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                                                                                                                              Date :     20050530

                                                                                                                  Dossier :    IMM-8257-04

                                                                                                                Référence :    2005 CF 763

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2005

PRÉSENT :    MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                 MOHAMMAD JAWAD IRSHAD

                                                              NAUSHEEN ATIF

                                                           ATIF QAYUM KHAN

                                                             (a.k.a. ATIF Qayum)

                                                                                                                                       Demandeurs

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Les demandeurs réclament le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « Commission » ), datée du 13 août 2004, rejetant leurs demandes d'asile.


[2]                À titre de remède, les demandeurs cherchent à obtenir l'annulation de la décision de la Commission. Ils demandent également à cette Cour de déclarer qu'ils sont réfugiés au sens de la Convention, de séparer leurs dossiers et de déclarer que chacun d'entre eux a prouvé qu'il satisfait aux critères de la définition de « réfugié au sens de la Convention » .

CONTEXTE FACTUEL

[3]                Les demandeurs sont citoyens du Pakistan. Le demandeur Mohammad Jawad Irshad ( « M. Irshad » ) est le frère de la demanderesse Nausheen Atif ( « Mme Atif » ). La demanderesse est la femme du demandeur Atif Qayum Khan ( « M. Khan » ). Chacun dépose une demande d'asile au Canada en mars 2003. M. Khan fonde sa demande sur celle de sa femme.

[4]                Le père de M. Irshad et Mme Atif est diplomate de carrière. À toute fin pratique, la famille n'a presque jamais habité au Pakistan.

[5]                Le grand-père de M. Irshad et Mme Atif est décédé en 1952. Depuis ce temps, leur père et leurs oncles se disputent la terre familiale. Une résolution à la dispute familiale est envisagée en 1992, en vertu du système de jirga, par l'arrangement d'un mariage entre Mme Atif et un cousin, fils d'un de leurs oncles. Cette dernière refuse et son père lui permet de poursuivre ses études. Elle marie M. Khan, qui n'est pas membre de la famille, le 16 janvier 1999. Le mariage est gardé secret. La demanderesse raconte avoir été battue par son père quand il a appris qu'elle avait épousé M. Khan. Cependant, elle soutient avoir obtenu de l'aide de son père pour qu'elle et son mari puissent fuir le Pakistan.


[6]                Puisque la dispute familiale n'a pu être réglée par le système de jirga, le père de M. Irshad et Mme Atif intente plusieurs procédures judiciaires au Pakistan afin de régler la dispute quant à la terre familiale.

[7]                De 2000 à 2003, les demandeurs résident aux États-Unis. M. Irshad et Mme Atif obtiennent le statut de visiteur et ensuite un visa d'étudiant. Ils quittent les États-Unis puisqu'ils craignent être déportés au Pakistan par les autorités américaines.

[8]                L'audience a lieu devant la Commission le 21 avril 2004 et les demandes sont rejetées le 13 août 2004. La demande d'autorisation pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire est accordée le 17 février 2005.

DÉCISION CONTESTÉE

[9]                La Commission détermine que les demandeurs n'ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, tel que l'entendent, respectivement, l'article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la « LIPR » ).


[10]            Outre le témoignage de M. Irshad et Mme Atif, la preuve documentaire suivante a notamment été présentée à la Commission : formulaires de renseignements personnels ( « FRP » ) des demandeurs, documents personnels tels passeports, certificats et diplômes, documents sur les conditions socio-politiques existentes au Pakistan.

[11]            La Commission juge que l'histoire des demandeurs n'est pas supportée par la preuve au dossier. Elle juge non crédibles les témoignages de M. Irshad et de Mme Atif.

[12]            De plus, la Commission conclut que les demandeurs ont une possibilité de refuge interne ( « PRI » ) à Islamabad, où les parents de M. Irshad et Mme Atif demeurent sans problème. La Commission note que M. Irshad et Mme Atif ont témoigné à l'effet qu'ils ont déjà résidé à Islamabad sans difficultés particulières.

