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Date : 19980401


Dossier : IMM-1480-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 1er AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE


VANDA MOUDRAK et

MARKO MOUDRAK,


requérants,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


ORDONNANCE

     Pour les raisons énoncées dans les motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                        " Max M. Teitelbaum "

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 19980401


Dossier : IMM-1480-97

ENTRE


VANDA MOUDRAK et

MARKO MOUDRAK,


requérants,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 10 mars 1997, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]      Les requérants, Vanda Moudrak, et son fils, Marko Moudrak, sont des citoyens ukrainiens d'origine polonaise qui sont arrivés au Canada le 15 mai 1992. Ils ont quitté l'Ukraine et ont revendiqué au Canada le statut de réfugié au sens de la Convention pour le motif qu'après que l'Ukraine eut obtenu son indépendance, en 1991, ils ont été victimes de harcèlement, de vandalisme et de discrimination par suite de la croissance du nationalisme. De plus, M. Moudrak allègue craindre de servir dans les forces armées ukrainiennes pour deux raisons. En premier lieu, il croit que, à cause de son appartenance ethnique, on lui confierait des affectations dangereuses. En second lieu, M. Moudrak est un objecteur de conscience, allégation à laquelle il n'a pas été donné suite à l'audience qui a eu lieu devant moi. M. Moudrak ne soutient donc plus que la Commission a commis une erreur dans ses motifs quant au fait qu'il était objecteur de conscience.

[3]      La Commission a rejeté les allégations des requérants pour le motif qu'il existait peu d'éléments de preuve tendant à montrer que les minorités telles que celle dont les requérants font partie étaient victimes de persécution. La Commission a fait remarquer que l'État ukrainien a établi un ensemble de politiques qui reconnaissent les droits des minorités. La Commission a également fait mention des organisations que la population polonaise avait créées en Ukraine afin de promouvoir l'épanouissement culturel. Il existait également certains éléments de preuve tendant à montrer que l'Ukraine entretenait de bonnes relations avec la Pologne et qu'une politique de l'État ukrainien visait à encourager le retour des groupes ethniques expulsés par Staline.

[4]      À l'audience que la Commission a tenue, les requérants ont cité le cas d'un citoyen polonais qui s'était rendu en Ukraine et qui avait censément été attaqué par la police et était ensuite décédé par suite des blessures qu'il avait subies. La Commission a considéré la chose comme une attaque par des policiers corrompus qui cherchaient simplement à s'emparer de l'argent d'un visiteur, et non comme une attaque sur la personne d'un Polonais à cause de son origine ethnique. Dans ses motifs écrits, la Commission a également dit qu'aucun élément de la preuve documentaire n'identifie la population d'origine polonaise comme risquant d'être persécutée en Ukraine.

[5]      Quant à la preuve présentée par les requérants selon laquelle ils étaient harcelés par les Ukrainiens qui avaient des tendances ultranationalistes, la Commission a conclu que dans leurs propres témoignages, les requérants avaient dit que ce harcèlement se limitait à des insultes verbales et à des actes mineurs de vandalisme. La Commission a conclu que ces actes n'équivalaient pas à de la persécution.

[6]      De plus, la Commission a fait remarquer que Mme Moudrak s'était rendue en Pologne en 1992, avec l'intention de retourner en Ukraine. La Commission a estimé que cette action allait à l'encontre d'une crainte fondée de persécution. La Commission a également fait remarquer que lorsque Mme Moudrak avait parlé du séjour qu'elle avait fait au Canada en 1992, elle avait d'abord déclaré qu'elle ne craignait pas de retourner en Ukraine, mais qu'elle avait ensuite affirmé qu'elle craignait d'y retourner. La Commission a dit que cela contredisait plusieurs autres déclarations plus détaillées et plus convaincantes.

[7]      La Commission a également accordé une grande importance au fait que les requérants étaient de bons candidats quant à un rapatriement en Pologne, mais qu'ils n'avaient rien fait en vue de cette possibilité. La Loi sur la citoyenneté de la Pologne prévoit, à l'article 2.1, que [TRADUCTION] " [l]es personnes qui arrivent en Pologne à titre de rapatriés obtiennent la nationalité polonaise en vertu de la loi ". La preuve relative aux antécédents des requérants semble laisser entendre qu'ils satisferaient aux exigences de la Loi sur la citoyenneté de la Pologne. La Commission a dit que le fait que les requérants ne s'étaient pas renseignés sur la possibilité d'obtenir la citoyenneté polonaise est incompatible avec l'allégation selon laquelle ils craignaient avec raison d'être persécutés en Ukraine.

