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                                                                                                                                 Date : 19990514

                                                                                                                    Dossier : IMM-2753-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 MAI 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

                                                              YEUH BUN HUEY,

                                                  également connu sous les noms de

                                                     RUIBIN XU et RUIBIN CAI,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                                ORDONNANCE

            LA COUR, STATUANT sur la présente demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 1er avril 1998 par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, après audition des parties à Toronto (Ontario) le 6 mai 1999, et vu la question grave de portée générale dont le défendeur a demandé la certification :

1.          REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.


2.          REFUSE de certifier la question grave de portée générale.

                                                                                                            « Allan Lutfy »              

                                                                                                                        J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 19990514

                                                                                                                    Dossier : IMM-2753-98

ENTRE :

                                                              YEUH BUN HUEY,

                                                  également connu sous les noms de

                                                     RUIBIN XU et RUIBIN CAI,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]         Le demandeur est un ressortissant de la République populaire de Chine. En avril 1997, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que requérant indépendant pour l'emploi de Cuisinier - Plats exotiques (CCDP 6121-126). Dans sa lettre de décision en date du 1er avril 1998, l'agente des visas a confirmé qu'elle avait évalué le demandeur par rapport à son emploi envisagé, mais elle lui a accordé soixante-deux points d'appréciation, soit huit points de moins que le minimum requis.

[2]         Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient qu'il aurait dû obtenir six points au lieu de deux pour l'expérience, treize points au lieu de dix pour les études et six points au lieu de deux pour la connaissance de l'anglais. Ces onze points supplémentaires auraient porté le total du demandeur à soixante-treize points d'appréciation.

[3]         Le demandeur a fait ses études primaires et secondaires dans sa ville natale, Taishan, en Chine. En 1990, il a obtenu un diplôme de fin d'études de la Xushan Middle School. Immédiatement après avoir obtenu son diplôme, à l'âge de dix-neuf ans, le demandeur a été recruté comme sous-chef de cuisine à la cantonaise par un restaurant de Taishan. Deux ans plus tard, il était promu chef de cuisine à la cantonaise dans le même restaurant. En avril 1997, un certificat de cuisinier intermédiaire de niveau II lui a été décerné par une instance municipale[1].

(i)          Appréciation des études

[4]         Pour évaluer le demandeur par rapport au facteur études, l'agente des visas a tenu compte des études à temps partiel en anglais que le demandeur a faites pendant dix mois en 1994 et 1995. Au terme de ces études, il a obtenu un certificat de renforcement en anglais de la Zongshan University. En contre-interrogatoire, l'agente des visas a déclaré que le demandeur lui a dit qu'il suivait des cours d'anglais le matin, avant de commencer sa journée au restaurant à 11 h. Comme elle était convaincue qu'il s'agissait d'études à temps partiel, elle a accordé dix points au demandeur pour les études.

[5]         Treize points doivent être attribués au demandeur pour les études s'il a obtenu un diplôme ou un certificat d'apprentissage qui comporte « au moins un an d'études à temps plein en salle de cours » [2]. Il est rare qu'une personne puisse exercer un emploi lucratif à temps plein comme chef et remplir en même temps la condition relative à « au moins un an d'études à temps plein en salle de cours » . Même si cela pouvait être possible dans certaines circonstances exceptionnelles, je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion de l'agente des visas selon laquelle le demandeur poursuivait des études en anglais à temps partiel et ne remplissait pas la condition relative à l'année d'études à temps plein en salle de cours.

(ii)         Appréciation de la langue

[6]         En ce qui concerne la connaissance de l'anglais, le demandeur précisait dans son formulaire de demande de résidence permanente qu'il parlait, lisait et écrivait l'anglais avec difficulté. L'agente des visas a déclaré dans son témoignage que le demandeur a bien parlé et bien lu l'anglais pendant l'entrevue. Elle a modifié le formulaire de demande pour laisser transparaître cette appréciation supérieure concernant l'aptitude du demandeur à parler et à lire l'anglais.

