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Date : 20200709


Dossier : IMM-4741-19

Référence : 2020 CF 752

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

ADRIAN EDMOND PASCAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Après que monsieur Adrian Pascal fut déclaré interdit de territoire pour grande criminalité et criminalité organisée, une mesure de renvoi du Canada vers la Jamaïque a été prise contre celui-ci. Celui-ci a demandé un examen des risques avant renvoi [ERAR], faisant valoir qu’il serait exposé à des risques en Jamaïque en tant que demandeur d’asile débouté, personne qui a été reconnue au Canada comme criminel et membre d'un gang, et personne dont le casier judiciaire serait connu des autorités jamaïcaines. Il a affirmé que ces facteurs l’exposeraient à un risque de la part de la police jamaïcaine et de criminels et de gangs criminels en Jamaïque.

[2]  Un agent d’ERAR a refusé la demande, concluant que M. Pascal n’avait pas démontré qu’il était une personne à protéger. L’agent d’ERAR a conclu qu’il était hautement improbable que M. Pascal soit exposé à des risques en tant que demandeur d’asile débouté et que même si des assassinats extrajudiciaires par la police constituaient un problème, ils étaient rares. Il a aussi conclu que peu d’éléments de preuve laissaient entendre que M. Pascal était susceptible de faire partie du faible pourcentage de la population touchée par le risque de violence liée aux gangs. M. Pascal soutient que le refus de sa demande était déraisonnable, puisque l’agent d’ERAR a omis d’évaluer correctement les risques mentionnés, et qu’il n’a pas évalué le risque occasionné par la convergence des divers facteurs de risque soulevés.

[3]  Je conclus que la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable. L’agent a tenu compte des risques mentionnés par M. Pascal et de la preuve déposée et il a conclu de façon raisonnable que M. Pascal n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque personnel de menace à sa vie, de traitements ou peines cruels et inusités ou d’être soumis à la torture. Étant donné les conclusions de l’agent d’ERAR à l’égard de ces risques, ses conclusions générales étaient également raisonnables. De plus, malgré le fait que M. Pascal n’ait pas produit d’éléments de preuve ni fourni d’observations en ce qui concerne ces risques cumulatifs, l’agent d’ERAR a examiné la totalité de la preuve lorsqu’il a évalué la question de savoir si M. Pascal avait établi qu’il serait personnellement exposé à un risque.

[4]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. La demande de contrôle judiciaire de M. Pascal visant la conclusion de la Section de l’immigration selon laquelle il était interdit de territoire pour criminalité organisée a été entendue en même temps que la présente demande. Des motifs distincts pour le rejet de sa demande sont publiés en même temps à 2020 CF 751.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[5]  M. Pascal soulève les questions suivantes dans sa demande :

  1. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en évaluant le risque auquel il était exposé :

  • (1) de la part de la police jamaïcaine?

  • (2) De la part de criminels et de gangs criminels en Jamaïque?

  • (3) En tant que demandeur d’asile débouté en Amérique du Nord?

  1. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en tenant compte de ces risques séparément et en omettant d’évaluer dans sa totalité le risque cumulatif auquel était exposé M. Pascal?

[6]  Les parties reconnaissent que la décision de l’agent d’ERAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Asiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1025, au paragraphe 11; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 80, aux paragraphes 17 et 18. Le récent arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, rendu après l’audition de la présente affaire, confirme simplement que la norme de la décision raisonnable s’applique : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 16 et 17, 23 à 25).

[7]  L’examen selon la norme de la décision raisonnable nécessite l’évaluation de la question de savoir si la décision contestée est justifiée, transparente et intelligible. En d’autres termes, l’examen selon cette norme porte sur la question de savoir si les motifs permettent à la Cour de comprendre pourquoi la décision a été prise et de déterminer si la conclusion est raisonnable : Asiri, au paragraphe 12; Vavilov, aux paragraphes 15, 79, 86 et 87. La Cour ne doit pas soupeser à nouveau les éléments de preuve ou substituer l’issue qui serait à son avis préférable : Asiri, au paragraphe 12; Vavilov, au paragraphe 125.

