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Date : 20000417


Dossier : T-499-99

ENTRE:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     Demandeur

    

     - et -



     MICHAEL TOVBIN

     Défendeur




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS


[1]      Il s"agit d"un appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, de la décision du juge de la citoyenneté Huguette Pageau, en date du 22 janvier 1999, accordant la citoyenneté au défendeur.

FAITS

[2]      Le défendeur ainsi que sa femme et son fils sont arrivés au Canada le 6 février 1995 comme résidents permanents. Le défendeur a cherché un emploi pendant 10 mois, mais n"en trouva pas. Il trouva finalement un emploi aux Etats-Unis. Sa femme et son fils sont demeurés au Canada dans un appartement loué par le défendeur. Ils ont depuis obtenu la citoyenneté canadienne.

[3]      Le défendeur a des comptes de banque, des REER, des investissements à long terme au Canada. Il possède un permis de conduire et paie les assurances automobile et maison et défraie les dépenses de sa famille au Canada. Il paie également ses impôts fédéral et provincial au Canada. Il continue de chercher de l"emploi au Canada, alors qu"il travaille aux Etats-Unis.

DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ

[4]      La juge de la citoyenneté, après avoir examiné les critères établis par le juge Reed dans l"arrêt Re Koo, [1993] 1 F.C. 286, a conclu que le défendeur avait satisfait aux dispositions de l"alinéa 5(1)c) de la Loi.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[5]      Le demandeur fait valoir que le juge de la citoyenneté a manifestement erré en concluant que le défendeur avait rencontré l"exigence prévue à l"alinéa 5(1)c) de la Loi.

[6]      Le demandeur rappelle que le défendeur n"avait résidé au Canada que pour 476 jours des 1095 requis par la Loi.

[7]      Le demandeur note que le juge a utilisé les critères de l"arrêt Re Koo, cependant, il soutient que le juge de la citoyenneté n"a pas appliqué les faits de façon appropriée.

[8]      Quant à la première question de l"arrêt Re Koo, le demandeur argumente qu"il y a tout lieu de croire que lorsque le juge Reed a indiqué une période prolongée avant de s"absenter, juste avant de présenter la demande de citoyenneté, elle avait en tête une période couvrant une bonne part des trois ans requis. Or, le défendeur est demeuré au Canada 322 jours avant de commencer à s"absenter. Ces 322 jours équivalent à moins de 30% du délai de trois ans requis. Le demandeur fait valoir qu"il ne peut être soutenu qu"il s"agit d"une période prolongée, au sens du juge Reed.

[9]      Quant à la deuxième question, le demandeur admet que la femme et le fils du défenceur sont demeurés au Canada, mais note que le juge n"indique rien quant à la famille étendue.

[10]      Quant à la troisième question, le demandeur argumente que la réponse du juge à cette question confirme que le demandeur n"est qu"en visite au Canada lorsqu"il revient. Le demandeur soutient que cet élément constitue une confirmation claire que le demandeur ne vivait pas régulièrement, normalement ou habituellement au Canada.

[11]      En soulevant la quatrième question, le demandeur soutient qu"il était évident que les 656 jours passés par le défendeur à l"extérieur du Canada, ne favorisaient nullement une conclusion de résidence réputée.

[12]      En examinant la cinquième question, le demandeur soumet que les faits ne permettaient pas de conclure que les absences du défendeur découlaient d"une situation temporaire.

[13]      Le demandeur admet que la sixième question, ainsi que la deuxième, semblent favoriser le défendeur. Cependant, il soutient que ce n"est pas suffisant pour conclure que le défendeur vivait régulièrement, normalement et habituellement au Canada. Il soumet que le juge aurait dû examiner s"il avait des liens aux Etats-Unis.



PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[14]      En ce qui concerne la première question de l"arrêt Re Koo, le défendeur fait valoir que la question se divise en deux parties. Le juge de la citoyenneté a répondu à la première partie simplement, elle n"a pas fait de commentaire quant aux absences récentes du défendeur. Le défendeur fait valoir que sa première absence prolongée commença le 28 mars 1996, 430 jours après son arrivée au Canada. Cette période compte pour 39.4% du délai de trois ans requis par la Loi.

[15]      Quant à la deuxième question, le défendeur note que le demandeur admet la présence constante de l"épouse et du fils. Il soutient que leur présence témoigne de l"intention du défendeur de s"établir au Canada et du maintien de la résidence.

