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     Date : 19980421

     Dossier : IMM-859-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE CULLEN

Entre :

     LLOYD BALDWIN REYNOLDS,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     O R D O N N A N C E

     SUR PRÉSENTATION D'UNE DEMANDE de contrôle judiciaire concernant la décision de Bill Sheppit, délégué du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, en date du 14 juillet 1996 ;

     LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES que la décision soit infirmée, et l'affaire renvoyée à un autre délégué qui se fera une opinion sur la question.

                             B. Cullen

                     ___________________________________         

                         Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     Date : 19980421

     Dossier : IMM-859-96

Entre :

     LLOYD BALDWIN REYNOLDS,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]      Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision de Bill Sheppit, délégué du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le délégué), en date du 14 juillet 1996, dans laquelle il a émis l'avis, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[2]      Le 29 juin 1990, à l'âge de dix-sept ans, le demandeur a immigré au Canada en provenance de Jamaïque, avec son père. Il a obtenu le droit d'établissement le 7 décembre 1991. Le requérant avait peu de contact avec sa mère, qui est maintenant décédée, et il a été élevé en Jamaïque par ses grands-parents paternels, qui ont depuis immigré au Royaume-Uni, où ils ont le statut d'immigrants reçus. Il n'a plus de proches parents en Jamaïque.

[3]      Au moment de la décision du délégué, le demandeur était marié et père d'un enfant, et seul soutien de sa famille. Il avait un emploi rémunéré dans une entreprise de la région de Kitchener, Peformance Assembly, et il a produit des références très positives de son employeur.

[4]      Le demandeur a été reconnu coupable de trois infractions liées à la drogue, comme l'indiquait le dossier dont était saisi le délégué. La première accusation, possession avec l'intention de faire le trafic, a été portée après que le demandeur eut été arrêté le 23 octobre 1992, en compagnie de plusieurs personnes dans une maison où une petite quantité de stupéfiants a été découverte. Comme aucune des personnes présentes n'a admis être propriétaire de la drogue, elles ont toutes été accusées de possession de stupéfiants le même jour. La deuxième infraction, trafic de stupéfiants, se rapporte à un épisode au cours duquel le demandeur s'apprêtait à vendre une demie-once de crack à un agent d'infiltration, le 15 novembre 1993, mais l'opération n'a pas été complétée. La dernière infraction, trafic de stupéfiants, a été commise le 19 janvier 1994, lorsque le demandeur a vendu deux grammes de crack, à raison de 20 $ le gramme, à un agent d'infiltration.

[5]      Le demandeur n'a été arrêté ou accusé pour les deux dernières infractions que le 24 mars 1994. Il a immédiatement plaidé coupable et a été condamné, le 20 juin 1994, à deux peines de neuf mois, devant être purgées concurremment, et le juge a recommandé que l'autorisation de sortir et deux années additionnelles de libération conditionnelle lui soient accordées. Le dossier indique qu'il a obtenu une libération conditionnelle anticipée, qu'il a respecté toutes les conditions de son cautionnement et de sa libération conditionnelle. En septembre 1995, il a été condamné pour sa première infraction à une peine d'emprisonnement de trois mois accompagnée d'une autorisation de sortir.

[6]      Après que le demandeur eut été condamné à une peine d'emprisonnement pour les deux infractions de trafic de stupéfiants, le défendeur a établi un " rapport aux termes de l'article 27 " alléguant que le demandeur était visé au sous-alinéa 27(1)d )(i) de la Loi, c'est-à-dire qu'il avait été condamné à une peine d'emprisonnement de plus de six mois. Le 30 septembre 1994, un arbitre a pris une mesure d'expulsion aux termes du paragraphe 32(2) de la Loi, après avoir conclu que le demandeur avait été condamné à une peine d'emprisonnement de plus de six mois.

[7]      Le demandeur en a appelé de la mesure d'expulsion le 19 octobre 1994. Toutefois, en raison des nouvelles dispositions de la Loi qui sont entrées en vigueur le 10 juillet 1995 dans le cadre du projet de loi C-44, le ministre a informé le demandeur, le 25 octobre 1995, qu'il envisageait la possibilité d'émettre un avis indiquant que le requérant constituait un danger pour le public. Le 14 février 1996, après que l'avocat du demandeur eut présenté ses observations au délégué du ministre, celui-ci a émis l'avis, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi, que le demandeur constituait un danger pour le public. Par conséquent, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi, l'appel du demandeur a été rejeté.

