivent d'abord être considérées de façon isolée. Si le sens est clair, il n'est pas indiqué de recourir au contexte global de la loi ou de la réglementation ou à tout autre outil d'interprétation.

Le sens ordinaire de l'article 209.997 des ORFC ne va pas dans le sens d'une substitution de l'ISM aux vivres et logement, et aucun pouvoir discrétionnaire n'est prévu, comme dans l'article 9 des Règlements sur le service militaire à l'étranger (RSME) ou l'article 209.015 des ORFC, qui permettrait aux FC de limiter les FAF comme le prévoit le paragraphe 18 de l'OAFC 209-3.

Bien que la réglementation prévoie des limitations et conditions prescrites par le Chef d'état-major de la Défense, ce pouvoir est limité.

La juge Wilson, au nom de quatre juges de la Cour suprême du Canada dans Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to amend the Education Act (Ontario), a déclaré ce qui suit :

Toutefois, il est bien établi de nos jours qu'un pouvoir légal de réglementation n'est pas limité. Il est limité par les politiques et les objectifs inhérents à la loi habilitante. Un pouvoir de réglementation n'est pas un pouvoir d'interdiction. Il ne saurait être utilisé pour contrecarrer l'économie même de la loi qui le confère.

Les limitations et conditions autorisées prescrites par une autorité subordonnée exerçant un pouvoir conféré par la réglementation habilitante ne peut aller jusqu'à refuser catégoriquement et totalement un droit prévu par des règlements du gouverneur en conseil. L'alinéa 18 de l'OAFC 209-3, en rendant le plaignant entièrement inadmissible à l'indemnité prévue par les ORFC, va au-delà du pouvoir de prescrire des conditions et limitations et est, par conséquent, invalide.

[10]            Le lt (M) McManus a ensuite demandé réparation au chef d'état-major de la Défense (par intérim), en conformité avec son grief. Dans sa lettre au demandeur datée du 29 octobre 2004, le chef par intérim a rejeté la conclusion du Comité des griefs en ces termes :

[TRADUCTION]

Avec tout le respect que je dois au Comité, je ne suis pas d'accord avec lui. La preuve au dossier révèle que le paragraphe 209.997(4) des ORFC qui régit les situations où des logements sont disponibles a été appliqué à votre situation et qu'en vertu de ce paragraphe, les FAF ont été réduits et limités à 30 fois le montant de l'indemnité quotidienne de dépenses imprévues en ce qui a trait aux logements non commerciaux.

La principale question est de savoir si cette action était conforme au paragraphe (4). En répondant à la question, il faut décider s'il y a lieu d'appliquer une interprétation littérale et restrictive ou une interprétation plus large fondée sur l'objet du paragraphe (4), en conformité avec les objectifs de l'article 209.997 des ORFC.

Un membre est affecté pour satisfaire aux exigences du service et, par conséquent, l'affectation entraîne certaines perturbations. Les FC offrent un ensemble d'avantages sociaux qui atténuent ces perturbations. L'objectif est de minimiser ou d'éliminer les menues dépenses. Dans votre cas, l'une des préoccupations que vous avez soulevées était de satisfaire à vos besoins alimentaires (les vivres) et de logement (le logement). L'ISM a pour objet de vous aider à obtenir le « logement et les vivres » .

L'article 120 et l'alinéa 35d) de l'OAFC 205-5 reflètent cette réalité. L'article 120 en particulier indique clairement que l'ISM a essentiellement pour objet d'assurer un logement et des vivres gratuits et de veiller à ce que la Couronne ne rembourse pas un membre de ses frais de subsistance deux fois. Je suis d'accord avec cette approche.

Cette approche exige une interprétation large du paragraphe (4). Toutefois, l'interprétation est encore plus cohérente compte tenu des fins d'intérêt public en cause : veiller à ce que vous ayez des vivres et un logement. Il serait extrêmement difficile pour les FC de justifier l'utilisation de fonds publics pour payer des dépenses qui sont déjà payées. Ce qui est pertinent, c'est que les Nations Unies considèrent également que le paiement d'une ISM équivaut à fournir vivres et logement. Tel que précisé dans l'introduction de l'ISM, l'allocation est réduite en conformité avec la prestation de soit la nourriture, soit le logement. Les Nations Unies ne subventionnent pas non plus les vivres et le logement lorsqu'un tiers les fournit.

Vous avez touché une allocation qui vous permettait de payer le coût de votre logement, de vos vivres ainsi que vos frais de subsistance, soit l'équivalent de vivres et d'un logement gratuits. J'estime que le paragraphe (4) de l'OAFC s'applique en matière d'avantages et que vous aviez droit à 30 fois le montant de l'indemnité quotidienne de dépenses imprévues.

[11]            Une décision rendue par le chef (par intérim) n'est pas susceptible d'appel ou de révision sauf s'il s'agit d'un contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur les Cours fédérales. L'article 29.15 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 prévoit :

29.15 Les décisions du chef d'état-major de la défense ou de son délégataire sont définitives et exécutoires et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, ne sont pas susceptibles d'appel ou de révision en justice.

