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Date : 20200625


Dossier : IMM-3707-19

Référence : 2020 CF 721

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2020

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

ELWALEED AHMED OSMAN ABDELGADIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 23 mai 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Celle-ci rejette l’appel du demandeur et confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Le demandeur est citoyen du Soudan. Dans sa demande d’asile, il allègue craindre les autorités soudanaises au motif qu’il a entretenu une relation amoureuse avec la fille de l’ancien chef des forces de sécurité soudanaises.

[3]  Il affirme avoir commencé cette relation en juin 2010. Le 10 octobre 2010, vers 2 heures du matin, des hommes inconnus se présentent à son domicile et l’amènent à un endroit où il est détenu et battu. Durant sa détention qui a duré deux (2) jours, il apprend pour la première fois qui est le père de cette fille. Les hommes lui ordonnent de cesser sa relation avec la fille sans quoi ils vont le tuer. Il n’a jamais reparlé à la fille. Par la suite, il apprend de sa sœur que la fille est enceinte. Le 5 janvier 2011, le demandeur quitte le Soudan pour les États-Unis, où il présente une demande d’asile qui sera refusée. Une interdiction de voyage est émise contre lui par le gouvernement du Soudan.

[4]  Cinq (5) ans plus tard, le demandeur retourne au Soudan. Lors de son arrivée à l’aéroport, il est arrêté et détenu pendant plusieurs heures. Environ un (1) mois plus tard, deux (2) agents de sécurité viennent le chercher à la maison et l’amènent à un bureau où il est interrogé sur son passé et battu. Le 3 octobre 2016, il quitte clandestinement le Soudan pour les États-Unis. Craignant la politique d’immigration américaine, le demandeur entre au Canada le 24 avril 2017 et présente une demande d’asile le lendemain.

[5]  Le 19 mars 2018, la SPR rejette la demande d’asile au motif que le demandeur n’est pas crédible. Elle juge que le demandeur n’a établi ni une relation intime avec la fille de cet ancien chef des forces de sécurité soudanaises ni avoir été détenu et torturé entre le 10 et 12 octobre 2010 en raison de cette relation. De plus, elle juge que son retour au Soudan en 2016 et son défaut de faire des démarches afin d’assurer sa sécurité dans ce pays constitue un comportement incohérent avec celui d’une personne qui craint pour sa vie au Soudan. Enfin, elle conclut qu’il n’y a pas lieu d’accorder une valeur probante à la preuve documentaire produite par le demandeur, étant d’avis que celle-ci manque de précisions, qu’elle comporte des éléments omis par le demandeur dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA] et ne fait que répéter les allégations du demandeur jugées non crédibles.

[6]  Le demandeur porte cette décision en appel devant la SAR. Celle-ci conclut que la SPR n’a pas erré en jugeant que le demandeur n’était pas crédible et que la preuve documentaire présentée par le demandeur n’avait pas de valeur probante.

[7]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la SAR a erré dans l’évaluation de sa crédibilité et qu’elle a rejeté sans explication la preuve documentaire qui corroborait ses allégations.

II.  Analyse

[8]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 143 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL) au para 4 (CA); Noël c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 281 au para 16).

[9]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas non plus d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov au para 99).

[10]  Le demandeur reproche à la SAR d’avoir omis de se prononcer sur l’argument qu’il a soulevé en appel selon lequel la SPR devait tenir compte du contexte religieux et socioculturel du Soudan dans l’évaluation de sa crédibilité. Il lui reproche également d’avoir omis d’évaluer les raisons pour lesquelles il est retourné au Soudan en 2016.

[11]  La Cour estime ces critiques mal fondées.

[12]  Dans Vavilov, la Cour suprême du Canada a rappelé que les motifs écrits fournis par un tribunal administratif doivent être lus dans leur ensemble. Le fait qu’ils ne fassent pas référence à tous les arguments soulevés par les parties ne constitue pas à lui seul un fondement pour annuler la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément de son raisonnement qui a mené à sa conclusion (Vavilov au para 91; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).

