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Date : 20200603


Dossier : IMM-1771-19

Référence : 2020 CF 664

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

GURVINDER SINGH MATHAROO

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 26 novembre 2018 par laquelle un agent principal des visas [l’agent des visas] a rejeté la demande de permis de travail du demandeur [la décision contestée]. L’agent des visas a également conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pendant cinq ans pour fausses déclarations.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Les faits

[3] Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Avant le dépôt de la demande de permis de travail qui sous-tend la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a demandé à plusieurs reprises l’autorisation d’entrer au Canada, sans succès.

[4] En décembre 2016, le demandeur a rencontré celle qui est devenue son épouse sur Shaadi.com, un site de rencontres pour les personnes d’origine sud-asiatique. Le couple a commencé à parler au téléphone et leurs familles se sont rencontrées en personne.

[5] Le 25 juin 2017, le couple et leurs familles se sont rencontrés et ont convenu d’arranger un mariage. Le demandeur et son épouse se sont mariés le 22 septembre 2017.

[6] L’épouse du demandeur a obtenu un permis d’études au Canada en décembre 2017. Elle est venue au Canada en janvier 2018.

[7] Le 7 mars 2018, le demandeur a demandé un permis de travail ouvert à titre d’époux d’une résidente temporaire.

[8] Le demandeur a été interrogé par un agent d’immigration du bureau des visas du Canada (l’agent d’immigration) à New Delhi le 19 novembre 2018.

[9] Le 28 novembre 2018, l’agent des visas a examiné la demande, les documents à l’appui et les renseignements recueillis lors de l’entrevue. L’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que son mariage était authentique.

[10] L’agent des visas a également conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans, en application de l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en raison des fausses déclarations qu’il a faites au sujet de l’authenticité de son mariage. Les passages pertinents de l’article 40 sont reproduits à l’annexe ci-jointe.

III. Question préliminaire

[11] Le demandeur et son épouse ont tous deux déposé des affidavits à l’appui de la demande de contrôle judiciaire et ceux-ci contiennent des renseignements dont ne disposait pas l’agent des visas. L’affidavit supplémentaire du demandeur, daté du 9 octobre 2019, contient des journaux de clavardage sur WhatsApp. Le demandeur affirme qu’il les aurait montrés à l’agent d’immigration si celui-ci le lui avait demandé.

[12] L’affidavit de l’épouse du demandeur, daté du 17 avril 2019, contient des renseignements sur les discussions qu’elle a eues avec le demandeur avant leur mariage. L’épouse du demandeur affirme que, lorsqu’elle a demandé au demandeur s’il l’appuierait dans ses études au Canada, elle ne lui demandait pas un soutien financier.

[13] En règle générale, les éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur et qui portent sur l’affaire dont celui-ci était saisi ne sont pas admissibles lors du contrôle judiciaire : Love c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198, au paragraphe 17. Cette règle vise à maintenir la séparation des rôles attribués au tribunal administratif en tant que juge des faits et à la Cour en tant juridiction de révision : Association des universités et collèges du Canada c. Access Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 19 et 23.

[14] Après avoir examiné les affidavits, je conclus qu’une seule des exceptions reconnues à cette règle s’applique. Les deux affidavits présentent des faits supplémentaires qui étaient disponibles au moment du dépôt de la demande initiale de permis de travail, mais qui n’ont pas été présentés aux agents. Ces faits portent précisément sur la question dont étaient saisis les agents. Ils contiennent un argument qui semble être présenté pour répondre aux diverses conclusions tirées par l’agent des visas. Les paragraphes 5 et 6 ainsi que la pièce B de l’affidavit supplémentaire du demandeur, à l’exception des photos qui ont été présentées à l’agent d’immigration et qui sont acceptées comme renseignements généraux qui sont susceptibles d’aider la Cour, sont donc radiés. En outre, le paragraphe 6 et la dernière phrase du paragraphe 7 de l’affidavit de Jashandeep Kaur sont radiés.