[12]            Il s'agit, en l'espèce, d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du chef (par intérim) datée du 29 octobre 2004.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]            Il y a deux questions à trancher :

1.          Quelle est la norme de contrôle appropriée relativement à la décision du chef d'état-major par intérim;

2.          Selon la norme appropriée, la Cour doit-elle annuler la décision ou rendre une autre ordonnance?

QUESTION no 1 BLa norme de contrôle

[14]            Le chef d'état-major de la Défense (par intérim) est l'officier le plus haut gradé des Forces canadiennes et, conformément aux dispositions de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, il « [...] assure la direction et la gestion des Forces canadiennes » .

[15]            Les paragraphes 12(1) et (2) de la Loi sur la défense nationale prévoient la prise de règlements en vue de l'application de la Loi :

12. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant l'organisation, l'instruction, la discipline, l'efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d'une façon générale, en vue de l'application de la présente loi.

      (2) Sous réserve de l'article 13 et des règlements du gouverneur en conseil, le ministre peut prendre des règlements concernant l'organisation, l'instruction, la discipline, l'efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d'une façon générale, en vue de l'application de la présente loi.

[16]            Les Ordonnances et règlements royaux, dont le paragraphe 209.997(2) est pertinent en l'espèce, prévoient que cette disposition s'applique « [s]ous réserve des dispositions énoncées dans le présent article et de toutes les restrictions et conditions prescrites par le chef d'état-major de la défense [...] » .

[17]            Habituellement, lorsqu'une personne agissant en tant que comité ou tribunal interprète le droit, telle interprétation est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Cette norme a été établie dans certaines décisions, notamment Pushpanathan c. Canada (MCI), [1998] 1 R.C.S. 982, arrêt dans lequel le juge Cory, dans une opinion dissidente, a dit au paragraphe 82 :

82       Pour l'application de la Convention relative au statut des réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6, la question de savoir ce qui constitue un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies est une question de droit. Bien qu'il faille faire preuve d'une certaine retenue à l'égard des conclusions de fait de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, il n'en va pas de même à l'égard de ses conclusions de droit. La Commission ne jouit pas d'une expertise particulière sur le plan juridique. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si la décision que la Commission a rendue relativement à la question de droit était correcte.

[18]            Toutefois, au paragraphe 37 de l'arrêt, le juge Bastarache a dit, au nom de la majorité des juges de la Cour suprême :

37       Je le répète, il peut convenir de faire preuve d'un degré élevé de retenue même à l'égard de pures questions de droit, si d'autres facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle semblent indiquer que cela correspond à l'intention du législateur, comme notre Cour l'a décidé dans l'arrêt Pasiechnyk, précité. Toutefois, en cas d'ambiguïté des autres facteurs, les cours de justice doivent faire preuve de moins de retenue à l'égard des décisions qui portent sur de pures questions de droit.

[19]            Le chef d'état-major de la Défense a une certaine expertise en matière de contrôle et d'administration des Forces canadiennes. La réglementation, ainsi que la Loi, lui confèrent, pour ce qui touche les questions visées, le pouvoir de prescrire des « restrictions et conditions » .

[20]            Par conséquent, j'estime, pour ce qui concerne la question dont je suis saisi, qu'il me faut faire preuve de retenue à l'égard de la décision du chef d'état-major de la Défense (par intérim) conformément à la norme de la décision raisonnable simpliciter.

QUESTION no 2 BLa Cour doit-elle annuler la décision ou rendre une autre ordonnance?

[21]            Le chef d'état-major de la Défense (par intérim) a décidé de verser au lt (M) McManus une indemnité de séparation d'environ 4 $ (US) par jour au motif que des « logements pour célibataires et des vivres » étaient « disponibles » en conformité avec le paragraphe 209.997(4) des Ordonnances et règlements royaux.

[22]            Dans la présente affaire, la « disponibilité » a pris la forme de l'indemnité de subsistance en mission offerte par les Nations Unies que le chef d'état-major de la Défense (par intérim) a jugé, à la page 5 de la lettre dans laquelle il a rendu sa décision, qu'elle était [traduction] « l'équivalent de vivres et d'un logement gratuits » .

[23]            La question est de savoir si le mot « disponibles » , tel qu'employé aux paragraphes (2) et (3) des Ordonnances en cause, veut dire « en nature » , c'est-à-dire sans qu'un membre des Forces canadiennes ne soit obligé de conclure une transaction quelconque, ou s'il s'agit d'une somme d'argent qui est « disponible » pour obtenir un logement et des vivres. Le terme « disponible » , comme l'a dit le juge Richie au nom de la Cour suprême du Canada, à la page 588 de l'arrêt Alberta Giftwares Ltd. c. La Reine, [1974] R.C.S. 584, se prête à plusieurs interprétations et doit être compris dans le contexte dans lequel il est employé :

Le terme « available » (disponible), comme de nombreux autres termes de la langue anglaise, peut avoir différentes nuances de signification, et, à mon avis, en interprétant un testament, un acte, un contrat, un prospectus ou autre document de nature commerciale, l'effet juridique à donner aux termes employés est une question de droit et, en interprétant pareil document, c'est une erreur de droit que d'attribuer un sens déterminé à un terme de connotations différentes en choisissant une des diverses acceptions du dictionnaire sans tenir compte du contexte de l'alinéa ou de la phrase où le terme est employé.

