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Date : 20040316

Dossier : IMM-4769-02

Référence : 2004 CF 381

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SHORE

ENTRE :

                                              LUIS ALFONSO ANDRADE ABSALON

MARIANA VALENZUELA SOBRINO

                                                                                                                                                    Requérants

                                                                                   et

                                              LE MINISTERE DE L'IMMIGRATION

ET DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                   

                                                                                                                                                            Intimé

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                 Ce cas d'espèce soulève une question principale qui est très souvent soulevée. Elle se repose sur la crédibilité et son champ d'analyse: quand (jusqu'à quel point, avec quel degré de précision, et sur combien des éléments de la matière) est-ce qu'un tribunal administratif spécialisé possède assez pour se prononcer sur la crédibilité? Quand le noeud de la revendication est démontré comme compris au sens large, les attentes concernant la crédibilité sont comblées (et à ce point, la Cour devrait se fier (différer) aux connaissances du tribunal administratif spécialisé).

L'historique des procédures juridiques

[2]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la « Commission » ), en date du 17 septembre 2002, à l'effet que les requérants ne satisfont pas à la définition au sens de la Convention selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.[1]

[3]                 Luis Alfonso Andrade Absalon ( « M. Andrade Absalon » ) et Mariana Valenzuela Sobrino ( « Mme Valenzuela Sobrino » ) demandent que la Cour mette de côté la décision de la Commission disant que les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.[2]

[4]                 L'Intimé demande le rejet de la demande de contrôle judiciaire.[3]


ALLÉGATIONS (FAITS)

[5]                 M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino sont mariés et ils sont citoyens mexicains. Ils ont revendiqué le statut de réfugié alléguant une crainte raisonnable de persécution en raison d'être persécuté du fait d'opinions politiques imputées et l'appartenance de la revendicatrice au groupe social des femmes victimes de violence. M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino ont aussi revendiqué le statut de personne à protéger.[4]

[6]                 M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino allèguent que M. Andrade Absalon et des amis ont créé une organisation caritative, le « Beverly Hills Charity Group » . Ils organisaient des fêtes qui avaient lieu une fois par mois. Les profits des fêtes étaient donnés à la Croix Rouge de Huixtla. En juin 1995, M. Andrade Absalon est devenu président de l'organisation, et, avec le salaire qu'il gagnait, il pouvait soutenir sa famille.[5]


[7]                 L'organisation a connu un tel succès et a réalisé tant de bénéfices qu'elle a pu aider d'autres communautés, incluant des autochtones de San Cristobal. M. Andrade Absalon allègue qu'en août 1997 il a connu la « Commandant Maria » du groupe Zapatista. Elle l'a remercié pour avoir aidé les autochtones. Elle lui a aussi demandé d'aider les Zapatistas en recrutant des nouveaux membres.[6]

[8]                 En octobre 1997 il a rencontré le chef des Zapatistas, le « Commandant Marcos » . Celui-ci a parlé pendant 6 heures, et lui a demandé d'aider les Zapatistas. M. Andrade Absalon lui a répondu qu'il voulait terminer l'université avant de devenir membre du groupe.[7]

[9]                 En juin 1998 M. Andrade Absalon est allé à l'université. Il a démissionné de son poste de président du groupe « Beverly Hills Charity Group » et a commencé à travailler à une pizzeria comme directeur adjoint.[8]

[10]            Pendant ses études M. Andrade Absalon a connu Julio Salazar. Julio Salazar était le neveu de Pablo Salazar, un candidat pour gouverneur de Chiapas dans l'élection de 2000. En suite, Pablo Salazar a gagné l'élection. Après avoir gagné, Julio Salazar a dit à M. Andrade Absalon que son oncle pouvait lui donner un emploi, mais, avant qu'il puisse faire cela, M. Andrade Absalon devait devenir membre de son parti politique, le Parti d'Action Nationale


(le « PAN » ). M. Andrade Absalon est devenu membre du PAN et fut offert l'emploi d'Administrateur au Département du Trésor. Il a accepté le poste, et devait commencer son travail en février 2001.[9]             

[11]            Le 18 janvier, M. Andrade Absalon a travaillé plus tard que d'habitude, d'ailleurs jusqu'à tôt dans la matinée du 19 janvier. Le 19 janvier, Mme Valenzuela Sobrino a appelé à la pizzeria, disant que trois hommes des Zapatistas, portant des masques, se sont introduits par effraction à la maison. Ils ont demandé où était M. Andrade Absalon, ils ont menacé de tuer M. Andrade Absalon, et ils ont agressé sexuellement et physiquement Mme Valenzuela Sobrino. Elle a demandé à M. Andrade Absalon de ne pas faire de rapport à la police. M. Andrade Absalon est allé chez lui, et ensuite ils sont allés chez le père de Mme Valenzuela Sobrino.[10]

