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Date : 20001108

Dossier : IMM-1693-99

OTTAWA (ONTARIO), le 8 novembre 2000

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE :

ROSE BYFIELD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 17 mars 1999, dans laquelle une conseillère en immigration a rejeté la demande de dispense de l'exigence d'obtenir un visa d'immigrant depuis l'étranger que la demanderesse a présentée;

ET VU les documents produits et les observations des parties;

ET pour les motifs d'ordonnance exposés aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE :

1)          Que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision datée du 17 mars 1999, annulée, et l'affaire, renvoyée à un autre conseiller en immigration pour qu'il l'examine à son tour.


2) Que aucune question n'est certifiée.

          « Dolores M. Hansen »          

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 20001108

Dossier : IMM-1693-99

ENTRE :

ROSE BYFIELD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]         Rose Byfield, une citoyenne de 57 ans de la Jamaïque, a présenté une demande de dispense, fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, de l'exigence d'obtenir un visa d'immigrant depuis l'étranger. Sa demande a été rejetée par une conseillère en immigration le 17 mars 1999.


[2]         Avant de venir au Canada, la demanderesse avait travaillé en tant que couturière et elle possédait et exploitait en partie une compagnie d'autobus de transport de passagers. L'événement qui a précipité son départ de la Jamaïque est survenu en mars 1989, à une époque où le gouvernement utilisait sa maison comme bureau de scrutin. Des hommes armés ont défoncé à coups de pied la porte de sa maison. Le fiancé de la demanderesse a été atteint d'une balle à la jambe et reçu un coup de couteau à l'oeil alors qu'il tentait d'enlever l'arme à feu d'un des agresseurs. On a forcé la demanderesse à regarder ses deux filles se déshabiller et se faire violer sous la menace d'une arme à feu. Puis, on a forcé les filles à regarder sa mère en train de se faire violer. Les agresseurs se sont enfui à l'arrivée de voisins venus pour aider la famille. Les membres de la famille ont été amenés à l'hôpital afin d'y être traités.

[3]         Au cours de l'enquête policière qui a été menée par la suite, la demanderesse et son fiancé ont reçu un message les prévenant de ne pas identifier leurs agresseurs s'ils souhaitaient demeurer en vie. Le fiancé de la demanderesse s'est enfui à Antigua, ses deux filles ont été envoyées aux États-Unis, et la demanderesse elle-même est venue au Canada.

[4]         Trois années avant l'agression, la demanderesse et un collègue de travail avaient été gravement battus, et un autre de ses collègue de travail avait été tué alors qu'ils travaillaient à un bureau de scrutin.

[5]         En 1993, la demanderesse a présenté une demande de droit d'établissement depuis le Canada avec l'aide d'un consultant en immigration à qui elle a versé la somme de 3 000 $. Le consultant n'a pas comparu à la date prévue, ce qui a entraîné le rejet de la demande. La demanderesse n'a pris aucune autre mesure pour normaliser son statut au Canada avant de déposer la demande qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.


[6]         Au Canada, la demanderesse a d'abord vécu chez son fils, puis chez son frère, où elle réside toujours. Elle subvient à ses besoins en travaillant comme couturière et grâce à l'aide financière de son frère et son fils. De plus, elle aide son fils à prendre soin de ses enfants. La demanderesse n'a jamais reçu de prestations d'aide sociale et elle envoie 75 $ par mois à sa fille cadette, qui vit toujours en Jamaïque.

[7]         Le frère de la demanderesse, un citoyen canadien, et son fils, un résident permanent du Canada, ont dit qu'ils étaient disposés à fournir une aide financière à la demanderesse. Le frère a signé un engagement à cet effet.

[8]         Pour étayer sa demande, la demanderesse a produit trois lettres de recommandation concernant sa participation au sein de son église et son bénévolat auprès des indigents et des jeunes. De plus, elle a produit un rapport médical et des évaluations psychiatriques et de traumatisme. La conclusion du Dre Ruth Baruch est particulièrement pertinente :

[TRADUCTION] Elle croit sincèrement que si elle retournait en Jamaïque, elle ne bénéficierait d'aucune protection. Elle estime qu'elle pourrait être de nouveau agressée et violée. La possibilité qu'elle retourne dans le pays où elle a subi ces traumatismes constituerait elle-même un expérience de nouveau traumatisante pour elle, qui est déjà fragile.

