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Date : 19981008


Dossier : IMM-4580-97

ENTRE :

     FIRMIN KAHINDO MAPERA,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (section du statut) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur était membre du principal parti d'opposition au Zaïre, l'UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social). Le demandeur a participé à différentes manifestations, il a également distribué des tracts et il a été arrêté et détenu sous le régime Mobutu.

[3]      Il a quitté le Zaïre parce qu'il était recherché par les autorités du régime Mobutu.

[4]      Il est venu au Canada et a revendiqué le statut de réfugié parce qu'il craignait d'être persécuté du fait de son affiliation au principal parti d'opposition, l'UDPS.

[5]      Le demandeur a au début présenté sa revendication contre le régime Mobutu.

[6]      L'audience a eu lieu le 30 octobre 1996 et, le 25 juin 1997, à la demande de la Commission, l'agente chargée de la revendication a soumis de nouveaux éléments de preuve au sujet du régime Kabila, étant donné la chute du gouvernement Mobutu en mai 1997.

[7]      En outre, le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve documentaire et de nouveaux arguments, conformément à l'autorisation reçue en ce sens.

[8]      Dans sa décision rendue le 1er octobre 1997, la Section du statut a refusé d'accorder le statut de réfugié au demandeur.

[9]      La Commission avait été mise au fait d'un changement de situation au Zaïre (désormais connu sous le nom de République démocratique du Congo) : le gouvernement Mobutu avait été chassé du pouvoir et remplacé par un gouvernement dirigé par Laurent Kabila.

[10]          Dans sa décision, la Commission a indiqué :

                 Le tribunal est d'avis qu'il n'y a pas de preuve suffisante indiquant que les autorités de l'AFDL arrêtent les membres des partis politiques pour le seul motif de leur appartenance à un parti politique ou en raison de leur implication à la cause anti-Mobutu. Les courtes détentions qui sont survenues depuis la prise de pouvoir de l'AFDL ont été observées lors de manifestations publiques non autorisées par le nouveau gouvernement. Le leader de l'AFDL a interdit les manifestations publiques. Le tribunal est d'avis que la dérogation des droits civils dans une situation temporaire, dans certaines circonstances comme dans la situation de chaos qui a régné pendant la dernière période du règne de Mobutu, n'équivaut pas per se à de la persécution. (...)                 
                 Le tribunal est d'avis que suite aux changements de circonstances politiques dans le pays du revendicateur, il n'est pas raisonnable de croire que le revendicateur soit persécuté par l'AFDL, dans son pays de nationalité.                 

[11]          L'avocat du demandeur a cité plusieurs éléments de la preuve présentée à la Commission :

                 [TRADUCTION] Lundi, l'alliance dirigeante de M. Kabila a interdit les assemblées et les manifestations publiques et a déclaré que les contrevenants seraient considérés comme des " ennemis de la libération du peuple congolais et que tous les moyens légaux seraient mis en oeuvre pour les punir. "1                 

                 [TRADUCTION] Aujourd'hui, les soldats ont mis un terme à une manifestation pacifique faite contre Laurent Kabila, le chef des rebelles qui a pris le pouvoir de ce gigantesque pays il y a un peu plus d'une semaine. Ils ont arrêté et battu des douzaines de protestataires et ont dispersé les autres en tirant des coups de fusil en l'air2.                 
                 [TRADUCTION] Mais à chaque fois que les manifestants se mettaient en route et que leur nombre commençait à augmenter, les troupes les dispersaient promptement, en tirant des coups de fusil en l'air. Certains protestataires ont été battus et environ 30 manifestants ont été détenus3.                 
                 [TRADUCTION] Depuis le début du conflit armé en octobre 1996 dans l'est du Zaïre, Amnistie internationale rapporte des violations des droits de la personne commises par l'AFDL et ses alliés. Ces violations couvrent des tueries préméditées et arbitraires commises à grande échelle, des " disparitions ", des actes de torture et des arrestations arbitraires. Nombre d'autres violations graves ont été rapportées pendant le court laps de temps écoulé depuis que l'AFDL a pris le pouvoir de tout le pays et a établi un gouvernement transitoire. Ces violations touchent en particulier les partisans réels et présumés de l'ancien président Mobutu Sese Seko et les membres des partis politiques d'opposition, lesquels ont été interdits4.                 
                 [TRADUCTION] Mais, Kabila ne porte pas uniquement atteinte aux droits des réfugiés. Samedi, la principale organisation de surveillance des droits de la personne dans la capitale, Kinshasa, a publié un rapport faisant état de centaines d'exécutions sommaires commises par les forces de Kabila dans cette ville, au cours du mois qui a suivi sa prise. L'Association zaïroise de défense des droits de l'homme a affirmé que les troupes de Kabila avaient tué 647 personnes à Kinshasa, dont certaines étaient d'innocents observateurs, d'autres des pillards et d'autres des soldats de l'armée zaïroise défaite5.                 
                 Monsieur Kabila a interdit les manifestations et les activités de tous les partis politiques, à l'exception du sien, l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo - Zaïre (AFDL), ancienne rébellion6.                 
                 [TRADUCTION] Il a interdit toute activité politique, à l'exception de celles de son Alliance des forces démocratiques7.                 

