Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020411

Dossier : IMM-1959-01

Référence neutre : 2002 CFPI 395

ENTRE :

                                                                      ZHANG ANFU

                                                                                                                                               demandeur

                                                                                  et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                    défendeur

                       MOTIFS MODIFIÉS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Pour modifier les motifs de l'ordonnance et ordonnance en date du 9 avril 2002)

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]                  M. Zhang Anfu (demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par Mme Colleen Wong (agente des visas), le 12 mars 2001. Dans sa décision, l'agente des visas a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur à titre d' « investisseur » .


FAITS

[2]                  Le demandeur est citoyen chinois. Il a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre d' « investisseur » conformément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, et au Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172. La femme du demandeur et leur fille sont incluses dans la demande.

[3]                  Après l'examen initial de sa demande, le demandeur a été convoqué à une entrevue qui a été fixée au 9 mars 2001. À l'entrevue, le demandeur a fourni des renseignements sur ses études universitaires et son expérience professionnelle. Il a affirmé avoir touché un total de 5 millions RMB au cours des 42 mois pendant lesquels il a travaillé pour le groupe Yingfang pour la construction de machines de la commission des sciences et technologies de la défense nationale. Il a dit avoir reçu un salaire annuel de 300 000 RMB plus des primes au rendement et une participation de 30 % aux profits pendant qu'il travaillait pour cette compagnie.

[4]                  Le demandeur a ensuite été directeur d'un projet de construction pour l'entreprise de construction Chengdu Huaxing de 1990 à 1994. Il a touché une somme totale de 15 millions RMB, savoir un salaire annuel de 800 000 RMB et une participation aux profits de 45 %.


[5]                  En 1994, le demandeur a fondé sa propre entreprise, c'est-à-dire la Sichuan Province Dongfu Furniture Company Ltd. Il a dit avoir investi 9,6 millions RMB dans cette entreprise qui s'occupait de la conception, de l'importation et de la vente de meubles de bureau et d'ameublements de maison. Le demandeur est l'actionnaire principal, le directeur général et le représentant de la compagnie. Celle-ci a prospéré sous sa direction et a réalisé entre 1995 et 2001 des profits nets s'élevant à 2 709 565 $CAN.

[6]                  L'agente des visas était convaincue que le demandeur avait exploité, contrôlé ou dirigé avec succès son entreprise, mais elle ne croyait pas qu'il avait accumulé 500 000 $ par ses propres efforts. Elle s'interrogeait notamment sur la provenance de la somme de 9,6 millions RMB qu'il avait initialement investie dans son entreprise.

[7]                  Lorsqu'on lui a demandé s'il avait des documents, en particulier des pièces justificatives, pour prouver ses revenus de 1986 à 1994, le demandeur a répondu qu'il n'en avait pas. L'agente des visas n'a pas cru que le demandeur avait réellement reçu les revenus qu'il prétendait avoir touchés entre 1986 et 1995, et elle lui a fait part de ses doutes. Elle l'a également informé que sa demande serait refusée et lui a indiqué pour quel motif. Cette décision a été confirmée dans une lettre datée du 12 mars 2001. Dans sa lettre, l'agente des visas a cité la définition d' « investisseur » contenue dans le Règlement et a dit ce qui suit :

[Traduction] Le Règlement sur l'immigration définit le mot « investisseur » de la manière suivante :

« investisseur » Immigrant qui satisfait aux critères suivants :


             a) il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;

b) il a fait un placement minimal, depuis la date de sa demande de visa d'immigrant à titre d'investisseur;

c) il a accumulé par ses propres efforts,

             (i) un avoir net d'au moins 500 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé au sous-alinéa a)(i) ou (ii), b)(i), c)(i) ou (ii), d)(i) ou (ii) ou e)(i) ou (ii) de la définition de « placement minimal » ,

(ii) un avoir net d'au moins 700 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé aux sous-alinéas a)(iii), b)(ii), c)(iii), d)(iii) ou e)(iii)m de la définition de « placement minimal » .

J'ai déterminé que vous n'êtes pas visé par la définition d'investisseur pour les motifs suivants.

Je ne suis pas convaincue que vous avez accumulé, par vos propres efforts, un avoir net d'au moins 500 000 $.

(Dossier du tribunal, pages 6 et 7)

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                  Les questions suivantes découlent de la présente demande :

         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en s'appuyant sur le fait que le demandeur a omis de fournir une preuve documentaire relativement à la provenance de son placement pour décider qu'il n'était pas visé par la définition d'investisseur?

