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Date : 20040604

Dossier : IMM-9188-03

Référence : 2004 CF 808

Entre :

                                                          HASIB AHMAD

                                                                                                        Partie demanderesse

Et :

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                          Partie défenderesse

                                               MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) rendue le 3 novembre 2003, selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


[2]                Le demandeur, un citoyen du Pakistan âgé de 28 ans, allègue qu'il a la qualité de personne à protéger car il craint la persécution par la police ainsi que par la Pakistan Muslim League (PML) en raison de ses croyances politiques et de ses affiliations au Pakistan People's Party (PPP).

[3]                Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) ainsi que dans son témoignage devant la Commission, le demandeur a allégué que ses problèmes avec les autorités pakistanaises ont débuté en 1991 et ont persisté jusqu'à son départ du Pakistan, le 28 octobre 2000, en direction des États-Unis où il a revendiqué le statut de réfugié. Il a d'abord été incarcéré et par la suite libéré lorsqu'on a détérminé que sa revendication avait un minimum de mérite. En attendant son audition sur le fond, le demandeur a vécu et a travaillé aux États-Unis, mais, craignant que la mise en marche du programme de « Registration of Aliens » créé aux États-Unis suite aux événements du 11 septembre 2001 allait mettre en péril ses chance de succès dans son processus d'asile, le demandeur a quitté les États-unis en direction du Canada le 23 mars 2003 et y a demandé le statut de réfugié alors que sa cause était pendante aux États-Unis.


[4]                Les motifs de la Commission révèlent que cette dernière s'est fondée sur de nombreuses incohérences dans le récit du demandeur afin de conclure à l'absence de crédibilité du demandeur et que sa demande d'asile était dénuée de toute mérite.

[5]                Plus précisément, la Commission a noté que le témoignage du demandeur a été entrecoupé de longs moments d'hésitation, alors qu'il s'est restreint à répéter mot pour mot son FRP étant incapable de donner des détails au-delà du contenu du FRP.

[6]                Afin de corroborer ses prétentions d'affiliation au PPP, le demandeur a déposé en preuve, à l'audience, quatre lettres d'officiels du PPP basés au Pakistan et à New York. Cependant, il fut révélé lors de l'audience que le demandeur ne connaissait pas personnellement la majorité d'entre eux, ne les ayant jamais rencontrés. De plus, après avoir étudié attentivement une des lettres déposées en preuve par le demandeur (lettre du président du PPP à New York), la Commission a remarqué qu'elle avait été manuellement falsifiée.


[7]                Concernant la valeur probante accordée aux trois autres lettres, la Commission a noté que celles-ci n'étaient pas contemporaines aux événements soi-disant survenus, qu'elles avaient été constituées, non pas à la demande personnelle du demandeur mais de son père et que, par conséquent, elles n'étaient pas des preuves de première main puisqu'elles avaient été rédigées suite aux ouï-dire du père du demandeur.

[8]                Dans son FRP, le demandeur a allégué qu'un mandat d'arrêt fut émis contre lui le 18 octobre 1999. Cependant, le demandeur n'a pas été en mesure de dire, à l'audience, à quelle date le mandat avait été émis contre lui. De plus, la Commission a souligné que le demandeur n'a pas réussi à déposer en preuve à l'audience ce mandat d'arrêt; alors pourtant qu'il a déposé un First Information Report (FIR). La Commission a trouvé curieux que le demandeur ne soit pas en mesure d'expliquer la différence existant entre une FIR et un mandat d'arrêt au Pakistan.


[9]                Le demandeur a justifié son défaut de déposer en preuve son mandat d'arrêt par le fait qu'il ne l'avait toujours pas reçu. Lorsque confronté avec l'incohérence résultant de cette dernière déclaration, le demandeur a ajusté son témoignage pour déclarer qu'il n'était plus réellement certain qu'un mandat avait bel et bien été déposé contre lui et que peut être n'y en avait-il pas eu. Pourtant la Commission a noté que, plutôt à l'audience, le demandeur avait été catégorique dans sa réponse à la question de savoir si un mandat avait été émis contre lui en répondant par « obviously there is one because the police comes to my house once a month to arrest me » .

