Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020718

Dossier : T-678-02

Référence neutre : 2002 CFPI 801

ENTRE :

                         JAMES PATRICK MARONEY

                                                                demandeur

                                    et

SA MAJESTÉLA REINE

                                                             défenderesse

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]       La déclaration dans la présente affaire, si on l'interprète de façon objective et raisonnable, ne vise pas principalement l'obtention de dommages-intérêts ou d'un jugement déclaratoire, l'accent étant mis sur l'une ou l'autre demande, mais plutôt l'obtention de différents types de dommages-intérêts et d'une déclaration selon laquelle, d'une part, on a injustement retiré le demandeur du Programme d'instruction des cadets de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) et, d'autre part, on lui a injustement refusé la réadmission à ce même programme.


[2]       Dans sa requête écrite, la défenderesse cherche à faire radier la déclaration au complet en invoquant le défaut de compétence, l'absence de cause d'action valable, le contenu scandaleux, frivole et vexatoire de la déclaration et l'abus de procédure. Pour que sa requête soit accueillie, la défenderesse doit s'acquitter du lourd fardeau d'établir qu'il est évident, manifeste et indubitable que le demandeur ne peut avoir gain de cause dans son action.

EXAMEN

Défaut de compétence


[3]       En ce qui concerne le défaut de compétence, la défenderesse soutient que le demandeur ne peut obtenir par voie d'action un jugement déclaratoire contre la GRC si celle-ci est considérée un office fédéral. L'arrêt McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339, aux pages 347 et 348 (C.A.F.), énonce que le commissaire de la GRC agit à titre d'office fédéral lorsqu'il embauche ou congédie une personne. Selon l'arrêt Khaper c. Canada (1999), 178 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.), aux pages 74 et suivantes, confirmé dans (1999), 182 F.T.R. 78 (C.F. 1re inst.), puis par la Cour d'appel fédérale dans (2001), 268 N.R. 370, un tel jugement déclaratoire prononcé à l'encontre d'un office fédéral ne peut être obtenu que dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Il a été décidé, notamment dans Mobarakizadeh c. Canada (1993), 72 F.T.R. 30, décision de monsieur le juge McKeown, à la page 33, et Afram c. Canada (1994), 88 F.T.R. 224, décision de monsieur le juge Nadon, alors juge à la Section de première instance, àla page 225, que les recours visés au paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale, dont un jugement déclaratoire découlant du contrôle d'une décision d'un office fédéral, ne peuvent être exercés que par présentation d'une demande de contrôle judiciaire. Si l'on suit ces décisions, la demande de jugement déclaratoire n'est pas appropriée et ne peut être maintenue telle quelle dans la présente action.

[4]       Il est intéressant de noter que lors de l'audition initiale de Khaper et dans la décision elle-même, aucune mention n'a été faite de l'arrêt Ward c. Samson Cree Nation no 444, qui était alors tout récent, maintenant publié sous (1999), 247 N.R. 254 (C.A.F.), sur lequel le demandeur se fonde. Le juge des requêtes avait autorisé, dans l'action Ward, une modification de la déclaration afin qu'elle contienne, entre autres, une demande de jugement déclaratoire. Dans l'affaire Ward, l'appel portait sur la question de savoir si un jugement déclaratoire pouvait être rendu dans le cadre d'une action contre un conseil de bande qui avait agi en tant qu'office fédéral en rendant une décision précise. Bien que le paragraphe 18(3) ne confère à la Cour la compétence pour rendre un jugement déclaratoire contre un office fédéral que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, le juge en chef Issac a estiméque la déclaration modifiée était en fait une demande de déclaration de droit au sens de l'article 64 des Règles de la Cour fédérale, présentée par conséquent en bonne et due forme par voie d'action, par opposition àune demande de déclaration annulant la décision du conseil de bande. Cet avis de la Cour d'appel était minoritaire : les juges Décary et Rothstein ont fait remarquer qu'il n'était pas nécessaire de décider si un jugement déclaratoire pouvait être obtenu autrement que par la procédure de contrôle judiciaire et ont dit qu'ils étaient réticents à accepter l'idée que semblait suggérer le juge en chef :


Nous sommes particulièrement réticents à l'idée que semble suggérer le juge en chef, savoir que les Règles de la Cour peuvent être invoquées pour contrer une exigence imposée, du moins prima facie, par le paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale [...].