III.  Analyse

A.  L’agent d’ERAR a-t-il évalué de façon raisonnable les risques auxquels serait exposé M. Pascal?

[8]  La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] permet à une personne au Canada visée par une mesure de renvoi de demander la protection au moyen d’un ERAR : LIPR, article 112. Un ERAR a été décrit comme « la dernière évaluation officielle des risques faite pour les personnes admissibles avant leur renvoi du Canada » : Valencia Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1, au paragraphe 1. Il vise à garantir que des personnes ne soient pas renvoyées dans un pays elles risquent la persécution, la torture ou l’exposition à une menace à leur vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités : Valencia Martinez, au paragraphe 1; LIPR, articles 96 et 97, 112 et 113. Dans le cas de M. Pascal, un ERAR était possible uniquement pour les motifs visés à l’article 97, soit qu’il est une personne à protéger, puisqu’il a été déclaré interdit de territoire pour criminalité organisée et grande criminalité : LIPR, articles 36, 37, alinéas 112(3)a) et b), 113 d).

[9]  Le contexte de l’interdiction de territoire de M. Pascal, et donc de sa demande d’ERAR, est indiqué dans le constat d’interdiction de territoire prononcé par la Section de l’immigration, publié dans Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CanLII 90444 (CA CISR) et dans la décision de la Cour sur le contrôle judiciaire de cette décision, 2020 CF 751.

[10]  La demande d’ERAR de M. Pascal relevait les risques associés aux accusations criminelles et aux déclarations de culpabilité dont il a fait l’objet, les allégations formulées contre lui pour son adhésion à une organisation criminelle appelée Galloway Boys et les risques auxquels sont exposés les demandeurs d’asile déboutés en Jamaïque. Il conteste l’évaluation faite dans l’ERAR de chacun de ces risques.

(1)  Risques de la part de la police jamaïcaine

[11]  Bien qu’il nie faire partie des Galloway Boys et qu’il souligne qu’il n’a jamais été condamné pour une infraction de possession d’une arme ou d’association à un gang criminel, M. Pascal a soutenu que les renseignements disponibles dans Internet amèneraient les gens à le percevoir comme un criminel violent associé à des gangs. De plus, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) partagerait les renseignements au sujet de M. Pascal avec les autorités jamaïcaines, de sorte que ces dernières seraient au courant des allégations d’adhésion à un gang qui ont mené à son renvoi. M. Pascal a renvoyé à la preuve selon laquelle la police en Jamaïque a recours à la violence extrajudiciaire et aux assassinats contre des personnes qu’elle perçoit comme des criminels, des membres de gangs en particulier, appliquant une « justice que l’appareil judiciaire ne prévoit pas ». Il a cité des rapports selon lesquels, en moyenne, 200 assassinats ont été commis par la police au cours de la période de 2000 à 2012, dont 236 en 2011 et 219 en 2012, ainsi qu’un rapport d’Amnistie internationale selon lequel au moins 272 assassinats ont été commis par la police en 2007.

[12]  L’agent d’ERAR a examiné les renseignements indiquant que la Commission indépendante d’enquête (INDECOM), l’organisme créé par le parlement jamaïcain, qui enquête sur les abus commis par les agents de l’État, a reçu 168 rapports portant sur des décès liés aux forces de sécurité en 2017, et 122 rapports en 2018. L’agent d’ERAR a conclu que [traduction« bien que les assassinats extrajudiciaires soient un problème, il semble qu’ils soient rares ».

[13]  M. Pascal soutient que l’argent d’ERAR n’a pas abordé adéquatement ce risque et qu’il a renvoyé sans motif raisonnable aux statistiques du gouvernement jamaïcain, qui indiquaient un nombre réduit de décès causés par la police par rapport aux sources indépendantes qu’il a citées, sans expliquer pourquoi il l’a fait. Il affirme que cette préoccupation est exacerbée par la motivation de l’État de minimiser le problème de la violence exercée par l’État.

[14]  Je ne puis souscrire à ces arguments, et ce, pour trois raisons. Tout d’abord, la raison pour laquelle l’agent d’ERAR a mentionné les statistiques est claire de prime abord. Comme l’agent d’ERAR l’a souligné, l’ERAR est un exercice prospectif. Les renseignements les plus récents sont donc plus pertinents quant à cette évaluation. Les chiffres les plus récents cités par M. Pascal remontent à 2012, alors que certains remontent à 2007 et même à 2000. L’agent d’ERAR a examiné des chiffres équivalents de 2017 et 2018, ce qui n’est pas déraisonnable pour une décision rendue en 2019, même sans autre explication. En effet, comme le souligne le ministre, les statistiques les plus récentes étaient incompatibles avec les statistiques antérieures, puisque les rapports antérieurs indiquaient que les taux d’assassinat par la police en Jamaïque diminuaient. La preuve citée par M. Pascal n’était donc pas [traduction] « contraire » comme il l’allègue, mais simplement plus détaillée.