[10]            De plus, la Commission a constaté que les allégations de harcèlement et de persécution aux mains de la police pakistanaise depuis 1999 sont contredites par la preuve documentaire; alors que cette dernière rapporte que ce sont les militants de haut calibre qui sont visés. Ainsi, la Commission n'a pas jugé vraisemblable que la police émette, contre le demandeur, un FIR en 1999; alors que selon ses dires mêmes, il a cessé ses activités politiques depuis 1994.

[11]            Enfin, la Commission rapporte dans ses motifs que le comportement du demandeur fut incompatible avec celui d'un réfugié, soit le fait que le demandeur a fait renouveler à New York, le 26 septembre 2001, son passeport pakistanais. En se basant sur les articles 41 et 49 du Guide des procédures et critères de l'ONU, la Commission a jugé que ce comportement niait l'existence d'une crainte subjective au Pakistan.

[12]            Tous ces motifs ont amené la Commission à rejeter la demande du demandeur.


[13]            L'argument principal du demandeur consiste dans la prétention selon laquelle la Commission a erré en ne s'attardant uniquement sur une analyse de la situation du demandeur sous l'angle de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, "la Loi", pour ensuite utiliser cette même analyse pour écarter la revendication du demandeur sous l'article 97 de la Loi. Or, le demandeur prétend que cette approche est erronée car elle va à l'encontre de l'intention du législateur, en faisant de ces deux articles un seul et dépouillant l'article 97 de son contenu et de sa raison d'être.

[14]            Pour soutenir cette prétention, le demandeur se réfère à la décision de cette Cour dans l'affaire Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2003] A.C.F. no 1540, dans laquelle le juge Blanchard énonçait:


¶ 41       Une revendication fondée sur l'article 97 doit être appréciée en tenant compte de toutes les considérations pertinentes ainsi que du comportement en matière de droits de la personne du pays concerné. Bien que la Commission doive évaluer objectivement la revendication du demandeur, il lui faut individualiser son analyse. J'estime cette interprétation conforme non seulement aux décisions du CCT des Nations Unies examinées précédemment, mais aussi au libellé même de l'alinéa 97(1)a) de la Loi, qui fait mention d'une personne qui "serait personnellement, par son renvoi [...] exposée [...]". Il peut y avoir des cas où l'on conclut qu'un revendicateur du statut de réfugié, dont l'identité n'est pas contestée, n'est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d'être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Il s'ensuit qu'une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien-fondé d'une revendication aux termes de l'article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l'article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas.

[15]            Ainsi le demandeur est d'avis que la Commission a erré en se servant de ses conclusions sur l'absence de crédibilité pour écarter la crainte de persécution chez le demandeur. En effet, le demandeur soumet que la Commission n'aurait pas dû se limiter à dire que le demandeur n'est pas crédible sans considérer la preuve documentaire établissant des violations systématiques des droits de l'homme commises au Pakistan.

[16]            Par ailleurs, le demandeur allègue que la Commission a rendu une décision inéquitable et arbitraire puisqu'elle n'a pas considéré plusieurs éléments de preuves, de même qu'une partie importante de son témoignage. De plus, le demandeur est d'avis que la Commission a adopté des positions inconciliables et contradictoires sur sa crédibilité.

[17]            De plus, le demandeur soumet que la Commission a erré en exigeant un fardeau de preuve plus exigeant que celui prévu par la Loi, ce qui nécessiterait l'intervention de cette Cour.


[18]            Enfin, le demandeur allègue que la Commission a erré en appliquant des standards canadiens afin d'évaluer son comportement sans tenir compte des différences culturelles.

[19]            Le défendeur constate qu'en grande partie les raisons menant au rejet de la demande relèvent des incohérences dans le témoignage du demandeur à l'audience et soumet que les défaillances en question, décelées par la Commission, ne peuvent entraîner une intervention de cette Cour.

[20]            De plus, le défendeur soumet qu'afin d'invoquer une incohérence dans la décision de la Commission, à plusieurs endroits dans son mémoire le demandeur présente comme des conclusions tirées par la Commission qui ne sont, en fait, que les allégations du demandeur reprises par la Commission.


