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Date : 20010517

Dossier : T-1481-99

Référence neutre : 2001 CFPI 503

ENTRE :

                       LAWRENCE MARTIN DEWOLFE et

                          JOHANN PATRICIA DEWOLFE

                                                                                               demandeurs

                                                    - et -

          SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

   représentée par le SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                           défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON


[1]    Le 19 août 1999, les demandeurs, Lawrence Martin DeWolfe et son épouse Johann Patricia DeWolfe, ont déposé une déclaration contre la défenderesse, dans laquelle ils réclament dommages-intérêts et dépens. Les demandeurs poursuivent la défenderesse pour rupture de contrat par suite du refus de la défenderesse de respecter des ententes verbales et écrites qui auraient été conclues entre les demandeurs et le Service correctionnel du Canada pour la mutation du demandeur Lawrence DeWolfe, de Drumheller, en Alberta, à Gravenhurst, en Ontario, vers un nouvel établissement du Service correctionnel du Canada.

[2]    Le différend entre les parties concerne une portion de l'enveloppe de réinstallation reçue par les demandeurs du Service correctionnel du Canada, à savoir le plan de vente d'habitation garantie (PVHG).

[3]    La défenderesse est d'avis que la Cour n'a pas compétence pour statuer sur l'action des demandeurs et elle demande donc leur déboutement.

[4]    Il s'agit de savoir si les demandeurs doivent suivre la procédure de règlement des griefs établie par la convention collective ou par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35 (la LRTFP). Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que le demandeur Lawrence Martin DeWolfe doit suivre la procédure de règlement des griefs fixée par la LRTFP, et la Cour n'est donc pas compétente pour instruire son action contre la défenderesse.

[5]    Le demandeur Lawrence Martin DeWolfe est un employé du Service correctionnel du Canada. Un différend a surgi avec son employeur à propos de sa réinstallation de Drumheller, en Alberta, à Gravenhurst, en Ontario, et en particulier à propos du PVHG. L'objectif de ce plan, expliqué dans les documents pertinents, est le suivant :

1.             OBJECTIF

1.1           Le PVHG offre aux ministères une aide supplémentaire pour la réinstallation des fonctionnaires au nouveau lieu de travail, en fonction des nécessités du service et des objectifs du programme, afin que les mutations ne soient pas indûment retardées par le fait que le fonctionnaire ne parvient pas à vendre la résidence occupée à l'ancien lieu de travail.

1.2           Le PVHG est mis en vigueur sous forme de projet pilote avec l'option de prorogations dépendant des résultats et des coûts du PVHG ainsi que d'autres considérations de revue du programme.

1.3           Bien que le Secrétariat du Conseil du Trésor soit le responsable de projet, le marché comprend des services de réinstallation destinés aux fonctionnaires d'autres ministères et organismes. Chaque ministère et organisme participant est tenu de gérer et de financer son PVHG selon les conditions du marché et de choisir son propre coordonnateur de la réinstallation.

1.4           Ce marché vise à fournir à certains fonctionnaires mutés des services de réinstallation comprenant la mise sur le marché et la vente garantis de leur résidence et à l'État la facturation directe par l'entrepreneur des frais de clôture autorisées.

[6]    Il ressort très clairement des documents pertinents qu'un employé a le choix entre le PVHG ou les dispositions normales de la directive sur les réinstallations, qui exclut le PVHG.

[7]    Qu'il suffise de dire ici que l'employeur a refusé d'acheter la maison des demandeurs à Drumheller parce que leur maison est « particulière » . Selon l'employeur, la maison échappe aux dispositions du PVHG.


[8]                 Le 11 octobre 1998, M. DeWolfe a déposé un formulaire de présentation d'un grief dans lequel il indique que « la directive sur les réinstallations n'a pas été respectée » . Le 6 novembre 1998, après une décision de la direction concernant son grief, M. DeWolfe a été informé que son grief était renvoyé au niveau régional.

[9]                 Le 17 mai 1999, Mme Nicole Cusson, agente de liaison ministérielle du Service correctionnel du Canada, a rejeté dans les termes suivants le grief de M. DeWolfe :

      [TRADUCTION]

Les circonstances de votre grief ont été examinées. Votre représentant du Bureau national du SESG s'est exprimé en votre nom.

Vous avez finalement été muté dans un poste d'agent correctionnel à l'établissement de Drumheller (voir mesure corrective A), mais il ne s'agit pas d'une affaire qui peut être réglée au moyen du processus de règlement des griefs du Conseil national mixte. Il existe une autre voie de recours pour la solution des problèmes de ce dossier. [Je souligne]

J'ai examiné attentivement l'information se rapportant à vos droits selon la directive sur les réinstallations. Je suis persuadée que, en ce qui a trait à votre réinstallation de Drumheller à Gravenhurst, vous avez obtenu tous les droits auxquels vous étiez admissible en vertu de cette directive.