[12]            Ils ont décidé de fuir le Mexique. Ils sont restés chez l'oncle de M. Andrade Absalon, et, tout de suite après avoir reçu leurs passeports, ils ont quitté le Mexique.[11]

[13]            Ils sont arrivés au Canada le 3 février 2001 et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 30 mai 2001.[12]


DÉCISION DE LA COMMISSION

[14]            La Commission a décidé que M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino n'étaient pas crédibles. Elle a remarqué des différences importantes entre les notes qui ont été présentées par la Citoyenneté et Immigration Canada (le « CIC » ) et le FRP des requérants. M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino ont expliqué les incohérences, mais la Commission n'a pas trouvé l'explication crédible.[13]

[15]            La Commission a aussi noté que M. Andrade Absalon aurait dû présenter une carte de membre du PAN et a tiré une inférence négative du fait qu'il ne l'a pas présentée.[14]

[16]            La Commission a trouvé que des parties du témoignage de M. Andrade Absalon étaient invraisemblables.[15]

[17]            La Commission a trouvé que M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino n'ont pas sollicité l'aide de la police. La Commission a ensuite conclu qu'ils auraient dû solliciter l'aide de la police, car l'État mexicain a la capacité d'assurer la protection aux citoyens.[16]


[18]            La Commission a tiré une inférence négative du fait que M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino n'ont pas revendiqué le statut réfugié jusqu'à presque trois mois après qu'ils soient arrivés au Canada.[17]

[19]            La Commission a donc rejeté la revendication de M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino.

QUESTIONS EN LITIGE

[20]            Est-ce que l'affidavit de M. Andrade Absalon est admissible ?                             

[21]            Est-ce que la Commission a erré en concluant que M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino n'étaient pas crédibles ?

[22]            Est-ce que la Commission a erré en comprenant mal la preuve ?

[23]            Est-ce que la Commission a erré quand elle n'a pas donné a M. Andrade Absalon l'opportunité d'obtenir sa carte de membre du PAN ?


ANALYSE

Est-ce que l'affidavit de M. Andrade Absalon est admissible ?

[24]            L'affidavit de M. Andrade Absalon inclut non seulement des faits, mais aussi des interprétations de la décision de la Commission ainsi que des arguments légaux.[18] Comme les

affidavits ne peuvent inclure que des faits,[19] la grande partie de l'affidavit n'est pas admissible.

[25]            C'est important de souligner l'effet du par. 81(1) des Règles. Les prétentions devraient se faire dans le mémoire, et non pas dans les affidavits.

Est-ce que la Commission a erré en concluant que M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino n'étaient pas crédibles ?

[26]            M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino prétendent que la Commission n'a pas fait référence à la preuve documentaire qui contredisait le témoignage des requérants et ignorait le principe de la présomption de véracité des requérants.[20]

[27]            En l'espèce, la Commission a décrit plusieurs exemples d'incohérences et d'invraisemblances qui réfutaient la présomption de véracité. Par exemple, elle a remarqué les incohérences entre les notes de CIC et le FRP de M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino.[21] Aussi, elle l'a trouvé invraisemblable que M. Andrade Absalon n'a pas pu reçevoir sa carte de membre du PAN pour la présenter comme preuve qu'il était membre du parti.[22]

[28]            De plus, et contrairement aux prétentions des requérants, la Commission a fait référence à la preuve documentaire en trouvant que M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino n'étaient pas crédibles. M. Andrade Absalon a témoigné qu'il n'avait pas des barrages militaires le jour où il a rencontré le Commandant Marcos, mais la Commission a remarqué que dans cette période, il y avait une augmentation de présence militaire dans Chiapas.[23] La Commission a aussi noté qu'un rapport relate qu'il n'y a pas de preuve que les Zapatistas se vengent contre des gens qui ne les appuie pas ou force des personnes à devenir membres du groupe.[24]


[29]            Les requérants invitent la Cour à substituer ses conclusions pour celles de la Commission. Mais la jurisprudence est claire sur le fait que la crédibilité d'un témoin est une question qui relève de la compétence du tribunal.[25] Étant donné l'expertise de la Commission, la Cour n'interviendra seulement lorsque le demandeur démontre que les conclusions sont manifestement déraisonnables. En l'espèce les requérants n'ont pas réussi à le démontrer.[26]

