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Date : 20000126


Dossier : IMM-2677-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 JANVIER 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


ENTRE :

     SAMSU MIA,

     demandeur,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


ORDONNANCE



     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.




« Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.





Date : 20000126


Dossier : IMM-2677-99



ENTRE :

     SAMSU MIA,

     demandeur,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER :


[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration 1 (La Loi) à l'encontre d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi.

[2]          Le demandeur est un citoyen du Bangladesh, qui a revendiqué le statut de réfugié en invoquant la crainte bien fondée d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social, savoir les pauvres. Les actes à l'origine de sa revendication du statut de réfugié ont été commis pour l'essentiel alors qu'il se trouvait au Canada.

[3]          Le demandeur a travaillé environ trois ans comme domestique au service de M. Anwar Ul Alam, haut-commissaire adjoint du Bangladesh à Ottawa.

[4]          Pendant cette période, le demandeur soutient avoir été victime de violence physique et verbale de la part de M. Ul Alam, souvent pour des peccadilles. Il affirme aussi avoir été souvent contraint de travailler sept jours par semaine, sans périodes de repos ou presque, s'être fait dire de ne pas fréquenter de personnes de l'extérieur de la résidence et s'être fait interdire de quitter la résidence pendant ce qui devait être ses temps libres.

[5]          Bien qu'il ait signé, avec M. Ul Alam, un contrat fixant sa rémunération, ses tâches, son horaire de travail, etc., le demandeur allègue ne pas avoir été rémunéré pour son travail.

[6]          Le demandeur payait son logement, en chambre individuelle, et ses repas conformément à son contrat, mais il affirme avoir été forcé de dormir à même le sol dans la salle de séjour ou la buanderie.

[7]          Le demandeur fait aussi valoir qu'il a été traité comme un esclave vivant dans l'asservissement. Après plus de trois ans, il a décidé de ne plus subir ces abus et de ne plus travailler aussi fort sans être payé. Il allègue aussi avoir essuyé un refus et avoir été agressé à nouveau par M. Ul Alam lorsqu'il a finalement demandé qu'on lui verse une rémunération pour son travail. Le demandeur a alors quitté l'ambassade.

[8]          Par la suite, le demandeur a participé à une émission d'un poste de télévision communautaire canadien pour informer les membres de la communauté bengalaise de la façon dont il avait été traité et pour empêcher d'autres personnes de souffrir.

[9]          Le demandeur soutient qu'après avoir participé à cette émission de télévision, il a commencé à recevoir des menaces, ici au Canada, et que sa famille a elle aussi commencé à en recevoir, au Bangladesh.

[10]          Le demandeur fonde sa revendication notamment sur le traitement qu'il aurait subi de la part de M. Ul Alam lorsqu'il était un employé du gouvernement du Bangladesh travaillant au haut-commissariat du Bangladesh, et sur les menaces que lui et sa famille auraient reçues de la part de M. Ul Alam et de ses acolytes depuis qu'il a quitté son emploi.

[11]          Le tribunal composé d'un seul membre a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, principalement parce que le préjudice que craignait le demandeur n'était pas lié à un motif énoncé dans la Convention, statuant que la persécution du demandeur découlait d'une vendetta personnelle entre lui et son ancien employeur, M. Ul Alam. Cette partie de sa décision est reproduite ci-dessous :

[Traduction] Les tribunaux nous disent donc que la persécution doit être liée à un motif énoncé dans la Convention. Ils précisent que la persécution se distingue des actes de violence aléatoires et arbitraires ainsi que des souffrances résultant d'un acte criminel ou d'une vendetta personnelle. Il faut en outre distinguer la persécution des vendettas personnelles ou des abus liés à l'exercice d'une charge. Il faut aussi vérifier si le préjudice est infligé pour un motif énoncé dans la Convention. Il faut ensuite établir une distinction entre un revendicateur qui craint d'être persécuté en raison de ce qu'il fait personnellement et un revendicateur qui craint d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier. Et c'est l'appartenance à ce groupe qui doit causer la persécution et non les activités individuelles du revendicateur [...]
En l'espèce, nous avons examiné ce que vous craignez et pourquoi. Vous avez dit craindre une vendetta personnelle de la part de M. Alam parce que vous aviez révélé la façon dont il vous a traité.
Si c'est la véritable raison, elle n'est pas visée par la Convention parce qu'il s'agit d'un cas de vendetta personnelle plutôt que d'opinion politique.2

