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Date : 20200422


Dossier : T-290-19

Référence : 2020 CF 540

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2020

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

FORTUNE DAIRY PRODUCTS LIMITED ET

VERKA FOOD PRODUCTS LIMITED

demanderesses

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demanderesses sont des producteurs de ghee, entre autres, qu’elles décrivent comme une huile de beurre au goût et à la texture uniques. Le ghee est couramment utilisé dans la cuisine sud‑asiatique et est de plus en plus populaire au Canada. Les demanderesses contestent les mesures prises par l’Agence canadienne d’inspection des aliments [l’ACIA] en appliquant un seuil de tolérance de 1 mg/100 g de bêta-sitostérol dans leur ghee. Elles font valoir que ce seuil n’est établi dans aucun règlement ni aucune politique. Elles soutiennent qu’elles se sont fondées sur les normes de l’industrie, y compris les normes américaines, et sur le Fichier canadien sur les éléments nutritifs pour produire leur ghee à une concentration de 4 mg/100 g pendant plus de 14 ans et qu’elles pouvaient légitimement s’attendre à continuer de le produire ainsi. Elles font valoir que, en raison du seuil de 1 mg/100 g appliqué par l’ACIA, elles ont dû suspendre leurs activités et acheter leur matière première à un coût plus élevé auprès d’un fournisseur canadien, ce qui a occasionné une perte de revenu. Les demanderesses soutiennent que les mesures prises par l’ACIA sont déraisonnables et inéquitables sur le plan procédural. Elles demandent une série de réparation, notamment des jugements déclaratoires et une injonction qui leur permettraient de continuer à produire leur ghee à des seuils de tolérance plus élevés.

[2]  Les lois et les règlements qui confèrent un mandat à l’ACIA et régissent la production et la vente d’aliments au Canada sont touffus, entremêlés et très complexes pour les non-initiés. Les déposants pour le compte du défendeur ont fourni des renseignements sur le rôle de l’ACIA et de Santé Canada dans la mise en œuvre et l’application des lois, des règlements et des politiques. Les demanderesses se sont exprimées sur la production du ghee et leur compréhension des normes de l’industrie.

[3]  Les arguments des demanderesses sont incohérents à certains égards. Elles soutiennent qu’elles contestent une [traduction« question », et non une décision, mais affirment également que la [traduction« décision » de l’ACIA d’appliquer un seuil de 1 mg/100 g pour le bêta-sitostérol est déraisonnable.

[4]  Les demanderesses affirment qu’elles ne contestent pas le caractère raisonnable des règlements et des politiques, car il n’y en a pas. Par contre, elles soutiennent que le seuil de tolérance de 1 mg/100 g est déraisonnable parce qu’il est injustifié et ne respecte pas les normes internationales.

[5]  Les demanderesses ont affirmé à maintes reprises qu’elles ne [traduction« contestent pas la science » à l’origine du seuil de tolérance de 1 mg/100 g pour le bêta-sitostérol. Cependant, le déposant pour le compte des demanderesses, M. Gary Matta, a exprimé son point de vue sur certaines questions d’ordre scientifique.

[6]  Les demanderesses font valoir que l’ACIA ne les a jamais aiguillés vers un règlement ou une politique concernant la concentration de bêta-sitostérol. Toutefois, elles soutiennent avoir respecté les normes de l’industrie, particulièrement les seuils de tolérance du département de l’Agriculture des États-Unis [USDA], et qu’elles se sont fondées sur le Fichier canadien sur les éléments nutritifs, ce qui démontre qu’elles connaissent les règlements canadiens applicables. Elles font également référence à d’autres règlements (concernant le beurre, par exemple) pour justifier l’application d’une concentration de 4 mg/100 g.

[7]  Les demanderesses font principalement valoir que l’ACIA a violé les règles d’équité procédurale en appliquant une [traduction« nouvelle politique », car elles pouvaient légitimement s’attendre à ce que la méthode qu’elles utilisent depuis plus de 14 ans pour produire leur ghee avec du bêta-sitostérol à une concentration de 4 mg/100 g était acceptable. Les demanderesses confondent la doctrine de l’attente légitime avec la notion courante consistant à s’attendre à pouvoir continuer de faire ce qu’elles ont toujours fait, soit parce que l’ACIA n’avait pas régulièrement analysé leurs produits, soit parce qu’elle n’avait jamais détecté la non‑conformité des produits.

[8]  Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, les lois et les règlements applicables interdisent la falsification de produits alimentaires et, plus particulièrement, l’ajout de gras d’origine non laitière à des produits laitiers. Il existe une méthode pour détecter le bêta‑sitostérol dans les produits laitiers, y compris le ghee, qui démontre la présence de gras d’origine non laitière et la falsification. L’ACIA n’a ni imposé un nouveau règlement ou une nouvelle politique ni agi sans pouvoir en appliquant le seuil de 1 mg/100 g. Les mesures prises par l’ACIA étaient raisonnables et équitables sur le plan procédural.

[9]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. Les présents motifs ne visent pas à rédiger un traité sur la production de ghee ni à interpréter la réglementation de produits non visés par la présente demande. La Cour s’est penchée sur trois questions fondamentales : la nature de la [traduction« question » visée par la présente demande, l’admissibilité de l’affidavit du déposant des demanderesses, ainsi que le caractère raisonnable et équitable sur le plan procédural des mesures prises par l’ACIA.

II.  Contexte

[10]  Les demanderesses, Fortune Dairy Products Limited [Fortune Dairy] et Verka Food Products Limited [Verka] sont des producteurs de ghee. Verka a commencé à produire du ghee au Canada en 2004, et Fortune Dairy a récemment repris sa production de ghee.

A.  L’analyse du ghee des demanderesses en 2018

[11]  En réponse à une plainte, l’ACIA a mené une enquête et analysé des échantillons de ghee produit par les demanderesses. En mars 2018, l’ACIA les a avisées que trois des quatre échantillons analysés ne respectaient pas le seuil de tolérance minimal de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol. Quatre autres échantillons analysés ultérieurement ont donné des résultats similaires. Les résultats des analyses révèlent que, dans l’ensemble, six des huit échantillons dépassaient le seuil de tolérance de 1 mg/100 g de bêta-sitostérol et présentaient des concentrations variant de 2 mg/100 g à 8 mg/100 g.

[12]  Selon les demanderesses, l’ACIA a appliqué une nouvelle politique qui va à l’encontre de son ancienne pratique autorisant une concentration de 4 mg/100 g de bêta-sitostérol dans le ghee. Elles font valoir que, avant 2018, l’ACIA ne leur avait jamais mentionné qu’elles devaient respecter une certaine concentration de bêta-sitostérol. Elles ajoutent qu’elles n’étaient pas au courant de cette limite et qu’elles n’auraient pas pu l’être puisqu’elle n’est prescrite dans aucun règlement.

B.  La réponse du Bureau de traitement des plaintes et des appels de l’ACIA, juillet 2018

[13]  Après les résultats d’analyse de mars 2018, les demanderesses ont entamé une longue correspondance avec l’ACIA au sujet du seuil de tolérance pour le bêta-sitostérol. M. Gary Matta (M. Matta), directeur et copropriétaire de Verka et directeur d’installation de Fortune Dairy, a déposé une plainte auprès du Bureau de traitement des plaintes et des appels de l’ACIA, dans laquelle il contestait le seuil de tolérance de 1 mg/100 g et faisait notamment valoir que le Fichier canadien sur les éléments nutritifs autorisait une concentration de 4 mg/100 g dans le beurre et une concentration de 5 mg/100 g dans l’huile de beurre. Mme Janine Lowry du Bureau de traitement des plaintes et des appels a fourni une réponse exhaustive le 23 juillet 2018, dans laquelle elle répondait aux questions soulevées par M. Matta et citait, entre autres, les lois et les règlements applicables, la Liste des additifs alimentaires autorisés, les normes Codex pour les graisses et les huiles de sources végétales, ainsi que le Fichier canadien sur les éléments nutritifs.

[14]  Mme Lowry a indiqué que le Bureau de traitement des plaintes et des appels a examiné les préoccupations de M. Matta et les documents qu’il avait fournis, ainsi que la documentation de la Direction générale des opérations, de la Direction générale des sciences et de la Direction générale des politiques et des programmes de l’ACIA. Elle a mentionné le rôle de l’ACIA dans la réglementation des produits laitiers. Mme Lowry a cité l’article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870, et l’article 2 de l’ancien Règlement sur les produits laitiers DORS/79-840, qui prévoient que le gras contenu dans les produits laitiers doit uniquement provenir du lait et que les produits laitiers contenant du gras autre que du gras de lait sont considérés comme falsifiés. Elle a également cité l’article 48 du Règlement sur les produits laitiers, où l’huile de beurre est définie comme « le produit obtenu à partir du beurre ou de la crème une fois que la matière sèche dégraissée et la plus grande partie de l’eau ont été extraites et [qui] doit contenir au moins 99,3 pour cent de matière grasse du lait et au plus 0,5 pour cent d’eau ».