Votre grief est donc rejeté.

[10]            Comme je l'ai déjà indiqué, les demandeurs ont engagé leur action devant la Cour le 19 août 1999.


[11]            La défenderesse présente deux arguments en ce qui a trait à la compétence. D'abord, elle affirme que les demandeurs n'ont pas conduit le grief jusqu'au palier final de la procédure de règlement des griefs, c'est-à-dire le comité exécutif, comme le prévoit le règlement 14.1.5c) du Conseil national mixte. Deuxièmement, la défenderesse affirme que, en tout état de cause, le grief des demandeurs relève de la LRTFP.

[12]            Comme je l'ai indiqué aux avocats durant l'audience, je suis persuadé que le grief de M. DeWolfe concernant le PVHG ne relève pas de la convention collective et, par conséquent, M. DeWolfe ne peut se prévaloir de la procédure de règlement des griefs énoncée dans la section 14.1 du règlement du Conseil national mixte. La section 14.1.5 du règlement est rédigée ainsi :

14.1.5    Ce grief sera instruit en passant par les paliers suivants :

a)             premier palier - le représentant de l'employeur autorisé à s'occuper des griefs au premier palier;

b)             deuxième palier - agent de liaison ministériel (ALM);

c)             dernier palier - comité exécutif.

[13]            En l'espèce, le grief de M. DeWolfe a été rejeté au premier palier et au deuxième palier. Nicole Cusson, l'agente de liaison ministérielle qui a rejeté le grief de M. DeWolfe, a indiqué clairement dans sa lettre de refus que ce grief n'était pas une matière qui pouvait être résolue au moyen de la procédure de règlement des griefs du Conseil national mixte. C'est également le point de vue exprimé par le représentant syndical de M. DeWolfe, Michel Charbonneau, qui a indiqué ce qui suit à M. DeWolfe :


       [TRADUCTION]

Comme vous pouvez le voir, vous ne trouverez pas dans la liste le programme ou plan de vente d'habitation garantie, de telle sorte que ce régime ne fait pas partie des conventions collectives du CNM.

À mon avis, l'opinion du représentant syndical selon laquelle le PVHG n'entre pas dans la convention collective est exacte. Je suis donc d'avis que M. DeWolfe ne peut se prévaloir de la procédure de règlement des griefs dont parle la convention collective du Conseil national mixte.

[14]            Cependant, je suis d'avis que M. DeWolfe pouvait et peut encore invoquer la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP. Les paragraphes 91(1) et (2) de cette loi sont régis ainsi :



91.(1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé_:

a) par l'interprétation ou l'application à son égard_:

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

    (2) Le fonctionnaire n'est pas admis à présenter de grief portant sur une mesure prise en vertu d'une directive, d'une instruction ou d'un règlement conforme à l'article 113. Par ailleurs, il ne peut déposer de grief touchant à l'interprétation ou à l'application à son égard d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale qu'à condition d'avoir obtenu l'approbation de l'agent négociateur de l'unité de négociation à laquelle s'applique la convention collective ou la décision arbitrale et d'être représenté par cet agent.

91. (1) Where an employee feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

(b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii),

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.

     (2) An employee is not entitled to present any grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies, or any grievance relating to any action taken pursuant to an instruction, direction or regulation given or made as described in section 113.


[15]            Le différend entre M. DeWolfe et son employeur ne relève pas de l'alinéa 91(1)a), mais je suis d'avis qu'il entre clairement dans l'alinéa 91(1)b). Je crois que le grief de M. DeWolfe à l'égard du PVHG constitue un fait autre que ceux mentionnés au sous-alinéa a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi, et qu'aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale.

[16]            Comme je l'ai indiqué aux avocats durant l'audience, la limite au droit de l'employé d'invoquer la procédure de règlement des griefs de la LRTFP, limite énoncée au paragraphe 91(2), ne s'applique pas d'après moi aux matières relevant de l'alinéa 91(1)b).

[17]            Je suis donc d'avis que M. DeWolfe aurait dû épuiser les recours à sa disposition avant de s'adresser à la Cour. Dans l'affaire Gregoire Panagopoulos c. Sa Majesté la Reine, [1990] A.C.F. no 234, 15 mars 1990 (C.F. 1re inst.), mon collègue le juge Dubé s'est exprimé ainsi, au paragraphe 20 de ses motifs :


La Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique est un code complet régissant les rapports entre Sa Majesté et ses employés. En vertu des clauses précitées, la procédure de grief est la seule procédure de redressement ouverte au demandeur. [...]