[12]          À la lumière d'un examen de la preuve et de la décision de la Commission, il faut conclure que, de toute évidence, quelque chose cloche.

[13]          La Commission était saisie de nombreux éléments de preuve faisant état des violations des droits de la personne dans la nouvelle République démocratique du Congo.

[14]          Compte tenu de la preuve qui lui a été soumise, il est difficile de comprendre comment la Commission peut arriver à la conclusion que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Comme l'a mentionné le juge Hugessen dans les motifs de son ordonnance prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario), le mardi 15 septembre 1998, dans l'affaire Kalunda c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-4379-97) :

                 À mon avis, cette conclusion est arbitraire. La Commission était saisie d'une preuve attestant qu'il y avait eu beaucoup plus que de courtes détentions de membres de l'UDPS. Même au moment de l'audience qui s'est tenue devant la Commission, il y avait dans les documents dont elle était saisie, des preuves d'assassinats de manifestants pacifiques à au moins deux occasions, de détentions prolongées de manifestants pacifiques, du fait que des manifestants ont été gardés au secret et assujettis à ce qui peut uniquement être décrit comme des tortures. Aucune situation de chaos justifiant une suspension des droits civils ne peut être considérée comme justifiant la torture et l'assassinat de manifestants innocents.                 

[15]          De toute évidence, la manière discriminatoire dont s'est effectuée la répression des activités politiques constitue de la persécution. J'ai lu la décision de la Section du statut dans l'affaire Kalunda mentionnée précédemment, dans laquelle monsieur le juge Hugessen a fait droit à une demande de contrôle judiciaire. Cette affaire est pratiquement identique à celle dont je suis en ce moment saisi.

[16]          À mon avis, le défaut de reconnaître le fondement de la revendication du demandeur, et d'examiner l'incidence des changements de situation dans le pays à la lumière de la preuve soumise, constitue une erreur susceptible de révision.

[17]          Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'un tribunal différemment constitué procède à une nouvelle audition et rende une nouvelle décision.

[18]          L'avocat du demandeur a soumis une question aux fins de certification : [TRADUCTION] " Est-il permis de porter atteinte aux droits de la personne dans une situation temporaire ? Dans l'affirmative, dans quelles circonstances ? " Étant donné que l'on a répondu à cette question à maintes reprises, aucune question ne sera certifiée.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 8 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-4580-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Firmin Kahindo Mapera c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 29 septembre 1998
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          Monsieur le juge Blettis
DATE DES MOTIFS :                  Le 8 octobre 1998

ONT COMPARU :

M. Micheal Crane                      pour le demandeur
M. David Tyndale                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Micheal Crane

Toronto (Ontario)                      pour le demandeur

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                          pour le défendeur
__________________

1      The New York Times, le mercredi 28 mai 1997. Voir : page 0409 du dossier de la Section du statut.

2      The New York Times, le jeudi 29 mai 1997, page A13. Voir : page 0411 du dossier de la Section du statut.

3      The Toronto Star, le jeudi 29 mai 1997, page A22. Voir : page 0410 du dossier de la Section du statut.

4      Amnistie internationale, le 6 juin 1997, AFR 62/16/97. Voir : page 0418 du dossier de la Section du statut.

5      The Washington Post, le mercredi 18 juin 1997. Voir : page 0423 du dossier de la Section du statut.

6      L'Agence France Presse, le 27 juin 1997. Voir : page 0428 du dossier de la Section du statut.

7      The Globe & Mail, le 17 juillet 1997. Voir : page 0441 du dossier de la Section du statut.

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