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Date : 20200618


Dossier : IMM-3727-19

Référence : 2020 CF 704

Montréal (Québec), le 18 juin 2020

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ZICO KITENGA LUNDA,

MMIREILLE NGALULA TSHIMANGA,

OLIANA KINTENGA NZAU

Demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

  1. Aperçu

[1]  Les demandeurs, Monsieur Zico Kitenga Lunda, son épouse MMireille Ngalula Tshimanga et leur enfant mineur Oliana Kintenga Nzau, sont citoyens de la République démocratique du Congo. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 21 février 2019 [Décision], dans laquelle la SPR a refusé de leur accorder le statut de réfugié ou de personne à protéger sous les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SPR s’est dite d’avis que le récit des demandeurs n’était pas crédible.

[2]  Les demandeurs soumettent que la SPR a erré dans son appréciation de la preuve et de leur crédibilité. Ils maintiennent également que la SPR a mal interprété et appliqué la Règle 11 des Règles de la Section de protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles], en exigeant à tort des preuves corroboratives de leurs allégations. Ils demandent à la Cour d’annuler la Décision et de renvoyer l’affaire devant la SPR afin que leur dossier puisse être examiné à nouveau par un tribunal différemment constitué.

[3]  La seule question en litige soulevée par cette demande de contrôle judiciaire est de déterminer si la Décision de la SPR est déraisonnable.

[4]  Pour les motifs exposés ci‑après, je vais rejeter la demande de M. Lunda et sa famille. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SPR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucun motif d’infirmer la Décision. Considérées individuellement ou de manière groupée, les lacunes dans la preuve soumise par les demandeurs et les contradictions dans le témoignage de M. Lunda soutiennent raisonnablement les conclusions de la SPR quant au manque de crédibilité, et les motifs de la SPR possèdent les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent en regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il n’y a donc aucune raison justifiant l’intervention de la Cour.

  1. Contexte

    1. Les faits

[5]  La demande d’asile logée par M. Lunda et sa famille est fondée sur la crainte de persécution de M. Lunda en raison de ses opinions politiques en tant que membre du parti de l’Union pour la démocratie et le progrès social [UDPS] au Congo.

[6]  En septembre 2016, M. Lunda aurait été détenu pendant une semaine par les autorités congolaises, après avoir participé à une manifestation organisée par l’UDPS.

[7]  En avril 2017, M. Lunda et sa famille sont partis en vacances aux États-Unis. Bien que M. Lunda ait été interrogé à l’aéroport à leur départ du Congo, les demandeurs ont pu prendre leur avion et quitter le pays. Plus tard au mois d’avril, M. Lunda est retourné au Congo pour son travail. Il affirme avoir alors été arrêté à l’aéroport de Kinshasa à son arrivée, interrogé en lien avec l’UDPS, puis relâché. Son épouse et leur enfant étaient toutefois restés aux États-Unis, leurs vacances étant prévues jusqu’au début mai.

[8]  Lors de son séjour au Congo, M. Lunda aurait été enlevé en mai 2017 alors qu’il se rendait aux bureaux de l’UDPS. Les services de sécurité du Congo l’auraient torturé avant de le libérer en échange d’une rançon. M. Lunda a tout de même pu rejoindre sa famille aux États-Unis le 25 mai 2017.

[9]  M. Lunda et sa famille n’ont pas demandé l’asile aux États-Unis. Le 25 juillet 2017, ils sont entrés au Canada et ont alors déposé leur demande d’asile auprès des autorités canadiennes, alléguant craindre que les autorités congolaises ne prennent M. Lunda pour cible et ne le persécutent en raison de son activisme politique.

  1. La Décision de la SPR

[10]  En février 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Aux termes de son analyse, la SPR a jugé que le témoignage de M. Lunda était dépourvu de crédibilité et a conclu à l’absence de crainte subjective de persécution pour les demandeurs au Congo.

[11]  La SPR a relevé de nombreuses contradictions entre le témoignage de M. Lunda et les éléments de preuve soumis dans le cadre de sa demande d’asile. La SPR a notamment conclu que M. Lunda n’avait pas réussi à démontrer qu’il serait considéré comme un opposant politique par les autorités du Congo ou que ces autorités seraient actuellement à sa recherche. Selon la SPR, la documentation objective sur les personnes interrogées à leur retour au pays montrait que les autorités congolaises ne s’attardaient pas aux sympathisants de bas niveau comme M. Lunda. De plus, la SPR a déterminé que M. Lunda n’avait pas établi son activisme au sein de l’UDPS. Enfin, la SPR n’a pas retenu la preuve médicale avancée par M. Lunda au sujet des événements de mai 2017, en raison de doutes sur son authenticité.