[15]  Mme Lowry a expliqué que le bêta-sitostérol est un stérol d’origine végétale qui ne se trouve ni dans les graisses animales ni dans le lait et que l’ACIA a établi des protocoles pour mesurer le bêta-sitostérol afin de détecter les produits laitiers falsifiés, comme le beurre et le fromage, par la présence d’huiles végétales. Elle a aussi expliqué la méthode pour analyser la présence de bêta‑sitostérol. Mme Lowry a indiqué que [traduction« le seuil de tolérance de 1 mg/100 g appliqué par l’ACIA à la teneur en B-sitostérol, qui sert d’indicateur de falsification du beurre, tient compte des concentrations maximales d’additifs alimentaires qui peuvent être utilisés et des limites de détection en laboratoire ».

[16]  La réponse de Mme Lowry répond également à l’observation de M. Matta selon laquelle une concentration de 4 mg/100 g est autorisée dans le Fichier canadien sur les éléments nutritifs. Mme Lowry a confirmé que cette information était associée au beurre et au beurre sans sel et qu’elle était erronée. Elle a aussi fait remarquer que le Fichier canadien sur les éléments nutritifs contient un avis de non-responsabilité quant aux erreurs liées à la saisie de données, entre autres.

[17]  En conclusion, Mme Lowry a affirmé que les produits laitiers doivent satisfaire aux exigences énoncées dans le Règlement sur les produits laitiers et le Règlement sur les aliments et drogues. Elle a ajouté que l’ACIA avait confirmé que son évaluation des produits des demanderesses est conforme à la politique et aux autres évaluations de conformité de produits laitiers semblables précédemment effectuées.

[18]  M. Matta a contesté les conclusions de Mme Lowry. Il a reconnu que le ghee des demanderesses contenait du bêta-carotène ajouté, tel qu’il est indiqué sur l’étiquette, mais a nié que cet ajout entraînerait une concentration de bêta-sitostérol non conforme.

III.  Les observations des demanderesses

A.  Les observations juridiques des demanderesses

[19]  Les demanderesses soutiennent que la [traduction« question » de l’application par l’ACIA d’un seuil de bêta-sitostérol de 1 mg/100 g est susceptible de contrôle judiciaire.

[20]  Les demanderesses expliquent qu’elles sollicitent le contrôle judiciaire non pas d’une décision distincte, mais bien de la [traduction« question » qui les concerne, à savoir l’application continue d’une norme non réglementée ou d’une politique inexistante au sujet du bêta-sitostérol et les répercussions négatives de cette application.

[21]  Bien qu’elles fassent valoir qu’il s’agit du contrôle d’une [traduction« question », les demanderesses affirment également que la [traduction« décision » de l’ACIA était déraisonnable et devrait être annulée et que l’affaire devrait être renvoyée pour nouvelle décision. Les demanderesses soutiennent que, comme elles produisent leur ghee depuis 14 ans, la décision de l’ACIA d’appliquer un seuil de tolérance de 1 mg/100 g au lieu de 4 mg/100 g pour le bêta-sitostérol dans le ghee manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[22]  Les demanderesses font valoir qu’elles pouvaient légitimement s’attendre à continuer de produire leur ghee comme elles l’ont toujours fait. Elles affirment également qu’aucun règlement n’impose une certaine concentration de bêta-sitostérol dans le ghee.

[23]  Dans leur avis de demande, les demanderesses réclament un large éventail de réparations, notamment une ordonnance annulant la décision et les mesures prises par l’ACIA, qui a saisi les produits des demanderesses et les a obligées à cesser leur production et à respecter le seuil de 1 mg/100 g de bêta-sitostérol dans leur ghee.

[24]  Se fondant sur leur argument selon lequel l’ACIA a agi de manière inéquitable et déraisonnable en appliquant un seuil de tolérance sans en avoir le pouvoir réglementaire, les demanderesses exigent que la [traduction« question » soit tranchée à nouveau en fonction des principes juridiques et scientifiques applicables.

[25]  Les demanderesses sollicitent également un jugement déclarant que les mesures prises par l’ACIA étaient arbitraires, subjectives et contraires aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle, que la réglementation en vigueur, telle qu’elle est appliquée par l’ACIA, leur permet de produire du ghee à une concentration de 4 mg/100 g de bêta-sitostérol comme elles le font depuis longtemps, et qu’aucune politique, loi ou pratique ni aucun règlement ne leur interdit de produire du ghee à une concentration de 4 mg/100 g.

[26]  À titre subsidiaire, les demanderesses réclament une injonction empêchant l’ACIA d’imposer arbitrairement une limite de 1 mg/100 g de bêta-sitostérol dans leur ghee, interdisant à l’ACIA de s’ingérer dans leurs activités de production uniquement parce que leur ghee présente une concentration de 4 mg/100 g, obligeant l’ACIA à les autoriser à continuer de produire du ghee à cette concentration et obligeant l’ACIA à retourner les produits saisis en attendant le réexamen de la question de savoir si l’ACIA a un pouvoir réglementaire et si les demanderesses peuvent s’entendre avec l’ACIA sur la façon de continuer à produire leur ghee.

[27]  Les demanderesses soutiennent également que la Cour devrait ordonner à l’ACIA d’édicter des règlements précis qui s’appliqueraient au ghee à l’avenir.

[28]  Dans leurs observations orales, les demanderesses ont fait valoir qu’au moins une des réparations demandées pourrait remédier au manquement à l’équité procédurale qu’a commis l’ACIA en continuant d’appliquer un seuil de tolérance de 1 mg/100 g pour leur ghee.

B.  Les observations des demanderesses quant aux faits

[29]  Selon les demanderesses, l’ACIA n’a jamais appliqué un seuil de tolérance dans le cas du bêta‑sitostérol pendant leurs 14 années d’exploitation et a soudainement appliqué en mars 2018 le seuil de 1 mg/100 g sans les aviser et sans les aiguiller vers la réglementation applicable.

[30]  Les demanderesses allèguent que, en raison des mesures d’application de l’ACIA, celle‑ci a saisi les stocks de ghee dans leurs installations de production et sur les étagères des commerces et elles ont été obligées de cesser la production. Elles ont déclaré que leur chiffre d’affaires a chuté de plus de cinq millions de dollars. Les demanderesses reconnaissent qu’elles ont pu reprendre leur production par la suite, mais seulement après avoir trouvé un fournisseur canadien offrant un prix plus élevé que l’ancien, ce qui a occasionné d’autres pertes de revenus.

[31]  Les demanderesses reconnaissent que le ghee est un produit laitier, mais elles le considèrent comme un produit laitier non normalisé. Elles affirment que le ghee ne figure pas comme tel dans la réglementation sur laquelle s’est fondée l’ACIA. Elles ajoutent que, contrairement aux autres produits laitiers, aucune norme n’a été établie pour le ghee dans les Normes d’identité canadiennes et sa composition n’est pas normalisée.

[32]  D’après les demanderesses, le Fichier canadien sur les éléments nutritifs indique un seuil de tolérance de 4 mg/100 g pour le beurre et le beurre sans sel. Elles font remarquer que le déposant de Santé Canada a déclaré que le seuil indiqué dans la version en ligne du Fichier canadien sur les éléments nutritifs est erroné et ne sera pas corrigé avant la publication de la nouvelle version. Les demanderesses affirment que, en l’absence d’une réglementation canadienne, elles se sont fiées au Fichier canadien sur les éléments nutritifs, qui concorde avec la Nutrient Database for Standard Reference des États-Unis et les normes de l’industrie.

[33]  Les demanderesses indiquent que M. Matta a demandé plusieurs fois à l’ACIA de lui fournir la politique ou le règlement sur lequel elle s’est fondée pour appliquer la limite de 1 mg/100 g et que l’ACIA lui a fourni des réponses évasives. Elles ont ajouté que la déposante de l’ACIA a seulement indiqué qu’aucune falsification n’était autorisée et que cette exigence était établie depuis 20 ans.

[34]  Les demanderesses affirment que la réglementation sur laquelle se fonde maintenant le défendeur ne traite que de la falsification, c’est‑à‑dire l’ajout de gras autre que du gras de lait à un produit laitier. Selon les demanderesses, il incombait au défendeur de prouver que leur produit a été falsifié, et il ne l’a pas fait.

[35]  Les demanderesses font également valoir que le défendeur a mal lu les règlements ou a seulement lu les passages qui lui convenaient et qu’il n’a pas tenu compte du fait que l’ACIA a commis une erreur en imposant un seuil de tolérance de 1 mg/100 g pour le ghee. Elles affirment que l’article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues, selon lequel un produit laitier qui contient du gras autre que du gras de lait est falsifié, peut faire l’objet d’exceptions. Les demanderesses se demandent pourquoi une concentration de 4 mg/100 g est autorisée pour le fromage fondu, mais pas pour le ghee. Elles indiquent que le beurre est un ingrédient du ghee, que l’article B.08.056 du Règlement sur les aliments et drogues permet d’y ajouter du colorant alimentaire et que cet ajout pourrait modifier la concentration de bêta-sitostérol.

