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Date : 20051110

Dossier : IMM-9206-04

Référence : 2005 CF 1533

Toronto (Ontario), le 10 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN                              

ENTRE :

                                                       JUAN ISIDRO MIRANDA

                                                                                                                                          demandeur

et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Juan Isidro Miranda, originaire de la République dominicaine, est arrivé au Canada le 10 octobre 1995. Il a présenté en novembre 1995 une demande d'asile au regard de laquelle on a conclu au désistement en décembre 1997, lorsqu'il a fait défaut de se présenter à son audience. Il s'est marié avec Isidra Miranda en septembre 1998. Le 9 février 1999, il a déposé une demande pour obtenir le statut de résident permanent à titre de conjoint d'une citoyenne canadienne; cette demande a ensuite été convertie en une demande pour considérations humanitaires (demande CH). Le demandeur a eu une entrevue concernant sa demande le 31 mai 2001. Une décision défavorable quant à l'examen des risques avant renvoi (ERAR) a été rendue à son égard le 31 mai 2004, et sa demande pour considérations humanitaires a été rejetée le 21 octobre 2004.

[2]                L'agente a passé en revue l'avis de l'agent d'ERAR qui a conclu à l'absence de risque, et elle a jugé que cette décision était raisonnable. Elle a aussi estimé que, même si l'épouse du demandeur pouvait avoir besoin du soutien financier et affectif de son mari, la preuve ne permettait pas de conclure que l'absence de ce dernier aggraverait sa situation. L'agente a relevé que selon la preuve, l'épouse est traitée par un psychiatre, mais elle a aussi observé qu'aucun élément de preuve n'indique pourquoi les enfants adultes de l'épouse, qui vivent au Canada, ne pourraient pas lui offrir le soutien dont elle a besoin.

[3]                Enfin, l'agente s'est penchée sur le niveau d'établissement du demandeur au Canada. Elle a accepté la preuve selon laquelle le demandeur a travaillé et a fréquenté l'église au Canada; par ailleurs, elle a conclu qu'aucune preuve n'indique qu'il a suivi des cours ou qu'il a quelque épargne au Canada. Par conséquent, l'agente a statué que le demandeur n'éprouverait pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s'il devait retourner en République dominicaine.

[4]                Il n'est pas contesté que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable simpliciter (Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 436; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 R.C.S. 817).

[5]                De l'avis du demandeur, la décision de l'agente qui a statué sur les considérations humanitaires (l'agente CH) n'est pas raisonnable pour les raisons suivantes :

a)         il est illogique de présumer que la condition de l'épouse ne s'aggravera pas si elle est privée du soutien affectif et financier de son époux, étant donné qu'elle ne travaille pas et qu'elle est traitée par un psychiatre;

b)         aucun élément de preuve n'indique que les enfants de l'épouse sont disposés à aider leur mère et sont capables de le faire, en dépit de la conclusion de l'agente à cet effet;

c)         le fait de n'avoir pas d'épargne ou de n'avoir pas suivi de cours n'est pas un signe d'absence d'établissement. Des milliers de Canadiens se trouvent dans la même situation. Le demandeur en l'espèce compte quatorze années de scolarité, il a occupé un emploi rémunéré durant toute la durée de son séjour au Canada, il a subvenu aux besoins de son épouse et il a régulièrement fréquenté l'église.

[6]                La jurisprudence illustre clairement que la Cour fédérale est peu encline à intervenir dans une décision d'ordre humanitaire. La décision Nazim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 125, décrit au paragraphe 15 le processus relatif aux considérations humanitaires :

La possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires a pour but de prévoir un recours en cas de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives. Il ne s'agit pas de savoir si le demandeur apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. En examinant s'il existe des considérations humanitaires, les agents d'immigration doivent déterminer s'il existe une situation particulière dans le pays d'origine de la personne et si un renvoi peut causer des difficultés indues. C'est au demandeur qu'il appartient de prouver à l'agent qu'il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l'exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire.

[7]                En l'espèce, dans sa décision, l'agente expose :

[Traduction]

Le demandeur déclare qu'il est marié à une résidente permanente qui a besoin du soutien financier et affectif qu'il lui apporte. Certains éléments de preuve indiquent que l'épouse est traitée par un psychiatre. Néanmoins, je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve sont suffisants pour établir si l'absence du demandeur aggraverait la situation de l'épouse ou non. Je remarque aussi que l'épouse a des enfants adultes au Canada, avec lesquels elle entretient des relations. À mon avis, la preuve ne permet pas de conclure qu'ils ne pourraient pas lui apporter leur soutien.

[8]                Même en tenant compte du rappel formulé dans la décision Nazim, précitée, j'estime que les observations de l'agente ne sont pas raisonnables. Il est évident que la situation de l'épouse s'aggravera si elle est privée du soutien financier et affectif de son époux. Certes, l'on peut se demander à quel point sa situation s'aggravera, mais il ne fait aucun doute qu'elle s'aggravera.

[9]                De même, il n'existe absolument aucune preuve que les enfants adultes de l'épouse sont capables de soutenir leur mère et le feront effectivement. Pourtant, l'agente présume qu'ils sont capables d'aider leur mère et qu'ils l'aideront, et elle s'attend du demandeur qu'il réfute cette présomption. Évidemment, le demandeur aurait été bien avisé de présenter une preuve quant à la capacité et à la volonté des enfants d'apporter un soutien à leur mère. Cela dit, cependant, il était déraisonnable de la part de l'agente de présumer que les enfants sont à la fois capables d'aider leur mère et disposés à le faire. Il se peut qu'ils vivent ailleurs; il se peut qu'ils soient sans ressources, handicapés ou incarcérés.

[10]       En conséquence, pour les motifs qui précèdent, la demande sera accueillie.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la décision de l'agente CH en date du 21 octobre 2004 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

« K. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9206-04

INTITULÉ :                                        JUAN ISIDRO MIRANDA

                                                                                                                                           demandeur

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 9 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                       LE 10 NOVEMBRE 2005       

COMPARUTIONS :                         

J. Byron M. Thomas                                          POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

   

David Tyndale                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Professional Corporation

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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