[12]  Par conséquent, la SPR n’a pas cru que M. Lunda aurait été détenu, arrêté, enlevé ou torturé à un moment quelconque par les autorités du Congo en raison de ses activités politiques.

  1. La norme de contrôle

[13]  Depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire d’une décision administrative repose dorénavant sur une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas (Vavilov au para 16). Cette présomption ne peut être réfutée que dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a prescrit la norme de contrôle applicable ou prévu un mécanisme d’appel de la décision administrative devant une cour de justice; la seconde est celle où la question faisant l’objet du contrôle tombe dans l’une des catégories de questions à l’égard desquelles la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] au para 27; Vavilov aux para 10, 17).

[14]  Aucune des situations justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce, que ce soit en regard des conclusions de la SPR sur la crédibilité et l’appréciation de la preuve ou en ce qui a trait à son interprétation de la Règle 11.

[15]  Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85 ; Société canadienne des postes aux para 2, 31). La cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).

[16]  Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). J’observe que cette façon de voir s’inscrit dans la foulée de la directive de l’arrêt Dunsmuir voulant que le contrôle judiciaire porte à la fois sur le résultat et sur le processus (Dunsmuir aux para 27, 47-49). Cela dit, la cour de révision doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle la cour serait elle-même parvenue si elle s’était trouvée dans les souliers du décideur.

  1. Analyse

[17]  Les demandeurs prétendent que les conclusions de la SPR quant à leur crédibilité contiennent des erreurs révisables et sont déraisonnables. Les demandeurs soumettent d’abord que la SPR aurait erré en omettant tout simplement d’analyser les événements de septembre 2016 et les déclarations de M. Lunda liées à la persécution qu’il aurait alors subie.

[18]  En ce qui a trait à ses activités au sein de l’UDPS, M. Lunda plaide que la SPR aurait erronément refusé de tenir compte de sa carte de membre pour prouver son appartenance au parti. S’appuyant notamment sur l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) [Maldonado], les demandeurs maintiennent que la SPR ne pouvait exiger une preuve documentaire supplémentaire pour corroborer les allégations de M. Lunda, alourdissant injustement le fardeau de preuve pesant sur lui alors qu’il devait bénéficier de la présomption de véracité.

[19]  Eu égard à l’enlèvement de mai 2017, les demandeurs avancent que le rapport médical en faisant foi n’aurait pas dû être écarté par la SPR. De plus, ils maintiennent que celle-ci a fait preuve d’un excès de formalisme en exigeant une version authentique de la lettre d’un parent de M. Lunda faisant état de la demande de rançon concomitante à l’événement. Aux dires des demandeurs, la SPR aurait aussi déconsidéré sans raison toute la preuve objective favorable contenue dans le Cartable de documentation nationale sur le Congo, laquelle attestait que des militants des partis d’opposition étaient maltraités dans le pays en 2016 et 2017 et que les dirigeants de l’UDPS étaient susceptibles d’y être arrêtés.

[20]  Les demandeurs affirment notamment la SPR se serait méprise dans son interprétation de la Règle 11, car celle-ci n’exige pas des demandeurs d’asile qu’ils prouvent leurs allégations au moyen de preuves documentaires. Les demandeurs prétendent que la Règle 11 doit être lue à la lumière de l’article 106 de la LIPR, et que des documents sont nécessaires pour prouver l’identité, mais non les allégations d’une demande d’asile.

[21]  Je ne souscris pas à l’analyse faite par les demandeurs de la Décision de la SPR.

  • [22] Dans le jugement Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani], j’ai résumé les principes régissant la façon dont un décideur administratif comme la SPR doit apprécier la crédibilité des demandeurs d’asile (Lawani aux para 20-26). En appliquant ces principes, je conclus qu’à tous égards, la Décision de la SPR est raisonnable. Dans le cas de M. Lunda et sa famille, les lacunes dans la preuve soumise et l’accumulation de contradictions et d’incohérences concernant des éléments cruciaux de leur demande d’asile appuient amplement la conclusion tirée par la SPR au sujet de l’absence de crédibilité (Lawani au para 21). J’ajoute que les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne découlaient pas de contradictions mineures qui étaient secondaires ou périphériques à la demande d’asile, mais touchaient plutôt au cœur même du récit qui la sous-tendait, soit des menaces de persécution découlant de l’engagement politique de M. Lunda.