[15]  Ensuite, contrairement aux arguments de M. Pascal, les statistiques qu’il a citées et celles citées par l’agent d’ERAR proviennent de sources émanant du gouvernement jamaïcain. Les chiffres 236 et 219 cités par M. Pascal figurent dans une réponse aux demandes d’information datant du 14 janvier 2013 publiée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulée Jamaïque : information sur la criminalité, y compris sur le crime organisé; les mesures prises par la police et l’État, y compris leur efficacité; la protection offerte par l’État aux témoins et aux victimes de crimes (2009-décembre 2012). Le chiffre 236 provient d’un rapport du département d’État des États-Unis de 2012, qui citait des [traduction« statistiques officielles ». Le chiffre 219 cité dans les médias provient du même organisme, soit INDECOM, qui est la source des chiffres utilisés par l’agent d’ERAR. Les chiffres figurant dans le rapport international de 2008, comme les 272 assassinats en 2007, proviennent du Bureau des enquêtes spéciales (Bureau of Special Investigations) de la force constabulaire de la Jamaïque. Rien ne donne donc à penser que certains des chiffres sont plus fiables que d’autres puisqu’ils proviennent d’une [traduction« source indépendante » et non de [traduction« statistiques émanant du gouvernement jamaïcain ».

[16]  Troisièmement, l’argument de M. Pascal selon lequel il est déraisonnable pour l’agent d’ERAR de décrire les 122 assassinats commis par la police comme étant [traduction« rares » doit aussi être rejeté. Bien que je reconnaisse que dans certains cas il peut être déraisonnable de qualifier de [traduction« rare » un cas qui ne l’est pas, je ne crois pas que l’emploi du terme soit déraisonnable en l’espèce. Nous ne considérerions certainement pas que de nombreux assassinats commis par la police au Canada seraient [traduction« rares », peu importe s’ils sont extrajudiciaires ou non. Toutefois, il est évident que l’agent d’ERAR a tenu compte du contexte relevé en Jamaïque et a évalué la probabilité que M. Pascal soit victime d’un assassinat. Dans les circonstances, je ne peux pas conclure qu’il était déraisonnable pour l’agent d’ERAR de qualifier les assassinats extrajudiciaires en Jamaïque de [traduction« problème », mais qu’ils étaient [traduction« rares ».

(2)  Risque de la part de criminels et de gangs

[17]  M. Pascal a affirmé qu’il y avait un risque que les gangs locaux en Jamaïque le perçoivent comme un membre de gang et cherchent à le recruter. Il refuserait et ces gangs le percevraient comme un rival, ce qui l’exposerait à un risque de violence liée aux gangs. Il a cité des éléments de preuve de violence liée aux gangs et des taux d’homicide, notant que le pourcentage élevé de meurtres en Jamaïque était lié aux gangs.

[18]  L’agent d’ERAR a rejeté cet argument, déclarant d’abord que M. Pascal avait fourni peu d’éléments de preuve selon lesquels il n’est pas déjà affilié aux Galloway Boys et a fait remarquer qu’il existe des liens serrés entre les organisations criminelles au Canada et en Jamaïque. Il a conclu que bien que les taux d’homicide et les taux d’homicide liés à des gangs en particulier, représentent un problème sérieux, peu d’éléments de preuve donnent à penser que M. Pascal ferait partie du faible pourcentage de la population jamaïcaine touchée.

[19]  M. Pascal soutient que l’agent a inversé de façon déraisonnable le fardeau de la preuve de sorte qu’il devait établir qu’il n’est pas membre des Galloway Boys. À mon avis, cette affirmation exagère le raisonnement de l’agent d’ERAR. Ce dernier a évalué l’argument de M. Pascal selon lequel il deviendrait une recrue forcée d’un gang jamaïcain parce qu’il serait perçu comme étant un membre d’un gang au Canada. La principale difficulté de cet argument est qu’il n’est pas étayé par la preuve et, comme l’avocat l’a reconnu durant la plaidoirie, il s’agit simplement d’une théorie. L’agent d’ERAR a souligné l’absence d’éléments de preuve pour appuyer la théorie, étant donné le contexte inhabituel dans lequel M. Pascal affirmait qu’il n’était pas membre d’un gang, mais qu’il serait néanmoins perçu comme tel. À mon avis, l’agent d’ERAR n’a pas inversé le fardeau de preuve ni conclu que M. Pascal était membre d’un gang.

