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Date : 20040809

Dossier : IMM-3079-03

Référence : 2004 CF 1085

Ottawa (Ontario), le 9 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                               BOLESLAW EDWARD POSLUSZNY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Boleslaw Posluszny est entré au Canada en provenance de la Pologne en 2000. Il dit avoir fui la Pologne pour échapper aux mauvais traitements dont il faisait l'objet parce qu'il était d'origine ethnique à moitié tzigane. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a entendu son témoignage et a examiné les autres éléments de preuve qu'il avait soumis. La Commission a conclu que M. Posluszny n'avait pas présenté des éléments de preuve crédibles à l'appui de ses allégations de persécution et a rejeté sa demande d'asile.

[2]                M. Posluszny prétend que la Commission a commis des erreurs graves en rejetant son témoignage et la preuve documentaire. Il me demande d'ordonner une nouvelle audience. Rien ne permet à mon avis d'annuler la décision de la Commission et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Question en litige

[3]                La présente affaire ne soulève en réalité qu'une seule question : La conclusion de la Commission suivant laquelle la demande de M. Posluszny n'était pas suffisamment crédible était-elle justifiée eu égard à la preuve?

II. Analyse

[4]                Je peux annuler la décision de la Commission seulement si je conclus que celle-ci est manifestement déraisonnable, en ce sens qu'elle ne s'appuie aucunement sur la preuve dont la Commission était saisie.


La conclusion de la Commission suivant laquelle la demande de M. Posluszny n'était pas suffisamment crédible était-elle justifiée eu égard à la preuve?

[5]                La Commission a tiré une série de conclusions défavorables quant à la demande de M. Posluszny. Dans chaque cas, la Commission a justifié sa conclusion en se référant à la preuve dont elle était saisie.

(i) Langue

[6]                M. Posluszny a témoigné que bien qu'il ait été élevé principalement dans un milieu tzigane et qu'il ait été entouré de Tziganes, il ne parlait pas le tzigane. La Commission a cité une preuve documentaire indiquant que 98 p. cent des Tziganes polonais parlent le tzigane, pour la plupart couramment. M. Posluszny a dit qu'il n'a jamais appris cette langue parce que ses amis tziganes et sa famille lui parlaient toujours en polonais. La Commission a jugé cette explication peu convaincante.

[7]                À mon avis, il était loisible à la Commission d'avoir des doutes relativement à l'explication fournie par M. Posluszny. C'est lui qui a dit qu'il avait été élevé suivant la tradition tzigane, qu'il avait été entouré de Tziganes et qu'il avait été en association étroite avec eux tout au long de sa vie.


(ii) Coutumes

[8]                M. Posluszny a témoigné sur sa connaissance des coutumes tziganes. Il n'a pu donner que deux ou trois exemples à cet égard. Encore une fois, il était loisible à la Commission de conclure que le témoignage de M. Posluszny était non convaincant compte tenu de sa déclaration suivant laquelle il baignait depuis toujours dans la culture tzigane.

[9]                Il était également loisible à la Commission de se fonder sur sa spécialisation pour conclure que l'un des exemples cités par M. Posluszny n'était pas véridique (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, al. 170i); voir l'annexe). M. Posluszny a expliqué que lorsque naît un enfant tzigane, le père ne peut pas voir son épouse pendant trois mois (dans le cas d'une fille) ou pendant six semaines (dans le cas d'un garçon). La Commission n'avait jamais entendu parler de cette distinction entre les enfants de sexe masculin et les enfants de sexe féminin.

[10]            M. Posluszny a soutenu que la Commission ne pouvait recourir à sa spécialisation sans l'informer des réserves qu'elle avait et lui donner la possibilité d'y répondre. Ayant examiné la transcription, je suis convaincu que la Commission a donné amplement la possibilité à M. Posluszny d'expliquer cette coutume. Il a seulement pu dire qu'il croyait que les garçons étaient plus respectés que les filles dans la culture tzigane. Il était loisible à la Commission de conclure que cette caractérisation générale ne constituait pas une explication adéquate.