[23]  En somme, la SPR n’a pas cru l’histoire de M. Lunda à l’effet qu’il aurait été victime de persécution en raison de son appartenance à l’UDPS et de son activisme politique au sein de cette organisation. De ce fait, la SPR a conclu que les allégations de M. Lunda portant à la fois sur son arrestation et sa détention en septembre 2016 et sur son enlèvement et sa torture par les services de sécurité congolais en mai 2017 étaient dénuées de tout fondement.

[24]  Au niveau de l’engagement de M. Lunda auprès de l’UDPS, la SPR a considéré que la détention par M. Lunda d’une carte de membre du parti ne suffisait pas pour établir son activisme politique. La SPR n’a pas remis en cause que M. Lunda était membre de l’UDPS, mais a plutôt déterminé que, pour devenir une cible des autorités congolaises et conclure à un risque de persécution, il fallait davantage que la seule qualité de membre. Du reste, la SPR a relevé que, pour quelqu’un qui prétendait être un activiste politique et travailler comme agent financier au sein de l’UDPS depuis plusieurs années, M. Lunda n’affichait même pas une connaissance minimale du parti qu’il disait activement appuyé et représenté. Ainsi, M. Lunda ne pouvait réciter les noms des candidats de l’UDPS ni le nom exact du parti au pouvoir au Congo. En d’autres mots, M. Lunda ne possédait pas le degré de connaissance attendu d’une personne revendiquant son profil d’activiste.

[25]  M. Lunda rétorque qu’ignorer certains noms de candidats de l’UDPS ou le nom précis d’un parti adverse ne saurait lui être raisonnablement reproché. Cet argument ne me convainc pas. La demande de M. Lunda, je le rappelle, reposait sur une crainte de persécution en raison de son activisme politique. M. Lunda invoquait ses opinions politiques et son engagement au sein de l’UDPS comme étant la source de son risque de persécution. Or, les questions auxquelles M. Lunda s’est avéré incapable de répondre étaient des questions élémentaires de base pour quiconque prétend exercer un minimum d’activisme politique. Selon la preuve au dossier, non seulement M. Lunda n’a pas pu nommer certains noms de candidats, il s’est avéré incapable d’en nommer un seul. Et il n’a pu fournir que des renseignements vagues et nébuleux sur les personnes bien en vue au sein de l’UDPS. Si M. Lunda avait été un sympathisant aussi actif au sein de l’UDPS qu’il le prétendait, il aurait dû être en mesure de donner des réponses passablement plus précises sur le parti. Dans ces circonstances, il n’était assurément pas déraisonnable pour la SPR d’en tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité de M. Lunda car des lacunes inexplicables ponctuaient ses connaissances (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1210 au para 33; Adera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 871 au para 26).

[26]  Au niveau de la preuve médicale, la SPR n’a accordé aucun poids à un rapport médical daté de mai 2016 présenté par M. Lunda pour appuyer son allégation d’enlèvement et de torture de mai 2017. Aux termes de son analyse, la SPR a constaté que la date tant du document lui-même que celle de l’examen qui y figurait précédaient d’un an l’enlèvement allégué. Encore une fois, vu cette double erreur significative de date, je suis satisfait que la SPR pouvait tirer une inférence négative sur la crédibilité de M. Lunda, le rapport médical ne permettant aucunement d’appuyer des allégations qui, encore une fois, constituaient l’assise de la demande d’asile de M. Lunda.

[27]  Dans la foulée du rejet du rapport médical, les demandeurs reprochent à la SPR d’avoir emprunté une approche formaliste dans son traitement de la lettre d’appui d’un parent de M. Lunda, laquelle visait à corroborer les événements de mai 2017. Je ne partage pas la lecture qu’a proposée l’avocat de M. Lunda du passage incriminé, énoncé au paragraphe 20 de la Décision. Tout au contraire, il est indéniable à mes yeux que, lorsque la SPR y parlait d’un document non authentique, elle référait au rapport médical déposé par M. Lunda, et non pas à la lettre du parent. Loin d’exiger un document notarié, la SPR a décidé d’accorder peu de poids à cette lettre qui voulait appuyer un volet des événements de 2017 (soit le paiement de la rançon) en raison du rapport médical déficient qu’elle avait jugé non authentique au paragraphe précédent et du témoignage non crédible de M. Lunda sur ce même document.