[13]  En l’instance, une lecture attentive de la décision ainsi que du mémoire d’appel du demandeur démontre que la SAR a tenu compte de l’argument soulevé par le demandeur. Elle juge toutefois qu’il n’est pas nécessaire d’y répondre puisque la SPR ne s’est pas basée uniquement sur le témoignage contradictoire du demandeur concernant ses discussions avec la fille pour conclure qu’il n’était pas crédible. La SAR note que la SPR s’est également appuyée sur le fait que le demandeur n’avait fait aucune démarche visant à assurer sa sécurité lorsqu’il est retourné au Soudan en 2016. À cet égard, elle souligne que le demandeur n’a pas contesté cette conclusion dans son mémoire d’appel et rappelle qu’il est bien établi que le fait de retourner volontairement dans un pays où l’on craint d’être persécuté constitue un comportement qui démontre une absence de crainte subjective. Elle ajoute de plus que les explications insatisfaisantes du demandeur à ce sujet permettaient à la SPR de remettre en question la crédibilité du demandeur.

[14]  Le demandeur allègue avoir été détenu, battu et menacé de mort avant de quitter le Soudan la première fois. Il allègue de plus que sa famille a reçu des menaces après son départ du Soudan et qu’une interdiction de voyage le concernant a été émise par le gouvernement soudanais. Lors de son audience, la SPR lui a demandé s’il avait fait des démarches avant son départ des États-Unis pour s’enquérir auprès de sa famille ou de ses amis si la situation au Soudan était sécuritaire pour lui. Le demandeur a répondu que non. Comme la SPR, la SAR a jugé ce comportement incompatible avec celui d’une personne qui craint réellement pour sa vie. La Cour estime cette conclusion raisonnable.

[15]  Le demandeur reproche également à la SAR d’avoir rejeté sa preuve documentaire sans analyse. Il soutient que cette preuve corrobore ses allégations.

[16]  La Cour ne peut souscrire à cet argument.

[17]  Les motifs de la SAR doivent être examinés en fonction des arguments présentés par le demandeur dans son mémoire d’appel. La SAR répond directement à l’argument du demandeur que la SPR a rejeté « du revers de la main » la quasi-totalité de sa preuve sous prétexte qu’il n’était pas crédible. La SAR indique que sa propre analyse du dossier démontre que la SPR a effectivement analysé le contenu de cette preuve et identifié ses lacunes. Notamment, la SAR souligne que la SPR a noté que la preuve contenait des informations qui n’avaient pas été fournies par le demandeur dans son FDA et des déclarations qui ne faisaient que répéter les allégations du demandeur qui n’avaient pas été jugées crédibles. Elle est d’avis qu’il était loisible à la SPR de n’accorder aucune valeur probante à la preuve documentaire.

[18]  La Cour estime cette conclusion raisonnable. La lettre de la mère et les affidavits des frères n’établissent aucunement le fondement de la demande d’asile, c’est-à-dire que le demandeur est ciblé par les autorités soudanaises en raison de sa relation intime avec la fille de l’ancien chef des forces de sécurité soudanaises. Quant à l’affidavit de la sœur du demandeur, la SPR a jugé que sa crédibilité était entachée en raison du fait qu’elle affirmait dans son affidavit que tous les membres de la famille avaient été « torturés » par les agents de l’État soudanais après le départ du demandeur en 2011 alors que le demandeur n’y fait aucunement référence dans son FDA et dans son témoignage. La SPR ainsi que la SAR pouvait raisonnablement douter de cette preuve et juger que celle-ci ne palliait pas au manque de crédibilité du demandeur. Or, il est bien établi que le manque de crédibilité concernant les éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à d’autres éléments de la demande d’asile et s’appliquer de manière générale aux éléments de preuve documentaires présentés pour corroborer une version des faits (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 au para 26; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 24).

[19]  De plus, il importe de rappeler que les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile et de l’évaluation de la preuve commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR et celles de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui serait favorable au demandeur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59, 61).

[20]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3707-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3707-19

INTITULÉ :

ELWALEED AHMED OSMAN ABDELGADIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2020

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 25 juin 2020

COMPARUTIONS :

Claudette Menghile

Pour le demandeur

Philippe Proulx

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claudette Menghile

Avocate

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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