(iii) Photo

[11]            M. Posluszny a déposé une vieille photo d'un enfant de 8 ou 9 ans accompagné de personnes ressemblant à des Tziganes. Il a dit être le garçon apparaissant sur la photo. La Commission a été incapable de reconnaître M. Posluszny sur la photo. Elle a conclu qu'il ne fallait accorder aucun poids à la photo parce que celle-ci n'aidait pas à établir le bien-fondé de la demande de M. Posluszny.

[12]            Il est clair que c'est à la Commission de décider du poids à accorder à un élément de preuve donné. Je ne peux pas conclure qu'il était déraisonnable pour la Commission de pas accorder d'importance à une photo sur laquelle elle ne pouvait pas reconnaître M. Posluszny. En tout état de cause, même dans l'hypothèse la plus favorable, cet élément de preuve était peu convaincant pour établir le bien-fondé de l'allégation de persécution de M. Posluszny.

(iv) Description de l'agression


[13]            M. Posluszny a prétendu qu'il avait été agressé. Dans son Formulaire de renseignements personnels, il a déclaré que ses agresseurs lui avaient dit que les membres des demi-castes devraient être expulsés du pays et ne pas obtenir d'emploi. À l'audience, la Commission lui a demandé comment ses agresseurs avaient pu savoir qu'il était à moitié tzigane. Il a répondu qu'ils l'avaient tout simplement traité de Tzigane. À mon avis, la Commission était autorisée à se fonder sur cette contradiction pour conclure que le récit donné par M. Posluszny relativement à cet incident n'était pas crédible.

(v) Rapports de police

[14]            M. Posluszny a dit à la Commission qu'il avait signalé l'agression à la police, mais que celle-ci n'avait pas établi de rapport. La Commission a encore une fois eu recours à sa spécialisation pour signaler à M. Posluszny que la police polonaise établissait habituellement un rapport pour ce type d'incident, mais qu'elle ne prenait pas toujours la plainte au sérieux. M. Posluszny a alors convenu que la police avait mis quelque chose par écrit, mais qu'elle n'avait pas fait de suivi.

[15]            Cette contradiction a fort peu d'importance; elle ne pourrait à elle seule justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Une erreur de la part de la Commission ne pourrait pas non plus permettre de prétendre que sa décision était manifestement déraisonnable. D'une manière ou d'une autre, la question est de peu d'importance.

(vi) Déclarations corroborantes


[16]            À l'appui de sa demande, M. Posluszny a soumis à la Commission une série de déclarations écrites. La Commission a noté que ces déclarations comportaient des phrases ressemblant au propre témoignage de M. Posluszny. Elle avait manifestement des doutes suivant lesquels ces ressemblances indiquaient une certaine connivence entre le demandeur et les auteurs des déclarations. Elle a fait de nouveau appel à sa spécialisation relativement à la facilité avec laquelle il était possible d'obtenir de faux documents.

[17]            Je le répète, c'est à la Commission de décider du poids à accorder à la preuve dont elle est saisie. Je ne peux lui reprocher d'avoir conclu que ces déclarations étaient non convaincantes.

(vii) Déclaration de l'employeur

[18]            M. Posluszny a fourni à la Commission une déclaration de son ancien employeur suivant laquelle M. Posluszny avait été agressé en juillet 2000 par des inconnus. Dans son Formulaire de renseignements personnels, M. Posluszny a déclaré que son employeur avait été harcelé et menacé parce qu'il l'avait embauché, et qu'il avait dû le renvoyer. La Commission s'est demandée pourquoi l'employeur n'avait pas parlé de cela dans sa déclaration. La Commission n'a accordé aucun poids à la déclaration en raison de cette omission.

[19]            Encore une fois, je dois m'en remettre à l'appréciation qu'a faite la Commission de cette preuve.


