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Date : 20060720

Dossier : IMM‑7238‑05

Référence : 2006 CF 905

 

ENTRE :

KAJENTHIRAKUMAR SIVARAJATHURAI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]               M. Sivarajathurai est un Tamoul originaire de la péninsule de Jaffna, au Sri Lanka. En raison des mauvais traitements, y compris la torture, qu’il a subis aux mains des Tigres tamouls comme de la police, il a sollicité l’asile au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention et en tant que personne en quête de protection internationale, parce qu’il serait soumis à la torture ou à une menace pour sa vie ou en tout état de cause à des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Sri Lanka. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger.

 

POINTS LITIGIEUX

[2]               Le demandeur soutient qu’il faut répondre à deux questions : y a‑t‑il eu déni de justice naturelle? et la conclusion selon laquelle il n’était pas crédible est‑elle manifestement déraisonnable? La question de la justice naturelle comprend quant à elle deux parties.

 

[3]               La SPR a appliqué la procédure de l’ordre inverse des interrogatoires qui est exposée aux points 19 à 23 des Directives no 7 du président de la Commission. En l’espèce, le demandeur a, lors de l’audience, été interrogé en premier lieu par l’agent de protection des réfugiés, puis par le commissaire, et finalement par son propre conseil. Il convient de noter qu’aucune plainte n’a été déposée avant ou durant l’audience concernant cet ordre des interrogatoires.

 

[4]               Le second argument du demandeur est que la SPR cherchait des motifs de ne pas le croire et qu’elle ne lui a pas accordé une audience équitable et impartiale. La seule opinion à laquelle pourrait arriver un observateur impartial est qu’il y a eu crainte raisonnable de partialité.

 

[5]               En tout état de cause, la conclusion selon laquelle il n’était pas crédible reposait sur une série de conclusions de fait qui étaient manifestement déraisonnables.

 

ANALYSE

[6]               Je suis d’avis que la SPR a tiré plusieurs conclusions de fait manifestement déraisonnables, qui chacune était si rattachée à la demande que la décision doit être annulée et renvoyée à un autre tribunal de la Section de la protection des réfugiés, pour nouvelle audience.

 

[7]               Selon les mots de la SPR, alors que le demandeur était en garde à vue :

Il décrit comment, après avoir été enchaîné et déshabillé, on lui a introduit un tuyau dans le corps. Quand il a repris conscience, son jean était imbibé de sang. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi son jean était imbibé de sang si on le lui avait enlevé avant le viol. Par conséquent, le tribunal met en question le fait qu’il ait été agressé.

 

La SPR croit‑elle qu’une personne sodomisée à l’aide d’un tuyau ne saignera pas? Croit‑elle que les auteurs de cet outrage n’auraient pas alors remis son jean au demandeur, alors que Dieu merci il était inconscient, et cela afin de cacher leur crime?

 

[8]               La SPR met en doute le rapport médical sri‑lankais qui fut obtenu après l’intervention de l’avocat du demandeur, rapport qui s’accorde avec les violences alléguées. Puisque le demandeur n’a pas été sodomisé, alors le rapport doit être faux.

 

[9]               La délégation du Comité international de la Croix‑Rouge au Sri Lanka a présenté un rapport selon lequel elle avait visité le demandeur à plusieurs reprises au [traduction] « poste de police CDB », à Colombo, entre le 5 décembre 1996 et le 25 février 1997. Plus tard, le demandeur avait été transféré à la prison New Magazine, où il fut visité le 28 mai 1997, et plus tard à la prison Kalutharia, où il fut visité le 5 décembre 1997, date à laquelle le demandeur dit avoir été [traduction] « libéré sous caution ».

 

[10]           La SPR dit qu’il y a contradiction sur le nombre de prisons où il a été enfermé. La Croix‑Rouge en mentionne trois, mais le demandeur en mentionne quatre. La différence est qu’il a d’abord été gardé 15 jours au poste de police Borella. « En raison des incohérences susmentionnées, le tribunal n’accorde aucune valeur probante à l’attestation. » La Commission affirme‑t‑elle que la lettre de la Croix‑Rouge est un faux? Il n’y a rien d’incompatible entre le témoignage du demandeur et la lettre de la Croix‑Rouge. La lettre ne prétendait pas constituer une liste de toutes les prisons où le demandeur avait été incarcéré. Les dates montrent clairement que le séjour du demandeur à la prison Borella était antérieur à sa détention au poste de police CDB qui avait débuté le 5 décembre 1996.