        L'agente des visas a-t-elle manqué à l'obligation d'équité en ne donnant pas au demandeur la possibilité de dissiper ses doutes?


OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

[9]                  Le demandeur soutient avoir satisfait aux critères contenus dans la définition d'investisseur au paragraphe 2(1) du Règlement en fournissant la preuve qu'il avait accumulé environ 2 millions $CAN en exploitant avec succès sa compagnie.

[10]            Il prétend en outre que l'agente des visas a contrevenu à l'obligation d'agir équitablement à son égard lorsqu'elle ne lui a pas donné un préavis suffisant de l'obligation qu'il avait d'apporter à l'entrevue une preuve de la provenance de son fonds de placement.

[11]            De plus, le demandeur prétend que l'agente des visas a manqué à l'obligation d'agir équitablement en ne lui donnant pas la possibilité de produire les documents requis après l'entrevue .

OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR


[12]            Le défendeur prétend que le paragraphe 9(3) de la Loi autorise l'agent des visas à demander à un candidat à l'immigration de produire des pièces pour lui permettre d'évaluer s'il satisfait aux exigences de la loi. Cela signifie qu'un agent des visas est justifié de demander à une personne une preuve relativement au placement qu'elle a fait et que l'omission de se conformer à cette exigence constitue un motif suffisant pour refuser une demande. À cet égard, le défendeur s'appuie sur la décision Il c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 837, _[2001] A.C.F. no 1204 (C.F. 1re inst.) (QL).

[13]            Le défendeur soutient en outre que l'agente des visas n'est pas tenue, en vertu des principes de l'équité procédurale, de donner au demandeur la possibilité de dissiper les doutes qu'elle a quant à l'observation de la Loi et du Règlement qu'elle doit appliquer. Le défendeur s'appuie ici sur les décisions Yu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990), 36 F.T.R. 296 et Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 43 Imm. L.R. (2d) 264 (C.F. 1re inst.).

[14]            Le défendeur affirme que le demandeur savait ou aurait dû savoir qu'il était tenu de convaincre l'agente des visas quant à la provenance de son fonds de placement.

ANALYSE

  

[15]            La définition d' « investisseur » prévue au paragraphe 2(1) du Règlement, tel qu'il était libellé lorsque le demandeur a présenté sa demande, prévoyait ce qui suit :


« « investisseur » » Immigrant qui satisfait aux critères suivants:

a) il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;

b) il a fait un placement minimal, depuis la date de sa demande de visa d'immigrant à titre d'investisseur;

c) il a accumulé par ses propres efforts;

(i) un avoir net d'au moins 500 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), b)(i), c)(i) ou d)(i) ou (ii) ou e)(i) ou (ii) de la définition de « placement minimal » ,

(ii)         un avoir net d'au moins 700 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé aux sous-alinéas a)(iii), b)(ii), c)(iii), d)(iii) ou e)(iii) de la définition de « placement minimal » .

"investor" means an immigrant who

(a) has successfully operated, controlled or directed a business,

(b) had made a minimum investment since the date of the investor's application for an immigrant visa as an investor, and

(c) has a net worth, accumulated by the immigrant's own endeavours,

(i) where the immigrant makes an investment referred to in subparagraph (a)(i) or (ii), (b)(i), c(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or (e)(i) or(ii) of the definition "minimum investment", of at least $500,000, or

(ii) where the immigrant makes an investment referred to in subparagraph (a)(iii), (b)(ii), (c)(iii), (d)(iii) or (e)(iii) of the definition "minimum investment", of at least $700,000 ;

[16]            La norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires d'un agent des visas est énoncée dans la décision Chiu Chee To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (22 mai 1996), A-172-93, [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a adopté le critère formulé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.


[17]            La première question qui se pose est de savoir si l'agente des visas était justifiée de s'interroger sur la provenance des fonds utilisés par le demandeur pour démarrer son entreprise.

[18]            Dans la décision Biao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 177 F.T.R. 190 (C.F. 1re inst.), le juge Nadon, alors juge à la Section de première instance, a dû se prononcer sur une question similaire. Dans Biao, le demandeur n'avait pas produit, relativement à la provenance de ses fonds, une preuve satisfaisante dans sa demande de résidence permanente à titre d'investisseur. La Cour a dit ce qui suit à la page 196 :

[21]          L'agent des visas était autorisé à demander ces pièces en vertu du paragraphe 9(3) de la Loi et il incombait au demandeur de prouver que son admission au Canada ne contreviendrait pas à la Loi. Le demandeur ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombait en vertu du paragraphe 9(3) et il ne s'est pas non plus acquitté de l'obligation qui lui incombait en vertu de l'article 8 de la Loi. [...]