[36]  Les demanderesses font également valoir que l’étiquette de leur produit indique aux consommateurs que du bêta-carotène, qui est d’origine végétale, est ajouté comme colorant. Elles affirment que puisque les ingrédients de leur ghee sont clairement indiqués sur l’étiquette et que le ghee ne figure dans aucune réglementation, elles n’ont commis aucune violation.

[37]  Les demanderesses contestent l’affidavit de Mme Fournier, fourni pour le compte de l’ACIA, dans lequel elle affirme que même si le beurre peut contenir du colorant alimentaire, il est interdit d’ajouter du colorant alimentaire supplémentaire dans le ghee et que le colorant alimentaire dans le beurre ne hausserait pas la concentration de bêta-sitostérol dans le ghee au‑delà de 1 mg/100 g, sauf si l’on en ajoute davantage. Elles indiquent que l’affirmation de Mme Fournier est sans fondement.

[38]  Les demanderesses font aussi référence à l’affidavit de M. Matta selon lequel le ghee peut naturellement contenir du bêta-sitostérol à une concentration supérieure au seuil appliqué puisque la matière première est le lait de vache et que les vaches mangent des végétaux.

[39]  En outre, les demanderesses affirment que l’article B.08.006, qui indique que le gras de lait ou le gras de beurre doit être la matière grasse du lait de vache et qui établit d’autres critères, ne fait pas état du bêta-sitostérol. Selon elles, si le bêta-sitostérol n’est pas autorisé, la réglementation devrait le mentionner expressément.

[40]  Les demanderesses affirment qu’elles ne contestent pas la réglementation ou les politiques actuelles ni la science qui sous‑tend la réglementation. Elles ne cherchent pas à obtenir une exemption, mais demandent plutôt qu’un seuil de 4 mg/100 g soit appliqué à tous les producteurs de ghee.

IV.  Les observations du défendeur

A.  Les observations du défendeur concernant les questions juridiques

[41]  Le défendeur soutient que les arguments des demanderesses font penser à ceux d’une personne qui fait souvent des excès de vitesse sans jamais se faire prendre. La personne qui va trop vite et se fait prendre ne peut alléguer que la limite de vitesse ne s’applique pas à elle ou qu’elle s’attendait à pouvoir la dépasser. Le défendeur soutient que, en l’espèce, les demanderesses semblent faire valoir que, parce qu’elles n’ont pas été informées expressément du seuil de tolérance de 1 mg/100 g de bêta-sitostérol dans le ghee ou parce qu’aucune mesure d’application n’avait été prise par le passé, elles devraient être autorisées à continuer de produire du ghee à une concentration de 4 mg/100 g, selon leur propre interprétation des normes de l’industrie.

[42]  Le défendeur affirme que l’ignorance de la loi ne peut constituer une excuse pour ne pas se conformer à la réglementation. En tant que fabricants de produits laitiers, les demanderesses auraient dû s’informer.

[43]  Le défendeur met aussi en doute la [traduction« question » à l’égard de laquelle les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire.

[44]  Le défendeur fait remarquer que les demanderesses affirment ne pas contester la réglementation, alors que c’est exactement ce qu’elles font. Selon lui, le caractère raisonnable de la réglementation en vigueur depuis que les demanderesses ont commencé leurs activités n’est pas une question justiciable.

[45]  Le défendeur affirme que seule la légalité d’une politique peut être contestée; « la sagesse ou le bien-fondé » d’une politique gouvernementale ou d’un règlement ne peut l’être (Moresby Explorers Ltd. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 273, au par. 24, [2008] 2 RCF 341 [Moresby]; Maple Lodge Farms Ltd. c Gouvernement du Canada [1982] 2 RCS 2, aux p. 7‑8, 15 ACWS (2d) 215 [Maple Lodge]).

[46]  Le défendeur ajoute que, dans tous les cas, la politique en matière d’analyse de concentration de bêta‑sitostérol est raisonnable, tout comme l’est la réglementation, puisqu’il n’y a aucune allégation ni preuve de mauvaise foi ou d’irrationalité et que le gouvernement est habilité à les édicter et l’ACIA est habilitée à les appliquer.

[47]  Le défendeur indique que la présente demande devrait se limiter aux allégations des demanderesses selon lesquelles les mesures d’application de l’ACIA sont inéquitables sur le plan procédural.

[48]  Le défendeur reconnaît que les demanderesses ont peut‑être produit du ghee présentant une concentration plus élevée en bêta‑sitostérol et que l’ACIA n’était pas au courant ou ne l’avait pas détecté. Cela ne donne toutefois pas lieu à une attente légitime.

[49]  D’après le défendeur, le fait que les demanderesses se sont fondées sur la doctrine de l’attente légitime démontre une mauvaise compréhension de cette doctrine, qui ne constitue qu’un facteur parmi d’autres pour déterminer la nature de l’obligation d’équité procédurale. La doctrine ne constitue pas la source de droits matériels, mais seulement de droits procéduraux (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux par. 94‑97, [2013] 2 RCS 559 [Agraira]).

[50]  En ce qui a trait aux réparations sollicitées par les demanderesses, le défendeur affirme que la seule réparation possible serait de nature procédurale puisque la seule [traduction« question » qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire est leurs allégations de manquement à l’équité procédurale dans l’application de la réglementation et de la politique, que le défendeur nie. La demande de nouvel examen sollicitée par les demanderesses n’est pas une option, puisque le présent contrôle judiciaire concerne une [traduction« question », et non une décision. La Cour ne peut pas non plus rendre un jugement déclaratoire puisqu’elle ne peut déclarer une concentration en bêta‑sitostérol différente de celle actuellement autorisée par la réglementation. La Cour ne peut pas non plus accorder une injonction, puisqu’aucune question grave n’est soulevée, que les demanderesses n’ont pas subi de préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la structure réglementaire de l’ACIA.

[51]  Le défendeur ajoute que la mise en œuvre d’un règlement établissant la concentration permise de bêta‑sitostérol que réclament les demanderesses a des répercussions plus larges, comme le fait que le bêta‑sitostérol n’est qu’un élément parmi d’autres qui peut constituer un agent de falsification. De plus, la Cour n’a pas pour rôle d’établir des politiques.

[52]  À titre préliminaire, le défendeur soutient que l’affidavit de M. Matta, le déposant des demanderesses, comprend des passages qui contreviennent à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et qui devraient être radiés. De plus, les observations des demanderesses fondées sur les passages inadmissibles devraient être rejetées.

B.  Les observations du défendeur quant aux faits

[53]  Le défendeur indique que, en novembre 2017, l’ACIA a reçu une plainte de l’industrie (distincte d’une plainte de consommateur) selon laquelle le ghee des demanderesses était falsifié. En mars 2018, l’ACIA a fourni les résultats d’analyse aux demanderesses, et celles‑ci ont pris des mesures correctives, mais ont également correspondu avec l’ACIA pour contester le seuil de 1 mg/100 g.

[54]  Le défendeur fait valoir que l’ACIA n’a jamais rendu de [traduction« décision » ni ordonné aux demanderesses de cesser leur production. L’ACIA et les demanderesses ont plutôt discuté du plan d’action proposé par les demanderesses pour régler le problème. Les demanderesses ont suspendu temporairement leur production de plein gré.

[55]  Le défendeur soutient également que l’ACIA n’a rendu aucune [traduction« décision » en 2018 ni appliqué une nouvelle politique concernant la concentration permise de bêta‑sitostérol dans le ghee.

[56]  Le défendeur explique que la loi et les règlements doivent être interprétés conjointement. Il est clairement indiqué à l’article 11 de la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, LC 1997, c 6, que l’ACIA a un rôle d’application de la loi, dont les dispositions de la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F-27, en ce qui a trait aux aliments.

[57]  L’alinéa 4(1)d) de la Loi sur les aliments et drogues interdit la vente d’un aliment falsifié. Le Règlement sur les aliments et drogues s’applique dans le cas des produits laitiers. Le défendeur renvoie à l’article B.08.002, qui indique qu’un produit laitier qui contient du gras autre que du gras de lait est falsifié.

[58]  Le défendeur fait aussi observer que, dans le Règlement sur les aliments et drogues, l’huile de beurre est considérée comme un produit du lait dans la catégorie des produits laitiers.

[59]  Le défendeur fait remarquer que nul ne conteste que le ghee est un produit laitier. Les demanderesses reconnaissent qu’il s’agit d’une [traduction« huile de beurre », soit un gras de lait concentré.