IV. Les questions en litige

[15] Le demandeur soutient que la décision contestée est déraisonnable pour quatre motifs.

[16] Premièrement, il affirme que la conclusion selon laquelle le mariage n’était pas authentique était fondée sur des hypothèses et un raisonnement illogique. Deuxièmement, l’agent d’immigration a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur le fait que le demandeur s’est raclé la gorge. Troisièmement, la conclusion selon laquelle la communication entre le couple était insuffisante est incompatible avec la conclusion selon laquelle les réponses du demandeur étaient [traduction] « claires et directes ». Quatrièmement, l’agent des visas a mal interprété ce que le demandeur a voulu dire lorsqu’il a déclaré qu’il [traduction] « aiderait » son épouse avec ses études au Canada.

[17] Le demandeur soutient également que la décision contestée est inéquitable sur le plan de la procédure pour deux motifs. Premièrement, l’agent d’immigration a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas. Deuxièmement, l’agent d’immigration n’a pas examiné les éléments de preuve que le demandeur avait apportés à l’entrevue.

V. La norme de contrôle

[18] Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle judiciaire d’une décision administrative, sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique aux faits de l’espèce : Vavilov, au paragraphe 23.

[19] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[20] La présomption ne s’applique pas à une question liée à un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale : Vavilov, au paragraphe 23. Dans le cadre de l’examen des questions d’équité procédurale, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 56.

[21] La question de savoir s’il y a eu entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne se prête pas particulièrement à l’application d’une norme de contrôle, car une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est automatiquement déraisonnable. Il est donc préférable de trancher cette question en se demandant si la décision découle d’un pouvoir discrétionnaire limité : Austin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1277, au paragraphe 16.

[22] Le lendemain de la publication de l’arrêt Vavilov, l’avocat du demandeur a présenté une brève lettre à la Cour déclarant que [traduction] « l’arrêt Vavilov redéfinit la norme de la décision raisonnable dans le contexte du droit administratif et modifie considérablement le critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir ». La lettre ne contenait aucun argument ni aucun renvoi au libellé de l’arrêt Vavilov pour étayer cette conclusion.

[23] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’arrêt Vavilov a considérablement modifié le critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir. La Cour suprême a expressément déclaré que le cadre d’analyse révisé qu’elle introduisait serait encore guidé par les principes en matière de contrôle judiciaire qu’elle a énoncés dans l’arrêt Dunsmuir : Vavilov, au paragraphe 2.

[24] Je conclus qu’il n’est pas nécessaire de présenter d’autres observations sur cette question, car le résultat serait le même si le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Dunsmuir était retenu.

VI. Analyse de la décision contestée

[25] Les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] comprennent les notes de l’agent des visas et celles de l’agent d’immigration. Ces notes, ainsi que la lettre de refus du 26 novembre 2018, constituent les motifs de la décision contestée : Pushparasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au paragraphe 15.

[26] L’agent des visas a conclu que le demandeur avait fourni des renseignements incohérents concernant la progression de la relation, le mariage, le temps passé ensemble après le mariage, les conditions de vie actuelles du couple et les activités quotidiennes de l’épouse au Canada. L’agent des visas a également conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le couple avait eu des communications régulières après le mariage.

[27] L’agent des visas a tenu compte du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], qui prévoit que « l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas : visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; n’est pas authentique ». L’annexe ci-jointe contient le texte intégral du paragraphe 4(1).

A. La décision contestée n’était pas fondée sur des hypothèses ou un raisonnement illogique

[28] Le demandeur soutient que, au moment de son mariage, son épouse n’avait pas encore obtenu son permis d’études et il n’était pas du tout certain qu’elle en obtiendrait un. Par conséquent, le mariage n’aurait pas pu être contracté dans le seul but d’immigrer au Canada.

