Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060222

Dossier : IMM-2835-05

Référence : 2006 C.F. 242

Toronto (Ontario), le 22 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

REMESH KURA LAL CHIR

demandeur

et

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, M. Chir, sollicite le contrôle judiciaire de la décision prise le 5 mai 2005 par Mme Tanya Noel, l'agente d'expulsion qui a rejeté sa demande d'exécution différée de son renvoi du Canada. Pour les motifs exposés ci-dessous, je ne peux pas conclure que l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a pris sa décision et la demande sera rejetée.

[2]                M. Chir est citoyen des Philippines. En juin 1997, il est arrivé au Canada comme visiteur avec son épouse et ses enfants. Ceux-ci sont ultérieurement rentrés aux Philippines, mais il a décidé de rester ici. Une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle a été prise le 17 février 1998. M. Chir a fait une demande d'asile qui a été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en octobre 1998. Il a demandé le contrôle judiciaire de cette décision, mais l'autorisation lui a été refusée. M. Chir a aussi fait une demande à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) qui a été rejetée en 2000. Il n'a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

[3]                En 1999, M. Chir a fait une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations humanitaires (CH) : il prétendait craindre pour sa vie s'il rentrait aux Philippines. Cette demande a été rejetée en avril 2003. Il a demandé l'autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision, mais elle lui a été refusée en septembre 2003. L'agente qui a étudié le risque couru par le demandeur dans le cadre de sa demande CH a conclu qu'il ne risquerait rien s'il était renvoyé.

[4]                M. Chir a déposé une deuxième demande CH en avril 2004, qui est toujours en cours de traitement à ce jour. Dans sa demande d'avril 2004, le demandeur a exposé ses antécédents, il a inclus un rapport « psychosocial » préparé par un thérapeute clinique, le Dr Agard, et il a fait valoir la situation qui rendrait toute possibilité de refuge intérieur (PRI) aux Philippines illusoire. Le terme « social » dans l'intitulé du rapport indique apparemment qu'il reflète des considérations culturelles.

[5]                Il a été effectué un examen des risques avant envoi (ERAR) et une décision défavorable a été signifiée à M. Chir le 13 avril 2005. Le même jour, il lui a été signifié la directive de se présenter à son renvoi le 21 mai 2005. Le 28 avril 2005, M. Chir a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant cet examen, qui est toujours en cours de traitement.

[6]                La demande d'exécution différée de la mesure de renvoi visant M. Chir dans l'attente de la décision concernant sa deuxième demande CH a d'abord été rejetée le 15 avril 2005. Après que son avocat eut fait valoir d'autres arguments, notamment produit un rapport psychosocial actualisé du Dr Agard en date du 18 avril 2005, une autre décision défavorable a été rendue le 5 mai 2005. Le 9 mai 2005, M. Chir a déposé la présente demande de contrôle judiciaire de cette décision, c'est-à-dire le demande dont la Cour est saisie en l'espèce.

[7]                Le 17 mai 2005, le juge John O'Keefe a accueilli la requête du demandeur et prononcé une ordonnance de sursis à l'exécution de l'ordonnance de renvoi jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les demandes d'autorisation d'engager les deux demandes de contrôle judiciaire et, en cas de décision favorable, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur ces demandes.

DÉCISION

[8]                Dans ses notes au dossier du 15 avril 2005, Mme Noel a fait état des trois facteurs invoqués par le demandeur pour demander l'exécution différée jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande CH: (1) le demandeur soutient financièrement sa famille dans son pays, notamment en ce qui concerne leur scolarité; (2) le demandeur estime qu'il court un risque, malgré la décision d'ERAR défavorable, dont il demande le contrôle judiciaire; (3) le rapport du Dr Agard concernant la santé mentale fragile du demandeur et ses tendances suicidaires.


[9]                Les conclusions de l'agente concernant les arguments du demandeur peuvent être ainsi résumées :

·         Le demandeur ne pouvait pas légalement rester au Canada pour travailler afin de soutenir financièrement sa famille à l'étranger;

·         Au terme de l'ERAR, il a été conclu que le demandeur ne courrait pas de risque s'il rentrait dans son pays;

·         La présentation d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'ERAR n'avait pas pour effet de surseoir à son renvoi;

·         Le rapport médical de juillet 2003 du Dr Agard n'était pas assez récent pour tirer des conclusions quant à l'état mental actuel du demandeur;

·         Il a été demandé à M. Chir lors de son entrevue le 13 avril 2005 s'il avait des problèmes de santé et il a répondu par la négative;

·         L'exécution différée avait été accordée au demandeur jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa première demande CH, qui était en cours de traitement lorsque l'ERAR a été entamé;

·         Il ne serait pas statué sur la deuxième demande CH dans un avenir proche.