[60]  Le défendeur affirme que l’article 9 du Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, DORS/2018-108, incorpore les Normes d’identité canadiennes, dont le volume 1 dresse la liste des produits laitiers. L’article 39 des Normes d’identité canadiennes définit l’huile de beurre et précise qu’elle doit contenir au moins 99,3 % de matière grasse du lait.

[61]  Le défendeur affirme que le bêta‑sitostérol est d’origine végétale. La présence de bêta‑sitostérol dans un produit laitier dénote une falsification.

[62]  Le défendeur soutient que le Règlement sur les aliments et drogues ne prévoit aucune exception pour le ghee qui permettrait d’ajouter des gras d’origine végétale à ce produit laitier. En réponse à l’argument des demanderesses selon lequel un seuil de tolérance plus élevé est accepté dans le cas du fromage fondu, le défendeur indique qu’une exception est expressément prévue dans le Règlement pour le fromage fondu.

[63]  Le défendeur ajoute que l’article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues énonce une politique de « tolérance zéro » pour les produits laitiers falsifiés par l’ajout de gras d’origine non laitière et que les demanderesses auraient dû le savoir. Le défendeur explique que l’ACIA a adopté un seuil de tolérance de 1 mg/100 g parce que la méthode utilisée ne permet pas de détecter une concentration nulle et détecte seulement à partir de 0,53 mg/100 g. Vu l’incertitude quant aux résultats d’analyse, le seuil de tolérance a été établi à 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol dans un contexte de tolérance zéro. Le défendeur fait remarquer que cette méthode est appliquée depuis 1999.

[64]  Le défendeur fait valoir que les demanderesses ont mal interprété le Fichier canadien sur les éléments nutritifs, qui n’établit pas de normes réglementaires. Il ajoute que les demanderesses se sont également fondées sur la concentration en bêta‑sitostérol établie pour un autre aliment, soit le beurre, et non l’huile de beurre.

[65]  Le défendeur indique que, dans sa lettre de juillet 2018 adressée aux demanderesses, Mme Lowry (Bureau de traitement des plaintes et des appels de l’ACIA) a confirmé qu’elles doivent respecter le seuil de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol et les a renvoyées à l’article B.08.002 du Règlement. Selon le défendeur, les demanderesses ont été clairement avisées de la réglementation applicable, mais l’ont rejetée du revers de la main et ont continué de contester que les règles s’appliquent à elles.

[66]  Le défendeur fait également référence au paragraphe 38 de l’affidavit de Mme Fournier, où elle a confirmé que l’ACIA a analysé les produits des demanderesses en 2008 à l’aide de la même méthode que celle utilisée en 2018. En 2008, tous les échantillons analysés des demanderesses respectaient le seuil de 1 mg/100 g.

V.  Les questions en litige

[67]  Les demanderesses soulèvent deux questions :

  1. Les mesures prises par l’ACIA en appliquant le seuil de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol dans le ghee étaient‑elles raisonnables?
  2. L’ACIA a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en appliquant le seuil de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol?

[68]  Le défendeur soulève deux questions préliminaires :

  1. Les demanderesses ont‑elles soulevé une [traduction] « question » justiciable? Autrement dit, les questions soulevées par les demanderesses peuvent‑elles faire l’objet d’un contrôle judiciaire?
  2. La Cour devrait‑elle radier certaines parties de l’affidavit de M. Matta, le déposant des demanderesses?

VI.  La norme de contrôle

[69]  Les règlements et politiques en matière d’analyse de la concentration de bêta‑sitostérol dans les produits laitiers et les mesures prises par l’ACIA pour les appliquer sont assujettis à la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] ACS no 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada fournit des directives quant à l’évaluation du caractère raisonnable de la question faisant l’objet du contrôle.

[70]  L’arrêt Vavilov portait sur le contrôle d’une décision, mais les mêmes principes s’appliqueraient, en les adaptant, au contrôle d’une question. La décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Vavilov, au par. 99).

[71]  Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43, [2009] 1 RCS 339). Tel qu’il est indiqué au paragraphe 34 de l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2018] ACF no 382 (QL), la norme de la décision correcte renvoie davantage à une conclusion selon laquelle lorsqu’il y a manquement à l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire de faire preuve de déférence. S’agissant de l’allégation selon laquelle l’ACIA a violé les règles d’équité procédurale en appliquant le Règlement sur les aliments et drogues et le seuil de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol, la Cour doit évaluer la portée de l’obligation d’équité procédurale envers les demanderesses et se demander s’il y a eu manquement à cette obligation.

VII.  Question préliminaire : Les demanderesses ont‑elles soulevé une question justiciable, c’est‑à‑dire une question qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire?

[72]  Le défendeur affirme que les demanderesses n’ont soulevé aucune question pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, mais reconnaît qu’elles pouvaient contester l’application par l’ACIA de la politique du 1 mg/100 g à leur production.

[73]  Selon le défendeur, bien que les demanderesses tentent de qualifier leur demande de [traduction« question » liée à l’application d’une politique sans fondement réglementaire, elles allèguent essentiellement que le seuil de tolérance de 1 mg/100 g est déraisonnable, ce qui revient à contester les règlements et la politique sous‑jacents. Le défendeur soutient que la Cour ne peut se prononcer sur le caractère raisonnable du seuil de tolérance du bêta‑sitostérol dans le ghee, qui est une question de politique, et non une [traduction« question » pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

[74]  Dans leur avis de demande déposé le 11 février 2019, les demanderesses affirment que [traduction] « la présente demande de contrôle judiciaire concerne : a) une question s’inscrivant dans le cadre de l’article 18.1 [...] qui est justiciable, soit la façon dont l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a appliqué ce qu’elle prétend être une politique sur la réglementation de la production alimentaire [...] ». Dans leur avis de demande, les demanderesses sollicitent plusieurs réparations, dont les suivantes : un jugement déclarant que les mesures prises par l’ACIA sont arbitraires, un jugement déclarant qu’il n’existe aucune politique, une ordonnance [traduction] « de certiorari annulant les mesures prises par l’ACIA », une ordonnance renvoyant la [traduction« question » à l’ACIA pour qu’elle rende une nouvelle décision, ainsi qu’une injonction.

[75]  L’éventail de réparations sollicitées dans l’avis de demande et les observations des demanderesses soulève la question de savoir en quoi consiste exactement l’objet de la demande.

[76]  Comme l’a indiqué la Cour dans son ordonnance du 3 février 2020, où elle a rejeté la requête des demanderesses en vue de présenter des éléments de preuve et des observations supplémentaires pour répondre notamment à l’argument du défendeur selon lequel la question n’était pas justiciable, l’avis de demande des demanderesses sert de ligne directrice.

[77]  Les arguments écrits des demanderesses ajoutent une certaine confusion quant à la nature de la [traduction« question », puisque celles‑ci allèguent également que [traduction« la décision de l’ACIA était déraisonnable » et que, [traduction« après 14 ans, la décision du défendeur d’appliquer un seuil de tolérance de 1 mg/100 g au lieu de 4 mg/100 g pour le bêta‑sitostérol dans le ghee manque totalement de justification, de transparence et d’intelligibilité ». Les demanderesses désignent également la lettre de mars 2018 de l’ACIA en réponse à leur plainte déposée auprès du Bureau de traitement des plaintes et des appels comme la [traduction« décision » d’appliquer un « nouveau » seuil de tolérance pour le bêta‑sitostérol.

[78]  Même si elles font référence à des décisions, les demanderesses soutiennent qu’elles ne contestent aucune décision en particulier. Elles font valoir que l’ACIA a imposé et appliqué un nouveau seuil de tolérance pour le bêta‑sitostérol sans fondement législatif ou scientifique et que cette [traduction« question » peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[79]  De plus, les demanderesses ont déclaré à maintes reprises qu’elles ne contestent pas le caractère raisonnable d’un règlement ou d’une politique en particulier, car elles sont d’avis qu’aucun règlement ni aucune politique ne justifie les mesures prises par l’ACIA. Cependant, dans leurs observations, elles contestent le caractère raisonnable des règlements et de la méthode ou politique d’analyse (en vertu de l’article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues et de l’alinéa 4(1)d) de la Loi sur les aliments et drogues) qu’elles sont tenues de respecter.

[80]  Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit ce qui suit :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

[81]  Dans l’arrêt Air Canada c Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347 [Air Canada], la Cour d’appel fédérale a souligné ce qui suit au paragraphe 24 :

Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales énonce qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est « directement touché par l’objet de la demande ». La question qui peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire ne comprend pas seulement une « décision ou ordonnance », mais tout objet susceptible de donner droit à une réparation aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Le paragraphe 18.1(3) apporte d’autres précisions à ce sujet, indiquant que la Cour peut accorder une réparation à l’égard d’un « acte », de l’omission ou du refus d’accomplir un « acte », ou du retard mis à exécuter un « acte », une « décision », une « ordonnance » et une « procédure ». Enfin, les règles qui régissent les demandes de contrôle judiciaire s’appliquent aux « demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives », et non pas aux seules demandes de contrôle judiciaire de « décisions ou ordonnances » : article 300 des Règles des Cours fédérales.