[16]      Le défendeur conteste l"interprétation donnée par le demandeur à la troisième question. Il souligne que le juge a noté qu"il retourne au Canada, chez-lui, dès que la possibilité se présente, même pour de courtes périodes de temps. Sa présence démontre son désir de rester près de sa famille, malgré ses absences forcées, reliées à son travail.

[17]      Quant à la quatrième question, le défendeur soumet que le juge Reed a indiqué qu"il était plus facile de conclure à une résidence réputée, s"il ne manquait que quelques jours. Elle n"a toutefois pas indiqué qu"il est absolument nécessaire qu"il ne manque que quelques jours. Le défendeur soumet qu"il faut examiner la nature, l"objet, la durée ainsi que les circonstances entourant les absences du Canada pour déterminer s"il existe une résidence réputée.

[18]      En ce qui concerne la cinquième question, le défendeur rappelle qu"il a essayé de trouver un emploi au Canada et qu"il n"en a pas trouvé. Le juge de citoyenneté a simplement indiqué dans sa réponse l"empressement du défendeur à revenir au Canada, dès que la chance se présente.

[19]      Quant à la dernière question, déjà le demandeur admet que le défendeur a des attaches importantes au Canada. En ce qui concerne la prétendue erreur du juge à ne pas avoir examiné les liens du défendeur aux Etats-Unis, le défendeur fait valoir qu"il ne fait que travailler aux Etats-Unis et que toutes ces attaches principales demeurent au Canada.


QUESTION EN LITIGE

[20]      Le juge de la citoyenneté a-t-elle erré en accordant la citoyenneté canadienne au défendeur?

ANALYSE

[21]      L"alinéa 5(1)c) de la Loi prévoit:

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada.

[22]      La question de présence physique au Canada a été étudiée à plusieurs reprises par cette Cour. Il y a trois écoles de pensée sur ce sujet. La première établie par le juge en chef adjoint Thurlow dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 F.C. 208, la deuxième établie par le juge Reed dans l"arrêt Re Koo, [1993] 1 F.C. 286 et la troisième par le juge Muldoon dans l"arrêt Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122.

[23]      Le juge Lutfy a expliqué le statut du droit quant à l"arrêt applicable dans Lam c. M.C.I, (26 mars 1999) T-1310-98 (C.F. 1ère instance):

     La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

[24]      Le juge de la citoyenneté en l"instance a adopté les questions posées par l"arrêt Re Koo, ce qu"elle est en droit de faire.

[25]      Le juge Reed a formulé six questions pour déterminer si le Canada est le lieu où le demandeur de la citoyenneté vit régulièrement, normalement ou habituellement, en d"autres mots, s"il s"agit du pays où le demandeur de la citoyenneté aurait centralisé son mode de vie.

1. La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

[26]      Cette question a été divisée en deux parties dans les "motifs de décision en matière de résidence." Elle se lit ainsi: L"intéressé se trouvait-il au Canada depuis longtemps avant sa première absence? Ses absences sont-elles récentes et ont-elles eu lieu juste avant la présentation de la demande de citoyenneté?

[27]      Le juge de la citoyenneté a noté que le demandeur est demeuré au Canada pour 10 mois avant de s"absenter pour la première fois pendant 9 jours. Le juge n"a pas commenté sur la deuxième partie de la question.

[28]      La proposition du demandeur qu"il faut avoir une période couvrant une bonne part des trois ans requis pour établir sa résidence, me semble beaucoup plus large que prévue dans Re Koo.

[29]      Le juge Evans a souligné dans Cheung c. Canada (M.C.I.), (9 Septembre 1999) T-26-99 (C.F. 1ère instance):

     Ms. Cheung remained in Canada for six months following her arrival with permanent resident status in 1994, and moved immediately into her own home. Although not a lengthy period, it was sufficient to enable her to establish her residence in Canada.


[30]      Une période de 10 mois peut bien être suffisante pour établir une résidence, dans les circonstances.

2. Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

[31]      Il est clair d"après la preuve, que l"épouse et l"enfant du défendeur sont installés au Canada, au domicile familial, depuis leur arrivée, et que la famille n"est jamais retournée au pays d"origine depuis.

