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Date : 20060628

Dossier : IMM-4233-05

Référence : 2006 CF 824

OTTAWA (ONTARIO), LE 28 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

KAZIMIERA PISNIAK

(alias KAZIMIERA AGNIE PISNIAK)

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse fonde sa demande d'asile sur le fait qu'en Pologne, elle serait persécutée par sa famille parce qu'elle voulait épouser une personne qui ne partage pas sa foi. Sa demande d'asile a été refusée. La Cour est saisie en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission).

 

I.          Les Faits

[2]               Mme Pisniak (la demanderesse) est une citoyenne polonaise âgée dans la vingtaine. Elle a épousé Nader Badran en septembre 2004. La demanderesse affirme que les membres de sa famille, qui sont de fervents catholiques, étaient très mécontents de la voir fréquenter un musulman.

[3]               La demanderesse explique que sa propre soeur l'a agressée physiquement pour cette raison précise. Elle ajoute que son frère l'a giflée en voyant sa bague de fiançailles et elle raconte que son fiancé, M. Badran, a été agressé par deux hommes, vraisemblablement parce qu'il la fréquentait.

 

[4]               La présumée persécution est allée plus loin. La demanderesse affirme en effet que sa famille a ourdi une machination contre M. Badran pour qu'il soit accusé d'un vol commis au domicile familial et qu'il soit finalement expulsé en Égypte. Enfin, elle affirme que sa mère l'a enlevée, l'a droguée et l'a internée de force dans un hôpital pour malades mentaux où elle a séjournée trois jours.

 

[5]               Après avoir finalement obtenu son congé de l'hôpital psychiatrique, la demanderesse a signalé le crime de sa mère à la police. Elle affirme que les policiers ont refusé de l'écouter et lui ont dit de retourner à l'hôpital pour obtenir des preuves avant de revenir les voir. Elle ne l'a jamais fait.

 

[6]               La Commission semble avoir accepté dans l'ensemble la véracité du récit de la demanderesse (tout en exprimant certaines réserves à son sujet). Elle a toutefois estimé que la demanderesse n'avait pas déployé des efforts de bonne foi pour chercher à obtenir la protection de l'État. Cette conclusion reposait en partie sur le fait que la demanderesse n'avait pas cherché à obtenir la protection de l'État à la suite de l'un ou l'autre des incidents survenus avant son enlèvement et en partie sur le fait que la Commission considérait la réaction de la police comme une invitation adressée à la demanderesse d'obtenir des preuves plutôt que comme un refus de l'aider.

 

II.         Analyse

[7]               Ainsi qu'il a été jugé dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 160 N.R. 315, la norme de contrôle applicable dans le cas des questions de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Je ne vois aucune raison de me dissocier de cette analyse de la norme de contrôle applicable.

 

[8]               Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable en matière de protection de l'État, cette question comporte deux aspects qui se traduisent par l'application de deux normes différentes. La question de savoir si l'État offrait une protection suffisante est en règle générale une question de fait (voir les jugements Nawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1255, [2003] A.C.F. no 1584 (QL), et Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1449, [2004] A.C.F. n1755 (QL)), qui donne lieu à l'application de la norme de la décision manifestement déraisonnable. La question de savoir si la demanderesse s'est suffisamment prévalue de la protection de l'État est une question mixte de droit et de fait, car la Commission doit appliquer des conclusions de fait à la norme juridique définie dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, en l'occurrence la nécessité de « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » de l'intéressé.

 

[9]               En l'espèce, le débat porte en réalité sur les conclusions tirées au sujet de la protection de l'État, c'est-à-dire sur le premier aspect déjà signalé. Bien qu'elle reproche à la Commission de ne pas avoir analysé la question de l'efficacité de la protection offerte par la Pologne, la demanderesse ne semble pas comprendre qu'il lui incombait de réfuter la présomption de la protection de l'État.

 

[10]           Vu la force de la présomption en faveur de la protection de l'État selon laquelle les pays démocratiques assurent la protection de leurs citoyens, il n'est pas étonnant que les éléments de preuve à présenter pour réfuter cette présomption doivent être très concluants (arrêt Ward, précité).

 

[11]           En dernière analyse, le défaut de la demanderesse de signaler à la police divers incidents de violence, son choix de ne pas se présenter de nouveau devant la police avec des éléments de preuve au sujet de son hospitalisation et son défaut de faire la preuve de la complicité de l'État avec l'Église catholique que son frère prêtre aurait manigancée affaiblissent la valeur de son allégation d'absence de protection de l'État au point où la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[12]           Dans le mémoire qu'elle a produit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a soulevé pour la première fois la question de l'interrogatoire dans l'ordre inverse, compte tenu des Directives no 7 du président. Elle n'avait pas soulevé cette question devant la Commission, dans sa demande d'autorisation ou dans le premier mémoire qu'elle avait déposé dans le cadre de la présente instance en contrôle judiciaire. J'estime donc que la demanderesse a renoncé à son droit de faire valoir cet argument.

 

[13]           La demanderesse voudrait que la Cour certifie les mêmes questions que celles qui ont été soulevées dans l'affaire Benitez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. no 631 (QL) pour pouvoir bénéficier (le cas échéant) de l'arrêt que la Cour d'appel fédérale rendra dans l'affaire Benitez. Je ne suis pas disposé à lui accorder cette mesure parce que le véritable fondement de sa cause, la protection de l'État, est extrêmement faible et qu'il ne concerne aucune des questions se rapportant à l'interrogatoire dans l'ordre inverse.

 

[14]           La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

JUGEMENT

 

            Il EST ORDONNÉ QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4233-05

 

INTITULÉ :                                       KAZIMIERA PISNIAK

                                                            (alias KAZIMIERA AGNIE PISNIAK)

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 3 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Benjamin A. Kranc

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KRANC & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

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