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Date : 20060221

Dossier : IMM-379-06

IMM-833-06

Référence : 2006 CF 232

ENTRE :

RAFAEL PELAEZ CASANOVA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                Les présents motifs se rapportent à l'ordonnance par laquelle j'ai rejeté la requête de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur, prévue pour le 15 février 2006.

[2]                Le demandeur, M. Rafael Pelaez Casanova, demande un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui en attendant qu'une décision finale soit rendue au sujet de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire d'une décision défavorable que l'agent d'examen des risques avant renvoi (agent d'ERAR) a rendue le 13 décembre 2005. Cette décision a été envoyée au demandeur le 19 janvier 2006. La présente requête de sursis, déposée le 9 février 2006, est liée à la demande d'autorisation dans le dossier IMM-379-06.

[3]                Le demandeur a aussi présenté une deuxième requête de sursis à la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue au sujet de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l'agent de renvoi. Cette demande sous-jacente (dossier IMM-833-06) conteste la décision de ne pas accorder au demandeur un report de son renvoi dans l'attente de la présentation d'une requête en réouverture de sa demande d'asile s'appuyant sur la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Thamotharem c. Canada (MCI) (2006 CF 16), en ce qui a trait aux Directives no 7 de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission).

[4]                Le demandeur est citoyen du Mexique. Il a allégué qu'il n'a pas pu terminer ses études et qu'il a subséquemment perdu son emploi en raison de ses activités politiques au sein du Parti d'action nationale (PAN). Il a aussi prétendu avoir été attaqué deux fois par des partisans du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), que son cousin avait été tué et que lui-même avait été grièvement blessé lorsqu'une voiture avait frappé leur motocyclette en mouvement, et qu'il avait été enlevé sous la menace d'une arme à feu et menacé de mort s'il ne cessait pas de faire campagne pour le PAN. À la suite de ces événements, il a décidé de quitter le Mexique et est arrivé au Canada le 3 février 2003. Il a déposé une demande d'asile le 24 juin 2003 et a seulement reçu un visa le 2 août 2003.

[5]                La Commission a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, principalement en raison du manque de crédibilité du demandeur. La Cour a rejeté une demande d'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision le 4 octobre 2004, parce que le demandeur n'a jamais mis sa demande en état. Le demandeur a ensuite déposé une demande d'ERAR, dans laquelle il a répété la même version des faits, qui avait déjà été considérée comme manquant de crédibilité; cette demande a été rejetée.

[6]                Comme je l'ai mentionné précédemment, le demandeur a reçu une copie de la décision défavorable le 19 janvier 2006, et a été informé le même jour que son renvoi était prévu pour le 16 février 2006.

[7]                Dans une lettre datée du 8 février 2006, adressée à la Cour, l'avocat du demandeur a mentionné qu'une demande de report du renvoi du demandeur serait présentée à l'agent de renvoi, et qu'il était possible que des procédures supplémentaires découlent de cette demande. La demande de report du renvoi du demandeur a été énoncée dans une lettre écrite par son avocat le samedi 11 février 2006; en réalité, cette lettre a été envoyée à l'agent le matin du lundi 13 février 2006. La lettre visait à obtenir de l'agent un report du renvoi au motif que le demandeur avait fait parvenir une demande de réouverture de sa demande d'asile à la Section de la protection des réfugiés, fondée sur la décision du juge Blanchard dans Thamotharem, susmentionnée. La lettre précisait que si une réponse n'était pas reçue avant 11 h le 13 février 2006 (soit moins de quatre heures après que la lettre eut été envoyée par télécopieur, et deux heures après l'heure normale d'ouverture), le demandeur considérerait sa demande comme rejetée. Le demandeur conteste maintenant ce « rejet » de sa demande de report du renvoi, mais il n'existe aucune preuve qu'une requête en réouverture de sa demande d'asile à bien été déposée.

