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Date : 20030903

Dossier : IMM-3697-02

Référence : 2003 CF 1020

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2003

En présence de monsieur le juge James Russell

ENTRE :

                                                                    NONG SAT MUI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de M. R. Neron, de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 24 juillet 2002 (la décision), par laquelle la Commission rejetait l'appel de la demanderesse pour incompétence parce que, à la date du mariage, Zhen Qi Guo (le mari) n'avait pas l'intention de résider en permanence avec Nong Sat Mui (la demanderesse) et parce que le mari avait contracté le mariage principalement dans le dessein d'obtenir son admission au Canada pour rejoindre sa famille. La demanderesse voudrait une ordonnance annulant la décision de la Commission de rejeter l'appel et une ordonnance renvoyant l'affaire à une autre formation de la Commission pour nouvelle décision.

LES FAITS

[2]                 La demanderesse, âgée de 33 ans, est une citoyenne canadienne qui est née au Vietnam. Le mari est âgé de 45 ans et vit à Hong Kong. La demanderesse et son mari prétendent s'être rencontrés en mai 1999 par l'entremise de leurs mères, qui étaient amies. La demanderesse et son mari parlent tous deux le cantonais, et c'est dans cette langue qu'ils communiquent ensemble.

[3]                 Selon la demanderesse, elle-même et son mari ont commencé leurs fréquentations en juin 1999. En avril 2000, la demanderesse s'est rendue en Chine pour visiter son futur mari, qui à l'époque vivait dans ce pays. Avant de partir pour la Chine, la demanderesse avait obtenu un certificat de non-empêchement, qui attestait qu'elle était célibataire et libre de se marier. Le mari a proposé le mariage à la demanderesse le 10 avril 2000. Elle a accepté et ils se sont mariés le lendemain. Quelques personnes seulement ont assisté à la cérémonie, et aucun membre de la famille de la demanderesse ne s'y trouvait. La demanderesse a témoigné que ses parents, ses proches et ses amis étaient au Canada et qu'elle avait l'intention d'organiser une autre célébration lorsque son mari viendrait au Canada.

[4]                 La demanderesse a présenté une demande de parrainage de son mari en mai 2000 et elle est retournée en Chine le 23 mars 2002 pour lui rendre visite. Elle a déclaré que, durant cette visite, elle vivait avec son mari, qu'elle l'aidait dans son entreprise et qu'elle se divertissait. La demanderesse a témoigné qu'elle-même et son mari ont beaucoup échangé sur leurs projets. Ils songent à épargner de l'argent, à lancer une entreprise et à avoir des enfants. La demanderesse trouve que la durée de leur séparation a été une expérience très difficile.

[5]                 La demanderesse a produit des factures de téléphone, des lettres, des cartes postales et des photos à un agent des visas pour appuyer sa demande de parrainage. L'agent des visas a refusé la demande de parrainage présentée par la demanderesse. Il a conclu que le mari s'était marié avec la demanderesse principalement dans le dessein d'obtenir son admission au Canada et qu'il n'avait pas l'intention d'habiter en permanence avec la demanderesse.

[6]                 La demanderesse a fait appel de la décision de l'agent des visas à la Commission.

DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS


[7]                 L'agent des visas a interrogé le mari sur sa famille au Canada. Le mari a expliqué que ses parents, un frère cadet et une soeur cadette se trouvaient au Canada. Répondant aux questions qui lui étaient posées, il a aussi expliqué que son beau-frère avait parrainé sa soeur pour qu'elle vienne au Canada en 1992. Elle avait été le premier membre de sa famille à se rendre au Canada. L'agent des visas a demandé au mari si son beau-frère et sa soeur étaient encore ensemble. Le mari a répondu par l'affirmative.

[8]                 Le mari a expliqué à l'agent des visas que lui-même et la demanderesse s'étaient mariés peu de temps après qu'ils s'étaient vus durant la visite de son épouse en Chine, parce qu'ils se connaissaient depuis un certain temps et que, au gré de leurs échanges, ils avaient trouvé qu'ils étaient compatibles. Le mari trouvait que la demanderesse était une personne très agréable et qu'il la voyait comme l'épouse idéale. Il a décrit la demanderesse comme une personne tout à fait charmante, facile à vivre et très serviable, une personne très affectueuse et aimable, une femme tout à fait dans la tradition chinoise, une bonne maîtresse de maison et une femme respectable dans ses rapports avec les autres.