[20]  Au contraire, l’agent d’ERAR a conclu que peu d’éléments de preuve laissaient entendre que M. Pascal ferait partie du faible pourcentage de la population touchée par le risque d’assassinats commis par des gangs. L’agent d’ERAR a aussi examiné le renvoi par M. Pascal à la décision Burton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 549, faisant remarquer que bien que M. Burton fut membre d’un gang qui travaillait pour la police, ce n’était pas le cas de M. Pascal. Même si M. Pascal a soutenu qu’il serait particulièrement exposé à de la violence en tant que membre de gang perçu (sans que ce soit le cas), il ne pouvait pas présenter d’éléments de preuve donnant à penser que ce groupe était exposé à des risques supérieurs à ceux visant la population générale.

[21]  À cet égard, je suis d’accord avec le ministre pour dire que la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle la situation de M. Pascal différait de celle de M. Burton, était raisonnable. Dans la décision Burton, l’agent d’ERAR a reconnu que des membres de gangs pouvaient constituer une menace pour M. Burton, notant que les « personnes connues comme étant des indicateurs de police en Jamaïque sont souvent victimes de violence de la part des organisations criminelles » : Burton, aux paragraphes 14 et 15. En l’espèce, l’agent d’ERAR a souligné que M. Pascal n’était pas un indicateur de police, ni perçu comme tel, ce qui est un point de distinction important, même si on accepte que les membres de gang perçus qui nient leur adhésion sont tout aussi exposés à des risques élevés de la part de véritables membres de gang.

[22]  M. Pascal fait remarquer la conclusion tirée dans la décision Burton selon laquelle l’agent dans cette affaire n’a pas examiné les risques auxquels était exposé M. Burton en tant que personne ayant été publiquement reconnue comme un criminel ayant fait l’objet d’une condamnation et un membre d’un gang : Burton, au paragraphe 21. Toutefois, en plus du fait que M. Pascal n’a pas été condamné comme membre d’un gang (même s’il est un criminel ayant fait l’objet d’une condamnation) et qu’il nie son affiliation à des gangs, les conclusions tirées dans la décision Burton concernaient celle de l’agent selon laquelle la protection de l’État existe en Jamaïque : Burton, aux paragraphes 16 à 18, 21 à 29. En l’espèce, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait aucune probabilité de risque au sens de l’article 97, de sorte que la question de la protection de l’État ne se posait pas. Je souligne, comme l’a fait le ministre, que ces points de distinction d’avec la décision Burton ont aussi été mentionnés par le juge Gleeson dans la décision Johnson, une affaire qui portait aussi sur une perception d’adhésion à un gang lors du retour en Jamaïque : Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 68, aux paragraphes 9 à 11.

[23]  Bien qu’elle soit brève, je ne peux pas conclure que l’évaluation faite par l’agent d’ERAR du risque d’être tué et de subir des violences auquel serait exposé M. Pascal de la part de gangs criminels à titre de membre perçu d’un gang était déraisonnable.

(3)  Risque pour les demandeurs d’asile déboutés

[24]  M. Pascal a aussi soutenu [traduction« de façon plus générale » que les demandeurs d’asile déboutés revenant de l’Amérique du Nord sont perçus comme étant aisés en Jamaïque et qu’ils sont donc victimes de crimes violents. Il a cité un article journal de 2018 au soutien de cette observation. L’agent d’ERAR a examiné cette observation ainsi que l’article, faisant remarquer que peu d’éléments de preuve étayaient le fait qu’une partie importante des personnes qui reviennent de pays occidentaux sont ciblées, étant donné que même les chiffres de l’article démontrent que l’assassinat de demandeurs d’asile déboutés était hautement improbable. De plus, M. Pascal soutient que l’expression [traduction« hautement improbable » est déraisonnable. Pour les raisons susmentionnées en ce qui concerne le terme [traduction« rares », je n’accepte pas qu’il fût déraisonnable pour l’agent d’ERAR de décrire les risques de cette façon. C’est particulièrement le cas étant donné que l’article invoqué par M. Pascal concerne les [traduction« expatriés jamaïcains qui prennent leur retraite là-bas », une situation qui ne s’applique pas à M. Pascal.