[...]

[22]         Cette Cour a statué que l'agent des visas a le droit et l'obligation d'exiger que le demandeur produise les pièces qui, selon lui, sont nécessaires à l'examen de la demande. [...]


[19]            En l'espèce, le demandeur a reconnu, par l'intermédiaire de son avocat à l'audience, que l'agente des visas était justifiée de s'enquérir de la provenance du « capital de démarrage » à l'aide duquel il a fondé son entreprise. Si cette demande était justifiée, il était donc raisonnable pour l'agente des visas de conclure que le demandeur n'avait pas dissipé ses doutes à cet égard puisqu'il n'avait pas produit de pièces justificatives concernant ses revenus.

[20]            Dans l'affidavit qu'elle a produit, l'agente des visas a fourni quelques motifs pour expliquer ses doutes. Le demandeur venait tout juste d'obtenir un diplôme universitaire lorsqu'il a commencé à travailler pour le groupe Yingfang. Il a affirmé avoir touché un salaire annuel de 300 000 RMB et avoir participé au partage des bénéfices. Il était encore jeune lorsqu'il a commencé à travailler pour la compagnie Chengdu où il a affirmé avoir reçu un salaire annuel de 800 000 RMB ainsi que 45 % des profits. L'agente des visas n'était pas convaincue qu'un diplômé universitaire de fraîche date aurait pu toucher des revenus aussi élevés si rapidement après la fin de ses études.

[21]            D'après le dossier, le demandeur n'a produit aucun document ni aucun autre élément de preuve pour faire disparaître ces doutes. Il y a contradiction dans la preuve par affidavit puisque, dans l'affidavit qu'il a produit dans la présente instance, le demandeur a affirmé avoir demandé l'occasion d'obtenir des pièces justificatives relativement au salaire qu'il avait touché lorsqu'il travaillait pour la compagnie Chengdu. Dans son affidavit, l'agente des visas a dit qu'il n'avait pas soulevé cette question à l'entrevue.


[22]            Quoi qu'il en soit, l'agente des visas était en mesure d'évaluer la crédibilité du demandeur. Ses doutes sur la provenance de son fonds de placement en 1994 étaient légitimes et raisonnables. Compte tenu de la retenue qui s'impose à l'égard d'une décision rendue par un agent des visas, je conclus qu'en l'absence de tout manquement à l'équité procédurale, la décision de l'agente des visas était raisonnable et ne devrait pas être modifiée.

[23]            Quant au manquement allégué à l'équité procédurale, je renvoie à la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précitée, dans laquelle le juge Teitelbaum a dit être d'avis que l'obligation de l'agent des visas d'informer le demandeur de ses préoccupations est limitée. Le demandeur devrait supposer que les préoccupations de l'agent des visas découleront directement de la Loi ou du Règlement. Comme il incombe au demandeur d'établir qu'il a satisfait aux critères énoncés dans la Loi relativement à l'admission au Canada, il est raisonnable de présumer que le demandeur devrait préalablement se familiariser avec ces exigences.

[24]            Je conviens avec le défendeur que le demandeur aurait dû savoir que l'agente des visas exigerait qu'il étaye sa demande, notamment la provenance de son fonds de placement. Par conséquent, je rejette son argument à cet égard.

[25]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'avocat du demandeur a demandé que la question suivante soit certifiée :


Est-il pertinent que le capital initial qu'un demandeur-investisseur utilise pour accumuler un avoir net soit le résultat des propres efforts dudit demandeur-investisseur?

Je certifie la question proposée.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question suivante est certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, afin de la soumettre à la Cour d'appel fédérale :

Est-il pertinent que le capital initial qu'un demandeur-investisseur utilise pour accumuler un avoir net soit le résultat des propres efforts dudit demandeur-investisseur?

« E. Heneghan »

___________________________

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

11 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-1959-01

INTITULÉ :                 Zhang Anfu c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                           2 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE LA COUR : Le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                       11 avril 2002

COMPARUTIONS:

Rudolf J. Kischer                                  POUR LE DEMANDEUR

Helen Park                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Rudolf J. Kischer                                  POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général                     POUR LE DÉFENDEUR

du Canada                                           

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.