[13]            Enfin, les demandeurs n'ont pas été en mesure de convaincre la Commission qu'il n'existe pas de protection étatique au Pakistan. Bien qu'elle note que le système tribal de jirga existe toujours dans certaines zones du pays, la Commission souligne que la preuve documentaire démontre que ces pratiques sont interdites par la Constitution et plusieurs lois pakistainaises. La Commission conclut que l'État du Pakistan a une branche judicaire, ainsi qu'une force policière et militaire très visibles.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]            Les questions en litige soulevées en l'espèce sont les suivantes :

1)         La Commission a-t-elle erré en jugeant les témoignages de M. Irshad et Mme Atif non crédibles?

2)         La Commission a-t-elle erré en concluant que les demandeurs avaient une PRI au Pakistan où il existe un protection étatique dont ils peuvent se prévaloir?


3)         La décision de la Commission est-elle entachée d'une crainte raisonnable de partialité?

ANALYSE

1)         La Commission a-t-elle erré en jugeant les témoignages de M. Irshad et Mme Atif non crédibles?

[15]            Bien que je sois d'avis que la question de la PRI détermine l'issue du présent contrôle judiciaire, je tiens à souligner les préoccupations de la Cour face à la conclusion de la Commission sur la crédibilité des demandeurs, soit M. Irshad et Mme Atif. M. Khan fonde sa demande sur celle de sa femme.

[16]            En ce qui a trait à la crédibilité de Mme Atif, la Cour est effectivement préoccupée par le fait que la Commission semble avoir fondé sa détermination de non crédibilité sur un seul élément qui apparaît discutable. La Commission a jugé Mme Atif non crédible parce que, contrairement à son témoignage, elle ne mentionne pas dans son FRP qu'elle a été battue par son père lorsqu'il a découvert qu'elle avait secrètement marié M. Khan. La Commission n'est pas satisfaite de l'explication de la demanderesse à l'effet qu'elle n'a pas éprouvé le besoin de faire état de ce fait dans son FRP. Il s'agit, selon la Commission, d'une omission particulièrement importante qui mine la crédibilité de Mme Atif. Mme Atif, pour sa part, soutient qu'elle était si habituée de se faire « taper » qu'elle n'a pas pensé mentionner un fait qui, pour elle, ne ressort pas de l'ordinaire. Elle souligne avoir indiqué dans son FRP qu'elle avait été battue par son père sans préciser et détailler tous les incidents.


[17]            En ce qui a trait à la crédibilité de M. Irshad, la Cour est inquiète du fait que la Commission semble également avoir fondé sa conclusion de non crédibilité sur des éléments plutôt ténus. La Commission a jugé M. Irshad non crédible parce qu'il n'a pas appuyé ses prétentions relativement à la dispute familiale, au plan du mariage forcé et à sa crainte subjective de persécution par une preuve documentaire adéquate et une mention suffisamment détaillée de ces événements dans son FRP. Le demandeur avance que cette conclusion ne concorde pas avec la preuve et qu'elle dénote une interprétation erronée des faits au dossier.

[18]            Sans trancher la question de crédibilité, la Cour s'interroge sur le bien-fondé des déterminations de la Commission sur cet aspect du dossier.

2)         La Commission a-t-elle erré en concluant que les demandeurs avaient une PRI au Pakistan où il existe un protection étatique dont ils peuvent se prévaloir?

[19]            La détermination relative à la PRI et à la protection étatique est assujettie à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable : Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 193; Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 673; Chorny c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 999; Carmona c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1298.

[20]            En ce qui a trait à la question de la PRI et de la protection de l'État, la Commission a jugé que les demandeurs n'avaient pas rencontré le fardeau de la convaincre qu'ils ne pouvaient se prévaloir de la protection étatique au Pakistan et qu'ils n'avaient nulle part où se réfugier dans leur pays.


[21]            La notion de PRI fait partie inhérente de la définition de « réfugié au sens de la Convention » . Pour être considéré comme tel, un individu doit chercher le refuge d'un pays et non d'une région d'un pays : Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706.