[30]            Le problème avec cette conclusion est que M. Andrade Absalon n'a pas témoigné que la famille craignait des représailles. Quand la Commission a demandé pourquoi il a cherché son passeport tout de suite après que sa femme fut agressée, il a répondu:

What happened is that her father [le père de Mme. Valenzuela Sobrino] was afraid that they would find us and then attack us both and kill us both. So then, you know, he pressured me and he said that the most logical step for us was to leave the country as soon as possible.[27]

Le père de Mme Valenzuela Sobrino avait peur que les Zapatistas agressent M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino, non pas lui-même. La Commission a pu tirer une inférence négative du fait que des revendicateurs ont retardé leur départ, c'est parfaitement raisonnable de conclure que des revendicateurs feraient tout pour partir sans délai quand ils seraient persécutés.


Est-ce que la Commission a erré en omettant de tenir compte de la preuve ?

[31]            La Commission n'a pas besoin de faire mention de toute la preuve devant elle, mais elle doit le faire lorsque la preuve est pertinente.

Est-ce que la Commission a erré quand elle n'a pas donné à M. Andrade Absalon l'opportunité d'obtenir sa carte de membre du PAN ?

[32]            M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino prétendent que la Commission aurait dû ajourner l'audience pour donner l'opportunité à M. Andrade Absalon d'obtenir sa carte de membre du PAN.

[33]            La Cour n'est pas d'accord avec cette prétention. Dans un cas très similaire, le juge Gibson a dit :

Un requérant comparaissant devant la SSR, représenté par avocat comme ce fut le cas en l'espèce, est tenu d'être prêt à présenter pleinement sa cause à l'occasion de sa comparution. Le requérant aurait dû s'apercevoir que, s'il s'était pleinement préparé à cette audience, il existait d'importantes omissions dans son formulaire de renseignements personnels. La possibilité de rectifier ces omissions a été donnée à l'ouverture de l'audience. On ne s'en est pas prévalu...[28]


Il est possible de dire la même chose à l'égard de ce cas. Ce n'était pas la responsabilité de la Commission d'avertir M. Andrade Absalon et Mme Valenzuela Sobrino d'obtenir des preuves qu'ils avaient besoin de présenter et elle n'a pas erré.

CONCLUSION

[34]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

« Michel M.J. Shore »

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                                                                                                                                                                 Juge                         



                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                                         IMM-4769-02

INTITULÉ :                                                        LUIS ALFONSO ANDRADE ABSALON

MARIANA VALENZUELA SOBRINO

c.

LE MINISTERE DE L'IMMIGRATION

ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 15 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                

ET ORDONNANCE:                                       L'HONORABLE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS DE                                LE 16 MARS 2004

L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE:                                             

COMPARUTIONS :

Me Clarel Midouin                                               POUR LE REQUÉRANT

Me Marie Crowley                                               POUR L'INTIMÉ    

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clarel Midouin Law Office                                  POUR LE REQUÉRANT

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR L'INTIMÉ    

Sous-procureur général du Canada


Montréal (Québec)        



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] Dossier d'application, Demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, onglet 1, p. 2.

[3] Mémoire d'argument du Défendeur, par. 13.

[4] Dossier d'application, Motifs de la Décision, onglet 3, p. 6.

[5] Supra.

[6] Supra.

[7] Supra.

[8] Supra.

[9] Dossier d'application, Affidavit de M. Andrade Absalon daté le 7 novembre 2002, onglet 4, p. 13, par. 14.

[10] Dossier d'application, selon le Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ) signé par M. Andrade Absalon, onglet 6-A, p. 34, par. 26-29.

[11] Supra, par. 29.

[12] Dossier d'application, Motifs de la Décision, onglet 3, p. 7.

[13] Supra, p. 8.

[14] Supra.

[15] Supra, pp. 8-9.

[16] Supra, p. 9.

[17] Supra , p. 10.

[18] Dossier d'application, Affidavit de M. Andrade Absalon, onglet 4, p. 12, par. 5, p. 13, par. 12- 14, p. 14, par. 19.

[19] Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 par. 81(1) (les « Règles » ). Le par. 81(1) se lit ainsi:

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included.

[20] Dossier d'application, Mémoire de faits et de droits du requérant, onglet 5, p. 27, par. 15.

[21] Dossier d'application, Motifs de la Décision, onglet 3, p. 7.

[22] Supra, p. 8.

[23] Supra.

[24] Supra, p. 9.

[25] Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), par. 4.

[26] Supra; Sagharichi v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 796 (QL), par. 3.

[27] Certified Tribunal Record, Transcript of the Hearing, p. 550.

[28] Dong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 486 (QL), par. 14.

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