Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200616


Dossier : T-1450-15

Référence : 2020 CF 699

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2020

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

RADU HOCIUNG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Dans de nombreuses communications avec la Cour, le demandeur, M. Hociung, qui agit pour son propre compte, a fait valoir que mes actions relativement à la présente affaire dénotent de la partialité.

[2]  M. Hociung a refusé de présenter une requête en récusation, car il estime que les Principes de déontologie judiciaire du Conseil canadien de la magistrature exigent que je me récuse de mon propre chef. Il a néanmoins fourni des observations écrites sous forme de lettre et le défendeur a répondu de la même façon. Je traiterai cette correspondance comme une requête en récusation (Exeter c Canada (Procureur général), 2015 CAF 238, par. 1; Exeter c Canada (Procureur général), 2015 CAF 260, par. 4).

II.  Les motifs invoqués à l’appui de la demande de récusation

[3]  La présente affaire découle d’une décision antérieure que j’ai rendue à l’égard d’une requête en modification et d’une requête en jugement sommaire (2018 CF 298) qui a été infirmée en partie en appel (2018 CAF 214 et 2018 CAF 215).

[4]  Bien que M. Hociung laisse entendre qu’il y a d’autres motifs de récusation, il en présente trois. Premièrement, il soutient que le fait que j’exige qu’il présente une requête en récusation laisse transparaître de la partialité. Deuxièmement, il déclare que ma décision antérieure dénote de la partialité. Troisièmement, il affirme qu’une ordonnance que j’ai rendue, portant qu’il ne serait pas statué à nouveau sur l’affaire tant qu’une décision définitive ne serait pas rendue à l’égard d’une demande d’autorisation d’interjeter appel des décisions de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada, reflète un abus des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] et dénote, par conséquent, de la partialité.

III.  Le droit

[5]  On présume que les juges sont impartiaux. Les parties qui cherchent à réfuter cette présomption doivent présenter une preuve convaincante (Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, par. 18). Elles doivent démontrer qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait, selon toute vraisemblance, que le juge ne rendrait pas une décision juste : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, par. 20. Le juge doit se récuser s’il est réellement partial ou s’il y a apparence de partialité (Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 224, par. 14).

IV.  Analyse

[6]  M. Hociung soutient que l’objectif des requêtes est de permettre à la Cour de prendre des mesures qui peuvent porter préjudice à une partie. Il soutient que j’ai révélé, en exigeant qu’il présente une requête en récusation, ma partialité en sous-entendant que mon absence porterait préjudice au défendeur.

[7]  M. Hociung décrit plutôt mal l’objectif des requêtes. Bien que le résultat d’une requête puisse avoir une incidence sur les positions des parties à une procédure, il n’est pas nécessaire qu’il y ait préjudice pour l’une des parties pour que la Cour rende une ordonnance sur une requête. Une requête permet simplement à une partie de présenter une demande précise concernant la conduite d’une affaire. Pour obtenir une ordonnance, il est avantageux de procéder par voie de requête puisque la partie 7 des Règles donne aux parties une certitude quant aux étapes à suivre avant qu’une ordonnance soit rendue. L’objectif d’unavis de requête est « de fournir au destinataire un avis suffisant de l’ordonnance sollicitée et des motifs sur lesquels repose la demande » et « de dire avec exactitude à la Cour ce que l’on réclame et pourquoi » (Rahman c Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, par. 4).

[8]  Lorsqu’une ordonnance est sollicitée, en l’espèce pour obtenir une récusation, le fait que la Cour demande qu’il soit présenté une requête énonçant les motifs et le fondement probatoire sur laquelle elle pourra se fonder avec un certain degré d’exactitude ne signifie pas qu’il y a partialité.

[9]  La Cour d’appel a déjà rejeté l’allégation selon laquelle ma décision antérieure dénotait de la partialité. Elle a noté qu’une erreur susceptible de révision « ne constitue pas une preuve de partialité ». Si tel était le cas, « toutes les décisions infirmées en appel ou annulées lors du contrôle judiciaire d’une décision fondée sur une erreur de droit ou toute autre erreur susceptible de révision donneraient lieu à cette crainte » (2019 CAF 214, par. 54). La Cour d’appel a également rejeté la prétention de M. Hociung selon laquelle le fait de se fonder sur des dispositions législatives sur lesquelles les parties n’ont pas présenté d’observations pour interpréter les dispositions en cause dénote de la partialité (2019 CAF 214, par. 55).

[10]  Enfin, l’observation de M. Hociung concernant l’ordonnance portant qu’il ne serait pas statué à nouveau sur l’affaire tant qu’une décision ne serait pas prise au sujet de sa demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada reflète, en fait, un désaccord en ce qui concerne la portée de la compétence plénière de la Cour et la jurisprudence pertinente. Le désaccord d’une partie à l’égard de l’interprétation et de l’application de la loi par un juge ne peut constituer le fondement d’une allégation de partialité (Sir c Canada, 2019 CAF 101, par. 6 et 8).

V.  Conclusion sur la partialité

[11]  M. Hociung n’a pas établi qu’il existe une crainte raisonnable de partialité. Les circonstances alléguées reflètent les désaccords de M. Hociung à l’égard de mon interprétation et de mon application de la loi. De tels désaccords ne conduiraient pas une personne raisonnable et bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, à conclure que je ne poursuivrai pas l’instruction avec un esprit ouvert. Ils ne démontrent pas qu’il y a partialité.

VI.  Observation finale

[12]  Les allégations de partialité formulées par M. Hociung semblent prendre racine dans une mauvaise compréhension du rôle de la Cour. M. Hociung ne doit pas oublier que les décisions de la Cour d’appel lient la Cour fédérale. Comme la Cour d’appel l’a fait remarquer, on assiste parfois à de tels malentendus de la part des parties qui agissent pour leur propre compte (2019 CAF 214, par. 53). Dans une telle situation, le juge doit donner aux parties qui agissent pour leur propre compte la latitude nécessaire pour qu’elles aient la possibilité de faire valoir leur cause. Toutefois, les parties qui agissent pour leur propre compte ne se voient accorder aucun droit additionnel ni dispense spéciale (Sauve c Canada, 2014 CF 119, par. 19; Scheuneman c Sa Majesté la Reine, 2003 CFPI 37, par. 4).

[13]  À cet égard, je constate que la rhétorique inutile et incendiaire de M. Hociung ne s’est pas limitée aux questions qu’il a soulevées dans le cadre de la présente requête. Au début, M. Hociung a allégué que le juge responsable de la gestion de l’instance était incompétent. Après les décisions de la Cour d’appel, il a exprimé dans les observations qu’il a présentées à la Cour son désaccord avec l’analyse de la Cour d’appel en utilisant un langage inutilement désobligeant. Plus récemment, en plus des allégations de partialité, M. Hociung a soutenu que mon traitement de l’affaire [traduction] « est à la limite du criminel ».

[14]  Comme l’indique le passage des Principes de déontologie judiciaire cité par M. Hociung, « les juges doivent veiller à ce que les débats se déroulent de manière ordonnée et efficace, et à ce qu’on n’abuse pas du processus » (p. 34). La conduite de M. Hociung peut être un abus du processus. Je rappelle à M. Hociung que son droit de défendre avec vigueur sa position juridique ne comprend pas le droit de se livrer à des comportements abusifs.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1450-15

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de juin 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1450-15

 

INTITULÉ :

RADU HOCIUNG c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 16 JUIN 2020

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Radu Hociung

 

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

Eric O. Peterson

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.