[22]            Les demandeurs argumentent que la Commission s'est fondée, à tort, sur ses préjugés et sa méconnaissance de la situation régnant au Pakistan pour tirer une conclusion sur la question de la protection de l'État. Les demandeurs contestent la conclusion de la Commission que le système de jirga est aboli puisque, selon eux, il est toujours en vigueur. Les meurtres motivés par la préservation de l'honneur familial sont toujours monnaie courante au Pakitan, tel que l'indique la preuve au dossier, et les demandeurs soutiennent que le Pakistan ne peut les protéger.

[23]            À mon sens, il ressort implicitement des motifs de la Commission qu'elle a considéré les deux parties du critère applicable pour établir que les demandeurs avaient une PRI au Pakistan : Rasaratnam, supra. Les motifs de la décision révèlent que la Commission a conclu 1) qu'il n'y a pas une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Islamabad et 2) qu'il n'est pas déraisonnablement difficile, compte tenu des circontances propres aux demandeurs, de se relocaliser à Islamabad.


[24]            Tel que le souligne le défendeur, l'argument des demandeurs sur ce point est essentiellement une prétention selon laquelle la Commission a mal pondéré la preuve. Cependant, dans le contexte d'un contrôle judiciaire, il n'appartient pas à la Cour d'évaluer comment la Commission a pondéré la preuve. Au contraire, la Cour ne peut intervenir que si la décision est manifestement déraisonnable, tirée sans égard à la preuve ou de façon arbitraire : alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7.

[25]            En ce qui a trait à la détermination relative à la protection étatique, il est vrai, tel que le prétendent les demandeurs, que la Commission ne doit pas imposer des concepts occidentaux à la réalité culturelle des demandeurs d'asile : Ye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. No. 584, en ligne : QL. Toutefois, je suis d'avis que cela n'a pas été le cas en l'espèce. À mon avis, la Commission n'a pas spéculé sur la situation régnant au Pakistan. Elle a procédé à un exercice de pondération de la preuve et elle n'a pas retenu la preuve déposée par les demandeurs. En effet, la preuve indique effectivement que le système de jirga est toujours utilisé au Pakistan. Cependant, la preuve démontre également qu'il existe une système de protection étatique.

[26]            Comme je ne suis pas en mesure de conclure que la Commission a effectué des déterminations manifestement déraisonnables sur les questions de PRI et de protection étatique, je ne peux intervenir.


3)         La décision de la Commission est-elle entachée d'une crainte raisonnable de partialité?

[27]            Les demandeurs sont d'avis que la Commission a fait une « lecture occidentale » de la situation des clans au Pakistan. Ils soutiennent que la Commission a manqué de partialité en entretenant des préjugés à leur égard, préjugés sous-tendant la décision rendue par la Commission. Les demandeurs argumentent que la décision de la Commission traite globalement leurs demandes sans considérer le mérite de chaque demande ou leurs circonstances spécifiques. Ceci contrevient, selon les demandeurs, aux règles de justice naturelle.

[28]            Le test à appliquer pour déterminer l'existence d'une appréhension raisonnable de partialité a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369.

La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. »


[29]            Un examen attentif du dossier me porte à conclure que les demandeurs n'ont pas su établir que la Commission a fait montre de partialité en l'espèce. Les demandeurs ont eu la chance de présenter leurs demandes, d'être entendus et de répondre aux interrogations de la Commission. Les demandeurs n'ont d'ailleurs pas soulevé la question de partialité lors de l'audience devant la Commission. En somme, je conclus que les règles de justice naturelle et d'équité procédurale ont été respectées en l'espèce et que l'allégation de partialité soulevée par les demandeurs n'est pas fondée par la preuve au dossier.

CONCLUSION

[30]            Pour les motifs précédemment exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[31]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale telle qu'envisagée à l'alinéa 74(d) de la LIPR. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »               

                                                                                                                                                     Juge                   


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                         IMM-8257-04

INTITULÉ :                                        Mohammad Jawad Irshad et al. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 18 mai 2005

MOTIFS de l'ordonnance et ordonnance : L'honorable juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 30 mai 2005

COMPARUTIONS:

Dr. Séverin Ndema-Moussa                                         pour la partie demanderesse

Me Sonia Barrette                                             pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Dr. Séverin Ndema-Moussa                              pour la partie demanderesse

Ottawa (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              pour la partie défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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