[29] Dans le même ordre d’idées, le demandeur affirme que son épouse ne l’aurait pas épousé dans le seul but d’obtenir un financement pour ses études au Canada, puisqu’elle n’avait pas encore obtenu de permis d’études.

[30] Le demandeur affirme que, compte tenu de ce qui précède, les conclusions de l’agent des visas ne découlent pas logiquement de la séquence des événements et qu’elles sont par conséquent déraisonnables.

[31] Avant d’aborder les observations du défendeur, je fais remarquer que, bien que le demandeur ait utilisé deux fois l’expression [traduction] « dans le seul but », l’alinéa 4(1)a) du RIPR emploie l’expression « visait principalement », ce qui n’est pas la même chose.

[32] Le défendeur soutient que la conclusion de l’agent des visas était fondée sur les réponses fournies par le demandeur lors de l’entrevue. Elle n’était pas fondée sur la séquence des événements.

[33] Par exemple, lors de l’entrevue, le demandeur a confirmé que, avant le mariage, son épouse lui a dit qu’elle voulait étudier au Canada. Elle a précisément demandé s’il pouvait l’aider à atteindre cet objectif, et il a répondu par l’affirmative.

[34] De façon séquentielle, le demandeur a présenté une première demande de permis d’études en 2012. Elle a été rejetée au motif que le programme d’études proposé n’était pas raisonnable, compte tenu de ses notes scolaires et de ses aptitudes linguistiques. Le demandeur s’est vu refuser un visa de résident temporaire en août 2016 au motif qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour, compte tenu de ses liens familiaux au Canada et d’autres raisons.

[35] Le demandeur a rencontré son épouse sur Internet en décembre 2016. Les notes versées au SMGC montrent qu’après la réception de sa demande, il a été recommandé qu’une entrevue soit menée, parce que le demandeur avait déjà fait l’objet de quatre refus. Les préoccupations qui sous-tendent ces refus, qui sont liées au but du voyage, à l’authenticité de la relation et à l’inscription de l’épouse comme étudiante à temps plein, existent toujours.

[36] L’agent d’immigration a conclu que le demandeur avait établi qu’il était déterminé à entrer au Canada et qu’il avait compris que son épouse lui fournissait une occasion de présenter une demande d’admission au Canada. Cette conclusion était fondée sur la réponse du demandeur à la question de savoir quelle incidence le rejet éventuel de la demande de visa aurait sur son mariage : il a répondu qu’il présenterait une nouvelle demande. S’il était débouté de sa demande, il continuerait à présenter des demandes. Pour tirer cette conclusion, l’agent d’immigration a tenu compte des demandes de visa présentées antérieurement par le demandeur et de leur rejet.

[37] Compte tenu des faits susmentionnés, le demandeur ne m’a pas convaincue que la décision contestée était fondée, en tout ou en partie, sur un raisonnement illogique ou sur des hypothèses. Il était raisonnablement loisible à l’agent d’immigration et à l’agent des visas de tirer la conclusion qu’ils ont tirée au regard des faits et du droit.

B. L’agent d’immigration n’a pas tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur le fait que le demandeur s’est raclé la gorge

[38] Le demandeur affirme que, dans le contexte de sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible en ce qui a trait à l’authenticité de son mariage, l’agent d’immigration a fait remarquer que le demandeur avait [traduction] « commencé à tousser et à se racler la gorge » lorsqu’on lui avait demandé s’il avait envisagé la possibilité que son épouse l’ait épousé seulement pour obtenir de l’aide dans son projet de faire des études au Canada. L’agent d’immigration a écrit que [traduction] « les réponses du demandeur étaient claires et directes » jusqu’à ce moment de l’entrevue. Par la suite, l’agent d’immigration a écrit que le demandeur avait commencé à se racler la gorge et qu’il [traduction] « semblait nerveux ».

[39] Le demandeur soutient qu’il pourrait y avoir bien des raisons, dont plusieurs ont été invoquées dans la présente demande, pour expliquer pourquoi il avait commencé à tousser et à se racler la gorge. Pour ce motif, il affirme que la conclusion de l’agent d’immigration selon laquelle il était nerveux manque de justification.