[82]  Dans l’arrêt May c CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, au paragraphe 10, [2011] ACF no 519 (QL) [May], la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il est possible de contester les politiques en vigueur :

Le terme « objet » inclut plus qu’une simple décision ou une ordonnance d’un office fédéral : il s’applique à toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir une réparation : Krause c. Canada, [1999] 2 CF 476 (C.A.F.), à la page 491. Les politiques d’application courante qui sont illégales ou inconstitutionnelles peuvent être contestées à tout moment au moyen d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle l’auteur sollicite, comme en l’espèce, une réparation de la nature d’un jugement déclaratoire : Sweet c. Canada [1999] A.C.F. no 1539 (QL) (C.A.F.).

[83]  Le terme « objet » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales est défini en termes généraux dans la jurisprudence et comprend des « mesures administratives » et « toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir une réparation ». Ainsi, les décisions politiques et les politiques en vigueur seraient visées par ce terme dans les cas où il est allégué que la politique ou la réglementation est illégale. L’application ou l’exécution d’une politique ou d’un règlement serait également visée dans les cas où un manquement à l’équité procédurale est invoqué.

[84]  Les demanderesses estiment que l’application et l’exécution par l’ACIA de la réglementation et de la politique concernant le seuil de tolérance pour le bêta‑sitostérol dans leur produit laitier, le ghee, était inéquitable le plan procédural et peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[85]  Les demanderesses font aussi valoir que la disposition réglementaire limitant la concentration de bêta‑sitostérol dans les produits laitiers (article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues) et la politique d’analyse sont déraisonnables et que les mesures prises par l’ACIA pour appliquer la réglementation étaient illégales. Cette [traduction] « question » serait également visée par l’article 18.1 (May, aux par. 10‑11; Krause c Canada, [1999] ACF no 179 (CA), aux par. 11, 21, 86 ACWS (3d) 4). Toutefois, comme le défendeur le fait remarquer, le fondement du contrôle judiciaire d’une politique ou d’un règlement est limité.

VIII.  Question préliminaire : Faudrait‑il radier certaines parties de l’affidavit de M. Matta?

[86]  Le défendeur affirme que plusieurs paragraphes entiers (les paragraphes 9, 21, 25, 28, 30, 31 et 32) et d’autres phrases précises de l’affidavit de M. Matta, le déposant des demanderesses, devraient être radiés parce qu’ils contiennent une opinion, un argument ou une supposition contraire à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. En outre, le défendeur demande qu’aucun poids n’y soit accordé.

[87]  Le défendeur fait valoir que M. Matta n’est pas un témoin expert et qu’il n’a pas les compétences requises pour formuler une opinion ou des conclusions en matière de chimie, de nutrition ou de ressources et pratiques gouvernementales.

[88]  Le défendeur ajoute que les arguments des demanderesses fondés sur des éléments de preuve inadmissibles devraient être rejetés, notamment l’argument selon lequel la concentration de bêta‑sitostérol plus élevée dans leur ghee est attribuable à l’alimentation des vaches.

[89]  Les demanderesses répondent que la Cour devrait accorder au témoignage de M. Matta le poids qu’il mérite. Elles affirment que M. Matta n’a jamais été présenté comme un expert et que son témoignage est fondé sur son expérience et ses interactions avec l’ACIA.

[90]  La Cour estime que, dans le contexte des questions principales à trancher en l’espèce, même si des déclarations précises dans l’affidavit de M. Matta franchissent la limite des opinions et des suppositions inadmissibles, celles‑ci ne seront pas radiées, mais peu de poids leur sera accordé.

[91]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18, 185 ACWS (3d) 196 [Quadrini], la Cour d’appel fédérale a énoncé les règles générales quant au contenu des affidavits, notamment le fait que l’affidavit doit contenir des renseignements pertinents pour aider la Cour à trancher la demande et que l’« affidavit a pour but de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications ». La Cour a ajouté que les affidavits peuvent être radiés « lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence [ou] lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ».

[92]  Dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 116, au paragraphe 37, 280 ACWS (3d) 229, la Cour a commenté la directive de présenter des faits sans commentaires ni explications, soulignant que l’« arrêt Quadrini met en garde contre l’argumentation controversée qui dépasse les limites de ce qui est permis » et qu’un affidavit ne saurait constituer un mémoire des faits et du droit.

[93]  Les passages en question, bien qu’ils soient présentés comme les [traduction« croyances » de M. Matta, constituent soit des opinions, notamment l’argument au sujet du fondement scientifique qui sous‑tend la concentration de bêta‑sitostérol supérieure à 1 mg/100 g et l’argument au sujet des règlements et politiques ou l’absence de ceux‑ci, soit des hypothèses quant à la raison pour laquelle une concentration supérieure de bêta‑sitostérol a été détectée dans le ghee des demanderesses. Certains arguments des demanderesses sont fondés sur ces affirmations de M. Matta.

[94]  Par exemple, M. Matta affirme que le bêta‑sitostérol peut être présent naturellement dans le lait de vache, un ingrédient dans le ghee, et que, en conséquence, sa présence dans le ghee n’est pas un indicateur de falsification. L’argument des demanderesses repose sur cette affirmation. M. Matta n’est pas un scientifique, et son opinion ne permet pas d’étayer cet argument.

[95]  De manière plus générale, la Cour a pris en considération le témoignage de M. Matta dans la mesure où il se fonde sur sa propre expérience dans la production de ghee et sur ses connaissances en sa qualité de copropriétaire et directeur d’installation.

IX.  Les mesures prises par l’ACIA en appliquant le seuil de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol dans le ghee sont‑elles raisonnables?

A.  Les observations des demanderesses

[96]  Les demanderesses font valoir que le ghee ne fait l’objet d’aucune réglementation. Par contre, lorsque l’ACIA les a aiguillées vers la réglementation et la méthode d’analyse utilisée, elles les ont manifestement contestées. En l’espèce, les demanderesses affirment que tant le seuil de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol que l’application de ce seuil sont déraisonnables. Selon elles, la réglementation et la méthode d’analyse sont arbitraires et sans fondement législatif, reposent sur des facteurs étrangers à l’objet de la loi et sont fondées sur des conclusions de fait erronées (c’est‑à‑dire non appuyées par des données scientifiques).

B.  Les observations du défendeur

[97]  Le défendeur soutient qu’il n’est pas loisible à la Cour d’examiner le caractère raisonnable du seuil de tolérance pour le bêta‑sitostérol dans le ghee, qui est une question de politique et non une question pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Le défendeur fait référence au paragraphe 24 de l’arrêt Moresby, où la Cour d’appel fédérale a confirmé que les tribunaux ne peuvent pas se prononcer sur « la sagesse ou le bien‑fondé d’une politique gouvernementale ».

[98]  Le défendeur ajoute qu’une politique légale commande un degré élevé de déférence; une décision politique n’est déraisonnable que si elle a été prise de mauvaise foi, si elle est irrationnelle ou incompréhensible ou si elle découle de l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire (Malcolm c Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130, au par. 35, [2014] ACF no 499 (QL) [Malcolm]; voir aussi Vavilov, aux par. 88‑90).

[99]  Le défendeur affirme que les règlements ont été légalement édictés et raisonnablement appliqués, en conformité avec la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

[100]  Le défendeur conteste les allégations de partialité formulées par les demanderesses (bien que celles‑ci les aient abandonnées) et indique que la politique d’analyse de la concentration de bêta‑sitostérol est en vigueur depuis 1999 et s’applique à tous les producteurs. Le défendeur nie également que la politique d’analyse est arbitraire, faisant remarquer qu’elle est fondée sur le paragraphe 4(1) de la Loi sur les aliments et drogues et sur l’article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues, qui interdisent la falsification de produits laitiers et la vente de produits laitiers contenant du gras autre que du gras de lait.

[101]  Le défendeur précise que l’ACIA est responsable de l’application des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues qui se rapportent aux aliments et que, de ce fait, la loi l’autorise à établir la méthode d’analyse de la concentration de bêta‑sitostérol. La politique établie par l’ACIA pour vérifier le seuil de 1 mg/100 g est justifiée puisqu’elle sert à appliquer la Loi sur les aliments et drogues et, plus particulièrement, l’article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues.

[102]  Le défendeur ajoute que le seuil de 1 mg/100 g est reconnu par la communauté scientifique internationale, notamment par l’Association of Official Analytical Chemists International et la Food Safety and Standards Authority of India.