[10]            L'agente Noel a transmis le rapport du 18 avril 2005 du Dr Agard à un agent des services médicaux pour l'étranger de Citoyenneté et Immigration Canada pour examen. Dans ses notes au dossier du 5 mai 2005, l'agente déclare que la réponse a été que l'anxiété et la dépression étaient normales et compréhensibles dans les circonstances. Dans le dossier médical d'immigration complété en 1998 relativement à sa demande d'établissement, il était indiqué que le demandeur n'avait alors aucun problème médical. Rien n'indiquait dans les renseignements fournis par le représentant de M. Chir qu'il ne pouvait pas prendre l'avion. L'agente a conclu que, vu les circonstances, l'examen des observations de son avocat et la réaction des services médicaux, l'exécution différée n'était pas indiquée. Je signale en passant que, dans son rapport du 18 avril 2005, le Dr. Agard mentionne que M. Chir n'avait plus suivi de thérapie après août 2003.

LA QUESTION EN LITIGE

[11]            L'agente a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a refusé l'exécution différée de la mesure de renvoi du demandeur du Canada?

LES TEXTES LÉGAUX APPLICABLES

[12]            La disposition applicable est l'article 48 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

(2) L'étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it has been made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

ARGUMENT ET ANALYSE

La norme d'examen

[13]            Le demandeur n'a pas fait d'observations sur cette question dans ses observations écrites. Lors des débats à l'audience, les parties ont déclaré que le choix de la norme serait déterminant pour la demande parce qu'il était peu probable que la Cour en vienne à conclure que, dans les circonstances exposées plus haut, la décision de l'agente ait été manifestement déraisonnable. Par conséquent, le demandeur a fait instamment valoir que la Cour devait suivre la norme de la décision raisonnable, invoquant les décisions Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(2003), 242 F.T.R. 295, 2003 C.F. 1430 (rendue par le juge Luc Martineau) et Alexander c. Canada (Solliciteur général), 2005 C.F. 1147, [2005] A.C.F. no 1416 (QL) (rendue par la juge Eleanor Dawson).

[14]            Le défendeur s'appuie sur la décision Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 144 A.C.W.S. (3d) 927, 2005 C.F. 1715, dans laquelle j'ai conclu, après avoir fait une analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme applicable était la décision manifestement déraisonnable. Je suis toujours d'avis que telle est la norme applicable vu le pouvoir discrétionnaire très limité exercé par l'agent et que, en matière de renvoi, l'examen à effectuer a trait essentiellement à des considérations de fait. C'est la norme exposée à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. La décision de l'agent ne peut faire l'objet d'un contrôle que s'il l'a prise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont il disposait. Cette norme est équivalente à la décision manifestement déraisonnable : Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 238 F.T.R. 194, 2003 CAF 39, au paragraphe 14.

[15]            Cependant, comme je vais l'expliquer plus en détail plus loin, en l'espèce, je conclus, que je suive la norme de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable, que l'agente n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle.

L'agente a-t-elle commis une erreur?

[16]            Le demandeur soutient que l'agente a commis plusieurs erreurs. Premièrement, elle aurait entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle s'est appuyée sur l'avis de l'agent des services médicaux qui avait indiqué que rien n'empêchait le demandeur de prendre l'avion selon les évaluations médicales et psychologiques. La question n'était pas de savoir si le demandeur « était en état de prendre l'avion » mais de savoir si son état psychologique lui permettait de rentrer dans son pays en toute sécurité, vu ses craintes sur le sort qui l'y attendait.

[17]            Deuxièmement, le demandeur soutient que l'agente n'a pas tenu compte des éléments de preuves pertinents et importants figurant dans le rapport actualisé du Dr Agard. La question de la santé psychologique de M. Chir n'a pas été abordée dans le cadre de sa première demande CH, ni lors des évaluations au titre de la CDNRSRC ou de sa demande ERAR. Elle ne l'a été que dans le cadre de sa deuxième demande CH qui était toujours en cours de traitement. L'agente aurait dû donner plus de poids à ce facteur lorsqu'elle a étudié la demande d'exécution différée. Le demandeur soutient aussi que l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a tenu compte de la précédente exécution différée, et qu'elle a ainsi également encore plus entravé son pouvoir discrétionnaire.

