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Date : 19981230


Dossier : T-163-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     GARETH GOSTLOW,

     demandeur,

     - et -

     LES FORCES ARMÉES CANADIENNES et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     VU la présente demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a, le 8 décembre 1997, rejeté les plaintes du demandeur conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

     VU l'audition de la demande de contrôle judiciaire qui a été tenue à Ottawa le 21 octobre 1998;

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     " Allan Lutfy "

     Juge

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


Date : 19981230


Dossier : T-163-98

ENTRE :

     GARETH GOSTLOW,

     demandeur,

     - et -

     LES FORCES ARMÉES CANADIENNES et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      En 1990 et 1991, le demandeur, alors lieutenant-commander dans les Forces canadiennes, a présenté une demande d'études de droit subventionnées dans le cadre du Programme militaire d'études de droit (PMED). Il a échoué aux deux concours. Chaque année, il n'y avait qu'un poste de disponible dans le cadre du PMED. Les candidats retenus avaient 28 et 29 ans respectivement. En 1990, le demandeur était âgé de 40 ans.

[2]      Les dispositions pertinentes de l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 9-62, qui traite des programmes militaires d'études, prévoient :

     5. Afin d'être admissible à un programme d'études, le candidat doit :         

     ...

     b. en règle générale, ne pas détenir un grade supérieur à celui de capitaine;

     ...

     12. ... Les officiers qui détiennent un grade supérieur à celui de capitaine et dont la candidature est retenue doivent revenir de plein gré au grade de capitaine avant le début du programme d'études.         

[3]      De l'avis du demandeur, l'énoncé de politique selon lequel les candidats au PMED " doi[ven]t, en règle générale, ne pas détenir un grade supérieur à celui de capitaine " tendait à favoriser la discrimination envers les officiers plus âgés et supérieurs. D'après lui, ce critère est redondant compte tenu de l'obligation pour le candidat retenu de revenir de plein gré au grade de capitaine.

[4]      En mai 1996, après avoir épuisé la procédure ministérielle de griefs sans obtenir de mesures de réparation, le demandeur a déposé deux plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il prétendait a) qu'il avait été privé de la possibilité de faire des études de droit en raison de son âge, ce qui constitue une pratique discriminatoire au sens de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne1, et b) que le processus de demande en vue de participer au PMED viole l'article 10 de la Loi en tendant à priver les personnes d'un certain âge d'une possibilité d'emploi pour obtenir une formation juridique. Pour soutenir les deux plaintes, le demandeur a associé l'âge moyen accru des officiers à la promotion à un grade supérieur :

         Grade                          Âge moyen
         Colonel                      47.8
         Lieutenant-colonel                  45.0
         Major                          40.8
         Capitaine                      33.6

Le grade de lieutenant-commander du demandeur équivaut dans la marine au grade de major.

[5]      La Commission a nommé un enquêteur, qui a recommandé que les plaintes soient rejetées parce que non fondées. Une copie du rapport de l'enquêteur a été remise au demandeur, qui a présenté des observations par écrit à la Commission. Après examen des observations du demandeur, la Commission a conclu qu'une enquête du Tribunal canadien des droits de la personne n'était pas justifiée. Par conséquent, elle a exercé son vaste pouvoir discrétionnaire conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne2 et a rejeté les plaintes en décembre 1997. En particulier, la Commission a décidé que :

     [traduction] Conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de rejeter les plaintes parce que :         

     la preuve ne vient pas étayer les allégations;

     la politique de l'intimée de limiter les candidatures au Programme militaire d'études de droit aux officiers détenant le grade de capitaine est compatible avec les exigences opérationnelles de l'organisation de l'intimée;         
     les conditions relatives au service obligatoire que l'intimée associe à la prestation des cours de droit, en plus de sa politique de retraite obligatoire, ne sembleraient pas interdire les études de droit à l'officier qui peut servir au moins cinq ans avant d'atteindre l'âge de la retraite obligatoire;         
     le plaignant n'a pas repoussé la défense de l'intimée selon laquelle, dans le processus de sélection de 1990 concernant le Programme militaire d'études de droit, des militaires plus jeunes ont obtenu des résultats inférieurs aux siens et un major presque du même âge s'est classé à un rang situé bien avant le sien;         
     l'âge et les résultats des candidats n'indiquent pas que l'âge était pris en considération dans le processus de sélection de 1991.         