B.  L’agent d’ERAR n’a pas omis de façon déraisonnable d’évaluer le risque global

[25]  M. Pascal affirme que l’agent d’ERAR a de façon déraisonnable utilisé une approche [traduction« cloisonnée » pour aborder les risques mentionnés et qu’il a omis de tenir compte du risque cumulatif découlant d’une combinaison des facteurs susmentionnés. Il invoque les décisions de la Cour dans PK c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 969, et KS c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 999, pour étayer l’affirmation selon laquelle il est déraisonnable d’examiner les facteurs de risque isolément et de ne pas les évaluer cumulativement. Je ne suis pas de cet avis.

[26]  Je note que M. Pascal n’a pas formulé d’observations à l’intention de l’agent d’ERAR en ce qui concerne l’effet cumulatif des risques qu’il a mentionnés. À cet égard, il faut reconnaître que bien que M. Pascal ait renvoyé à différentes sources de risque potentiel (police jamaïcaine, criminels et gangs), il a au bout du compte mentionné uniquement deux aspects de son profil qui donnent lieu à des risques : le fait d’être perçu comme un criminel violent associé à un gang et le fait d’être un demandeur d’asile débouté revenant du Canada. M. Pascal n’a formulé aucune observation à l’intention de l’agent d’ERAR, et n’a fourni aucun élément de preuve, quant à la façon dont ces aspects de son profil peuvent cumulativement augmenter les risques à son égard. Autrement dit, aucun renseignement n’a été présenté quant à la façon dont le fait d’être perçu comme un criminel violent associé à un gang de retour du Canada était différent du fait d’être perçu comme un criminel violent associé à un gang en Jamaïque. Au contraire, comme je l’ai mentionné, les renseignements invoqués par M. Pascal en ce qui concerne les risques associés à un demandeur d’asile débouté concernaient les expatriés revenant en Jamaïque à leur retraite.

[27]  En tout état de cause, après avoir examiné chacune des allégations de risque soulevées par M. Pascal, l’agent d’ERAR a souligné que la question du risque était prospective et [traduction« qu’il s’agissait de risques auxquels le demandeur serait personnellement exposé ». L’agent d’ERAR a continué en soulignant ce qui suit :

[traduction] 

Selon l’ensemble des renseignements dont je dispose, je conclus que la preuve du demandeur ne permet pas d’établir que la police, les gangs ou des personnes ont un intérêt constant à s’en prendre à lui. Le demandeur a fourni peu de renseignements personnels pour donner à penser qu’une personne ou un groupe de personnes, en Jamaïque, visent actuellement à lui faire du tort.

[Non souligné dans l’original.]

[28]  Bien qu’elles soient brèves, je suis convaincu que, dans le contexte de l’intégralité de la décision d’ERAR, ces déclarations montrent que l’agent d’ERAR a examiné l’ensemble de la preuve de M. Pascal afin d’évaluer la question de savoir s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il était susceptible d’être exposé à un risque et qu’il était donc une personne à protéger.

[29]  Je souligne que, compte tenu des risques particuliers que M. Pascal a mentionnés, la situation est très différente de celle où divers aspects du profil d’une personne peuvent cumulativement occasionner plus qu’une simple possibilité de risque, même si ce n’est pas le cas de chaque aspect. Par exemple, la décision KS portait sur la question de savoir si le demandeur – un Tamoul provenant du nord du Sri Lanka, qui avait des cicatrices visibles, avait un frère membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), avait été passager sur le navire Sun Sea, avait été interrogé par les autorités canadiennes et avait été débouté d’une demande d’asile – était exposé à un risque de persécution de la part des autorités sri lankaises en tant que partisan des TLET : KS, aux paragraphes 30, 43 à 46. Le juge Southcott a conclu qu’il était déraisonnable de ne pas tenir compte de la façon dont ces facteurs pouvaient contribuer cumulativement au risque qu’il soit considéré comme un partisan des TLET et exposé à un risque de persécution : KS, aux paragraphes 46 à 49. Ce n’est pas le cas de M. Pascal.

IV.  Conclusion

[30]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4741-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de juillet 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4741-19

 

INTITULÉ :

ADRIAN EDMOND PASCAL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DU JUGEMENT DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2020

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gregory George

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk and Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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