[103]  Le défendeur affirme que l’argument des demanderesses, selon lequel l’article B.08.006 (qui indique que le gras de lait ou le gras de beurre doit être la matière grasse du lait de vache et doit avoir des propriétés précises) ne mentionne pas le bêta‑sitostérol, ne joue pas en leur faveur. Il souligne que le bêta‑sitostérol n’est pas un gras de lait ou un gras de beurre, mais bien un gras végétal. Puisque l’article B.08.006 s’applique au gras de lait et au gras de beurre, le bêta‑sitostérol n’y est pas mentionné.

C.  L’application du seuil de 1 mg/100 g de bêta-sitostérol est raisonnable

[104]  Les observations des demanderesses selon lesquelles elles militent en faveur d’une concentration de bêta‑sitostérol de 4 mg/100 g sur le fondement de leur interprétation de la réglementation et des normes étrangères et internationales, de leur production antérieure, ainsi que des conséquences des mesures d’application de l’ACIA sur leurs revenus ne permettent pas de déterminer si les mesures de l’ACIA étaient raisonnables.

[105]  Il est établi dans la jurisprudence qu’une décision politique appelle un degré élevé de retenue et ne sera considérée comme déraisonnable que si elle a été prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs étrangers à l’objet de la loi ou que si elle est irrationnelle ou incompréhensible ou qu’elle découle de l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire (Malcolm, au par. 35). Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’une décision est raisonnable lorsqu’elle est intrinsèquement cohérente et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles, dont le contexte législatif et ses objectifs (au par. 85).

[106]  Comme le défendeur le mentionne, les tribunaux ne peuvent se prononcer sur « la sagesse ou le bien‑fondé d’une politique gouvernementale ».

[107]  Les dispositions législatives et réglementaires applicables sont reproduites à l’annexe A.

[108]  Il est justifié pour l’ACIA d’appliquer la réglementation en vigueur et sa politique d’analyse du bêta‑sitostérol dans un contexte de tolérance zéro pour la falsification des produits laitiers. La Loi sur les aliments et drogues et le Règlement sur les aliments et drogues interdisent la falsification de produits laitiers. L’article B.08.002 interdit l’ajout de gras autre que le gras de lait (ce qui inclut les gras d’origine végétale) aux produits laitiers. La présence de bêta‑sitostérol dans un produit laitier démontre que celui‑ci est falsifié.

[109]  Les mesures prises par l’ACIA pour appliquer la réglementation ne sont ni partiales ni arbitraires. Dans le cas qui nous occupe, le rôle de l’ACIA dans l’application de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement sur les aliments et drogues était d’assurer que les consommateurs canadiens ne sont pas induits en erreur par la falsification d’un produit laitier.

X.  L’ACIA a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en appliquant le seuil de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol dans le ghee?

A.  Les observations des demanderesses

[110]  Les demanderesses soutiennent que, comme elles ont produit du ghee pendant 14 ans en se fiant au Fichier canadien sur les éléments nutritifs, à la Nutrient Database des États-Unis et aux bonnes pratiques industrielles, elles pouvaient légitimement s’attendre à ce que le seuil de tolérance de bêta‑sitostérol dans le ghee soit de 4 mg/100 g. Comme je l’ai déjà mentionné, les demanderesses font valoir que l’ACIA a manqué à l’équité procédurale en appliquant [traduction« soudainement » la norme de 1 mg/100 g en mars 2018, en saisissant leur ghee et en les obligeant à cesser leur production.

B.  Les observations du défendeur

[111]  Le défendeur affirme que l’ACIA a agi de manière légale, équitable et conforme à son mandat d’application de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement sur les aliments et drogues en enquêtant sur la plainte conformément aux pouvoirs énoncés dans la Loi sur la salubrité des aliments au Canada, LC 2012, c 24, en analysant les échantillons de ghee des demanderesses pour y déceler tout signe de falsification et en avisant ces dernières que les échantillons dépassaient la limite de 1 mg/100 g de bêta‑sitostérol.

[112]  Selon le défendeur, les demanderesses interprètent mal la doctrine de l’attente légitime, qui ne s’applique que dans le contexte de droits procéduraux. Il souligne que l’ignorance de la réglementation applicable ne crée aucune attente légitime. Il ajoute que les demanderesses ont également mal interprété l’objet du Fichier canadien sur les éléments nutritifs et des normes de l’USDA, qui ne l’emportent aucunement sur le Règlement sur les aliments et drogues.

[113]  Le défendeur explique que le Fichier canadien sur les éléments nutritifs est un outil de référence utilisé pour la planification de menus, et non pour la production alimentaire, et qu’il est assorti d’un avis de non-responsabilité quant aux erreurs qu’il peut contenir. Il ajoute que l’argument des demanderesses selon lequel elles se sont fondées sur des renseignements erronés dans le Fichier canadien sur les éléments nutritifs ne leur est aucunement favorable, puisque ces renseignements concernent le beurre sans sel, et non l’huile de beurre. Le ghee est une huile de beurre.

[114]  Le défendeur conteste le fait que les demanderesses puissent légitimement s’attendre à continuer de produire du ghee à une concentration de 4 mg/100 g de bêta‑sitostérol parce que c’est ce qu’elles ont fait pendant 14 ans. Il indique que, même si les demanderesses pouvaient s’en remettre à la doctrine de l’attente légitime, rien n’indique que l’ACIA a déjà affirmé que la concentration de 4 mg/100 g était acceptable ou condamnée.

C.  L’ACIA n’a pas manqué à l’équité procédurale

[115]  Bien qu’elles reconnaissent que la doctrine de l’attente légitime ne peut constituer la source de droits matériels, les demanderesses réclament un tel droit sur le fondement de leur pratique antérieure : être autorisées à continuer de produire du ghee à une concentration de 4 mg/100 g de bêta‑sitostérol. L’attente légitime des demanderesses semble être davantage associée à une utilisation courante du terme qu’à la doctrine juridique.

[116]  Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2 RCS 817, au paragraphe 21, 89 ACWS (3d) 777 [Baker], la Cour suprême du Canada a souligné que l’obligation d’équité procédurale est souple et variable et repose sur le contexte de la loi en particulier et des droits visés.

[117]  Les attentes légitimes de ceux qui contestent une décision ne sont qu’un des facteurs énoncés par la Cour dans l’arrêt Baker qui précisent la portée de l’obligation d’équité procédurale. Les autres facteurs sont notamment : la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme, l’importance de la décision pour les personnes visées, ainsi que les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même (Baker, aux par. 23‑28).

[118]  Dans l’arrêt Baker, la Cour a expliqué que, lorsqu’il existe une attente légitime, celle‑ci peut servir à déterminer quelles procédures exigent l’obligation d’équité dans des circonstances données; si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera que cette procédure soit suivie (au par. 26).

[119]  Dans l’arrêt Agraira, aux paragraphes 94 et 95, la Cour suprême du Canada a précisé que la doctrine de l’attente légitime constitue un facteur permettant de déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale et les conditions à satisfaire pour qu’elle s’applique. Voici ce qu’a affirmé la Cour au paragraphe 95 :

[95]  Les conditions précises à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime sont résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle-ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites.

[Je souligne.]

(D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §7:1710; voir également Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, par. 29; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, par. 68.)

[120]  Dans l’arrêt Agraira, au paragraphe 97, la Cour suprême du Canada a cité l’arrêt Baker et a indiqué que l’« impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante ». La Cour a expliqué que, si les conditions pour que s’applique la doctrine de l’attente légitime sont respectées, elle ne peut accorder de réparation procédurale que pour répondre à l’attente légitime.

[121]  En l’espèce, les demanderesses n’allèguent pas qu’elles pouvaient légitimement s’attendre à ce que l’ACIA suive une procédure en particulier. Elles affirment plutôt qu’elles pouvaient légitimement s’attendre à ce que le seuil de tolérance de bêta‑sitostérol dans le ghee soit de 4 mg/100 g. L’ACIA n’a jamais communiqué ni fait part aux demanderesses de manière « claire, nette et explicite », ou de toute autre manière que ce soit, que la concentration permise de bêta‑sitostérol dans le ghee est de 4 mg/100 g. L’ACIA n’a pas non plus fait part aux demanderesses de manière claire, nette et explicite qu’elle n’appliquerait pas la réglementation applicable et la politique d’analyse.

[122]  L’article B.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues a toujours été en vigueur depuis que les demanderesses ont commencé leur production. Les éléments de preuve de l’ACIA confirment que la norme de 1 mg/100 g est utilisée pour détecter les produits laitiers falsifiés depuis 1999 et qu’elle a été appliquée pour analyser le produit des demanderesses en 2008.

[123]  Les demanderesses font valoir qu’elles se sont fondées sur le Fichier canadien sur les éléments nutritifs, car [traduction] « il semble être l’unique publication de la norme par le gouvernement du Canada », ainsi que sur les normes de l’USDA et les bonnes pratiques de l’industrie. Cependant, le Fichier canadien sur les éléments nutritifs est un guide relativement à la composition des aliments et énonce la quantité des éléments nutritifs présents dans les aliments fréquemment consommés au Canada. Comme l’a expliqué le défendeur, le Fichier canadien sur les éléments nutritifs n’est pas une norme réglementaire pour guider les fabricants de produits alimentaires et est assorti d’avertissements et d’avis de non‑responsabilité. En outre, les données du Fichier canadien sur les éléments nutritifs sur lesquelles les demanderesses se sont fondées concernent le beurre et le beurre sans sel, et non l’huile de beurre.