[32]      Le demandeur ne m"a pas convaincu que le défendeur aurait dû soumettre de la preuve supplémentaire quant à sa famille étendue, si elle existe.

3. La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

[33]      Le juge note que le défendeur revient chez lui dès qu"il a la chance de voir sa famille et ses amis. D"une part, la présence de sa famille suggère qu"il revienne dans son pays, d"autre part ses absences du pays qui varient entre 8 et 167 jours suggèrent autrement.

[34]      Dans l"arrêt Khairulbashar v. Canada (M.C.I.) (1 Juin 1999) T-1523-98 9C.F. 1ère instance), le juge Dubé a indiqué:

     Personally, I have held in many instances that where an applicant has clearly and definitively established a home in Canada with the transparent intention of maintaining personal and permanent roots in this country, he ought not to be deprived of citizenship merely because he has to earn his livelihood and that of his family by doing business offshore. The residence of a person is not where he works but where he returns to after work. Generally, one of the most telling indicia of a person's real intention is the establishment of his whole family in a permanent home in Canada.

[35]      Suivant ce raisonnement, et gardant à l"esprit la fréquence des absences et présences physiques, ainsi que les autres éléments, tel le fait qu"il cherche toujours un emploi au Canada, il me semble raisonnable de conclure que le défendeur retourne chez lui.

4. Quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

[36]      Le défendeur était absent du Canada pendant 656, jours tel que le note le juge de la citoyenneté et, à cet effet, elle a rempli son rôle qui était d"examiner avec grand soin, la nature, l"objectif, l"étendue et toutes les circonstances entourant les absences du Canada.1

5. L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

[37]      Le juge de la citoyenneté a noté que les absences du défendeur étaient reliées à son travail temporaire à l"étranger pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle souligne que le défendeur avait une petite entreprise immatriculée.

[38]      Si l"on se réfère à son affidavit, le défendeur a essayé de se trouver du travail comme traducteur.

[39]      Il a essayé auprès des instances gouvernementales canadiennes pour se faire répondre que la préférence était donnée aux citoyens canadiens.

[40]      Se trouvant dans un cercle vicieux, c"est après 430 jours qu"il a décidé de travailler aux Etats-Unis pour subvenir aux besoins de sa famille.

[41]      S"il était demeuré chez-lui sans travail, à la charge de l"état, dans l"attente de sa citoyenneté, je ne crois pas que cela en aurait fait un meilleur candidat.

6. Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[42]      Le juge semble être convaincue que les attaches importantes du défendeur étaient au Canada. Il n"y a aucune preuve au dossier qui démontre autrement.

CONCLUSION

[43]      Il apparaît utile de rappeler que cet appel est présenté en vertu des nouvelles règles, et qu"il ne s"agit pas d"un procès de novo. Dans M.C.I. v. Ching, [1999] F.C.J., No 623, le Juge Campbell rappelle:     

... under the new rules, citizenship appeals are no longer trials de novo, and, therefore, are governed by s. 18.1(4) of the Federal Court Act. In this respect, for a decision of a citizenship judge to be set aside, it is necessary to find reviewable error. Apart from clear errors of law, which are rare, citizenship appeals under the new rules focus on s. 18.1(1)(d) about which Rouleau, J. in Hung says as follows:

     Section 18.1(1)(d) essentially codifies the way the courts have viewed findings of fact made by administrative tribunals. In Kibale v. Transport Canada (1988), 90 N.R. 1 (F.C.A.) at 4, leave to S.C.C. refused (1989), 101 N.R. 238 (S.C.C.), Pratte J.A. stated that "even if the court is convinced that a decision is based on an erroneous finding of fact, it cannot intervene unless it is also of the opinion that the lower court, in making its finding, acted in a perverse or capricious manner, or without regard for the evidence." Not only must the finding of fact be perverse or capricious or without regard to the evidence before the adjudicator, this court must make such a finding if it is to interfere pursuant to s. 18.1(4)(d).

[44]      Le demandeur ne m"a pas convaincu que la juge a commis une erreur dans l"interprétation des faits, de la preuve et du témoignage du défendeur.

[45]      En conséquence, l"appel doit être rejeté.




                         Pierre Blais

                         Juge

VANCOUVER, COLOMBIE-BRITANNIQUE

Le 17 avril 2000

__________________

1      Re Agha (1999), 166 F.T.R. 245.

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