[9]                 La demanderesse a témoigné que, au début de leur relation, elle et son mari n'avaient pas conservé de relevés de leurs conversations téléphoniques parce qu'ils utilisaient des cartes téléphoniques, qu'ils n'ont pas conservées. Ils ne savaient pas à l'époque qu'il était nécessaire pour eux de garder des comptes rendus de leurs conversations à titre de preuve, d'autant qu'ils se considéraient alors comme des amis et ne songeaient pas encore à un mariage. La demanderesse a commencé de conserver des relevés de ses conversations téléphoniques plus tard durant la relation, après leur mariage et sur les conseils d'un ami, de telle sorte qu'elle pourrait produire des documents à l'appui de la demande de parrainage.

[10]            La demanderesse a dit qu'elle limitait ses communications écrites avec son mari parce que son aptitude à lire et à écrire le cantonais était relativement faible. La belle-soeur de la demanderesse devait lui traduire les lettres, et la demanderesse et son mari trouvaient que l'intervention d'une tierce personne nuisait à l'intimité de leurs échanges. En conséquence, la plupart de leurs communications, avant et après le mariage, se faisaient par téléphone.

[11]            L'agent des visas a demandé au mari s'il avait déjà tenté d'immigrer au Canada auparavant. Il a répondu qu'il avait fait une demande d'entrée au Canada comme visiteur, mais non comme immigrant. Son frère avait besoin d'un chef de cuisine, et il avait cette expérience. Le mari ne savait pas ce qu'il était advenu de cette demande parce qu'il n'y avait pas eu de suivi.

[12]            L'agent des visas a dit au mari que quelqu'un avait prétendu qu'il avait payé 30 000 $ pour se marier avec la demanderesse. Le mari a répondu que cela était ridicule et a révélé qu'il avait eu une liaison avec une autre femme avant de rencontrer son épouse et que cette femme avait fabriqué des histoires pour lui rendre la vie plus difficile. L'agent des visas a relevé qu'il faisait référence au contenu d'une lettre malicieuse anonyme envoyée par l'ancienne petite amie du mari, mais il a accordé à la lettre un poids restreint.

[13]            L'agent des visas a refusé la demande.


DÉCISION CONTESTÉE

[14]            La Commission a indiqué qu'elle avait étudié l'ensemble de la preuve produite à l'audience et elle a estimé que le mari s'était marié avec la demanderesse principalement dans le dessein d'obtenir son admission au Canada en tant que membre de la catégorie des parents, et qu'il n'avait pas l'intention de vivre en permanence avec sa répondante au Canada. La Commission a conclu, en application du paragraphe 4(3) de l'ancien Règlement sur l'immigration, que le mari était exclu en tant que membre de la catégorie des parents, et elle a rejeté l'appel pour incompétence.


[15]            La Commission est arrivée à cette conclusion en affirmant que le caractère précipité du mariage, les contradictions entre l'entrevue de la demanderesse avec l'agent des visas et le témoignage de la demanderesse, ainsi que l'absence d'une preuve suffisante attestant une régularité des communications entre eux avant le mariage, tout cela montrait que la relation n'était pas authentique et qu'elle avait été initiée par le mari à des fins d'immigration, et non avec l'intention de vivre en permanence avec la demanderesse. La Commission a relevé que la teneur de la lettre anonyme envoyée par l'ex-petite amie du mari n'avait pas influé sur la décision. La Commission n'a pas trouvé que la demanderesse et son mari étaient des témoins crédibles, estimant plutôt que leurs témoignages étaient intéressés et contournés. La Commission a trouvé quelques contradictions importantes, qui selon elle intéressaient, l'aspect même de leur mariage, par exemple la date à laquelle la demanderesse et son mari s'étaient rencontrés, et la date à laquelle ils avaient décidé de se marier. La Commission a relevé aussi que la demanderesse n'avait pas convoqué sa mère ou sa belle-mère comme témoins à l'instruction de l'appel. La demanderesse et son mari ont quant à eux témoigné. La Commission a estimé que le témoignage de la demanderesse et la preuve documentaire ne suffisaient pas à justifier une décision favorable à la demanderesse.

