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Date : 20051213

Dossier : IMM-2572-05

Référence : 2005 CF 1684

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

ANELL FABIOLA AVILA LEZAMA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 14 avril 2005, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), a rejeté la demande d'asile d'Anell Fabiola Avila Lezama (la demanderesse), qui est citoyenne du Mexique. La Commission n'a pas cru qu'elle avait été victime d'abus du fait d'un agent de police qui appartenait à la police judiciaire fédérale d'Acapulco.

[2]                Le droit est bien fixé : la crédibilité est une question de fait et, si les conclusions tirées à cet égard sont au coeur de la décision, elles ne peuvent être annulées que conformément aux exigences de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, c'est-à-dire que la décision ne peut être annulée que si la Cour estime que la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, qu'elle a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait; la norme d'examen est équivalente à la décision manifestement déraisonnable.

[3]                Un autre principe de droit est aussi bien établi : les conclusions de fait doivent être tirées à partir des éléments de preuve produits devant la Commission qui doit les soupeser comme il se doit, sans les interpréter de manière erronée. Cependant, à maintes reprises, on a mis en garde les tribunaux appelés à se prononcer sur les demandes de contrôle judiciaire de ne pas soupeser à nouveau les éléments de preuve correctement appréciés par la Commission.

[4]                Après avoir examiné la transcription de l'instance qui s'est déroulée devant la Commission, je suis d'avis que sa décision doit être annulée parce qu'elle a tiré ses conclusions concernant la crédibilité sans tenir compte des documents qui avaient été produits devant elle. En outre, elle a tiré certaines inférences clés de manière déraisonnable : en effet, elles ne sont pas étayées par la preuve. En voici quelques exemples.

[5]                Premièrement, la Commission a mal saisi la preuve concernant les raisons pour lesquelles la demanderesse n'avait pas pu lui produire la copie du rapport d'hôpital sur son état après avoir été, selon ses dires, victime de sévices. La demanderesse avait clairement dit au cours de sa déposition que, lorsque la poste a livré le courrier contenant le rapport d'hôpital, elle n'était pas chez elle; cependant, quelqu'un vivant dans la même maison qu'elle - et beaucoup d'autres personnes y vivaient, dont des itinérants - a signé le reçu qu'avait conservé la poste. Il n'y avait aucun élément de preuve relatif à un avis et aucun élément de preuve indiquant que quelqu'un d'autre eût pris le courrier au bureau de poste; pourtant, c'est sur ces suppositions que la Commission s'est appuyée pour conclure que le témoignage de la demanderesse n'avait aucun sens.

[6]                Deuxièmement, la Commission a invoqué des déclarations qu'elle avait faites dans son Formulaire de renseignements personnels (PIF), à savoir qu'elle était « stupéfaite et effrayée qu'il ait pu obtenir son numéro de téléphone, car le numéro était inscrit sous un autre nom » , relativement au fait qu'elle disait avoir fui Acapulco pour habiter chez sa mère à Mexico et qu'elle avait donné auparavant à son ex-petit ami le nom et l'adresse de sa tante. La Commission a dit que « [s]'il connaissait le nom de la tante, tout ce qu'il avait probablement à faire était consulter l'annuaire téléphonique » . Cette inférence n'est que pure conjecture. Cette question n'a pas fait l'objet de débats à l'audience et la preuve ne révèle pas si le nom de la tante était inscrit dans l'annuaire téléphonique. Personne n'a demandé à la demanderesse si le numéro de téléphone était le sien (non pas celui de sa tante, voir à la page 2 de la décision de la Commission) et s'il n'était pas inscrit sous son nom. Aucun élément de preuve n'étaye la conclusion du tribunal.

[7]                Troisièmement, la Commission a déclaré qu'elle ne croyait pas « qu'une organisation policière au Mexique, peu importe que la personne porte ou non un insigne de la PGR, n'interviendrait pas si cette personne déchargeait des coups de feu sur une maison. Il y a peut-être de la corruption au Mexique, mais il n'est pas possible de croire la déclaration de la demandeure d'asile » . La Commission a fait abstraction du FRP de la demanderesse, dans lequel elle avait déclaré que son agresseur a montré son badge aux agents de la police de Mexico qui sont venus chez sa tante, et de sa déposition, selon laquelle il leur a dit qu'il s'agissait d'une querelle personnelle.