[28]  Par ailleurs, la preuve documentaire indiquait que les personnes perçues comme des activistes politiques de l’opposition, et qui pouvaient être exposées à un risque de torture advenant un retour au Congo, étaient des personnes en provenance de pays européens de même que des activistes de haut niveau, un profil auquel M. Lunda ne correspondait aucunement. Là encore, je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse que la SPR a faite de cette preuve documentaire et dans ses conclusions à ce chapitre. Je précise qu’une conclusion générale de manque de crédibilité d’un demandeur peut avoir un effet contagieux sur l’ensemble des éléments de preuve pertinents présentés, notamment la preuve documentaire (Gebetas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1241 au para 29).

[29]  Dans leurs soumissions, les demandeurs s’appuient abondamment sur l’arrêt Maldonado et sur la présomption de véracité des témoignages dont doivent bénéficier les demandeurs d’asile. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que les demandeurs font de cette décision, et avec la portée qu’ils semblent vouloir lui conférer. L’arrêt Maldonado n’auréole pas les témoignages des demandeurs d’asile d’une présomption irréfragable de véracité ni ne les place-t-il à l’abri de tout soupçon. Bien au contraire, la décision Maldonado établit simplement le principe que, « [q]uand un [demandeur] jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter » (soulignement ajouté) (Maldonado au para 5). Cette réserve est importante, car elle signifie que la présomption s’éteint lorsqu’émergent des raisons pour douter de la véracité des allégations formulées dans une demande d’asile. Ainsi, la présomption est réfutable lorsque la preuve au dossier ne concorde pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666 au para 11, citant Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF) (QL)), ou lorsque la SPR n’est pas satisfaite de l’explication fournie par le demandeur eu égard à des incohérences révélées par la preuve (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183 au para 19).

[30]  La raison sous-jacente à la présomption de véracité édictée dans Maldonado est qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que des demandeurs d’asile ayant vécu certains types de situations d’urgence disposent toujours de documents ou d’autres éléments de preuve pour corroborer leurs demandes. Ces circonstances peuvent notamment inclure le passage par des camps de réfugiés, des situations de pays déchirés par la guerre, des cas de discrimination ou des événements dans lesquels les demandeurs d’asile ne disposent que d’un très court délai pour échapper à leurs agents de persécution et ne peuvent, par la suite, accéder à des documents ou à d’autres éléments de preuve depuis le Canada (Fatoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 456 aux para 35-38).

[31]  Toutefois, dans les cas où un demandeur d’asile a la possibilité de rassembler les éléments de preuve corroborant sa demande avant ou après son arrivée au Canada, la force de la présomption de véracité peut dépendre directement de la mesure dans laquelle une preuve corroborative est fournie. Il en résulte que, s’il y a une raison quelconque de douter de la véracité des allégations formulées dans l’affidavit ou le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, des conclusions défavorables peuvent être tirées à l’égard de la crédibilité si le demandeur d’asile s’avère incapable de fournir une explication pour l’absence de preuves corroboratives raisonnablement attendues (Association canadienne des avocats et avocates endroit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126 au para 184; Murugesu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 819 au para 30; Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 au para 7). Dans le même esprit, lorsque des éléments de preuve corroboratifs devraient raisonnablement être disponibles pour établir les éléments essentiels d’une demande d’asile et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable pour leur absence, le décideur administratif peut tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité en se fondant sur l’absence d’efforts de la part du demandeur pour obtenir de tels éléments de preuve (Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84 aux para 33, 35).

[32]  Je rappelle que le fardeau d’établir les éléments d’une demande d’asile repose sur les demandeurs (Morales Esquivel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 468 au para 16). D’ailleurs, aux termes de la Règle 11, le demandeur d’asile a l’obligation de transmettre les documents permettant d’établir les éléments de sa demande.