[8]      Le présent litige porte sur la question de savoir si le délégué a conclu à bon droit et de façon équitable que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[9]      Le demandeur a présenté une série d'arguments concernant le caractère non approprié des modifications législatives de 1995 sur le plan procédural, dans le cadre du projet de loi C-44, qui autorisait le délégué du ministre à exprimer l'avis que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada, ce qui le privait de son droit d'appel contre la mesure d'expulsion prise par le ministre le 30 septembre 1994. L'avocat fait valoir que les modifications violent les droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte des droits et libertés, et portent atteinte à son droit de common law d'être entendu devant la Section d'appel au sujet de la mesure d'expulsion.

[10]      À mon avis, ces questions ont déjà été examinées à fond par la Cour d'appel dans Williams c. M.E.I. (1997) 212 N.R. 63 (C.A.F.), 147 D.L.R. (4th) 93, [1997] 2 C.F. 646. Dans cette affaire, il a été conclu que le paragraphe 70(5) ne contrevient pas à l'article 7 de la Charte. Il a également été décidé qu'il n'y a pas de " droit " à un appel contre une mesure d'expulsion prise en vertu de la Loi, et que les modifications prévues dans le projet de loi C-44 ne constituaient pas un déni de justice naturelle, étant donné que la procédure envisagée par les modifications est subjective et discrétionnaire.

[11]      Par conséquent, l'avis du délégué selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada n'est susceptible de révision que si le délégué a agi de mauvaise foi, a commis une erreur de droit ou n'a pas tenu compte de facteurs pertinents (ou a pris en considération des facteurs dénués de pertinence) pour parvenir à cet avis : Williams, précité, à D.L.R. 104 et 111, [1997] 2 C.F., p. 673. De plus, en l'absence de preuve contraire, la Cour doit présumer qu'un décideur a agi de bonne foi en tenant compte des documents versés au dossier : Williams, précité ; Davis c. M.C.I. (IMM-1616-96, 24 novembre 1997, C.F.1re inst.) ; Nguyen c. M.C.I. (IMM-2483-96, 20 août 1997, C.F.1re inst.). Il n'y a pas d'élément de preuve indiquant que le délégué n'a pas agi de bonne foi. Par conséquent, la seule question qui reste à trancher est de savoir si le délégué disposait d'éléments de preuve suffisants pour exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[12]      La jurisprudence établit que l'avis indiquant qu'une personne constitue un danger réel et permanent doit être étayé par des éléments de preuve : Sam c. M.C.I. (IMM-3163-96, 28 novembre 1997, C.F.1re inst.) paragraphe 10 ; Thompson c. M.C.I. (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 9 (C.F.1re inst.) confirmé dans Williams, précité à (N.R.) 669 et suivi dans Ibraham c. M.C.I. (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 40 (C.F.1re inst.). En outre, la gravité des infractions commises ne peut habituellement pas appuyer une telle conclusion en l'absence d'autres éléments de preuve : Sam, précité. Parmi les autres facteurs qui peuvent être utilisés pour déterminer si une personne constitue un danger réel et permanent figurent les suivants : les circonstances de la perpétration de l'infraction, la peine imposée, la récidive, et l'existence de raisons d'ordre humanitaire : Ashton c. M.C.I. (IMM-1904-97, 24 février 1998, C.F.1re inst.).

[13]      En l'espèce, le dossier dont était saisi le délégué ne comportait pas de rapport présentenciel, d'observations de la Cour sur l'imposition de la peine d'emprisonnement, de rapports de police ou de déclaration des victimes. Il n'y avait au dossier absolument aucune preuve de violence de la part du demandeur. Le rapport d'examen des antécédents criminels est bref, et semble s'appuyer très fortement sur le rapport fondé sur l'article 27 établi antérieurement pour en arriver à la conclusion que le requérant a été reconnu coupable d'infractions " graves " reliées au trafic de cocaïne.

[14]      L'auteur du rapport établi selon l'article 27 semble avoir supposé que, parce que deux peines d'emprisonnement de neuf mois ont été imposées pour les infractions de trafic, et que le requérant n'avait pas de casier judiciaire antérieur, les circonstances ayant trait à la perpétration des infractions doivent avoir été jugées " graves " par la Cour qui a imposé les peines d'emprisonnement. Cette supposition ne s'appuie sur aucune preuve.