(page 263)

[5]       Le juges Décary et Rothstein ont alors indiquéque le recours approprié serait celui prévu au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale, selon lequel, dans certaines circonstances, la Cour peut instruire un contrôle judiciaire comme s'il s'agissait d'une action, car il serait insensé d'exiger que certaines réparations soient examinées dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire, alors que d'autres réparations, directement liées aux premières, le seraient dans une action menée en parallèle :

À notre avis, même si la réparation demandée est de nature déclaratoire et qu'on ne peut l'obtenir que par l'entremise d'une procédure de contrôle judiciaire, la Cour a compétence expresse, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, pour ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. Dans les affaires comme la présente instance, il serait futile d'insister qu'une des réparations recherchées le soit dans une procédure de contrôle judiciaire, alors que les autres le seraient dans une action menée en parallèle. [...]

(pages 263 et 264)

Les juges de la majorité ont, par conséquent, permis que la partie de la déclaration visant l'obtention d'une réparation de nature déclaratoire soit continuée par voie d'action, puisqu'à leur avis, c'était ce que le juge des requêtes aurait dû ordonner s'il avait été saisi de cette possibilité.


[6]       Dans la présente instance, M. Moroney ne peut demander, dans le cadre d'une action, un jugement déclaratoire comme réparation, à moins qu'il ne le fasse sous le couvert d'une demande de contrôle judiciaire devant être instruite comme s'il s'agissait d'une action, en application du paragraphe 18.4(2). Par conséquent, j'ordonnerai, conformément aux motifs de la Cour d'appel dans Ward, que le demandeur ait, dans le cadre de la présente action, 45 jours soit pour obtenir un consentement à ce que la Cour applique le paragraphe 18.4(2) soit pour présenter une requête appropriée.

Prescription

[7]       La défenderesse soutient que le droit du demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire est prescrit, étant donné que la décision ayant été à l'origine de la présente instance remonte probablement àmars ou mai 2001, soit environ un an avant la présentation de la déclaration. Cela ne constitue pas un motif suffisant pour la radiation d'un acte de procédure. Au contraire, il est rare qu'un acte de procédure soit radié sur ce fondement parce que, d'une part, la prescription n'est qu'un moyen de défense d'ordre procédural que le défendeur peut choisir d'invoquer et, d'autre part, le demandeur n'a aucune obligation d'exposer tous les faits qu'il pourrait soulever dans une action subséquente présentée en temps utile. La prescription n'est qu'un moyen à la disposition du défendeur, dont ce dernier pourra se servir àune date ultérieure en plaidant, par exemple, la prescription avant d'inscrire l'affaire au rôle en tant que question de droit. Ces principes ont été énoncés dans des décisions mentionnées dans BMG Music Canada Inc. c. Vogiatzakis (1996), 67 C.P.R. (3d) 27 (C.F. 1re inst.), aux pages 33 et 34, (1996), 110 F.T.R. 34, à la page 41.


Nature de la déclaration

[8]       Je ne partage pas l'avis de la défenderesse selon lequel la déclaration au complet doit être radiée parce que, sous le couvert d'une action en responsabilité contractuelle et délictuelle, le demandeur cherche en fait à obtenir un contrôle judiciaire. Au vu de la déclaration, le demandeur réclame des dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité tant contractuelle que délictuelle. La défenderesse fait cependant référence à l'article 3 de la Loi sur la responsabilitécivile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C (1985), ch. C-50, art. 3, modifié par 2001, ch. 4, art. 36 :

3. En matière de responsabilité, l'État est assimilé à une personne pour :

a) dans la province de Québec...

b) dans les autres provinces :

(i) les délits civils commis par ses préposés,

(ii) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l'occupation, à la possession ou à la garde de biens.

3.The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

(a) in the Province of Quebec ...

(b) in any other province, in respect of

(i) a tort committed by a servant of the Crown, or

(ii) a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.


Cet article établit, d'une part, la responsabilitéde Sa Majestépour le fait d'un tiers et, d'autre part, le droit d'intenter une action en responsabilitédélictuelle contre Sa Majesté. Àcet égard, la défenderesse considère l'injustice alléguée dans la déclaration comme étant de la nature de l'abus d'influence. Elle se fonde ainsi sur la décision initiale dans l'affaire Khaper, précitée, pour soutenir que l'abus d'influence ne donne naissance ni àun droit ni àune réparation àl'encontre de Sa Majestéen vertu de l'article 3 de la Loi sur la responsabilitécivile de l'État et le contentieux administratif. Je résumerais l'influence indue comme étant un concept d'equity appliquélorsqu'une partie consentante àune opération n'a pas librement expriméson consentement parce qu'elle était soumise àune influence telle de la part de l'autre partie qu'elle se trouvait privée de son libre arbitre. Dans ce cas, l'equityexige que l'opération soit annulée. En l'espèce, bien que la défenderesse n'ait pas traitéen détail de cette question dans ses observations écrites, je comprends que l'argument est semblable àcelui soulevédans Khaper, c'est-à-dire que Sa Majestén'est pas responsable des erreurs, bévues, omissions, manquements ou abus de pouvoir de ses agents ou mandataires, àmoins qu'une telle responsabilitén'ait étéexpressément créée par une loi : Gariepy c. Le Roi, [1940] 2 D.L.R. 12 (Cour de l'Échiquier du Canada), aux pages 22 et 24.