[40] Le défendeur soutient que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des questions liées au comportement du demandeur au moment d’évaluer sa crédibilité, parce que l’agent d’immigration a eu la possibilité d’évaluer directement la preuve du demandeur.

[41] Bien que le recours à l’évaluation du comportement et la pertinence de celle-ci pour déterminer la crédibilité ne soient pas sans controverse, ils sont toujours acceptés par les tribunaux canadiens. Récemment, le juge Alan Diner a examiné de façon approfondie la question des conclusions tirées quant à la crédibilité en se fondant sur la preuve du comportement dans le contexte des réfugiés. Le juge Diner a conclu, et je souscris à sa conclusion, que l’opinion exprimée par les tribunaux supérieurs, y compris la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c NS, 2012 CSC 72, aux paragraphes 98 à 102, ont force exécutoire, c’est-à-dire que le fait de voir et d’entendre un témoin peut conférer un avantage au décideur de première instance en matière d’établissement des faits : Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, aux paragraphes 97 à 104.

[42] En ce qui concerne plus particulièrement la jurisprudence de la Cour, il a été conclu que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit faire preuve d’une retenue particulière à l’égard des conclusions des décideurs de première instance quant à la crédibilité, puisque ces décideurs ont eu l’occasion d’entendre les témoins et d’observer leur comportement : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 [Rahal], aux paragraphes 41 à 45.

[43] Cependant, un décideur ne devrait pas s’appuyer uniquement sur le comportement d’un demandeur, y compris ses hésitations et son manque de précision, pour évaluer sa crédibilité. Il est préférable qu’il y ait des faits objectifs additionnels pour justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Rahal, au paragraphe 45.

[44] Le fait qu’il peut y avoir d’autres explications plausibles pour le raclement de gorge et la toux du demandeur ne signifie pas que l’évaluation de l’agent d’immigration était déraisonnable : Amador Ordonez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1216, au paragraphe 15.

[45] Pour convaincre une cour de révision que la conclusion était déraisonnable, le demandeur doit faire ressortir une conclusion qui n’est pas étayée par la preuve : Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 11; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 614, au paragraphe 16.

[46] Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que les conclusions de l’agent d’immigration se sont fondées à tort sur le fait qu’il s’est raclé la gorge ou sur un autre aspect de son comportement. En réalité, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve en fonction de son interprétation des notes versées au SMGC. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, au paragraphe 125.

C. La conclusion concernant le manque de communication ou d’interaction entre le demandeur et son épouse après le mariage était raisonnable

[47] Le demandeur soutient que la conclusion selon laquelle la communication entre le couple était insuffisante est incompatible avec la conclusion selon laquelle ses réponses étaient [traduction] « claires et directes ». Il estime que cette dernière conclusion confirme que ses réponses étaient acceptées comme véridiques.

[48] Un examen attentif des notes versées au SMGC montre que le commentaire de l’agent des visas selon lequel les réponses du demandeur étaient [traduction] « claires et directes » a été formulé pour montrer que le comportement du demandeur avait changé avec le raclement de gorge, qui n’a commencé qu’au moment où on lui a posé des questions sur l’intention possible de son épouse à l’égard du mariage. Je ne suis pas en mesure de conclure que le commentaire de l’agent des visas concernait la véracité des réponses précédentes du demandeur.

[49] Le demandeur soulève également des questions au sujet de divers faits sur lesquels l’agent d’immigration s’est appuyé :

- son épouse n’est pas retournée en Inde depuis son arrivée au Canada dix mois plus tôt, mais l’agent d’immigration n’a pas tenu compte des renseignements figurant à l’annexe A de la demande concernant ses études;

- il y a eu absence de communication par téléphone ou par Internet, et l’agent d’immigration n’a pas demandé d’autres éléments de preuve qui auraient pu être fournis;

- les photos présentées en preuve montrent qu’il y a eu une interaction directe entre le demandeur et son épouse et témoignent clairement de l’existence d’une relation amoureuse;

- l’agent d’immigration ne s’est pas acquitté de son obligation de justifier ses conclusions quant à la crédibilité étant donné qu’il n’a pas clairement mentionné les photos.