ARGUMENTS

1.      Les arguments des requérants

[8]      Les requérants soutiennent que toute forme systématique de harcèlement ou les actes réitérés de harcèlement commis à l'endroit d'un particulier équivalent à de la persécution. Ils soutiennent que leurs biens ont été saccagés par des vandales et notamment que des menaces et des grossièretés ont été proférées à leur endroit, qu'ils ont fait l'objet de fausses accusations et que des outils ont été volés au lieu de travail. La preuve montrait également que Mme Moudrak avait communiqué avec les autorités environ dix fois et qu'on ne l'avait jamais aidée. Les requérants soutiennent que les nationalistes ukrainiens brimaient leur liberté et les empêchaient de vivre.

[9]      Les requérants contestent également la conclusion de la Commission selon laquelle on avait uniquement attaqué et tué le visiteur polonais pour lui voler son argent. Ils soutiennent que compte tenu des autres éléments de preuve soumis à la Commission, les personnes qui n'étaient pas d'origine ukrainienne étaient en danger en Ukraine après l'indépendance. Les requérants citent également trois documents dans lesquels il est question des mouvements ukrainiens ultranationalistes, lesquels étayent l'allégation selon laquelle ils étaient victimes de persécution à cause de leur origine polonaise.

[10]      En ce qui concerne le fait qu'ils n'ont pas cherché à obtenir la citoyenneté polonaise, les requérants soutiennent que la citoyenneté n'est pas automatiquement attribuée et que les autorités polonaises ont un pouvoir discrétionnaire à cet égard. Les requérants affirment que lorsque Mme Moudrak était en Pologne en 1992, elle n'avait pas pu songer à faire des démarches en ce sens parce que le décès de sa fille la bouleversait. Ils affirment en outre que le séjour qu'ils ont fait au Canada en 1992 leur a permis d'échapper au harcèlement dont ils étaient victimes en Ukraine. Ils soutiennent qu'étant donné que la Commission a reconnu que les événements mentionnés dans leur Formulaire de renseignements personnels et dans leurs témoignages s'étaient produits, cela devrait étayer la déclaration selon laquelle ils avaient quitté l'Ukraine parce qu'ils étaient persécutés.

[11]      Enfin, dans leurs observations écrites, les requérants soutiennent qu'ils ont tardé à revendiquer au Canada le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'ils étaient parrainés par le mari de Mme Moudrak, qu'elle avait rencontré et épousé au Canada. Les requérants déclarent que, contrairement aux conclusions tirées par le tribunal, ils faisaient des démarches en vue de rester au Canada et qu'ils avaient uniquement revendiqué le statut de réfugié après avoir fait face à la possibilité d'être renvoyés en Ukraine. Ils affirment que ce retard ne devrait pas mettre en doute le bien-fondé de la revendication étant donné que des explications adéquates ont été fournies.

2.      Arguments de l'intimé

[12]      L'intimé soutient que la Commission n'a pas commis d'erreur en statuant que les événements qui s'étaient produits équivalaient à du harcèlement et non à de la persécution. Il cite trois décisions à l'appui de la thèse selon laquelle la ligne de démarcation entre la persécution et le harcèlement est difficile à tracer et que la cour qui exerce le contrôle ne devrait intervenir que si la conclusion tirée est arbitraire ou déraisonnable.

[13]      L'intimé fait remarquer que la Commission a conclu que le harcèlement dont les requérants avaient été victimes, [TRADUCTION] " même s'il s'était répété ", n'équivalait pas à de la persécution. L'intimé soutient donc que la Commission a tenu compte de l'effet cumulatif du harcèlement.

[14]      En outre, l'intimé cite la preuve documentaire sur laquelle la Commission s'est fondée pour conclure que les requérants, en leur qualité de personnes d'origine polonaise, ne feraient pas face à une possibilité sérieuse de persécution. Il affirme que rien ne montre que la Commission ait commis, en appréciant cet élément de preuve, une erreur justifiant l'infirmation de la décision.

