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Date : 20200717


Dossier : IMM-5579-19

Référence : 2020 CF 768

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

RU LIU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Ru Liu, demande le contrôle judiciaire de la décision, en date du 24 juillet 2019, par laquelle un agent principal de l’immigration [l’agent] a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR].

[2]  La demanderesse est citoyenne de la Chine. Elle est devenue résidente permanente du Canada en 2004. Le 4 mars 2017, elle a été frappée d’une mesure d’interdiction de séjour pour non-respect des conditions de résidence prévues à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La demanderesse a vécu avec ses parents en Chine de mars 2014 à mars 2017, où elle affirme avoir reçu [traduction] « une acupuncture chinoise authentique » pour traiter la dépression dont elle souffre depuis 2005.

[3]  La demanderesse a interjeté appel de la mesure d’interdiction de séjour devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI]. Le 6 octobre 2017, la SAI a prononcé le désistement de l’appel.

[4]  Le 8 août 2018, la demanderesse a présenté une demande d’ERAR. Dans cette demande, elle allègue craindre la persécution en Chine en raison de son appartenance à un groupe social particulier, à savoir, les femmes. Elle allègue également qu’elle serait exposée à un risque de stigmatisation et de discrimination en Chine en raison de son problème de santé mentale.

[5]  Le 24 juillet 2019, l’agent a rejeté la demande au motif que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle risquait de subir un préjudice grave en Chine en raison de son problème de santé mentale ou de son sexe.

[6]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Elle soutient que l’agent d’ERAR a omis : 1) d’examiner de façon convenable le risque allégué, soit le fait que les personnes souffrant de troubles mentaux sont stigmatisées et victimes de discrimination en Chine; 2) de faire la différence entre le risque personnalisé et le risque généralisé.

II.  Analyse

[7]  La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 10 [Vavilov]). La présomption n’a pas été réfutée en l’espèce, étant donné qu’aucune des exceptions à la règle ne s’applique (Vavilov, aux par. 10 et de 16 à 17).

[8]  En donnant des orientations sur ce qui constitue une décision raisonnable dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a expliqué « [qu]’une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov, au par. 97). Il ne s’agit pas d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au par. 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci », la cour de révision doit s’abstenir de remplacer la décision qui a été rendue par une décision ayant le résultat qu’elle aurait préféré (Vavilov, au par. 99). C’est à la partie qui conteste la décision qu’il incombe d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au par. 100).

[9]  La demanderesse allègue qu’il ne se dégage des motifs de l’agent aucun examen convenable de l’argument de la demanderesse selon lequel les personnes souffrant de troubles mentaux sont stigmatisées, marginalisées et victimes de discrimination en Chine et que ce traitement est cruel et pourrait équivaloir à de la persécution aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. L’agent s’est plutôt contenté d’examiner l’accès de la demanderesse aux soins médicaux en Chine. S’appuyant sur la décision Level c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 251, rendue par notre Cour, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en faisant abstraction du risque avancé par la demanderesse ou en ne l’appréciant pas correctement.

[10]  Je ne suis pas convaincue par l’argument de la demanderesse.

[11]  Après examen des motifs de l’agent et des observations de la demanderesse relatives à sa demande d’ERAR, je suis convaincue que l’agent a raisonnablement tenu compte de l’argument de la demanderesse concernant la stigmatisation, la marginalisation et la discrimination des personnes souffrant de troubles mentaux en Chine. L’agent a expressément pris note et cité des éléments de preuve documentaire objectifs qui faisaient état de la nécessité de poursuivre les efforts visant à promouvoir la reconnaissance et la déstigmatisation de la maladie mentale en Chine. Il a également souligné que la demanderesse avait vécu en Chine de mars 2014 à mars 2017 et qu’il n’y avait aucune preuve démontrant qu’elle avait fait l’objet de discrimination ou de persécution pendant son séjour en Chine. L’agent a conclu en fin de compte que la preuve de la demanderesse était insuffisante pour établir qu’elle serait exposée à un risque de persécution ou qu’elle aurait besoin de protection en raison de son problème de santé mentale si elle retournait en Chine. Bien que la demanderesse puisse souhaiter que l’agent fournisse une analyse plus détaillée sur la question, les motifs de l’agent rendent compte des observations et des éléments de preuve dont il disposait.

[12]  En outre, les commentaires de l’agent au sujet de la possibilité pour la demanderesse d’avoir accès à des soins médicaux appropriés en Chine constituent une réponse directe à l’affirmation de cette dernière, dans ses observations relatives à sa demande d’ERAR, selon laquelle la Chine n’est pas bien équipée pour traiter les maladies mentales. L’agent répondait également à un article de presse fourni par la demanderesse qui portait à la fois sur l’accès aux services de santé mentale et la stigmatisation.

[13]  L’argument de la demanderesse selon lequel l’agent n’a pas fait la différence entre le risque personnalisé et le risque généralisé est également sans fondement. Certes, l’agent admet que les résidents de la Chine peuvent faire l’objet de discrimination en raison de caractéristiques personnelles telles que l’âge, le sexe ou un problème de santé mentale, mais il a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle risquait personnellement de subir un préjudice grave si elle retournait en Chine. Même si je conviens que les motifs de l’agent auraient pu être plus clairement formulés lorsqu’il a indiqué que le risque de la demanderesse ne différait pas de celui de la population en général, je suis convaincue que l’agent n’affirmait pas que toute la population de la Chine souffrait de problèmes de santé mentale, comme le prétend la demanderesse. Je suis également convaincue que l’agent n’a pas confondu les critères prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR.

[14]  À mon avis, l’agent a simplement formulé des commentaires au sujet de la nécessité que la demanderesse établisse un lien entre sa situation personnelle et la situation en Chine. Il ne suffisait pas à cette dernière de se contenter d’invoquer son problème de santé mentale, son âge et son sexe. À l’exception d’un nombre limité d’éléments de preuve documentaire faisant état des conditions générales en Chine des personnes souffrant de problèmes de santé mentale et des femmes âgées, la demanderesse n’a produit aucune preuve pour démontrer qu’elle risquait sérieusement d’être persécutée si elle revenait en Chine ou qu’elle aurait besoin de protection. Au contraire, les éléments de preuve de la demanderesse elle-même démontraient qu’elle était retournée en Chine plusieurs fois depuis qu’elle était devenue résidante permanente du Canada en 2004 et qu’elle y avait vécu de 2014 à 2017. Lorsqu’elle est rentrée de Chine en mars 2017, elle a dit à l’agent des services frontaliers qui l’a interrogée qu’elle avait déménagé en Chine parce qu’elle était malade et avait besoin de traitements spéciaux d’acupuncture, car les traitements au Canada n’étaient pas aussi bons que ceux en Chine. Bien qu’elle ait vécu en Chine pendant trois (3) ans, il n’y a aucune allégation ou preuve au dossier que la demanderesse a éprouvé des difficultés ou une discrimination en raison de son problème de santé mentale, de son sexe ou de son âge.

[15]  En conclusion, je suis d’avis que la décision, prise dans son ensemble, satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans Vavilov.

[16]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[17]  Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5579-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5579-19

INTITULÉ :

RU LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juillet 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT DE DES MOTIFS :

Le 17 JUILLET 2020

COMPARUTIONS :

Pia Zambelli

pour la demanderesse

Chantal Chatmajian

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph W. Allen & Associates

Montréal (Québec)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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