[8]                Il va sans dire que l'avocat du défendeur a soutenu avec insistance que la Cour ne devrait même pas examiner ce genre de demande de sursis de dernière minute. Malgré les vaillants efforts de l'avocat du demandeur en vue d'expliquer le retard dans la présentation de ses demandes, je ne suis pas convaincu qu'il lui était totalement impossible de présenter ces demandes à temps. Le demandeur avait été avisé de sa date de renvoi le 19 janvier 2006, pourtant, il a attendu jusqu'au 9 février 2006 pour demander le report de son renvoi. Je peux comprendre que la maladie, une charge de travail élevée et les caprices d'une pratique dans laquelle on exerce seul sont tous des facteurs qui peuvent parfois expliquer un léger retard, mais ils ne peuvent pas justifier un retard de trois semaines pour la présentation d'une demande aussi importante pour ce qui est, au fond, un recours exceptionnel.

[9]                Je suis aussi profondément préoccupé par le fait que ces demandes de dernière minute laissent très peu de temps à l'avocat du défendeur pour recevoir des instructions de la part de ses clients; cette pratique est non seulement injuste, mais encore elle ne respecte pas les intérêts primordiaux de l'administration de la justice. En soi, ceci serait suffisant pour rejeter les demandes.

[10]            La Cour a énoncé, à de nombreuses reprises, sa réticence à examiner des demandes de sursis à une mesure de renvoi déposées à la dernière minute. Comme la juge Reed l'a noté dans Membreno-Garcia c. Canada (M.E.I.), [1992] 3 C.F. 306, [1992] A.C.F. no 535 (QL), au paragraphe 22 :

Si le requérant avait connaissance, déjà depuis un certain temps, de la décision sous-jacente à la contestation de la mesure d'expulsion (ou de l'avis d'interdiction de séjour), mais n'a cherché à obtenir l'autorisation d'intenter un recours fondé sur l'article 18 qu'au tout dernier moment, il y a donc lieu de présumer que la demande d'autorisation en vue de contester la mesure d'expulsion constitue principalement une manoeuvre dilatoire. [...] [L]e fait de présenter une demande de sursis à la toute dernière minute constitue en soi, dans bien des cas, un motif pour refuser la demande.

Voir aussi : Nagy c. Canada (M.C.I.), IMM-2155-00 (C.F. 1re inst.); Umokoro c. Canada (M.C.I.), IMM-1430-99 (C.F. 1re inst.); Shahranpour c. Canada (M.C.I.), [1995] A.C.F. no 1654, (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 107 (C.F. 1re inst.); Membreno-Garcia c. Canada (M.E.I.), [1992] 3 C.F. 306 (C.F. 1re inst.); Korogodova c. Canada (M.C.I.), IMM-0376-01 (C.F. 1re inst.); Maladeen c. Canada (M.C.I.), IMM-3164-00 (C.F. 1re inst.).

[11]            Par conséquent, je suis convaincu que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

[12]            Ceci dit, je crois également qu'il faut rejeter la présente demande sur le fond. Après avoir dûment examiné les observations orales et écrites du demandeur, je conclus qu'il ne satisfait pas aux trois éléments du critère établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Toth c. Canada (M.E.I.), [1988] A.C.F. no 587, 86 N.R. 302. Autrement dit, le demandeur n'a pas prouvé : 1) qu'il existait une question sérieuse à trancher, 2) que le renvoi lui causerait un préjudice irréparable, et 3) que la prépondérance des inconvénients le favorise plutôt que le ministre.

[13]            Tout d'abord, l'avocat du demandeur a admis qu'il n'avait pas vraiment d'argument solide en ce qui a trait aux Directives no 7 de la Commission. Un affidavit déposé par le défendeur note que le Commissaire a demandé à l'avocat du demandeur, au début de l'audience, s'il souhaitait poser ses questions au demandeur en premier, ce qu'il a fait. Ce fait n'est pas fondé purement sur une remémoration, mais sur les cassettes de l'audience. Par conséquent, il n'y a aucune indication que les Directives no 7 ont été appliquées ni que le Commissaire a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant ces Directives. Il n'y a donc aucune raison d'examiner la décision Thamotharem en l'espèce.