[18]            Le défendeur soutient que le droit est clair : les agents de renvoi ne doivent pas agir comme s'ils étaient saisis de « mini demandes CH » pour se conformer à l'obligation que leur impose le paragraphe 48(2) de la LIPR. Elle consiste à appliquer la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent : Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219, 7 Imm. L.R. (3d) 141 (C.F. 1re inst.).

[19]            Dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] 3 C.F. 682, 2001 CFPI 148 (1re inst.), le juge Pelletier (aujourd'hui juge de la Cour d'appel fédérale), a passé en revue la jurisprudence relative au pouvoir discrétionnaire d'accorder l'exécution différée de la mesure de renvoi lorsqu'il y a une demande CH pendante ; à cette occasion, il a défini l'obligation de l'agent en ces termes, au paragraphe 45 :

En l'instance, la mesure dont on demande de différer l'exécution est une mesure que le ministre a l'obligation d'exécuter selon la Loi. La décision de différer l'exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la Loi. Cette justification doit se trouver dans la Loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l'autoriser à ne pas respecter l'article 48 de la Loi. Vu l'obligation qui est imposée par l'article 48, ainsi que l'obligation de s'y conformer, il y a lieu de faire grand état à l'encontre de l'octroi d'exécution différée de la disponibilité d'une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu'on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d'une obligation imposée par la Loi. Pour ce motif, je serais plutôt d'avis qu'en l'absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire qui n'est pas fondée sur des menaces à la sécurité d'une personne ne peut justifier l'exécution différée, parce qu'il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi.

[20]            Comme je l'ai signalé dans la décision Zenunaj, précitée, au paragraphe 31, les agents d'exécution jouissent d'une certaine flexibilité dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire néanmoins limité; ils peuvent tenir compte de divers facteurs susceptibles d'empêcher ou de retarder l'exercice de leur obligation de renvoyer les personnes concernées « dès que les circonstances le permettent » , par exemple des facteurs liés à la sécurité ou à la santé personnelle de la personne sous le coup d'une mesure de renvoi; Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 28 Imm. L.R. (3d) 87, 2003 CFPI 614 (C.F. 1re inst.); Pavalaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 78 A.C.W.S. (3d) 566, [1998] A.C.F. no 338 (C.F. 1re inst.) (QL); Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 44 Imm. L.R. (3d) 31, 2004 C.F. 1161.

[21]            En l'espèce, si l'agente n'avait pas tenu compte du rapport psychosocial actualisé produit par le demandeur, j'aurais été disposé à conclure à une erreur de sa part parce qu'elle n'aurait pas tenu compte d'un facteur touchant la santé de la personne à renvoyer. Mais ce n'est pas ce que l'agente a fait. Elle a transmis le rapport à un expert médical pour avoir un avis. Elle n'a pas entravé son pouvoir discrétionnaire, mais plutôt pris une initiative prudente et indiquée dans les circonstances.

[22]            Les antécédents du demandeur en matière d'immigration ont constitué le contexte dans lequel l'agente a pris sa décision. Celle-ci a mentionné le fait qu'il avait obtenu auparavant une exécution différée prolongée, mais cela n'a pas entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a étudié les motifs pour lesquels M. Chir lui avait demandé l'exécution différée de la mesure de renvoi le visant. L'agente a pris en compte la demande CH pendante. Je suis d'avis qu'elle pouvait à bon droit conclure que la deuxième demande CH n'était pas « opportune » en l'état du dossier, parce qu'elle devait prendre en compte la probabilité qu'une décision ne serait pas prise rapidement et que le traitement de la demande se poursuivrait, que le demandeur reste au Canada, ou non.

[23]            Pour ces motifs, je ne peux pas conclure que sa décision était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

[24]            M. Chir a demandé que j'envisage de certifier la question suivante parce qu'il estime qu'elle a une portée générale : lorsque l'agent d'expulsion décide de ne pas différer l'exécution de la mesure de renvoi, quelle est la norme applicable?

[25]            Comme j'ai conclu que la décision de l'agente résisterait à l'examen, peu importe que l'on suive la norme de la décision manifestement déraisonnable ou simplement déraisonnable, cette question ne serait pas déterminante s'il y avait appel en l'espèce. Par conséquent, je ne certifierai pas cette question.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2835-05

INTITULÉ :                                        REMESH KURA LAL CHIR

                                                            c.

                                                            Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 21 FÉVRIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                       LE JUGE MOSLEY    

DATE DES MOTIFS :                       LE 22 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS:

Osborne Barnwell

POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart-Guthrie

                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Osborne Barnwell,

Toronto (Ontario)

                                 POUR LE DEMANDEUR

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                              POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.