[124]  Que les demanderesses aient mal interprété ou non l’objet du Fichier canadien sur les éléments nutritifs, ou qu’elles se soient fondées ou non sur les mauvaises fiches de produit ou sur des données américaines équivalentes, ces publications n’étayent pas leur attente selon laquelle leur ghee peut être produit à une concentration de bêta‑sitostérol plus élevée.

[125]  En tant que producteurs de ghee, un produit laitier, les demanderesses étaient tenues de se conformer aux lois et aux règlements applicables et auraient dû prendre connaissance de l’interdiction de falsifier les produits alimentaires prévue par la Loi sur les aliments et drogues et de la partie du Règlement sur les aliments et drogues visant les produits laitiers, dont l’article B.08.002, qui interdit d’y ajouter du gras autre que du gras de lait.

[126]  Les demanderesses n’ont pas réussi à prouver qu’elles pouvaient légitimement s’attendre à ce que certaines procédures soient suivies avant que l’ACIA n’applique la réglementation ou à ce que la concentration de 4 mg/100 g de bêta‑sitostérol dans leur ghee soit acceptable.

[127]  L’analogie du conducteur qui excède la vitesse permise et qui finit par se faire prendre, présentée par le défendeur, est juste.

[128]  Même si les demanderesses avaient réussi à prouver l’existence d’une attente légitime, seuls des droits procéduraux en découleraient. La question consisterait à savoir en quoi l’attente légitime des demanderesses, examinée conjointement avec les autres facteurs pertinents, permet de déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale qu’a l’ACIA envers elles. La Cour évaluerait la possibilité d’accorder une réparation procédurale, par exemple si une procédure attendue dans le passé devrait être suivie. La seule procédure à laquelle s’attendaient les demanderesses dans ce contexte semble être l’absence de mesures d’application à leur endroit.

[129]  En l’espèce, l’ACIA n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en appliquant la réglementation, en répondant à la plainte, en analysant le produit des demanderesses à l’aide d’une méthode utilisée depuis longtemps, en les informant des résultats et en exigeant qu’elles prennent des mesures correctives. Les demanderesses connaissaient les éléments invoqués contre elles, soit le rapport des résultats d’analyse indiquant que les échantillons de leur ghee dépassaient le seuil de 1 mg/100 g de bêta-sitostérol et que leur produit était falsifié. Elles ont eu amplement l’occasion de présenter des observations à l’ACIA avant que d’autres mesures d’application soient prises.

[130]  Les éléments au dossier permettent notamment de confirmer que : l’ACIA a avisé les demanderesses de la plainte dès qu’elle l’a reçue; l’ACIA a communiqué avec elles pour fixer une date qui leur convienne pour l’inspection de leurs installations et leur a fourni de l’information sur son modèle d’inspection; le rapport d’inspection a été rédigé en décembre 2017 et indique que trois échantillons sur quatre présentaient une concentration de bêta‑sitostérol supérieure au seuil de 1 mg/100 g; quatre autres échantillons analysés ont présenté des résultats similaires; les demanderesses ont signé le rapport et ont reconnu qu’elles prendraient des mesures correctives pour se conformer aux exigences le 1er mars 2018; un échange de correspondance s’en est suivi entre les demanderesses (surtout M. Matta) et l’ACIA, au cours duquel M. Matta a contesté le seuil de tolérance et fourni des articles au sujet du bêta‑sitostérol; l’ACIA a avisé M. Matta au début de mars 2018 que les demanderesses pouvaient continuer leurs activités normales de production en attendant les résultats d’analyse d’échantillons supplémentaires et les conseils de ses spécialistes techniques; la correspondance s’est poursuivie en avril; le 17 avril 2018, Mme Pam Glennie de l’ACIA a écrit à M. Matta pour lui fournir les directives des spécialistes techniques de l’ACIA en prenant soin de lui indiquer clairement le seuil de tolérance de 1 mg/100 g et la méthode d’analyse utilisée et de lui fournir plusieurs documents à l’appui; M. Matta a continué de contester le seuil et a demandé que le ghee soit considéré comme un aliment transformé, indiquant que le beurre sans sel présentait une concentration plus élevée, et a fourni d’autres articles à l’ACIA; et l’ACIA a répondu aux lettres de M. Matta.

[131]  Le 29 avril 2018, M. Matta a déposé une plainte auprès du Bureau de traitement des plaintes et des appels de l’ACIA, à laquelle étaient joints plusieurs documents. Les demanderesses ont allégué que la limite de bêta‑sitostérol dans le beurre était de 4 mg/100 g, comme l’indiquent le Fichier canadien sur les éléments nutritifs et les normes de l’USDA, et que les inspecteurs de l’ACIA ont refusé d’accepter ce [traduction« fait » et ont saisi leur matière première aux fins d’analyse. Les demanderesses ont indiqué qu’elles ne pouvaient trouver d’autres fournisseurs et qu’elles étaient [traduction] « sur le point de fermer ». Elles ont également allégué qu’elles n’avaient aucun contrôle sur la source de leur beurre et que des stérols végétaux se trouvaient naturellement dans le lait des vaches en raison de leur régime constitué exclusivement d’herbe. Les demanderesses souhaitaient que l’ACIA accepte un seuil de tolérance de 4 mg/100 g pour le bêta‑sitostérol et leur remette leur matière première.

[132]  D’autres échanges ont eu lieu après le dépôt de la plainte des demanderesses. Le 23 juillet 2018, Mme Lowry a répondu à M. Matta et a confirmé que l’évaluation de l’ACIA selon laquelle le ghee des demanderesses n’était pas conforme satisfaisait aux exigences de la politique et aux évaluations de produits laitiers similaires qu’elle avait précédemment effectuées. M. Matta a contesté certains renseignements, a envoyé d’autres articles et a posé d’autres questions. Mme Lowry lui a répondu.

[133]  En novembre 2018, l’ACIA a correspondu avec les demanderesses au sujet des résultats d’analyse et leur a demandé de présenter un plan d’action pour prendre des mesures concrètes à l’égard des produits chez les détaillants et dans leur entrepôt. D’autres échanges ont eu lieu concernant le plan d’action. M. Matta a continué d’affirmer que l’ajout de colorant alimentaire avait haussé la concentration de bêta‑sitostérol dans le ghee analysé. L’ACIA a indiqué que cette affirmation avait été examinée, expliquée et rejetée dans la lettre du 23 juillet 2018.

[134]  En outre, Mme Fournier, chef intérimaire de la section de la chimie alimentaire, qui compte 31 ans de service au sein de l’ACIA, a confirmé que l’ajout de colorant alimentaire (bêta‑carotène) selon la concentration indiquée par les demanderesses n’entraînerait aucune hausse de la concentration de bêta‑sitostérol au‑delà du seuil de 1 mg/100 g. Dans son affidavit supplémentaire, Mme Fournier a réitéré que le colorant alimentaire dans le beurre ne ferait pas augmenter la concentration de bêta‑sitostérol au-delà de 1 mg/100 g. Elle a expliqué qu’une concentration supérieure de bêta‑sitostérol dans le ghee indique qu’un autre produit y a été ajouté, par exemple un gras végétal.

[135]  De plus, les demanderesses avaient été clairement avisées par le passé qu’elles ne pouvaient ajouter de bêta‑carotène dans leur ghee. Le 6 janvier 2012, l’ACIA (Mme Gruppe) a répondu à un courriel envoyé par M. Matta le 27 décembre 2011. Mme Gruppe a indiqué que le ghee est une huile de beurre, selon la définition et la description énoncées dans la section des produits normalisés de l’ancien Règlement sur les produits laitiers, particulièrement aux articles 48 et 49. Elle a ajouté que cette norme ne prévoit aucun ajout de colorant. Elle a expliqué que, même si le beurre utilisé peut contenir du bêta‑carotène, [traduction] « il est interdit aux demanderesses d’ajouter plus de carotène que ce qui est indiqué sur leurs diagrammes de production et sur la liste d’ingrédients figurant sur l’étiquette ». Elle a demandé aux demanderesses de présenter un plan d’action pour remédier à [traduction] « ce problème ».