[24]            La Cour suprême a également dit que l'interprétation d'une disposition doit être faite eu égard au contexte de la loi et du règlement et en tenant compte de l'objet visé. Comme l'a dit le juge Iacobucci au nom de la Cour, au paragraphe 30 de l'arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. La Reine, [2002] 2 R.C. S. 559 :

Il est donc nécessaire, dans chaque cas, que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l'analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si [TRADUCTION] « le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes » (Willis, loc. cit., pages 4 et 5).

[25]            Compte tenu du contexte du présent règlement, il appert qu'il a, à l'instar des autres Ordonnances et règlements royaux, été promulgué en vertu des dispositions de l'article 12 de la Loi sur la défense nationale qui contient des termes très généraux tels que « l'organisation, l'instruction, la discipline, l'efficacité et la bonne administration » relativement au contexte du règlement.

[26]            Les avocats ont attiré mon attention sur d'autres règlements applicables aux dépenses des membres des Forces canadiennes et ces dispositions se trouvent, en règle générale, sous le titre « Frais de transport et de voyage » qui fait partie de dix sous-sections dans lesquelles la section en cause est intitulée « Dispositions diverses » . Les dispositions de ces règlements autres que celui en cause prévoient essentiellement le remboursement des dépenses d'un membre s'il présente des pièces justificatives. En l'espèce, la disposition n'en parle pas.

[27]            Le droit à l'indemnité d'absence du foyer est établi au paragraphe 209.997(2) des ORFC qui commence ainsi :

Sous réserve des dispositions énoncées dans le présent article et de toutes les restrictions et conditions prescrites par le chef de l'état-major de la défense [Y]

[28]            Les ORFC confèrent donc au chef d'état-major de la Défense le droit d'imposer des « restrictions et conditions » .

[29]            Le paragraphe (2) prévoit :

[Y] un officier ou militaire du rang est admissible aux frais d'absence du foyer pour compenser les dépenses supplémentaires qui découlent du fait que le militaire soit séparé des personnes à sa charge [Y]

Il est donc clair que ce sont les dépenses imprévues de l'officier ou du militaire et non celles de sa famille qui sont remboursées.

[30]            Les paragraphes (3) et (4) indiquent le montant que l'officier ou le militaire doit recevoir, (en l'espèce, 42 $US par jour ou 4 $US par jour) selon que les « logements et le vivre sont disponibles » . Il n'est pas prévu que le membre soit remboursé à condition qu'il présente des pièces justificatives; il n'y a qu'un seul critère empirique, à savoir la disponibilité du vivre et du logement.

[31]            L'article 209.3 de l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes, même s'il ne s'agit ni d'un décret pris en vertu de la loi, ni d'un règlement, est autorisé par le paragraphe (2) de l'article 209.997 à titre de « restriction et condition » . L'article 18, déjà reproduit dans les présents motifs, prévoit que « lesFAF sont remboursables au taux indiqué à 209.997 (4) (soit le même taux qu'au paragraphe 209.997(4), en l'occurrence 4 $US par jour) ou (5) (ne s'applique pas) des ORFC, selon le cas, durant toute période où des logements pour célibataires, des vivres, ou des indemnités versées à leur place, sont fournis par un tiers » .

[32]            Le chef d'état-major de la Défense (par intérim) a dit, à la page 5 de sa lettre du 29 octobre 1994 :

Vous avez touché une allocation qui vous permettait de payer le coût de votre logement, de vos vivres ainsi que vos frais de subsistance, soit l'équivalent de vivres et d'un logement gratuits. J'estime que le paragraphe (4) de l'OAFC s'applique en matière d'avantages [Y]

[33]            Compte tenu des dispositions du paragraphe 209.997(2) selon lesquelles le chef d'état-major de la Défense peut imposer des « restrictions et conditions » et que le terme « disponibles » employé aux paragraphes (3) et (4) s'interprète différemment selon le contexte et compte tenu que l'Ordonnance administrative 209-3 est une « restriction et condition » régulière qui dit clairement que « les indemnités versées à leur place » (des vivres ou des logements) peuvent remplacer ces derniers, je n'ai trouvé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision du 29 octobre 2004 rendue par le chef d'état-major de la Défense (par intérim). Par conséquent, je rejetterai la présente demande.

[34]            Quant aux dépens, je ne rendrai aucune ordonnance relativement à cette question puisque le demandeur a eu gain de cause devant le Comité des griefs, qu'il était raisonnable qu'il demande le présent contrôle judiciaire et compte tenu du petit montant en cause, du moins en l'espèce.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

le 19 septembre 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-2171-04

INTITULÉ :                                                    LE LIEUTENANT (MARINE) T.P. MCMANUS

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

                                                                        LE CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              LONDON (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :                                   LE 19 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Robert W. Vitols                                               POUR LE DEMANDEUR

Robecca Baranowsky Coyne                             POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DYER, BROWN                                             POUR LE DEMANDEUR

London (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada


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