[15]      Il se peut que l'auteur du rapport ait simplement essayé de déterminer si le demandeur avait commis une infraction " grave " en se plaçant du point de vue de l'examen visé au paragraphe 27(1) (c'est-à-dire que toute infraction pour laquelle la peine imposée est supérieure à la norme de six mois prévue par la loi est " grave "). Toutefois, pour se faire une opinion en vertu du paragraphe 70(5), le délégué du ministre doit se demander si la personne ainsi reconnue coupable constitue vraiment un danger réel ou permanent pour le public au Canada. Une peine d'emprisonnement de plus de six mois ne permet pas, par et en elle-même, de déterminer si une personne constitue un danger réel ou permanent pour le public au Canada. Le délégué semble avoir conclu que, comme le demandeur a été condamné à deux peines d'emprisonnement concurrentes de neuf mois et, en s'appuyant sur le rapport établi selon l'article 27, que ces peines d'emprisonnement ne sont imposées que pour des infractions " graves ", il devait être coupable d'infractions graves, et par conséquent il devait constituer un danger pour le public au Canada.

[16]      Comme je l'ai indiqué ci-dessus, il n'y avait pas de preuve au dossier indiquant la raison pour laquelle la Cour a imposé cette peine, ou si elle a jugé que les infractions commises par le demandeur étaient " graves ". De plus, l'auteur du rapport établi selon l'article 27 et le délégué semblent avoir complètement ignoré la preuve indiquant que, même si les peines d'emprisonnement imposées au requérant étaient de neuf mois, la Cour a recommandé que celui-ci soit immédiatement autorisé à sortir de l'établissement correctionnel. De plus, la preuve indiquant que le demandeur avait tout à fait respecté son cautionnement et les conditions de sa libération conditionnelle ne semble pas avoir été prise en considération.

[17]      À mon avis, la preuve révèle que les infractions commises par le demandeur se sont produites sur une courte période, qu'elles ont été commises dans des circonstances relativement mineures, et ne se sont pas répétées après la première condamnation. En outre, la preuve non contredite indique que, presque immédiatement après l'imposition de la première peine d'emprisonnement, le demandeur a délaissé les " mauvais compagnons " qu'il fréquentait, s'est trouvé un emploi stable, et a subvenu correctement aux besoins de sa nouvelle famille.

[18]      Finalement, le demandeur a déposé auprès de la Cour une preuve supplémentaire par affidavit qui énonce des faits dont n'était pas saisi le délégué au moment où il a pris sa décision. Le défendeur fait valoir que je ne devrais pas tenir compte du fait que le demandeur est maintenant le seul soutien de famille de deux enfants (plutôt que du seul enfant qui était né avant la décision du délégué), et qu'il a continué d'occuper un emploi rémunéré, et même mieux rémunéré que le précédent, jusqu'à la date de la présente audience. Il fait valoir que le délégué n'était pas saisi de ces faits quand il a pris sa décision, et que la Cour ne peut donc s'appuyer sur eux dans une procédure de contrôle judiciaire : Lemiecha c. M.E.I. (1993), 72 F.T.R. 49, à la page 51 (C.F.1re inst.). Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de ces éléments de preuve, non plus que des éléments de preuve que renferme l'affidavit du demandeur selon lequel il a été informé, le lendemain de son arrestation pour les deux accusations de trafic de stupéfiants, que s'il ne plaidait pas immédiatement coupable à ces deux accusations, il ne serait pas libéré à temps pour son mariage, prévu pour le lendemain.

[19]      En résumé, il n'y avait tout simplement pas suffisamment de preuve pour permettre au délégué d'exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger réel ou permanent pour le public au Canada. Il a donc commis une erreur de droit en prenant une décision arbitraire, et qui n'est pas appuyée par la preuve dont il était saisi : Ashton, précité; Sam, précité; Nguyen, précité ; Holmes c. M.C.I. (IMM-1899-96, 8 décembre 1997, C.F.1re inst.).

[20]      Par conséquent, la décision du délégué du défendeur selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada doit être infirmée, et l'affaire doit être renvoyée à un autre délégué qui exprimera son avis conformément aux présents motifs.

[21]      Les parties n'ont pas proposé de question aux fins de la certification.

                             B. Cullen

                     ___________________________________         

                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 21 avril 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-859-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LLOYD BALDWIN REYNOLDS c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 16 AVRIL 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE CULLEN

DATE :                  LE 21 AVRIL 1998

ONT COMPARU :

Vicki Russell                          POUR LE DEMANDEUR

Marissa Bielski                      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Vicki Russell                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

George Thomson                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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