[33]  En l’espèce, la SPR pouvait donc retenir que M. Lunda n’a fait aucun effort pour communiquer avec l’UDPS afin d’obtenir plus de documents attestant de son implication politique, l’élément moteur déterminant de sa demande d’asile. La preuve au dossier ne laisse planer aucun doute sur l’absence totale d’efforts effectués par M. Lunda pour obtenir des éléments de preuve appuyant son histoire. Compte tenu de la Règle 11, il était raisonnable de s’attendre à ce que M. Lunda tente de communiquer avec l’UDPS, et vu l’inexistence d’efforts, il était loisible pour la SPR d’en tirer une inférence négative sur sa crédibilité. Si M. Lunda était réellement persécuté au Congo en raison de son engagement politique, il aurait pu entrer en contact avec l’UDPS, même depuis le Canada, étant donné que c’est sa participation dans une marche de manifestation organisée par l’UDPS en septembre 2016 et sa visite aux bureaux de l’UDPS en mai 2017 qui, selon lui, auraient amené les autorités congolaises à le pourchasser.

[34]  Je souligne que, contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, la Règle 11 n’est pas unidimensionnelle et ne se limite pas aux questions d’identité. La Règle 11 indique expressément qu’un demandeur d’asile « transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents » (soulignement ajouté). La jurisprudence enseigne d’ailleurs que cette règle s’applique non seulement à des documents liés à l’identité, mais aussi à d’autres éléments de la demande Juma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 844 au para 22. De plus, la Règle 11 précise en termes clairs que les demandeurs d’asile qui ne fournissent pas de documents acceptables doivent expliquer pourquoi ils ne l’ont pas fait et expliquer les démarches qu’ils ont entreprises pour les obtenir.

[35]  L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur administratif pour en arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13).

[36]  Il est bien établi que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation que fait la SPR de la crédibilité d’un demandeur d’asile (Dunsmuir au para 53 ; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF) au para 4). Les conclusions de la SPR sur la crédibilité exigent un degré élevé de retenue de la part des cours lors du contrôle judiciaire, compte tenu du rôle du juge des faits attribués au tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59, 89 ; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155 au para 9). Ces questions de crédibilité sont au cœur même de la compétence et de l’expertise de la SPR (Pepaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 938 au para 13), et elles ont d'ailleurs été décrites comme « l’essentiel » de sa compétence (Siad c Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 CF 608 (CAF) au para 24 ; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116 aux para 7, 8).

[37]  Au final, les arguments avancés par les demandeurs expriment simplement leur désaccord sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR et invitent en fait la Cour à préférer leur opinion et leur redécoupage de la preuve à l’analyse faite par la SPR. Or, ce n’est pas là le rôle d’une cour de révision en matière de contrôle judiciaire.

[38]  Suite à l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs revêtent une plus grande importance et s’affichent comme le point de départ de l’analyse. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision (Vavilov au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause », à démontrer que « la décision a été rendue de manière équitable et licite » et à se prémunir contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov au para 79). En somme, ce sont les motifs qui permettent d’établir la justification de la décision. Ils doivent être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov au para 97 ; Société canadienne des postes au para 31).

[39]  Or, dans le cas des demandeurs, je suis satisfait que les motifs de la Décision de la SPR justifient amplement ses conclusions de manière transparente et intelligible et me permettent de comprendre pourquoi la SPR a conclu au manque de crédibilité de M. Lunda (Société canadienne des postes aux para 28-29 ; Vavilov aux para 81, 136 ; Dunsmuir au para 48). Ils démontrent que la SPR a suivi un raisonnement rationnel, cohérent et logique dans son analyse et que la Décision est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur la SPR (Société canadienne des postes au para 30, citant Vavilov aux para 105-107). En bout de piste, rien dans les erreurs alléguées par les demandeurs ne m’amène « à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur » (Vavilov au para 123).

  1. Conclusion

[40]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Lunda et sa famille est rejetée. Je ne décèle rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SPR et dans ses conclusions. J’estime plutôt que l’analyse faite par la SPR sur le manque de crédibilité de M. Lunda possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et que la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. J’en arrive à la même conclusion pour ce qui est de l’interprétation et de l’application de la Règle 11. À tous égards, on peut suivre le raisonnement de la SPR sans buter sur une faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique.

[41]  Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier, et je conviens qu’il n’y en a aucune.



JUGEMENT au dossier IMM-3727-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-3727-19

 

INTITULÉ

ZICO KITENGA LUNDA, MMIREILLE NGALULA TSHIMANGA, OLIANA KINTENGA NZAU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 2 juin 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS:

LE 18 JUIN 2020

 

COMPARUTIONS:

Dieudonné Kandolo

 

Pour la demanderesse

 

Me Renalda Ponari

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Dieudonné Kandolo

Sherwood Park (Alberta)

 

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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