[16]            La demanderesse avait obtenu au Canada un certificat de non-empêchement avant de se rendre en Chine en avril 2000, et, selon la Commission, cela contredisait l'affirmation de la demanderesse selon laquelle elle ne songeait pas à se marier à l'occasion de ce voyage. La Commission n'a pas non plus jugé crédible que le mari n'ait proposé le mariage à la demanderesse que la veille du mariage. La Commission a estimé que le mariage avait été contracté à des fins d'immigration, et parce que les proches du mari qui vivaient au Canada avaient tout intérêt à ce qu'il immigre au Canada.

DISPOSITIONS APPLICABLES

[17]            Les dispositions applicables au refus d'admettre le mari au Canada en tant que membre de la catégorie des parents sont celles du paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration, DORS/78-172 :

4.(3) La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

Mauvaise foi


4. Pour l'application du présent règlement, l'étranger n'est pas considéré comme étant l'époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l'enfant adoptif d'une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l'adoption n'est pas authentique et vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège aux termes de la Loi.

Les dispositions applicables de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 sont les paragraphes 9(1) et 114(2), formulés ainsi :


9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

...

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

...

114. (2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114. (2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.


POINTS EN LITIGE

[18]            La demanderesse dit que les points en litige sont les suivants :

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant mal à propos et en ignorant les éléments de preuve dont elle disposait, ainsi qu'en tirant des conclusions qui ne reposaient sur aucun élément de preuve?

et

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en transgressant les principes d'équité parce qu'elle aurait montré un esprit fermé qui a joué au détriment de la demanderesse?


ARGUMENTS

La demanderesse

[19]            Selon la demanderesse, la Commission a fondé ses conclusions sur de simples suppositions et conjectures. La Commission a tiré des conclusions de fait erronées, elle a ignoré la preuve qu'elle avait devant elle et elle n'a pas validement motivé, en des termes clairs, le rejet de l'appel de la demanderesse.

[20]            La demanderesse relève que, selon la Commission, la demanderesse et son mari n'étaient pas des témoins crédibles. La Commission a conclu que leurs témoignages étaient intéressés et contournés. La Commission a aussi relevé qu'il y avait quelques contradictions importantes qui « intéressaient l'essence de ce mariage tel qu'il a été décrit par la (demanderesse), par exemple la date à laquelle ils se sont rencontrés et la date à laquelle ils ont décidé de se marier » . La demanderesse dit que la Commission n'a pas expliqué pourquoi, selon elle, le témoignage de la demanderesse et celui de son marié étaient intéressés et contournés. Sans une analyse des faits et sans une justification de cette conclusion, la demanderesse croit que la Commission n'avait aucune raison de dire qu'elle-même et son mari n'étaient pas crédibles.

[21]            La demanderesse relève qu'il n'y avait pas de contradictions entre son témoignage et celui de son mari.


[22]            La demanderesse soutient que la Commission a complètement ignoré les explications de la demanderesse et de son mari, explications qui répondaient aux doutes suscités dans l'esprit de l'agent des visas par leurs présumées différences de culture et de profil linguistique, par l'absence d'une preuve de leurs échanges antérieurs à mars 2000, et par l'absence d'une explication crédible justifiant la rapidité de leur mariage après qu'ils se furent retrouvés.

Défendeur

[23]            Selon le défendeur, la demanderesse n'a pas établi que la Commission a eu tort de dire qu'ils n'étaient pas crédibles. Le défendeur soutient que la Commission a bien tenu compte des explications du mari et de la demanderesse se rapportant à leurs projets de mariage, et tenu compte aussi de la preuve des virements de fonds.