[7]         L'agente des visas a également contrôlé l'anglais écrit du demandeur en lui demandant de rédiger un paragraphe dans lequel il expliquerait comment préparer un « bouillon de qualité supérieure » et énumérerait les ingrédients utilisés. Après avoir examiné ce travail écrit, l'agente des visas a relevé des erreurs d'épellation, des erreurs de syntaxe et des problèmes de vocabulaire. Pendant son contre-interrogatoire, elle a fait remarquer que des mots comme « first » , « soup » et « several » avaient été mal épelés. Elle a ajouté que le demandeur avait employé des mots chinois plutôt qu'anglais pour désigner la cuisson à feu doux ( « simmer » ) et les abats ( « internal organs » ), et quand il parlait des unités de mesure. L'agente des visas a exprimé l'avis qu'il écrivait l'anglais [traduction] « avec difficulté » , ce qui correspondait à la remarque faite dans le formulaire de demande.

[8]         Il est acquis que si l'agente des visas avait décidé de qualifier de « bien » l'aptitude du demandeur à écrire, comme elle l'a fait pour son aptitude à lire et à parler l'anglais, il aurait obtenu six points pour la connaissance de l'anglais au lieu de deux. Toutefois, comme je l'ai indiqué aux parties durant l'audience, je ne relève aucune erreur de fait susceptible de révision dans l'appréciation que l'agente des visas a faite du travail écrit du demandeur ni dans la décision de l'agente des visas d'apprécier l'aptitude du demandeur à écrire en anglais au moyen des mots « avec difficulté » .

(iii)        Appréciation de l'expérience

[9]         Compte tenu des conclusions auxquelles je suis parvenu sur les études et la langue, la contestation du bien-fondé de l'appréciation de l'expérience de travail du demandeur est plutôt théorique. Même s'il obtenait le maximum de six points pour l'expérience, il lui manquerait quand même quatre points pour avoir le minimum requis de soixante-dix points. Toutefois, le demandeur, par l'entremise de son avocat, a énergiquement soutenu que l'évaluation globale faite par l'agente des visas était entachée de partialité à cause de la façon dont elle a envisagé le facteur expérience. Il convient donc d'examiner les arguments en trois parties que le demandeur a invoqués à cet égard.

[10]       Des points d'appréciation sont attribués pour l'expérience acquise « dans la profession pour laquelle le requérant est apprécié » . Dans la présente espèce, il incombait au demandeur de prouver son expérience de travail au niveau et selon la définition de Cuisinier - Plats exotiques. L'appréciation d'une préparation professionnelle spécifique dépend aussi de « la profession pour laquelle le requérant est apprécié » [3].

[11]       Le premier argument invoqué par le demandeur sur ce point est que l'agente des visas a refusé de tenir compte de son expérience de travail avant le mois d'avril 1997, soit la date à laquelle il a obtenu son certificat de cuisinier de niveau II. Dans son affidavit, l'agente des visas a déclaré qu'en Chine, seuls les cuisiniers intermédiaires de niveau II ont l'expérience requise qui correspond à l'emploi de Cuisinier - Plats exotiques. Voici comment elle explique cela :

[traduction]

8. [...] Je sais qu'en Chine, seulement trois niveaux de cuisiniers sont reconnus : les cuisiniers principaux, les cuisiniers intermédiaires et les cuisiniers subalternes. La catégorie des cuisiniers intermédiaires (comme le requérant) se scinde ensuite en trois niveaux, soit les niveaux II, III et IV. Le niveau le plus élevé est le niveau II. Le certificat de cuisinier décerné au requérant précisait qu'il avait obtenu son certificat de cuisinier intermédiaire de niveau II le 3 avril 1997, soit moins d'un an avant notre entrevue.

[...]

13. [...] Étant donné que le requérant avait obtenu son certificat de cuisinier intermédiaire de niveau II, je l'ai apprécié, comme il l'avait demandé, comme cuisinier, plats exotiques, mais j'ai été incapable de lui attribuer les six points prévus pour l'expérience qui ont été recommandés par ses consultants parce que le certificat lui avait été décerné moins d'un an avant l'entrevue. Je lui ai donc accordé deux points pour son expérience limitée, et lui ai expliqué que pour l'évaluer comme cuisinier, plats exotiques, seule sa récente expérience de travail comme cuisinier de niveau II était pertinente pour l'emploi précis qu'il avait indiqué dans sa demande.

En contre-interrogatoire, l'agente des visas a ajouté que le certificat de cuisinier intermédiaire de niveau II exigeait que la personne travaille comme cuisinier pendant six ans, dont trois ans au niveau subalterne. Le certificat est décerné après que le candidat a réussi les examens applicables à ce niveau[4].

