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Date : 19990922


Dossier : T-1543-98


Ottawa (Ontario), le 22 septembre 1999.

En présence de M. le juge Pelletier

ENTRE :



LEUNG SAI YIU,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]      Monsieur Leung est arrivé au Canada le 23 mai 1989 en tant qu"immigrant ayant obtenu le droit de s"établir et en tant qu"entrepreneur. Il était accompagné de son épouse et de leurs deux enfants. Il a acheté une maison dans les basses terres continentales de la Colombie-Britannique, où la famille s"est installée. Il a ouvert un restaurant qui employait six personnes; par conséquent, il remplissait les conditions en vigueur pour être admis dans le cadre du programme s"adressant aux entrepreneurs. Il a demandé et obtenu tous les indices habituels de la résidence, un numéro d"assurance sociale , une carte de santé, un permis de conduire. Il a ouvert un compte bancaire et a constitué une hypothèque sur sa maison en vue de la payer, démontrant ainsi qu"il comprenait le mode de vie canadien traditionnel.

[2]      Le 1er septembre 1994, il a été embauché à titre de directeur des ventes par Precision Fashion Manufacturing. Il a également fondé sa propre entreprise, Richmond Brothers Enterprises (Canada) Ltd. Ces deux entreprises faisaient des affaires à Hong Kong et ailleurs en Extrême-Orient, de sorte que M. Leung s"absentait du pays pour de longues périodes. À Hong Kong, l"appelant occupait une chambre de l"appartement de son frère. En février 1997, il a acheté une deuxième maison, à Woodbridge (Ontario), pour des raisons d"affaires. Il n"a aucune demeure à l"extérieur du Canada.

[3]      Les autres membres de la famille de l"appelant vivaient au Canada pendant que celui-ci voyageait. Dans son questionnaire relatif à la résidence, il dit que, bien qu"il fût à l"étranger, il communiquait avec les membres de sa famille [TRADUCTION] " presque chaque jour ". Il dit qu"il prend pleinement part à la vie de sa famille au Canada et que les enseignants de ses enfants le connaissent bien. Il conclut le questionnaire de la façon suivante :

[TRADUCTION] Je n"ai jamais quitté le Canada dans l"intention de cesser d"y résider en permanence. J"ai toujours voulu y revenir et, en fait, j"y suis toujours revenu et j"ai toujours maintenu ma demeure au Canada, nulle part ailleurs.

[4]      Le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté de M. Leung, ayant conclu que bien que ce dernier eût établi une résidence au Canada, il avait fait peu, voire rien du tout, pour la maintenir. Le juge de la citoyenneté a estimé qu"aucun élément de preuve n"établissait que M. Leung avait entretenu de façon soutenue " le cortège de relations sociales " qui accompagne le mode de vie habituel d"une personne, comme l"exige la jurisprudence.

[5]      Peu importe le critère qu"il convient d"appliquer aux fins de l"al. 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, de nombreux juges reconnaissent que le fait de s"absenter du pays afin de gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa famille ne met pas fin à la résidence, si une résidence a été établie. Dans Re Yuen Wah Stephen Lo , [1996] J.C.F. no 1585, une décision rendue par M. le juge MacKay, le demandeur est arrivé au Canada en provenance de Hong Kong à titre de résident permanent, le 20 juillet 1990. Il s"est installé immédiatement dans sa nouvelle demeure et il a acquis tous les indices habituels de la résidence : permis de conduire, carte de santé, comptes bancaires, etc. Incapable de se trouver un emploi au Canada, il a accepté un poste que lui a offert son ancien employeur en 1992, poste qui l"amenait à faire de longs séjours à l"étranger. Au cours des quatre années qui ont précédé la date du dépôt de sa demande de citoyenneté, il ne s"est trouvé au pays que pendant 475 jours; il lui manquait donc 620 jours pour satisfaire à l"exigence de 1 095 jours prévue dans la Loi . Le juge MacKay a conclu que le demandeur avait établi et maintenu sa résidence au Canada et il a accueilli l"appel. Les similitudes que présentent cette affaire et l"espèce sont nombreuses et convaincantes.

[6]      Un certain nombre d"autres décisions vont dans le même sens :

     Re Siu Chung Hung (1996), 106 F.T.R. 236, 1996 J.C.F. no 107 (le juge Dubé)

     Re Stephen Yu Hung Lai (1994), 85 F.T.R. 62, 1994 J.C.F. no 1483 (le juge Noël)

     Re Kin Sum Chan (1995), 91 F.T.R. 305, 1995 J.C.F. no 333 (le juge Denault)

[7]      En conséquence, le juge de la citoyenneté n"a pas bien appliqué le critère qu"il a, semble-t-il, choisi d"appliquer, soit celui que le juge Thurlow a énoncé dans Papadogiorgakis , vu qu"il s"est trompé en examinant la question du maintien de la résidence.

[8]      Le juge de la citoyenneté a, semble-t-il, cherché à identifier d"autres activités démontrant une intégration au sein de la société canadienne auxquelles le demandeur se serait livré au Canada. L"existence de telles activités annule la conclusion selon laquelle le Canada n"est pas l"endroit où la personne a centralisé son existence. L"absence de telles activités n"établit pas le contraire, étant donné que chaque personne a une capacité et une tolérance qui lui sont propres à l"égard d"activités sociales. Les personnes dont la tolérance sur ce plan est moindre ne sont pas nécessairement moins attachées au pays.

[9]      Au début de l"audition de la présente affaire, l"avocat de l"appelant a attiré l"attention de la Cour sur le fait que le ministre intimé avait omis de déposer un dossier de la demande, malgré le fait qu"il avait présenté une requête en prorogation du délai applicable au dépôt de son dossier. Malgré le fait que l"ordonnance a été rendue, aucun dossier n"a été présenté. L"avocate du ministre a dit que pour une quelconque raison qu"elle ignorait, une ordonnance ou une directive fixant la date d"audition de la présente affaire a été rendue avant qu"il ait été statué sur la requête en prorogation de délai. Au moment où la demande d"autorisation en vue de déposer un dossier de requête a été accueillie, il ne restait que deux jours pour respecter le délai, ce qui était impossible vu les autres engagements de l"avocate. L"avocat de l"appelant a demandé une ordonnance refusant à l"intimé le droit de présenter ses arguments à la Cour, vu qu"il n"avait pas respecté le délai. J"ai refusé de rendre une telle ordonnance. L"avocat de l"appelant a franchement reconnu avoir discuté de l"affaire avec l"avocate du ministère public, et il ne pouvait dire que le fait qu"un dossier de requête n"avait pas été déposé lui était préjudiciable. Il a cependant laissé entendre que l"affaire pourrait donner lieu à une adjudication de dépens.

[10]      Le fait qu"une partie a omis de déposer un document conformément aux Règles n"est pas une chose sans importance. En l"espèce, aucun ajournement n"était requis et l"omission d"en demander un m"a été expliquée de façon convaincante. Dans les circonstances, malgré les observations éloquentes de M. Robbin, je refuse de rendre une ordonnance quant aux dépens.


O R D O N N A N C E

     Pour ces motifs, l"appel est accueilli.



                                 " J.D. Denis Pelletier "

                                     Juge






Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  T-1543-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :          LEUNG SAI YIU c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L"IMMIGRATION


LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 13 septembre 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR M. LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                  22 septembre 1999



ONT COMPARU :


M. Sheldon M. Robins                              pour le demandeur

Mme Marianne Zoric                                  pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Sheldon M. Robins                                  pour le demandeur Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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