[9]       Selon l'analyse de l'arrêt Khaper, il n'existe pas, en droit canadien, de délit civil d'influence indue; l'influence indue pourrait être considérée un délit civil de nature psychologique, comme l'intimidation ou le fait d'infliger intentionnellement un choc nerveux. Cependant, dans Khaper, le demandeur n'a éténi menacéni blesséet, àcet égard, je me reporte àSteeves c. Canada [1995], 95 F.T.R. 115, aux pages 122 et suivantes. Dans Khaper, la Cour a examinéle concept de coercition de la common law. Il s'agit d'un délit civil, mais qui suppose nécessairement l'existence ou la menace de violence ou une arrestation illégale. Le concept a étéélargi pour qu'en présence d'un état d'incapacitéémotive pré-existante, d'une attitude menaçante et d'administration de brandy, ce qui avait rendu une personne incapable de se protéger, une réparation en equity soit accordée comme dans Mundinger c. Mundinger, [1969] 3 D.L.R. (3d) 388 (C.A.Ont.), àla page 341.


[10]      Toute cette argumentation s'effondre cependant dans la présente instance quand on examine la déclaration. En effet, il n'est pas nécessaire de lui donner une interprétation large pour conclure qu'àpart les allégations des paragraphes 7, 8 et 11, pour lesquelles il existe beaucoup de recours, notamment celles d'intimidation et de déclarations inexactes en raison de négligence ou de fraude, la déclaration se fonde sur des obligations contractuelles. L'intimidation et la fraude ou les déclarations inexactes, qui sont comprises dans le délit civil de tromperie, sont visées par l'article 3 de la Loi sur la responsabilitécivile de l'État et le contentieux administratif. La prétention de la défenderesse, selon laquelle l'influence indue ne donne naissance àaucun droit et àaucune réparation àl'encontre de Sa Majestén'est pas fondée et est donc rejetée.

Renseignements fournis dans la déclaration

[11]      J'ai examinéla prétention de la défenderesse selon laquelle l'acte de procédure est viciéen ce qu'il comporte tellement peu de renseignements précis que la défenderesse n'est pas en mesure d'en faire un examen appropriéet d'y répondre convenablement. Àcet égard, je note que la défenderesse a avancécet argument, mais n'a pas demandéde précisions dans la requête et il appert qu'elle n'en a jamais demandéauparavant non plus.


[12]      La déclaration relate en ordre chronologique les faits et mentionne plusieurs employés de Sa Majestéayant jouéun rôle dans la présente affaire. La déclaration paraît être raisonnablement bien rédigée. Elle énonce de façon concise les faits essentiels, sans les prouver. Rien ne semble empêcher la défenderesse d'en faire un examen raisonnable et de présenter une réponse appropriée. En fait, la défenderesse n'a pas démontréqu'elle était incapable de répondre àla déclaration ou qu'elle avait besoin de précisions pour le faire.

CONCLUSION

[13]      La requête de la défenderesse est rejetée, sauf en ce qui concerne l'opposition visant la demande de jugement déclaratoire, énoncée àl'alinéa 1h) de la déclaration, selon lequel la défenderesse a injustement retiréle demandeur du programme. L'ordonnance ci-jointe prévoit que le demandeur a 45 jours soit pour obtenir un consentement àce que la Cour applique le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédéralesoit pour présenter une requête appropriée afin que la portion de la déclaration qui est présentée sous forme de contrôle judiciaire soit traitée comme s'il s'agissait d'une action, comme l'a fait la Cour d'appel dans l'arrêt Ward c. Nation crie de Samson no 444, précité.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 18 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


                          COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                           T-678-02

INTITULÉ :                           James Patrick Maroney c. Sa Majestéla Reine

                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :              Requête écrite

DATE DE L'AUDIENCE :              -

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                   Le 18 juillet 2002

COMPARUTIONS :

-                                     POUR LE DEMANDEUR

-                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dinning Hunter Lamert & Jackson           POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                     POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.