[24]            Selon le défendeur, la demanderesse affirme simplement que certains éléments de preuve auraient dû bénéficier d'un poids plus grand. Le défendeur dit que les questions de crédibilité et d'appréciation de la preuve relèvent de la compétence de la Commission en tant que juge des faits. Le défendeur invoque les propos du juge en chef Thurlow dans l'arrêt Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. n ° 346 (QL) (C.A.F.) :

Nous estimons que la plaidoirie de l'avocat du requérant ne soulève que des questions ayant trait à la crédibilité et au poids des éléments de preuve et ne fournit aucun fondement légal permettant à cette cour de modifier la décision de la Commission d'appel de l'immigration.

[25]            Finalement, le défendeur soutient que la Commission a mis à l'épreuve la crédibilité de la demanderesse et de son mari à plusieurs reprises durant l'audience. Il y a lieu de croire que, contrairement à ce qu'affirme la demanderesse, la Commission n'a pas disposé de son appel avec parti pris.

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant mal à propos et en ignorant les éléments de preuve dont elle disposait, ainsi qu'en tirant des conclusions qui ne reposaient sur aucun élément de preuve?

[26]            S'agissant des appels en matière de parrainage, la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait reconnu, dans l'affaire Bali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.I.), à la page 141, qu'une conclusion sur l'intention du requérant de faire vie commune avec le parrain doit être fondée sur les faits et non sur des déductions :

... mais on ne peut pas dire que dans tous les cas, pour la seule raison qu'une personne parrainée épouse un répondant principalement pour obtenir l'admission au Canada, il n'a pas l'intention de vivre avec son répondant. Pour cette raison, il est impératif de fonder une conclusion selon laquelle une personne parrainée n'a pas l'intention de vivre en permanence avec le répondant sur un fait et non sur une déduction, comme cela semble avoir été le cas ici.


[27]            La Commission était tenue également de motiver le rejet des éléments de preuve produits par la demanderesse. La juge Heneghan a appliqué l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 199, lorsqu'elle avait jugé, dans l'affaire Badurdeen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 504 (QL) (1re inst.), que la Commission n'avait pas analysé suffisamment la preuve produite dans cette affaire par le demandeur :

5. La Commission a fait une déclaration pas trop générale au sujet de la crédibilité du demandeur lorsqu'elle a affirmé ce qui suit :

Le fait qu'il a menti au sujet de son passé et a inventé de toutes pièces les mauvais traitements que lui auraient infligés les autorités sri-lankaises amène le tribunal à tirer une inférence négative au sujet du fondement de la crainte que dit éprouver le revendicateur.

6. À mon avis, la Commission n'a pas analysé adéquatement, en l'espèce, les éléments de preuve déposés par le demandeur. Elle n'a pas fourni de motifs concernant le rejet du témoignage du demandeur. Elle n'a pas satisfait à la norme énoncée par la Cour d'appel fédérale au paragraphe 6 de l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.) :

[...] Selon moi, la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant. L'évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l'appelant est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l'appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l'insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir des détails sur l'incapacité de l'appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.

[28]            Des preuves qui sont crédibles et dignes de foi ne peuvent être ignorées. Il n'est pas nécessaire de noter chaque élément de preuve lorsqu'on arrive à une décision, mais on ne peut, au détriment de l'intéressé, retenir certaines preuves et en rejeter d'autres, ni ignorer des faits pertinents. Dans l'affaire Rosales c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 1454 (QL) (1re inst.), le juge Rothstein a estimé que la Commission avait dans cette affaire ignoré des éléments de preuve très importants :


7. ... En effet, le tribunal a, dans la présente affaire, justifié son rejet de l'assertion du requérant, selon laquelle la dissidence politique n'était pas tolérée au Guatemala, en s'appuyant uniquement sur une toute petite partie de la preuve documentaire. Il me semble, si j'en juge par ce qui m'a été présenté, que cette preuve emporte au contraire l'adhésion. La question de l'acceptation ou du rejet d'une preuve présentée par un requérant doit normalement être laissée au tribunal. Mais quand ce tribunal arrive à une conclusion qui ne tient manifestement pas compte d'une preuve pertinente et écrasante opposée à cette conclusion, sa décision doit être infirmée.

...