[12]          En ce qui concerne la question de la protection de l'État, le commissaire a conclu que le demandeur n'avait pas fourni de preuve claire et convaincante que le Bangladesh n'était pas en mesure de le protéger. Voici ce qu'il a dit :

[Traduction] Il y avait un haut-commissaire, en l'espèce, et vous auriez pu lui écrire pour lui demander sa protection lorsque vous ou votre famille avez reçu des menaces de M. Alam. Mais vous ne lui avez pas écrit. En fait, la seule lettre versée au dossier porte sur la question du montant que vous deviez recevoir. [...] Or, on s'est demandé si vous avez écrit au haut-commissaire ici ou si vous avez demandé à le rencontrer, ou si vous avez écrit au ministre des Affaires étrangères à Dhaka pour lui dire que vous receviez des menaces, même si vous étiez victime du refus de vous rémunérer. Mais rien de cela ne figure dans la preuve..
Les tribunaux ont statué clairement que le revendicateur doit s'adresser à son pays pour obtenir sa protection et que le revendicateur doit produire une preuve claire et convaincante du fait que l'État n'est pas en mesure de le protéger.
Nous savons que la corruption et une certaine répression ont cours au Bangladesh et que la protection n'est pas à toute épreuve.3

[13]          Par ailleurs, le commissaire cite l'arrêt Valentin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)4 sur lequel il se guide concernant le fait que le demandeur a volontairement communiqué avec une poste de radio5 pour diffuser son histoire. Le commissaire enchaîne en évaluant les conséquences de la décision du demandeur de diffuser son histoire à la radio :

[Traduction] Et nous devons alors examiner les conséquences qu'a eues cet acte sur vous et sur M. Alam. Dans le cas de M. Alam, nous constatons que la question de sa conduite a été portée à l'attention de son gouvernement au moyen de la lettre adressée au haut-commissaire par votre avocat. Le haut-commissaire y a répondu par la réponse de M. Alam lui-même. On peut raisonnablement déduire que le haut-commissaire a porté l'affaire à l'attention des autorités supérieures compte tenu de son importance. Si le gouvernement l'avait jugée fondée, s'il avait cru ces allégations, il aurait mené une enquête. Il lui a plutôt donné une promotion; il est devenu ambassadeur à Bahrain. Il en ressort qu'il n'avait pas souffert de votre plainte, malgré l'entrevue que vous avez accordée à la radio et malgré cette lettre adressée par votre avocat au haut-commissaire.6

[14]          Il conclut que les menaces subies par le demandeur résultent de la radiodiffusion de son histoire (d'une vendetta personnelle) et non d'un motif énoncé dans le Convention.

[15]          Premièrement, il est clair que la définition de la Convention exige un lien entre la crainte et l'un des cinq motifs énoncés dans la définition d'un réfugié, soit la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social particulier ou les opinions politiques. En l'absence du lien requis, la revendication du statut de réfugié sera rejetée7.

[16]          De plus, comme le précisent la jurisprudence récente, telles les décisions Leon c. MCI8 et Lara c. MCI 9, l'existence d'un lien entre les actes de persécution et un motif énoncé dans la Convention est une question de fait qui relève nettement de l'expertise du tribunal, de sorte que la Cour ne peut intervenir que si le tribunal a rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont il disposait.

[17]          En l'espèce, je crois qu'il était raisonnable que le commissaire conclue, à partir de la preuve dont il disposait, qu'aucun lien n'avait été établi entre la façon dont le demandeur avait été traité par son employeur, M. Alam, et l'un des motifs énoncés dans la Convention.

[18]          Des actes ne deviennent pas des actes de persécution du simple fait que leur auteur est un fonctionnaire du gouvernement10.