[14]            De plus, le pouvoir discrétionnaire d'un agent de renvoi est plutôt limité, parce qu'une mesure de renvoi doit être appliquée « dès que les circonstances le permettent » (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, par. 48(2)). Cette disposition a été interprétée comme conférant un pouvoir discrétionnaire limité à l'agent de renvoi, celui d'examiner des facteurs comme la maladie, les demandes pour prise en compte de considérations humanitaires en instances qui ont été déposées à temps et qui n'ont pas été réglées en raison de retards dans la procédure, et d'autres empêchements au déplacement (voir, par exemple, Simoes et al. c. Canada (MCI) (2000), 187 F.T.R. 219, 7 Imm. L.R. (3d) 141; Paterson c. Canada (MCI) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 65; Jmakina c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 1680, (1999), 3 Imm. L.R. (3d) 198). Le fait d'envisager de présenter une requête en réouverture d'une demande d'asile ne soulève pas de question sérieuse à trancher, surtout lorsqu'il n'existe aucune preuve qu'une requête en réouverture a bien été déposée.

[15]            Le demandeur a aussi prétendu que l'agent d'ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des nouveaux éléments de preuve, constitués tout au plus d'une déclaration faite sous serment par la mère du demandeur, confirmant qu'elle recevait toujours des appels de menace contre lui, d'une plainte déposée par le frère du demandeur selon laquelle des inconnus l'auraient averti que si le demandeur retournait au Mexique, il le regretterait, de publications d'Amnistie Internationale, du Human Rights Watch et de divers articles de nouvelles sur Internet, ainsi que de courriels écrits par des collègues et l'ancienne petite amie du demandeur, lui conseillant de ne pas retourner au Mexique.

[16]            Malgré le fait que l'agent d'ERAR ait commis une erreur en cochant une case indiquant qu'aucun nouvel élément de preuve n'avait été présenté, une lecture approfondie de ses motifs permet de conclure qu'il a bien examiné ces « nouveaux » éléments de preuve en détail. Il a non seulement expliqué pourquoi il accordait peu de force probante à ces éléments, mais il a aussi donné des raisons convaincantes justifiant pourquoi la preuve ne dissipait pas les doutes de la Commission au sujet de la crédibilité. Il est bien établi que la Cour n'intervient pas au sujet de l'évaluation et de l'appréciation de la preuve de l'agent d'ERAR, à moins qu'il soit prouvé que ses conclusions étaient manifestement déraisonnables. Dans les circonstances en l'espèce, je ne relève aucune erreur de ce genre dans les motifs de l'agent d'ERAR.

[17]            De plus, l'agent d'ERAR a conclu que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l'État et qu'il existait une possibilité de refuge intérieur au Mexique. L'une ou l'autre de ces conclusions est suffisante pour que l'agent d'ERAR puisse rendre une décision défavorable, et pourtant, le demandeur n'a pas réussi à démontrer que ces conclusions étaient fautives. Il n'était certainement pas manifestement déraisonnable de la part de l'agent d'ERAR de conclure que le demandeur n'avait pas fourni suffisamment de preuves afin de démontrer que les conditions dans le pays avaient changé depuis la décision de la Commission. La situation n'est peut-être pas parfaite, mais le Mexique n'est pas en situation « de troubles graves » , pour reprendre les termes de la juge Desjardins dans l'affaire Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 2021, (1994), 23 Imm. L.R. (2nd) 225 (C.A.F.).

[18]            En ce qui a trait au préjudice irréparable, la Cour a souvent décidé que lorsque le récit du demandeur a été rejeté par la Commission et par un agent d'ERAR, ce même récit ne peut pas servir d'argument afin d'appuyer la prétention d'un préjudice irréparable dans le cadre d'une demande de sursis à une mesure de renvoi (voir, par exemple, Singh c. Canada (MCI), 2005 CF 145; Akyol c. Canada (MCI), 2003 CF 931, [2003] A.C.F. no 1182 (QL)).

[19]            Finalement, le demandeur ne satisfait pas au troisième élément du critère énoncé dans l'arrêt Toth, parce que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre plutôt que le demandeur. Il y va de l'intérêt du public d'appliquer la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et ceci l'emporte sur tout inconvénient que le renvoi pourrait avoir sur le demandeur. Comme la Cour d'appel fédéral l'a énoncé dans Selliah c. Canada (MCI), 2004 CAF 261 :

[Les demandeurs] ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront [...] Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

[20]            Par conséquent, la demande du demandeur sera rejetée.

« Yves de Montigny »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-379-06 / IMM-833-06

INTITULÉ :                                       RAFAEL PELAEZ CASANOVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 14 février 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge de Montigny

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 février 2006

COMPARUTIONS :

Joel Etienne

POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joel Etienne

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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