12.      Je dois conclure que les raisons pour lesquelles le tribunal a rejeté la revendication du requérant, à savoir qu'il n'était pas subversif, que la dissidence politique n'était pas punie au Guatemala, que le requérant ne faisait pas partie d'un groupe cible et qu'il avait mis du temps à partir, n'ont tenu aucun compte de parties très importantes de la preuve. J'en conclus donc que le tribunal a commis une erreur de droit.

[29]            De même, dans l'affaire Drame c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1232, (QL) (1re inst.), le juge Nadon a estimé que l'agent d'immigration n'avait pas, dans cette affaire, tenu compte de renseignements cruciaux, et il avait renvoyé le dossier pour nouvel examen.


[30]            En l'espèce, la Commission a présumé que, parce que la demanderesse avait obtenu, avant de partir pour la Chine, un certificat de non-empêchement à mariage, il était manifeste qu'elle avait conçu le projet de se marier et qu'elle savait qu'elle allait se marier. La demanderesse soutient que la Commission a interprété mal à propos les éléments de preuve et a ignoré les explications raisonnables données par elle-même et par son mari. Un thème sous-jacent évoqué par la demanderesse et par son mari à plusieurs reprises durant leurs témoignages devant la Commission concerne leur âge. Ils avaient indiqué leur intention de fonder une famille et ils trouvent que le temps commence à presser pour eux car ils ne sont plus tout jeunes. La demanderesse dit que, au cours de leurs conversations téléphoniques, elle-même et son mari avaient constaté qu'ils s'appréciaient l'un l'autre et, après s'être retrouvés et avoir passé du temps ensemble, ils s'étaient rendu compte qu'ils s'aimaient.

[31]            Je suis d'avis que les preuves produites par la demanderesse et son mari étaient concordantes et qu'elles donnaient des explications raisonnables qui dissipaient tous les doutes de la Commission. La Commission a complètement ignoré la preuve dont elle disposait et elle n'a pas validement motivé, en des termes clairs, son rejet de l'appel formé par la demanderesse contre la décision de l'agent des visas.

[32]            La Commission dit dans sa décision que « toutes les factures de téléphone sont datées de plus d'un an après la cérémonie du mariage » . La demanderesse fait observer que la Commission avait accès à toute une pile de factures de téléphone qui montraient que des appels téléphoniques avaient été faits entre mai et décembre 2000. La Commission a également ignoré les lettres attestant des communications régulières entre la demanderesse et son mari, parce que la plupart d'entre elles portaient une date postérieure au rejet de leur demande initiale par l'agent des visas.


[33]            La Commission a rejeté la preuve des virements de fonds parce que, selon elle, « une foule de raisons conduisent à des échanges de fonds entre les gens : prêts, dons et remboursements de dettes » . Cette affirmation de la Commission paraît non fondée car il ne semble pas que la Commission avait devant elle des preuves montrant que la demanderesse faisait à son mari un genre de don ou lui remboursait une dette.

[34]            Dans ses motifs, la Commission disait que la demanderesse avait déclaré que la mère de son mari et sa propre mère, qui sont amies, avaient joué un rôle important dans son mariage; or, ces deux femmes sont demeurées étrangement silencieuses.

[35]            La Cour a déjà dit qu'une absence de preuve n'autorise pas une conclusion de non-crédibilité. Ainsi, le juge Campbell a examiné cet aspect dans l'affaire Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 729 (QL) (1re inst.) :

9.       Dans l'affaire Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F. 302, la Cour fédérale a décidé que lorsqu'un demandeur déclare sous serment que certaines allégations sont vraies, il y a alors une présomption selon laquelle ces allégations sont véridiques, à moins qu'il y ait un motif de mettre en doute leur véracité. La Cour a statué qu'une commission agit de façon arbitraire quand elle choisit de ne pas croire au témoignage d'un demandeur alors qu'il n'existe aucun motif valable de douter de sa véracité. Dès lors, même s'il est permis à la SSR en tant que juge des faits d'examiner les éléments de preuve et de décider quel poids leur accorder, toutes les incohérences qu'elle relève doivent reposer sur la preuve.

