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Date : 20000710


Dossier : IMM-2105-99


ENTRE



BATOOL HAYDER

ZENIB HAYDER

ALI HAYDER


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE HENEGHAN

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 23 novembre 1998, par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déclaré que la revendicatrice principale, Batool Hayder, et ses deux enfants mineurs, Zenib Hayder et Ali Hayder, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. L'autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire a été accordée le 4 janvier 2000.

[2]      Batool Hayder est une citoyenne du Pakistan. Elle soutient qu'elle a une crainte fondée d'être persécutée dans ce pays en raison de sa religion et son appartenance à un groupe social particulier, soit les femmes violentées par leur époux.

[3]      La revendicatrice, qui est chi'ite, a époux un homme sunnite le 1er janvier 1990. Il s'agissait d'un mariage arrangé par les deux familles. Zenib, une fille, est née le 27 novembre 1990 alors que Ali, un garçon, est né le 1er février 1992.

[4]      La revendicatrice principale soutient que son mariage était tolérable, mais qu'il était dénué de toute affection dès les premiers instants. La situation a empiré après la naissance de sa fille. La violence a pris la place de la tolérance, l'époux s'attaquant physiquement à sa femme et à sa fille. La revendicatrice dit qu'elle a été violée par son époux et qu'elle est par la suite tombée enceinte de son deuxième enfant. Elle soutient que son époux passait de plus en plus de temps à l'extérieur du foyer après la naissance de leur fils et qu'il en est venu à prendre part aux activités d'un groupe extrémiste qui militait contre les chi'ites, le Sipah-e-Sahaba (le SSP). Elle attribue l'hostilité de plus en plus grande de son époux à son égard à sa participation aux activités du groupe SSP. Elle craint que sa sécurité et celle de ses enfants soient en danger.

[5]      La revendicatrice et ses enfants sont arrivés au Canada le 6 mai 1997 et ont présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le 10 juin 1997.

[6]      La Commission a rejeté la revendication et conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la crainte de la revendicatrice d'être persécutée n'était pas fondée. La Commission a conclu de façon générale que la revendicatrice manquait de crédibilité.

[7]      La Commission a fait remarquer que même si la revendicatrice et son époux ne pratiquaient pas la même religion, celui-ci permettait à la revendicatrice et aux enfants de pratiquer la religion chi'ite. La Commission n'était pas convaincue, vu les circonstances, que l'époux était soudainement devenu un fondamentaliste et partisan d'un groupe extrémiste, soit le SSP. La Commission a également souligné que la revendicatrice n'avait pas le profil et ne menait pas les activités d'une personne qui constituerait la cible du SSP. Enfin, la Commission a traité de la question de savoir si la revendicatrice pouvait se prévaloir de la protection de l'État, faisant remarquer que cette dernière ne s'était pas adressée à l'État à ce sujet. La Commission a conclu que l'État avait réagi face à la violence sectaire, bien que son intervention fût imparfaite.

Les arguments de la demanderesse

[8]      La revendicatrice soutient que la Commission a commis une erreur en appréciant son témoignage au sujet de la transformation de son époux en partisan du SSP. Cette erreur de la Commission l'aurait menée à tirer une conclusion défavorable en ce qui concerne la crédibilité de la revendicatrice.

[9]      La revendicatrice fait également valoir que la Commission a commis une erreur en interprétant la preuve documentaire sur le fait que le groupe militant sunnite SSP avait des chi'ites pour cibles. Cette erreur aurait également amené la Commission a tirer une conclusion erronée selon laquelle la revendicatrice manquait de crédibilité. La revendicatrice dit qu'il ressort de la preuve documentaire qu'un chi'ite peut constituer la cible du SSP même s'il ne s'adonne pas à des activités anti-sunnites et n'appartient pas à une organisation chi'ite.

[10]      Enfin, la revendicatrice soutient que la Commission a commis une erreur en interprétant mal son témoignage sous serment au sujet de l'intention de son époux de les persécuter, elle et sa fille. La revendicatrice fait valoir que cette erreur aurait également amené la Commission à tirer une conclusion erronée, selon laquelle elle manquait de crédibilité.

Les arguments du défendeur

Le défendeur soutient que les questions de la crédibilité et du poids qu'il convient d'accorder à la preuve font partie de la compétence de la Commission en tant que juge des faits. La Commission peut tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité pourvu qu'elle expose des motifs clairs et non ambigus pour étayer ces conclusions. La défendeur dit que c'est ce qui s'est produit en l'espèce.

[12]      Les arguments que la demanderesse a fait valoir soulèvent une question litigieuse que la Cour doit trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a apprécié la crédibilité de la demanderesse.

[13]      On reconnaît qu'il faille faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de la Commission en matière de crédibilité. Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), le juge Décary a souligné que les conclusions en matière de crédibilité relevaient clairement de la compétence de la Commission :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[14]      J'ai examiné la décision de la Commission et le dossier du tribunal, y compris la transcription de l'audition devant la Commission, et je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur en appréciant la crédibilité de la demanderesse.

[15]      En outre, je fais également remarquer que la Commission renvoie à la disponibilité de la protection de l'État dans ses motifs1. La Commission souligne également que ni la demanderesse ni les autres membres de sa famille n'ont cherché à obtenir une telle protection. La Commission a conclu que bien que la protection de l'État soit imparfaite, on a établi que le gouvernement du Pakistan avait effectivement réagi face à la violence sectaire.

[16]      Dans l'arrêt Ward c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 103 D.L.R. (4th) 1, la Cour suprême du Canada a examiné la pertinence de la disponibilité de la protection de l'État en ce qui concerne une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Dans son arrêt, la Cour a reconnu que malgré l'existence d'une crainte fondée de persécution pour l'un des motifs énumérés, une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ne pouvait être accueillie si l'intéressé pouvait se prévaloir de la protection de l'État.

[17]      Vu les circonstances de l'espèce et compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis que l'intervention de notre Cour à l'égard de la décision de la Commission ne serait pas justifiée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[18]      Les avocats des parties disposent d'un délai de sept jours, suivant leur réception des présents motifs, pour proposer une question à certifier.

                                 « E. Heneghan »

                                     J.C.F.C.


OTTAWA (Ontario)

Le 10 juillet 2000






Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              IMM-2105-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          BATOOL HAYDER ET AUTRES C. MCI



LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 28 MARS 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :              10 JUILLET 2000


ONT COMPARU :         

M. KORMAN

                             POUR LE DEMANDEUR

G. MACDONALD

        

                             POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

OTIS & KORMAN

TORONTO                          POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR

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1 Dossier du tribunal, à la p. 8.

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