[21]            Tout d'abord, je tiens à souligner que le test pertinent en vertu de l'article 96 est effectivement bien distinct de celui en vertu de l'article 97. En effet, une revendication fondée sur l'article 97 appelle l'application par la Commission d'un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l'exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. Cependant, ce critère doit s'apprécier en tenant compte des caractéristiques personnelles du défendeur. En effet, comme l'a souligné le juge Blanchard dans la décision Bouaouni, précitée :

41 [le] libellé même de l'alinéa 97(1)a) de la Loi, qui fait mention d'une personne qui "serait personnellement, par son renvoi [...] exposée [...]". Il peut y avoir des cas où l'on conclut qu'un revendicateur du statut de réfugié, dont l'identité n'est pas contestée, n'est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d'être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger.

(Je souligne)

[22]            Ainsi l'appréciation de la crainte chez le défendeur doit se faire in concreto, plutôt que dans une perspective abstraite et générale. Le fait que la preuve documentaire illustre de façon inéquivoque la violation systématique et généralisée des droits humains au Pakistan ne suffit absolument pas pour établir la crainte de persecution spécifique et individualisée chez le défendeur en particulier. En l'absence de la moindre preuve pouvant lier la preuve documentaire générale à la situation spécifique du demandeur, je conclus que la Commission n'a pas erré dans sa façon d'analyser la revendication du demandeur sous l'article 97.


[23]            Après l'analyse de l'ensemble du dossier et à la lumière de la décision fort bien motivée de la Commission, je ne peux pas non plus retenir les autres arguments du demandeur. En effet, il s'agit en l'espèce d'un contrôle judiciaire d'une décision presqu'entièrement basée sur l'appréciation de la crédibilité du demandeur en fonction de son témoignage devant la Commission. Il est de la jurisprudence constante de nos tribunaux que la Commission a une expertise bien établie lorsqu'il s'agit de trancher des questions de fait, et notamment d'évaluer la crédibilité des demandeurs d'asile. En fait, l'appréciation des faits constitue la pierre angulaire de la compétence de la Commission. En tant que juge des faits, la Commission est l'instance la mieux placée pour tirer des conclusions raisonnables quant à la crédibilité du récit du demandeur en se fondant sur le manque de vraisemblance, le bon sens et la raison. En conséquence, pour que la Cour puisse annuler une conclusion de fait de la Commission, il faut démontrer que cette conclusion est manifestement déraisonnable, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.

[24]            En effet, le demandeur semble déceler dans les motifs de la Commission une incohérence qui n'existe pas. De plus, puisque le demandeur n'a pas été jugé crédible, la Commission était en droit de ne pas accorder de valeur probante aux pièces personnelles que le demandeur a déposées au soutien de sa demande d'asile.


[25]            Enfin, il importe de souligner que même si la demande d'asile du demandeur avait été jugée suffisamment crédible par les autorités américaines pour amener sa libération, celle-ci n'a pas été tranchée sur le fond par les autorités américaines et le demandeur ne peut invoquer cette seule libération pour démontrer le bien-fondé de sa demande de refuge. Qui plus est, même si le demandeur s'était vu reconnaître le statut de réfugié aux États-Unis, cela n'implique nullement le fait qu'il aurait pu automatiquement obtenir l'asile au Canada puisque les systèmes canadiens et américains de reconnaissance du statut de réfugié sont distincts et indépendants.

[26]            Le fardeau de démontrer que la Commission a erré dans son appréciation de la preuve reposant sur le demandeur et, devant l'absence d'une telle démonstration, je ne vois pas comment l'intervention de cette Cour saurait être justifiée en l'espèce.

[27]            Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

      JUGE

OTTAWA, Ontario


                                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                 IMM-9188-03              

INTITULÉ:                                 Hasib Ahmad v. Le Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :         Montréal, Québec        

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 19 mai 2004

MOTIFS :                                    L'honorable juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :               Le 4 juin 2004

COMPARUTIONS:                 

Me Jean-François Fiset             POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Mario Blanchard                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jean-François Fiset             POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal, Qc

Me Morris Rosenberg                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Montréal, Qc


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