 

[11]           La lettre de la Croix‑Rouge indique que le demandeur avait dit à la Croix‑Rouge qu’il avait été libéré sous caution. D’après son témoignage produit à l’audience, il avait été relâché sans verser d’argent. Informé de cette contradiction, il a dit qu’il avait donné de l’argent à un avocat sri‑lankais et qu’il ne savait pas ce que l’avocat en avait fait. Il n’y a là rien de contradictoire. Il a pu y avoir quelque malentendu. La SPR n’a pas cherché à faire la différence entre un cautionnement en espèces, un engagement signé par une caution, un pot‑de‑vin ou une mise en liberté sous engagement. Le dossier ne justifiait tout simplement pas les conclusions de la SPR.

 

[12]           Un autre document se rapportant à l’arrestation du demandeur était un [traduction] « [r]eçu concernant la personne arrêtée », remis à son frère le 13 novembre 1996. Or le frère du demandeur n’a visité celui‑ci que le 17. L’unique contradiction se trouve dans l’esprit de la SPR. L’explication est parfaitement claire. Le frère est descendu d’un navire, s’est rendu au poste de police, a obtenu le reçu, mais n’a pu visiter le prisonnier que quatre jours plus tard. Ce qui n’a pas empêché la SPR de croire que le demandeur n’avait nullement été arrêté.

 

[13]           Ces conclusions ne résistent pas à l’examen le plus superficiel.

 

CONDUITE DE L’AUDIENCE

[14]           La SPR s’est montrée querelleuse et agressive, sans aucune raison. Il n’est pas nécessaire de statuer sur ce point, mais je doute que l’audience ait répondu aux objectifs de l’article 3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, objectifs dont l’un d’eux est « de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada ».

 

[15]           Considérons l’échange suivant :

[traduction]

LE CONSEIL (au président de l’audience)

 

‑           Si je puis me permettre, Monsieur, il a d’abord dit qu’il ne savait pas, et puis qu’il était […]

           

R.         Vous répondez, Monsieur. Vous faites cela dans vos conclusions. Maintenant, si vous continuez de témoigner comme cela […]

 

-                     Mais, très bien.

 

R.         Vous vous adressez à moi, et je vous poserai des questions et les autres vous écouteront. Il a dit quatre ou cinq jours après son arrestation, c’est‑à‑dire le 17 novembre 1996. Pourquoi intervenez‑vous comme cela tout le temps? Croyez‑vous que vous aidez votre client?

 

LA PERSONNE CONCERNÉE

 

‑           Oui.

 

 

DIRECTIVES No 7

[16]           La Cour a rendu un grand nombre de décisions cette année sur l’ordre inverse des interrogatoires, notamment sur le point suivant : si le demandeur a droit à ce que son conseil soit le premier à l’interroger, peut‑il y avoir renonciation à ce droit? (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] A.C.F. no 8 (juge Blanchard); Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. no 631 (juge Mosley). Comme cet aspect est aujourd’hui devant la Cour d’appel, et puisque je fais droit pour d’autres motifs à la demande de contrôle judiciaire, il ne m’est pas nécessaire de m’exprimer sur le sujet.

 

[17]           Puisque la demande de contrôle judiciaire est accueillie en raison de conclusions de fait manifestement déraisonnables, il ne devrait y avoir aucune question de portée générale à certifier. Cependant, le ministre a jusqu’au 25 juillet 2006 pour présenter des observations, et le demandeur aura jusqu’au 27 juillet 2006 pour y répondre.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 20 juillet 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                 IMM‑7238‑05

 

 

INTITULÉ :                                                KAJENTHIRAKUMAR SIVARAJATHURAI

                                                                     c.

                                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                     ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 11 JUILLET 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :           LE JUGE HARRINGTON

 

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 20 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joyce Yedid

 

POUR LE DEMANDEUR

François Joyal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joyce Yedid

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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