[136]  Les éléments de preuve révèlent que les demanderesses ont eu de nombreuses occasions de présenter des observations à l’ACIA et qu’elles les ont saisies. L’ACIA a communiqué avec les demanderesses et a répondu à leurs lettres et arguments, dont les arguments selon lesquels l’ACIA a commis une erreur en appliquant les règlements, que d’autres règlements s’appliquaient et qu’une concentration de 4 mg/100 g devrait être autorisée. L’ACIA n’a pas exigé que les demanderesses cessent leurs activités en mars 2018, après l’analyse; elle les a autorisées à poursuivre leurs activités en attendant les autres résultats d’analyse, les recommandations des spécialistes techniques et la présentation d’un plan d’action assorti de mesures correctives. L’ACIA ne leur a imposé aucun nouveau règlement ni aucune nouvelle politique de manière arbitraire ou rétroactive; la réglementation et la politique d’analyse étaient déjà en vigueur lorsqu’elles ont commencé à produire leur ghee au Canada. Ces mêmes règlements et politique d’analyse ont été appliqués lorsque le produit des demanderesses a été analysé précédemment en 2008.

[137]  L’ACIA a pleinement satisfait à son obligation d’équité procédurale envers les demanderesses en appliquant la réglementation et la politique.

XI.  Conclusion

[138]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les demanderesses n’ont pas réussi à prouver que les mesures prises par l’ACIA en appliquant la réglementation régissant les produits laitiers sont déraisonnables ou inéquitables sur le plan procédural. En outre, elles n’ont pas réussi à établir que la réglementation et la méthode d’analyse applicables pour assurer la conformité du produit sont déraisonnables. Comme je l’ai mentionné au début des présents motifs, les arguments des demanderesses et la façon dont elles ont défini les questions manquent de cohérence dans une certaine mesure. La Cour a tenté d’aborder tous les arguments. Même si les demanderesses insistent sur le fait qu’elles devraient pouvoir produire du ghee à des concentrations de bêta‑sitostérol plus élevées que ce qu’autorise la réglementation et qu’elles ont contesté les renseignements fournis par l’ACIA, le défendeur a clairement établi l’existence des règlements qui s’appliquent au produit des demanderesses. Le défendeur a également démontré que les mesures prises par l’ACIA en appliquant ces règlements étaient raisonnables et équitables sur le plan procédural.

XII.  Dépens

[139]  Les deux parties ont sollicité des dépens dans l’éventualité où elles auraient gain de cause. Le défendeur a présenté un mémoire de dépens calculés selon la colonne III du tarif B, pour un total de 5 443,21 $, y compris les débours de 1 093,21 $.

[140]  Les dépens du défendeur comprennent aussi les honoraires d’un deuxième avocat et les dépens pour avoir obtenu gain de cause quant à la requête des demanderesses en vue de présenter des observations supplémentaires et deux pièces de correspondance à titre de nouveaux éléments de preuve (dont un figurait déjà au dossier de demande).

[141]  Les demanderesses ont proposé d’adjuger une somme globale de 2 500 $ à la partie qui a gain de cause pour les dépens associés à la demande. Les demanderesses ont accepté que si le défendeur a gain de cause, une somme de 750 $ serait ajoutée aux dépens de la requête. Elles se sont dites surprises des honoraires versés par le défendeur pour un deuxième avocat et ont convenu que les dépens adjugés par la Cour sont habituellement modestes.

[142]  Compte tenu des observations des parties et des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles des Cours fédérales pour orienter l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant à l’adjudication des dépens, la Cour conclut que les demanderesses devront verser au défendeur la somme globale de 4 000 $ à titre de dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-290-19

LA COUR statue que :

  • 1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  • 2. Les demanderesses devront verser au défendeur des dépens de 4 000 $.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mai 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


ANNEXE A

Les dispositions législatives applicables

[1]  Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, LC 1997, c 6 :

11 (1) L’Agence est chargée d’assurer et de contrôler l’application des lois suivantes : la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, la Loi sur les produits agricoles au Canada, la Loi relative aux aliments du bétail, la Loi sur les engrais, la Loi sur l’inspection du poisson, la Loi sur la santé des animaux, la Loi sur l’inspection des viandes, la Loi sur la protection des obtentions végétales, la Loi sur la protection des végétaux et la Loi sur les semences.

11 (1) The Agency is responsible for the administration and enforcement of the Agriculture and Agri-Food Administrative Monetary Penalties Act, Feeds Act, Fertilizers Act, Health of Animals Act, Plant Breeders’ Rights Act, Plant Protection Act, Safe Food for Canadians Act and Seeds Act.

(2) [Abrogé, 2012, ch. 2, art. 103]

(2) [Repealed, 2012, c. 24, s. 103]

(3) L’Agence est chargée :

(3) The Agency is responsible for

a) de contrôler l’application de la Loi sur les aliments et drogues en ce qui a trait aux aliments, au sens de l’article 2 de cette loi;

(a) the enforcement of the Food and Drugs Act as it relates to food, as defined in section 2 of that Act; and

b) d’assurer l’application des dispositions de cette loi en ce qui a trait aux aliments, sauf si celles-ci portent sur la santé publique, la salubrité ou la nutrition.

(b) the administration of the provisions of the Food and Drugs Act as they relate to food, as defined in section 2 of that Act, except those provisions that relate to public health, safety or nutrition.

[2]  Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F-27 :

Vente interdite

Prohibited sales of food

4 (1) Il est interdit de vendre un aliment qui, selon le cas :

4 (1) No person shall sell an article of food that

[...]

[...]

d) est falsifié; [...]

(d) is adulterated; or [...]

[3]  Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 :

B.08.001.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent titre.

B.08.001.1 The following definitions apply in this Division.

produit du lait [...]

milk product means [...]

b) dans le cas du fromage, l’un ou l’autre des produits suivants : [...]

(b) with respect to cheese, any of the following products, namely, [...]

(iii) le beurre, l’huile de beurre et le beurre de petit-lait, [...]

(iii) butter, butter oil and whey butter, [...]

B.08.002 Sauf l’exception prévue dans le présent règlement, tout produit laitier qui contient du gras autre que du gras de lait est falsifié.

B.08.002 Except as provided in these Regulations, a dairy product that contains a fat other than milk fat is adulterated.

[...]

[...]

B.08.006 [N]. Le gras de lait ou gras de beurre doit être la matière grasse du lait de vache et doit avoir

B.08.006 [S]. Milk Fat or Butter Fat shall be the fat of cow’s milk, and shall have

a) une densité d’au moins 0,905 à la température de 40 °C,

(a) a specific gravity of not less than 0.905 at a temperature of 40°,

b) une teneur en tocophérols d’au plus 50 microgrammes par gramme, déterminée selon la méthode officielle FO-16, Détermination de la teneur en tocophérols du gras de lait ou du gras de beurre, 15 octobre 1981,

(b) a tocopherol content not greater than 50 micrograms per gram, as determined by official method FO-16, Determination of Tocopherol in Milk Fat or Butter Fat, October 15, 1981,

c) un indice de Reichert-Meissl d’au moins 24, et

(c) a Reichert-Meissl number not less than 24, and

d) un indice de Polenske ne dépassant pas 10 pour cent de l’indice de Reichert-Meissl et ne dépassant 3,5 en aucun cas, et

(d) a Polenske number not exceeding 10 per cent of the Reichert-Meissl number and in no case shall the Polenske number exceed 3.5, and

si la teneur en tocophérols dépasse 50 microgrammes par gramme ou si l’indice de Polenske dépasse 10 pour cent de l’indice de Reichert-Meissl, le gras de lait sera censé avoir été additionné d’une matière grasse autre que celle du lait de vache.

where the tocopherol content is greater than 50 micrograms per gram or the Polenske number exceeds 10 per cent of the Reichert-Meissl number, there shall be deemed to have been an addition to the milk fat of fat other than that of cow’s milk.

[...]

[...]

B.08.041 (1) [N]. Le fromage fondu (indication de la variété) (avec indication des ingrédients ajoutés)

B.08.041 (1) [S]. Processed (naming the variety) Cheese with (naming the added ingredients)

[...]

[...]

b) peut contenir

(b) may contain [...]

(iv) les colorants suivants :

(iv) one or more of the following colouring agents:

(A) en quantité conforme aux bonnes pratiques industrielles, le rocou, le ß-carotène, la chlorophylle, le paprika, la riboflavine, le curcuma, et

(A) in an amount consistent with good manufacturing practice, annatto, beta-carotene, chlorophyll, paprika, riboflavin, turmeric, and

(B) en quantité n’excédant pas 35 parties par million, le ß-apo-8′-caroténal, l’ester éthylique de l’acide ß-apo-8′-caroténoïque ou un mélange de ces produits,

(B) in an amount not exceeding 35 parts per million, either singly or in combination thereof, beta-apo-8′-carotenal, ethyl beta-apo-8′-carotenoate,


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-290-19

 

INTITULÉ :

FORTUNE DAIRY PRODUCTS LIMITED ET VERKA FOOD PRODUCTS LIMITED c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 février 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

La juge KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 22 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

M. Gordon Campbell

 

POUR LES DEMANDEURS

 

M. Kirk Shannon

Mme Sarah Jiwan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aubry Campbell MacLean

Avocats

Alexandria (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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