[50] Le demandeur soutient que, compte tenu de ce qui précède, les conclusions de l’agent d’immigration et de l’agent des visas concernant l’absence de communication et d’interaction entre les époux manquent de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[51] J’examinerai brièvement chacun des motifs susmentionnés, dans l’ordre.

[52] Le demandeur soutient que l’agent d’immigration n’a pas tenu compte de son explication quant à la raison pour laquelle son épouse ne lui a pas rendu visite après son arrivée au Canada. Selon l’explication fournie à l’annexe A de la demande de visa du demandeur, qui contient ses observations à l’appui de sa demande de permis de travail, l’horaire de son épouse pendant ses études était trop chargé pour lui permettre de longs congés, de sorte que la seule option était qu’il lui rende visite au Canada.

[53] En l’espèce, l’agent d’immigration a fait remarquer que l’épouse s’est absentée de l’Inde pendant environ dix mois et a tenu compte de l’absence d’éléments de preuve concernant les communications par téléphone ou par Internet. L’agent d’immigration est réputé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier et n’est pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve. L’omission de mentionner un élément de preuve ne signifie pas qu’il a été oublié ou qu’il y a erreur susceptible de contrôle : Rocha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1070, au paragraphe 45; Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, aux paragraphes 35 et 36.

[54] En ce qui concerne l’absence de preuve concernant les communications par téléphone ou par Internet, l’agent d’immigration n’était pas tenu de demander d’autres éléments de preuve à l’appui de la prétention du demandeur. Il incombait au demandeur de fournir suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa prétention selon laquelle son épouse et lui communiquaient deux fois par jour. Le demandeur aurait apporté à l’entrevue des copies des conversations qu’il a eues avec son épouse sur WhatsApp, qui auraient pu étayer sa prétention selon laquelle ils communiquaient deux fois par jour, mais il ne les a pas produites. Cela ne peut pas rationnellement être la faute de l’agent d’immigration.

[55] Le demandeur a également fait valoir que le défaut d’examiner les conversations sur WhatsApp était inéquitable sur le plan de la procédure. La conclusion que j’ai tirée ci-dessus règle cette question également. Il va sans dire que le décideur ne peut pas être tenu d’examiner les éléments de preuve qui ne lui ont pas été présentés.

[56] En ce qui concerne les photos, l’agent d’immigration a demandé de voir celles du mariage et celles qui ont été prises après le mariage. Le demandeur a produit un album de photos de mariage et une série de photos prises après le mariage. Le demandeur affirme que les photos montrent une interaction directe entre son épouse et lui et qu’elles témoignent clairement de l’existence d’une relation amoureuse, mais cela ne peut pas être établi simplement en regardant les photos. Le fait que les photos ne figurent pas dans le dossier sous-jacent est attribuable au fait que l’agent d’immigration les a remises au demandeur à la fin de l’entrevue. Cependant, elles ont été admises dans le cadre de la présente demande et je les ai examinées.

[57] Contrairement à ce qu’a affirmé le demandeur, l’agent d’immigration a clairement renvoyé aux photos. Il a notamment parlé des [traduction] « tenues et rituels complexes » et a mentionné que [traduction] « de nombreuses personnes étaient présentes avant et pendant la cérémonie de mariage » et que [traduction] « les photos prises après le mariage montrent des sorties à deux et avec des membres de la famille ».

[58] La seule chose que les photos établissent, c’est que le demandeur et son épouse se sont mariés. D’autres éléments de preuve sont nécessaires pour établir que le mariage est authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

[59] L’agent d’immigration et l’agent des visas ont tous deux conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à ce sujet.