[6]      Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision pour le motif que la Commission: a) n'a pas appliqué le bon critère pour déclarer que la preuve ne venait pas étayer sa plainte et b) a commis une erreur en concluant que les Forces armées avaient établi une exigence professionnelle normale (EPN), conformément à l'alinéa 15a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne3.

[7]      Entre 1975 et 1991, seuls quatorze des cent un candidats au PMED détenaient un grade supérieur à celui de capitaine. Durant la même période, seul un officier détenant un grade supérieur à celui de capitaine a été sélectionné pour le PMED, tandis que les vingt-trois autres candidats retenus détenaient le grade de capitaine ou un grade inférieur. Le demandeur soutient que ces statistiques, combinées à la corrélation entre l'avancement en grade et celui en âge, montrent que la politique selon laquelle les candidats " doi[ven]t, en règle générale, ne pas détenir un grade supérieur à celui de capitaine " constitue un cas de discrimination établi prima facie .

[8]      Le demandeur soutient également que, compte tenu des décisions Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada4, Canada (Procureur général) c. Martin et autres5 et Commission canadienne des droits de la personne c. Canada6, une fois qu'il a établi un cas de discrimination prima facie, c'est alors le défendeur qui a l'obligation de prouver que la politique discriminatoire est une exigence professionnelle normale7. Dans chacune de ces trois affaires, il s'agissait du contrôle judiciaire d'une décision d'un tribunal des droits de la personne. Il peut être tout à fait indiqué que la Commission et ses enquêteurs examinent à fond toute la gamme des questions qu'un tribunal étudierait. Cependant, je n'admets pas que la Commission, lorsqu'elle rend sa décision conformément au paragraphe 44(3) de la Loi8, doive suivre la même structure de preuve que celle qui est imposée à un tribunal des droits de la personne.

[9]      La Commission a été décrite comme ayant des " fonctions d'administration et d'examen préalable [mais sans] rôle important et décisionnel "9. La décision de la Commission de rejeter la plainte n'est pas censée être " ... une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires... "10. La Commission décide, parmi les diverses options qui s'offrent à elle, si les renseignements concernant la discrimination alléguée justifient qu'un tribunal des droits de la personne enquête davantage.

[10]      Dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne)11, mon collègue le juge Nadon a décrit le rôle que joue la Cour en révisant les décisions de la Commission canadienne des droits de la personne, qui rejettent les plaintes, conformément à l'alinéa 44(3)b). Selon ses termes :

     Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. (à la page 600)         
     ...         
     En l'absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l'enquêteuse, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d'une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l'enquête est manifestement déficiente. (à la page 605)         

     ...

     ... il faut privilégier la retenue plutôt que l'interventionnisme tant que la CCDP traite des questions d'appréciation des faits et de décision, tout particulièrement à l'égard de questions pour lesquelles la CCDP dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire, comme lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du paragraphe 44(3). (à la page 609) [C'est moi qui souligne.]         

[11]      Bref, il n'y a pas lieu d'imposer les règles de preuve et de procédure relativement à une plainte devant un tribunal des droits de la personne en ce qui concerne la fonction d'administration et d'examen préalable de la Commission, même lorsqu'elle rejette une plainte parce que celle-ci n'est pas justifiée. Agir ainsi pourrait restreindre le pouvoir de la Commission et de ses enquêteurs d'examiner à fond chaque plainte. Ce n'est pas parce que l'enquêteur se tourne vers l'institution fédérale ou tout autre défendeur pour donner suite à la plainte, que la décision de la Commission est soumise au même degré d'examen que celui auquel est soumis un tribunal des droits de la personne.

[12]      La présente procédure a trait à une allégation de discrimination par suite d'un effet préjudiciable par opposition à une plainte de discrimination directe12. Lorsqu'est alléguée la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, il peut être plus difficile pour le demandeur de prouver une prétention de discrimination établie prima facie parce que la politique dont on se plaint est souvent neutre à première vue. La discrimination peut devenir apparente seulement lors d'un examen plus approfondi des circonstances propres à la personne concernée.