(viii) Note reçue par l'épouse du demandeur

[20]            M. Posluszny a montré à la Commission une note manuscrite que, selon ses allégations, son épouse aurait reçu après son départ de la Pologne. La note comportait une menace de mort. La Commission s'est demandé pourquoi la famille de M. Posluszny vivait encore dans le même appartement si elle continuait de recevoir ce type de menaces. M. Posluszny a expliqué que déménager dans un autre appartement ne servirait à rien parce que les nouveaux voisins les traiteraient sa famille de la même façon. La Commission n'a pas jugé l'explication fournie par M. Posluszny convaincante. Elle a conclu qu'il n'y avait pas eu de menaces.


[21]            En fait, la Commission a conclu qu'il était non plausible que l'épouse et les enfants de M. Posluszny n'aient pas déménagé si leur vie était sérieusement en danger. Pour ce qui est des conclusions de non-plausibilité, la Cour est souvent autant en mesure que la Commission d'apprécier la preuve et peut intervenir plus facilement que relativement à d'autres types de conclusions de fait. (Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 875 (1re inst.) (QL); Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131 (1re inst.) (QL).) En l'espèce, toutefois, rien ne permet à mon avis de mettre en doute la conclusion de la Commission. M. Posluszny soutient que la preuve documentaire montre que la violence contre les Tziganes est répandue partout en Pologne et qu'il ne servirait donc à rien de déménager. Toutefois, la Commission était d'avis que la situation en Pologne ne justifiait pas la décision de la famille de ne pas tenir compte des menaces précises de lésions corporelles graves dirigées contre elle. Je ne peux reprocher à la Commission d'avoir suivi ce raisonnement.

(ix) Retard

[22]            M. Posluszny est arrivé au Canada en novembre 2000 et n'a présenté sa demande d'asile qu'en avril 2001. Il a dit à la Commission qu'il ne savait pas comment faire sa demande et qu'il ne s'est pas rendu compte qu'il était important d'agir promptement. La Commission a conclu que ce retard était incompatible avec une crainte subjective véritable de persécution.

[23]            Le dépôt tardif d'une demande d'asile est pertinent quant à la question de savoir si l'intéressé craint effectivement d'être persécuté. Il était loisible à la Commission de tenir compte du retard de M. Posluszny dans l'évaluation du bien-fondé de sa demande de protection immédiate.

(x) Date du départ


[24]            M. Posluszny a dit qu'il avait décidé de partir pour le Canada après que son appartement eut été vandalisé en septembre 2000. La Commission a mis en doute cette allégation. Elle a souligné que M. Posluszny avait présenté une demande de visa au printemps de la même année et qu'il avait reçu celui-ci en juillet 2000. Il avait également présenté une demande de visa aux États-Unis en août 2000. La Commission a conclu que M. Posluszny avait décidé de partir pour le Canada avant l'incident qui se serait produit à son appartement. Autrement dit, son départ pour le Canada n'était pas le résultat direct de mauvais traitements reçus.

[25]            À mon avis, il était loisible à la Commission de conclure que les circonstances entourant le voyage de M. Posluszny au Canada mettaient en doute la légitimité de sa demande d'asile.

III. Dispositif

[26]            Rien ne permet à mon avis de conclure que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question de portée générale à certifier et aucune question ne sera énoncée.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


2.          Aucune question de portée générale n'est énoncée.

« James W. O'Reilly »

Juge

                                                                        Annexe


Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Fonctionnement

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

                                             [...]

i) peut admettre d'office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Proceedings

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

                                               ...

(i) may take notice of any facts that may be judicially noticed, any other generally recognized facts and any information or opinion that is within its specialized knowledge.


Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3079-03

INTITULÉ :                                                    BOLESLAW EDWARD POSLUSZNY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 MAI 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Byron E. Pfeiffer                                                POUR LE DEMANDEUR

Sonia Barrette                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Byron E. Pfeiffer                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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