D. L’agent d’immigration n’a pas entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas

[60] Le demandeur soutient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas a été entravé lorsqu’il s’est fondé sur les notes prises par l’agent d’immigration lors de l’entrevue.

[61] Je ne suis pas d’accord.

[62] L’agent des visas ne s’est pas contenté d’entériner d’office les conclusions de l’agent d’immigration. L’agent d’immigration mène une entrevue et fait une recommandation à l’agent des visas. En l’espèce, l’agent des visas a explicitement indiqué qu’il avait examiné la demande, les documents à l’appui, les notes prises dans le contexte de la demande et les renseignements recueillis lors de l’entrevue.

[63] Au terme de ce processus, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que son mariage est authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

[64] Le dossier sous-jacent appuie les conclusions de l’agent des visas. Les dix mois que l’épouse a passés à l’extérieur de l’Inde et l’absence d’éléments de preuve établissant qu’il y a eu communication par téléphone ou par Internet ont soulevé des préoccupations raisonnables quant à la question de savoir si le couple avait réellement l’intention de bâtir une vie ensemble. Compte tenu des demandes d’admission antérieures présentées par le demandeur pour venir au Canada et le fait qu’il continuerait à présenter des demandes si on lui refusait un permis de travail, le résultat est justifié au regard des faits et du droit.

[65] L’agent des visas a déclaré que le fait de répondre à la définition de « membre de la famille » énoncée dans le RIPR est important dans l’évaluation de l’admissibilité à un permis de travail à titre d’époux d’un étudiant. Si le demandeur avait été considéré comme un époux dans un mariage authentique, cela aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, car un permis de travail aurait été délivré à une personne qui ne satisfait pas aux critères d’admissibilité du programme.

[66] L’agent des visas a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pendant cinq ans, en application de l’article 40 de la LIPR, en raison des fausses déclarations qu’il a faites au sujet de l’authenticité de son mariage.

VII. Conclusion

[67] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a indiqué qu’elle profitait de l’occasion pour analyser et clarifier le droit applicable au contrôle judiciaire de décisions administratives. Elle désirait notamment fournir des indications plus précises sur l’application appropriée de la norme de la décision raisonnable.

[68] À cette fin, la Cour suprême a énoncé, aux paragraphes 99 à 101 de l’arrêt Vavilov, les caractéristiques essentielles dont la cour de révision devrait tenir compte au moment de décider si une décision est raisonnable :

[99] La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Dunsmuir, par. 47 et 74; Catalyst, par. 13.

[100] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[101] Qu’est‑ce qui rend une décision déraisonnable? Il nous semble utile ici, d’un point de vue conceptuel, de nous arrêter à deux catégories de lacunes fondamentales. La première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. Il n’est toutefois pas nécessaire que les cours de révision déterminent si les problèmes qui rendent la décision déraisonnable appartiennent à l’une ou à l’autre catégorie. Ces désignations offrent plutôt un moyen pratique d’analyser les types de questions qui peuvent révéler qu’une décision est déraisonnable.

[69] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir que la décision contestée n’est pas justifiée, intelligible ou transparente. Le raisonnement ne comporte aucune lacune fondamentale discernable. Les motifs donnés permettent au demandeur et à la Cour de comprendre le processus décisionnel et la raison d’être de la décision de l’agent d’immigration et de l’agent des visas. Cela satisfait aux critères énoncés dans les arrêts Dunsmuir et Vavilov.

[70] La demande est rejetée.

[71] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.

[72] Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1771-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de juin 2020

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c. 27

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

[…]

Interdiction de territoire

Inadmissible

(3) L’étranger interdit de territoire au titre du présent article ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent.

(3) A foreign national who is inadmissible under this section may not apply for permanent resident status during the period referred to in paragraph (2)(a).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1771-19

 

INTITULÉ :

GURVINDER SINGH MATHAROO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 juin 2020

 

COMPARUTIONS :

Jaswant Mangat

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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