[13]      En l'espèce, la Commission a décidé qu'une enquête plus approfondie de la part d'un tribunal des droits de la personne n'était pas justifiée. Elle a conclu que la preuve ne venait pas étayer les allégations de discrimination faites par le demandeur. Elle a également estimé que la politique de sélection relative au PMED n'empêchait pas la poursuite d'études de droit pour un officier capable de terminer cinq années de service obligatoire avant d'atteindre l'âge de la retraite obligatoire. La Commission a fait de plus remarquer que " l'âge et les résultats des candidats n'indiquent pas que l'âge était pris en considération dans le processus de sélection de 1991 ". En dernier lieu, l'avocat des défendeurs a affirmé, à juste titre me semble-t-il, que la politique selon laquelle les candidats retenus de grade supérieur devaient revenir au grade de capitaine allait à l'encontre de l'allégation selon laquelle les candidats au PMED étaient victimes de discrimination en raison de leur âge.

[14]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, il n'y a pas lieu de modifier les conclusions de la Commission. Le demandeur ne prétend pas avoir été victime d'un déni de justice sur le plan de la procédure ni ne relève aucune omission déraisonnable dans le dossier présenté à la Commission. Lorsque la décision de la Commission satisfait aux exigences de l'équité en matière de procédure, n'omet pas de " preuve manifestement importante " et n'est pas " manifestement déficiente ", il faut entériner l'exercice de son " vaste pouvoir discrétionnaire " et il ne convient que la Cour intervienne13.

[15]      L'analyse de l'enquêteur concernant les exigences professionnelles normales, qui a été adoptée par la Commission, a conclu que la position des défendeurs [traduction] " semble raisonnable et n'est pas réfutée par le plaignant ". Le demandeur soutient que l'enquêteur n'a pas appliqué le bon critère et a confondu les " candidats " avec les " candidats sélectionnés " dans son analyse. Même si la méthode utilisée par l'enquêteur peut avoir été exposée en des termes qui ne sont pas en harmonie avec les principes énoncés dans les arrêts Etobicoke et O"Malley14, la question est purement théorique à cause de sa conclusion, endossée par la Commission, selon laquelle les plaintes sous-jacentes du demandeur au sujet de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable n'ont pas été prouvées.

[16]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

     Allan Lutfy

     Juge

Ottawa (Ontario)

30 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-163-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Gareth Gostlow c. Les Forces armées canadiennes et le procureur général du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      le 21 octobre 1998

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE

     MONSIEUR LE JUGE LUTFY

     EN DATE DU 30 DÉCEMBRE 1998

ONT COMPARU :

Ronald D. Lunau                      pour le demandeur
Arnold Fradkin                      pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson             
Ottawa (Ontario)                      pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                      pour les défendeurs
__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. H-6.

     2      Ibid. Le sous-alinéa 44(3)b )(i) de la Loi prévoit :

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission...(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or ... [Emphasis added.] (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :...b) rejette la plainte, si elle est convaincue :
(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié, ...

     3      Ibid. L'alinéa 15a) dit :

It is not a discriminatory practice if
(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement; ...
Ne constituent pas des actes discriminatoires :
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées; ...

     4      (1990), 112 N.R. 395 (C.A.F.).

     5      [1994] 2 C.F. 524 (1re inst.).

     6      (1994), 76 F.T.R. 265.

     7      Voir Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, et Commission ontarienne des droits de la personne et O"Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536.

     8      Dans Schut c. Procureur général du Canada et La Commission canadienne des droits de la personne (1996), 120 F.T.R. 60, le juge Wetston a annulé le rejet d'une plainte par la Commission parce qu'il estimait qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir l'existence d'une exigence professionnelle normale raisonnable et justifiée. Cependant, dans cette affaire, il statuait sur un cas de discrimination directe et, à mon avis, son analyse ne s'applique pas aux circonstances de l'espèce.

     9      Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893.

     10      Syndicat des employés de production du Québec et de l"Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 899.

     11      [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), confirmée par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.).

     12      La distinction entre discrimination directe et discrimination par suite d'un effet préjudiciable est expliquée dans l'arrêt O"Malley, précité à la note 7, à la page 551 :
     À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. ... D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés.

     13      Voir le paragraphe 10..

     14      Voir la note 7.

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