10.       Dans l'affaire Ahortor c. Canada (MEI) (93-A-237, 14 juillet 1993), le juge Teitelbaum a décidé que la SSR avait commis une erreur lorsqu'elle avait jugé qu'un demandeur n'était pas crédible en raison de l'absence de preuves documentaires pour corroborer ses prétentions. Ainsi, bien que le défaut de présenter de la documentation puisse être une conclusion de fait valide, cela ne peut être rattaché à la crédibilité du demandeur en l'absence de preuves contredisant les allégations.

11.       En effet, en l'espèce, la SSR a jugé que les lettres produites par le demandeur contredisaient sa preuve, non pour ce qu'elles disent, mais bien pour ce qu'elles gardent sous silence. En vertu de la jurisprudence, les lettres doivent être examinées pour ce dont elles font état. Elles appuient à première vue la preuve du demandeur, et ne contiennent aucun élément qui viendrait la contredire.

[36]            En l'espèce, la Commission s'est servie d'une absence de preuve pour tirer des conclusions importantes défavorables à la demanderesse.

[37]            Ainsi que le disait le juge Lutfy dans l'affaire Voyvodov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1417 (QL) (1re inst.), un tribunal administratif doit, en des termes clairs et indubitables, exposer les motifs pour lesquels il rejette le témoignage d'un demandeur. C'est ce que la Commission n'a pas fait ici.

[38]            La Commission a aussi relevé dans sa décision que le mari « n'avait pas l'intention de vivre en permanence avec la (demanderesse) et qu'il avait contracté le mariage principalement dans le dessein d'obtenir son admission au Canada et de rejoindre sa famille » . Cette logique fait abstraction du fait que le mari est bien établi en Chine et qu'il a encore dans ce pays des frères et soeurs, et la Commission a refusé d'examiner cet aspect ou de donner une raison convaincante justifiant le rejet du témoignage du mari sur ce qu'était sa véritable intention lorsqu'il a épousé la demanderesse.

[39]            En conclusion, la Commission a commis des erreurs sujettes à révision parce qu'elle a ignoré des preuves pertinentes et qu'elle a tiré des conclusions inopportunes. Ces erreurs sont manifestement déraisonnables et elles sont sujettes à révision quelle que soit la norme de contrôle applicable. Le défendeur n'a apporté aucune explication convaincante de la raison pour laquelle la décision de la Commission ne devrait pas, de ce fait, être renvoyée.


La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en transgressant les principes d'équité parce qu'elle aurait montré un esprit fermé qui a joué au détriment de la demanderesse?

[40]            La demanderesse soutient que la Commission a montré de la partialité lorsqu'elle a empêché le représentant du ministre, qui était présent à l'audience, d'intervenir. Selon la demanderesse, la Commission ne pouvait, sans soumettre la demanderesse ou son mari à un contre-interrogatoire, dire que ni l'un ni l'autre n'étaient crédibles après qu'ils avaient produit des témoignages concordants. La demanderesse donne également un exemple de questions posées par la Commission qui, selon elle, attestent la partialité de la Commission. Après que le mari eut témoigné que son beau-frère avait parrainé sa soeur, la Commission a demandé au mari s'ils vivaient encore ensemble. La demanderesse soutient que cette question renforce l'idée selon laquelle la Commission était de parti pris et avait l'esprit fermé.

[41]            La décision est à ce point viciée que je puis comprendre l'impression de la demanderesse, pour qui, de toute évidence, il y a eu parti pris. Cependant, vu ma conclusion antérieure selon laquelle l'affaire doit être renvoyée pour nouvel examen, il n'est pas nécessaire d'en dire davantage sur cet autre moyen.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 24 juillet 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée à d'autres commissaires pour nouvelle décision.

2.         Aucune question ne sera certifiée.

                                                                                      _ James Russell _             

                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-3697-02

INTITULÉ :                                              NONG SAT MUI

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 18 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                           le 3 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Mme Krassina Kostadinov                                                              pour la demanderesse

M. Jeremiah Eastman                                                                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman et Associés                                                                     pour la demanderesse

Avocats

281, avenue Eglinton est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg                                                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030903

                      Dossier : IMM-3697-02

ENTRE :

NONG SAT MUI

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                             


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