[19]          Néanmoins, malgré la conclusion que je viens d'énoncer, je juge nécessaire d'examiner la façon dont le commissaire a apprécié la preuve produite devant lui, soit la preuve concernant la protection assurée par l'État et celle déposée par le demandeur relativement à l'incapacité de l'État de le protéger. Voici les extraits pertinents de sa décision :

[Traduction] Il y avait un haut-commissaire, en l'espèce, et vous auriez pu lui écrire pour lui demander sa protection lorsque vous ou votre famille avez reçu des menaces de M. Alam. Mais vous ne lui avez pas écrit. En fait, la seule lettre versée au dossier porte sur la question du montant que vous deviez recevoir.[...]
[...] Et s'il avait continué à menacer votre famille, je pense que vous auriez été justifié sur le plan moral et peut-être juridique de vous adresser au haut-commissaire ou même d'écrire au ministre des Affaires étrangères en affirmant ne réclamer que le respect de vos droits. Je suis bien conscient que vous n'avez qu'une cinquième année, comme scolarité, mais demander à rencontrer le haut-commissaire n'est pas très compliqué sur le plan de la procédure, et vous ne l'avez pas fait.11

[20]          En effet, les motifs écrits du commissaire démontrent qu'il a mal interprété la preuve produite devant lui. En évaluant la question de savoir si le demandeur avait ou non demandé la protection de l'État, il a manifestement ignoré le fait que le demandeur avait écrit au haut-commissaire par l'intermédiaire de son avocat pour lui exposer notamment les mauvais traitements que lui avait fait subir M. Alam12.

[21]          Toutefois, la question à laquelle nous devons répondre est celle de savoir si cette mauvaise interprétation des faits a eu, sur la décision du commissaire, un incidence telle qu'elle justifie que la Cour intervienne13.

[22]          Comme une revendication du statut de réfugié ne peut être accueillie sans l'existence d'un lien entre la crainte de préjudice et l'un des cinq motifs énoncés dans la Convention, je crois que le fait que le demandeur ait demandé ou non la protection de l'État n'est pas pertinent à cette étape de l'analyse.

[23]          Par conséquent, je suis d'avis que l'interprétation erronée de la preuve en l'espèce n'a pas eu d'incidence sur la décision rendue en définitive par le commissaire, qui a jugé que le demandeur était victime d'une vendetta personnelle plutôt que d'actes de persécution liés au groupe social auquel il appartient. Je crois donc que cette erreur ne justifie pas l'intervention de la Cour14.

[24]          Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25]          L'avocat du demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée :

         La preuve d'un lien substantiel entre l'auteur des actes de persécution et le gouvernement crée-t-elle une présomption raisonnable portant que l'État ne fournira pas sa protection et qu'un lien avec la Convention est donc établi?

[26]          L'avocate du défendeur s'est opposée à la demande de certification en faisant valoir que la réponse à cette question est essentiellement tributaire des faits. Je partage son avis. Par conséquent, je ne certifierai pas cette question aux fins de son examen par la Cour d'appel.



     « Danièle Tremblay-Lamer »

                                     JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

26 janvier 2000.

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-2677-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SAMSU MIA

                     c.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          19 janvier 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :          26 janvier 2000


ONT COMPARU :

Me DAVID MORRIS              POUR LE DEMANDEUR
Me ELIZABETH RICHARDS          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Me DAVID MORRIS              POUR LE DEMANDEUR
Me ELIZABETH RICHARDS          POUR LE DÉFENDEUR

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      Dossier du demandeur, p. 8 et 9.

3      Dossier du demandeur, p. 9 et 10.

4      [1991] 3 C.F. 390 (C.A.F.).

5      L'affidavit du demandeur renvoie à une émission de télévision, voir le Dossier du demandeur, p. 19, par. 33, mais il semble que le commissaire et, par la suite, l'avocat, font allusion à une émission de « radio » . Je comprends qu'il s'agit d'une simple erreur qui n'est pas pertinente quant à la décision finale rendue.

6      Dossier du demandeur, p. 12.

7      Rivero c. Canada (M.C.I.) (22 novembre 1996), IMM-511-96 (C.F. 1re inst.); Xheko c. Canada (M.C.I.) (1998), 153 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.).

8      (19 septembre 1995), IMM-3520-94 (C.F. 1reinst.).

9      (26 février 1999), IMM-438-98 (C.F. 1reinst.).

10      Mousavi-Samani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (30 septembre 1997), IMM-4674-96 (C.F. 1re inst..).

11      Dossier du demandeur, p. 9 et 10.

12      Dossier du demandeur, p. 61 et 62.

13      Peng c. Canada (M.E.I.) (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 220 (C.A.F.).

14      Miranda c. Canada (M.E.I.) (1993), 63 F.T.R. 81; Owusu c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (19 mai 1988), A-895-87 (C.A.F.).

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