[12]       C'est le demandeur qui a fourni le certificat intermédiaire de niveau II à l'agente des visas. Elle avait précédemment interrogé de nombreux requérants ayant divers antécédents culinaires en Chine. Le certificat lui fournissait l'information dont elle avait besoin concernant son expérience de travail. Dans les circonstances, elle n'était pas tenue « [d'orienter] de façon précise ses questions sur l'expérience réelle de travail du requérant » [5].

[13]       C'est sur la base du certificat que l'agente des visas a évalué le demandeur comme cuisinier, plats exotiques. Celle-ci pouvait, toujours sur la base du certificat, apprécier son expérience de travail pour l'emploi pour lequel il avait demandé à être évalué, en application du Règlement sur l'immigration. Le certificat n'était pas une preuve extrinsèque au sens où l'entendait le juge Gibson dans l'affaire Sorkhabi c. Canada (Secrétaire d'État)[6] invoquée par le demandeur. Je conclus que l'agente des visas n'a pas pris une décision arbitraire, partiale ou manifestement déraisonnable en limitant l'expérience de travail du demandeur à la période d'un an postérieure à l'obtention de son certificat.

[14]       Le demandeur a également tenté de qualifier de manquement à l'obligation que l'équité imposait à l'agente des visas le fait de ne pas avoir donné suite à la tentative qu'elle a faite durant l'entrevue avec le demandeur de communiquer avec le restaurant qui employait ce dernier. Toutefois, j'accepte la preuve non contredite de l'agente des visas selon laquelle la seule raison pour laquelle elle a tenté de joindre l'employeur du demandeur par téléphone était de confirmer que celui-ci avait effectivement travaillé au restaurant. Elle a déclaré qu'elle n'avait pas eu besoin d'obtenir un complément d'information sur son expérience parce qu'elle s'était fondée sur le certificat[7].

[15]       Enfin, le demandeur a adopté le point de vue que le rejet de la demande de résidence permanente le jour même de l'entrevue dénote la partialité de l'agente des visas et, certainement, le caractère superficiel de l'analyse de la demande. Une fois de plus, j'accepte la preuve de l'agente des visas selon laquelle il ne s'agit pas d'une pratique inhabituelle.

[16]       En résumé, le demandeur n'a pas prouvé que l'agente des visas a commis une erreur susceptible de révision dans son appréciation de la demande de résidence permanente du demandeur en ce qui concerne les facteurs expérience, études et langue. Les remarques faites par le demandeur sur l'appréciation de sa personnalité ne sont d'aucune utilité non plus pour contester la décision à l'étude. Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[17]       Le demandeur a proposé la certification de la question suivante :

[traduction] Un agent des visas manque-t-il à son obligation d'agir avec équité en n'accordant pas au requérant la possibilité de répondre aux allégations formulées contre lui s'il tient compte d'une expérience professionnelle similaire seulement à compter de la date de délivrance d'un certificat d'études ou de formation régulière, bien qu'aucun certificat ne soit expressément exigé, sans aviser le requérant des éléments de preuve particuliers sur lesquels il s'est fondé et sans donner au requérant la possibilité d'obtenir des éléments de preuve en réponse?

Compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivé au sujet des facteurs études et langue, l'appréciation de l'expérience professionnelle faite par l'agente des visas est sans objet. Comme la question de l'expérience ne saurait être déterminante quant à l'issue de l'instance, il ne convient pas de certifier cette question.

                                                                                                             « Allan Lutfy »             

                                                                                                                        J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 14 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                             IMM-2753-98

INTITULÉ :                                                      Yeuh Bun Huey, également connu sous les noms de Ruibin Xu et Ruibin Cai c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                Le 6 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :                                                 14 mai 1999

COMPARUTIONS :

M. Daniel M. Fine                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Mme Diane Dagenais                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Daniel M. Fine                                                                     POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



     [1]Dossier du tribunal, p. 39 et 41.

     [2]Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, Annexe I.

     [3]Ibid.

     [4]Dossier du demandeur, p. 127 et 128.

     [5]Fong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 705 (1re inst.), à la p. 716.

     [6](1994), 26 Imm. L.R. (2d) 287 (C.F. 1re inst.).

     [7]Dossier du demandeur, aux p. 133 et 134.

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