[9]         Les motifs du rejet de la demande, qui font partie du rapport de la conseillère en immigration, prévoient :


[TRADUCTION] Bien que l'intéressée ait un fils qui peut-être disposé et capable de parrainer sa demande, je suis d'avis que l'intéressée n'a pas de motifs exceptionnels qui justifieraient un traitement favorable de sa demande depuis le Canada. Les principaux liens familiaux de l'intéressée se trouvent à l'étranger. Elle n'est pas établie et intégrée dans la collectivité au point de justifier un traitement exceptionnel. Le risque que court l'intéressée a été identifié, bien que le traumatisme remonte à 1980, et il peut certes être difficile pour elle de se remémorer ces événements; rien n'indique que l'un ou l'autre de ces événements risque de se reproduire. À mon avis, elle bénéficiera du soutien de sa famille, sa collectivité et son église, de même que des autorités policières dans le cas où quelque chose lui arriverait. Àmon avis, l'intéressée ne subirait pas de difficultés excessives si elle retournait en Jamaïque et était parrainée de la façon habituelle.

[10]       La demanderesse soutient que la décision de la conseillère en immigration était déraisonnable vu qu'elle était fondée sur des conclusions qui n'étaient pas étayées par la preuve et qui ne tenaient pas compte de sa situation particulière.

[11]       La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions fondées sur des motifs humanitaire est celle de la « décision raisonnable simpliciter » , comme l'a dit le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 858. Le juge L'Heureux-Dubé a ensuite adopté la déclaration suivante que le juge Iacobucci a faite dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56, au sujet de la question de savoir si une décision était raisonnable:

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a étéappliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.


[12]       La conseillère en immigration a examiné le risque que la demanderesse courrait éventuellement si elle retournait en Jamaïque. Cette analyse, cependant, porte principalement sur la probabilité que se produise un incident semblable à celui qui a causé son départ de Jamaïque. Bien que la demanderesse craigne sincèrement que sa vie serait en danger si elle rentrait en Jamaïque, la conseillère en immigration n'a pas tenu compte du nouveau traumatisme qu'elle subirait probablement, elle qui est déjà fragile, si elle retournait à l'endroit où les événements violents se sont produits.

[13]       En outre, la conseillère en immigration a souligné que la demanderesse bénéficierait [TRADUCTION] « du soutien de sa famille, sa collectivité et son église, de même que des autorités policières » dans le cas où un événement similaire se produirait de nouveau. Sans vouloir commenter le caractère approprié ou non de cette déclaration, je constate qu'il ne ressort nullement du dossier qu'elle bénéficierait effectivement d'un tel soutien si elle retournait en Jamaïque.

[14]       La conseillère en immigration a également conclu que les principaux liens familiaux de la demanderesse se trouvent à l'étranger. Bien que des membres de la famille de la demanderesse vivent ailleurs qu'au Canada, le dossier n'étaye pas sa conclusion que ces individus représentent les principaux liens familiaux de la demanderesse. En fait, cette conclusion néglige de tenir compte du lien étroit qui existe entre la demanderesse et son frère et son fils ainsi que du fait qu'elle a besoin de leur soutien sur les plans personnel et financier.

[15]       La conseillère en immigration a également omis de tenir, en prenant sa décision, du fait que la demanderesse a perdu son foyer et son entreprise quand elle a quitté la Jamaïque et qu'en conséquence, elle ne pourrait subvenir à ses propres besoins ni continuer de fournir une aide financière à sa fille cadette.


[16]       Compte tenu de l'ensemble de la situation de la demanderesse, j'estime que la conclusion de la conseillère en immigration selon laquelle la demanderesse [TRADUCTION] « ne subirait pas de difficultés excessives si elle retournait en Jamaïque et était parrainée de la façon habituelle » est déraisonnable.

[17]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision datée du 17 mars 1999 est annulée, et l'affaire est renvoyée à un autre conseiller en immigration pour qu'il l'examine à son tour.

[18]       Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé de question à certifier.

          « Dolores M. Hansen »      

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 novembre 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                  IMM-1693-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 ROSE BYFIELD c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le mardi 25 avril 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR L'HONORABLE JUGE DOLORES M. HANSEN

EN DATE DU :                                     8 novembre 2000

ONT COMPARU :                            

M. Stuart Beverley Scott                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Mme Andrea Horton                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

M. Stuart Beverley Scott                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Kingston (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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