[18]            Dans l'affaire Johnson-Paquette c. Canada, [1998] no 1741, le 26 novembre 1998 (C.F. 1re inst.), le demandeur, une employée de la Couronne fédérale, aurait introduit devant la Cour une action en dommages-intérêts contre la Couronne parce qu'un collègue de travail l'avait agressée physiquement, avait usé contre elle de l'intimidation et lui avait infligé volontairement un choc nerveux. La demanderesse affirmait que les cadres supérieurs de son ministère, le Service canadien de prêts aux étudiants, n'avaient pas su traiter ses plaintes et la prémunir contre le danger.

[19]            Comme c'est le cas en l'espèce, la Couronne avait présenté une requête demandant le rejet de la poursuite au motif que la Cour n'avait pas compétence pour instruire l'action de la demanderesse. La Couronne affirmait que le différend relevait de la convention collective, laquelle soumettait tous les différends au mécanisme de règlement prévu par la LRTFP.


[20]            Le juge Tremblay-Lamer a estimé que, puisque le litige entre la demanderesse et son collègue n'entrait pas dans la convention collective, ce litige devait être résolu au moyen de la procédure de règlement des griefs prévue par l'article 91 de la LRTFP. S'agissant du litige entre la demanderesse et son employeur, le juge Tremblay-Lamer a estimé que ce litige entrait dans la convention collective et, partant, devait être résolu conformément aux conditions de cette convention. Aux paragraphes 14, 15, 16 et 17 de ses motifs, le juge Tremblay-Lamer explique ainsi le problème :

Les agissements du collègue ne tombent pas dans le champ d'application de la convention collective, qui régit les relations entre employeur et employé. Un plaignant doit donc recourir directement à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et à la procédure de grief prévue aux articles 91 et suivants, comme nous le verrons infra.

Par contre, la supposée inaction de l'employeur face au harcèlement est expressément prévue dans la convention collective. Cependant, le résultat est le même, puisque l'article M-38.02 de cette convention prévoit que les griefs sous ce chef doivent être aussi présentés sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique :

M-38.02     Sous réserve de l'article 90 (l'article 91 actuel) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et en application de celui-ci, l'employé qui se croit traité avec injustice ou lésé par un acte ou omission de l'employeur dans des matières autres que le processus de classification, peut présenter un grief selon les modalités prévues à l'article M-38.05, sauf les cas suivants :

a)                     au cas où la plainte de l'employé relève d'une autre procédure administrative prévue par une loi fédérale, c'est cette procédure qui sera suivie;

b)                     au cas où le grief porte sur l'intervention de la présente convention collective, de la convention spécifique du groupe auquel il appartient ou d'une sentence arbitrale, l'employé n'a pas le droit de présenter un grief sauf approbation de l'Alliance qui le représentera dans ce cas.

Les termes généraux de cet article, qui embrassent « tout acte ou omission de l'employeur » , couvrent certainement le cas de la demanderesse.

La procédure de grief est prévue aux articles 91 et suivants de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Voici ce que prévoit l'alinéa 91(1)b) :

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

...


b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

Les faits de la cause sont couverts par les termes généraux de cette loi. La demanderesse est une « fonctionnaire » au sens de la définition de l'article 2 de la Loi, et ses chefs de conclusions sont certainement couverts par les mots « tout fait portant atteinte à ses conditions d'emploi » .

[21]            Par conséquent, le grief de M. DeWolfe doit être présenté jusqu'au palier final inclusivement du mécanisme de règlement des griefs prévu par la LRTFP. Je souscris donc à la position adoptée par la défenderesse selon laquelle la Cour n'a pas compétence dans la présente affaire. La requête de la défenderesse doit donc être accueillie. L'action de M. DeWolfe est rejetée.

[22]            S'agissant de l'autre demanderesse, Mme DeWolfe, elle n'est pas une employée de la Couronne et elle peut donc continuer son action. La requête de la défenderesse en ce qui concerne l'action de Mme DeWolfe est donc rejetée.

[23]            Il n'y a pas d'adjudication de dépens dans cette requête.

                                                                            « Marc Nadon »

                                                                                                Juge

O T T A W A (Ontario)

le 17 mai 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-1481-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             LAWRENCE MARTIN DEWOLFE ET AUTRES c. SA MAJESTÉ LA REINE

AVIS DE REQUÊTE JUGÉE SUR PIÈCES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE NADON

EN DATE DU                                       17 MAI 2001

OBSERVATIONS ÉCRITES DE :

DAVID J. SALMON,                           POUR LES DEMANDEURS

DEREK EDWARDS,                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SALMON & COMPANY                                 POUR LES DEMANDEURS

CALGARY (ALBERTA)

MORRIS ROSENBERG                                    POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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