[8]                Quatrièmement, la Commission a minimisé sa déposition concernant le badge de police de son ex-petit ami. Elle a dit qu'elle n'avait jamais vu son badge de près et ne savait pas ce qui y était inscrit. La Commission a fait abstraction de sa déclaration selon laquelle le badge était fait de métal, de couleur jaune or, et qu'il tenait dans la main. La Commission a aussi fait abstraction des preuves indiquant que, si elle ne l'avait pas vu en uniforme, toutes les personnes avec qui il travaillait portaient des uniformes de couleur noire sur lesquels il y avait l'acronyme de la police judiciaire en lettres jaunes or.

[9]                Cinquièmement, la demanderesse a écrit dans son FRP que son ex-petit ami lui avait dit qu'il [TRADUCTION] « était un employé civil de la Procuraduria General de la Républica (PGR). Cependant, j'ai découvert qu'il était en fait un agent de la PGR » . La Commission a fait les observations suivantes :

Même si elle a déclaré dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) qu'elle avait appris que son ex-petit ami était un agent de la PGR, elle n'était pas vraiment sûre de ce qu'il faisait. Elle savait qu'il avait une arme, qu'il avait un insigne et qu'il n'était jamais en uniforme. Toutefois, elle a aussi affirmé dans son FRP qu'il travaillait dans le bureau de la PGR comme commis civil. Elle n'a jamais vu son insigne de près, elle ne sait pas ce qu'il y a sur cet insigne, et le tribunal estime qu'il est invraisemblable qu'un commis de bureau pourrait agir avec l'impunité qu'elle lui attribue. D'après son témoignage, le fait qu'il porte une arme est normal au Mexique, tous les hommes en portent une. Le tribunal est d'avis que la demandeure d'asile a exagéré son impunité. Qu'il ait averti la demandeure d'asile de ne rien dire, comme elle a témoigné de vive voix, mine encore davantage l'assertion de la demandeure concernant son impunité.

[10]            Vu cet extrait, la Commission n'a pas tenu compte de son témoignage selon lequel c'était son ex-petit ami qui lui avait dit qu'il était un commis de bureau, qu'il ne voulait pas lui dire quel genre de travail il faisait au sein des forces de sécurité, qu'il était très secret au sujet de son travail, qu'il portait toujours une arme, qu'il se servait de son badge pour n'importe quoi et que la plupart de ses amis étaient des agents de police. Elle a bien dit qu'elle pensait qu'il était un agent de la PGR parce qu'il portait une arme. Elle n'a pas dit que tous les hommes au Mexique portaient une arme. À la page 150 du dossier du tribunal certifié, elle a bien dit que, à tout le moins là où elle vivait, c'est-à-dire à Acapulco, il était normal pour les gens d'avoir des revolvers (pas d'en porter en tout temps); par exemple, elle a dit que d'aucuns tiraient en l'air au cours de célébrations. En outre, je ne vois pourquoi le fait qu'il lui aurait dit de se taire rend moins crédible son affirmation selon laquelle il jouirait de l'impunité. On peut tout aussi logiquement interpréter sa mise en garde de ne rien dire au sujet des actes de brutalité qu'il lui avait infligés de la manière suivante : cela lui aurait causé des problèmes avec son employeur.

[11]            Sixièmement, la Commission a conclu que les parents de la demanderesse n'avaient pas eu de problèmes avec son ex-petit ami depuis qu'ils s'étaient installés au Yucatan, mais qu'il avait causé des problèmes à ses amis et à sa tante. La Commission montre ainsi qu'elle a fait abstraction de son témoignage, selon lequel son ex-petit ami ne savait pas où se trouvaient ses parents.

[12]            Pour ces motifs, les conclusions défavorables concernant la crédibilité de la demanderesse qu'a tirées la Commission ne peuvent être maintenues. Ses conclusions concernant la protection assurée par l'État et la PRI découlaient directement du rejet de son récit.

ORDONNANCE

            La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 14 avril 2005 par la Commission est annulée, et la demande d'asile de la demanderesse est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen. Les parties n'ont pas demandé que soit certifiée une question.

   « François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

                          


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-2572-05

INTITULÉ:                                         ANELL FABIOLA AVILA LEZAMA

c.

                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                LE MARDI 6 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                       LE 13 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Byron Thomas                                       POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Byron Thomas                      

Toronto (Ontario)                                  POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DÉFENDEUR


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