[15]      En ce qui concerne les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la conduite des requérants, l'intimé déclare que la Commission peut tenir compte des actions de ces derniers. La Commission a dit que les requérants avaient quitté l'Ukraine et qu'ils y étaient retournés, qu'ils n'avaient pas tenté de se réclamer de la protection de l'État polonais et qu'ils n'avaient pas revendiqué le statut de réfugié dès qu'il leur avait été possible de le faire. L'intimé soutient que la Commission a eu raison de considérer que ces actions n'étaient pas compatibles avec l'allégation selon laquelle les requérants craignaient avec raison d'être persécutés en Ukraine.

ANALYSE

[16]      J'ai examiné la preuve dont disposait la Commission et je ne suis pas convaincu qu'une erreur susceptible de révision ait été commise. La Commission n'a pas nié que les nationalistes ukrainiens harcelaient dans une certaine mesure les requérants, mais elle a conclu que cela n'équivalait pas à de la persécution. Je conclus que la preuve de harcèlement dont disposait la Commission se rapportait à des actes mineurs de vandalisme et à des insultes verbales. Conformément à la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sagharichi v. Canada (M.E.I.) (1993), 182 N.R. 398, je ne conclus pas que la conclusion tirée par la Commission est arbitraire ou déraisonnable à un point tel qu'elle doive faire l'objet d'un contrôle.

[17]      De plus, contrairement à ce que les requérants ont soutenu, la Commission a tenu compte des effets cumulatifs du harcèlement. Je ne crois pas que la Commission ait omis de tenir compte de ces effets puisqu'elle a fait remarquer que le harcèlement [TRADUCTION] " s'était répété ". À mon avis, la Commission estimait que malgré son effet cumulatif, le harcèlement ne constituait pas de la persécution et la preuve ne donne pas à entendre que cette conclusion était déraisonnable.

[18]      La Commission a également examiné à fond la preuve documentaire en rendant sa décision. Rien ne montre que la Commission n'ait pas examiné la preuve documentaire relative à l'existence de groupes ukrainiens ultranationalistes. De fait, l'acceptation par la Commission de l'allégation des requérants selon laquelle ils étaient harcelés par les Ukrainiens ultranationalistes étaye pareille interprétation de la décision. Quant à l'argument des requérants voulant que la Commission ait commis une erreur en concluant qu'on avait attaqué le visiteur polonais pour s'emparer de son argent, la prétention des requérants selon laquelle il avait été attaqué parce qu'il était d'origine polonaise n'est qu'une simple conjecture et n'est pas étayée par la preuve.

[19]      En outre, je ne crois pas que la Commission ait commis une erreur en tenant compte du fait que les requérants ne s'étaient pas renseignés sur la possibilité de devenir citoyens polonais. L'argument des requérants selon lequel la citoyenneté polonaise n'est pas garantie n'explique pas pourquoi ils ne se sont pas renseignés sur cette possibilité s'ils croyaient réellement qu'ils étaient persécutés en Ukraine. La Commission avait parfaitement le droit de conclure que cela était incompatible avec une crainte fondée de persécution.

[20]      Enfin, dans leurs observations écrites, les requérants et l'intimé ont mentionné le temps qui s'était écoulé entre la date à laquelle les requérants étaient arrivés au Canada et celle à laquelle ils avaient revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. La Commission ne fait pas mention de ce retard dans ses motifs de sorte que je suppose que cela n'a pas influé sur sa décision. Quoi qu'il en soit, le poids des autres éléments de preuve cités par la Commission était suffisant pour justifier la décision qu'elle a rendue.

CONCLUSION

[21]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]      Les parties ont informé la Cour qu'elles ne demanderont pas qu'une question soit certifiée.

                                    " Max M. Teitelbaum "

                             J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO),

le 1er avril 1998

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :          IMM-1480-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          VANDA MOUDRAK ET AUTRE c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 19 mars 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Teitelbaum en date du 1er avril 1998

ONT COMPARU :

Hart A. Kaminker      POUR LES REQUÉRANTS
Kevin Lunney      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Kranc      POUR LES REQUÉRANTS

Toronto (Ontario)

George Thomson      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

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