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Date : 20040227

Dossier : IMM-4946-03

Référence : 2004 CF 301

ENTRE :

                                                               MD ATIQ ISLAM

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                La situation politique au Bangladesh, la violence qu'elle provoque et la situation antérieure par rapport à la situation actuelle jouent un rôle très important dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]                Atiq Islam est un citoyen du Bangladesh. Il a été un des dirigeants locaux du Parti Jatiya. Pendant les époques en cause, soit de 1996 à 2000, la Ligue Awani était au pouvoir. Des « hommes de main » de la Ligue se sont rendus à l'entreprise familiale du demandeur et ils l'ont prévenu que son opposition au gouvernement allait lui causer des ennuis.


[3]                La police lui a également conseillé de cesser ses activités politiques. Les critiques qu'il a adressées à l'égard de la corruption policière ne visaient peut-être pas uniquement des questions de politique. Il s'est exprimé publiquement contre toute forme de corruption policière.

[4]                Après avoir participé à une manifestation en décembre 1999, il a été ciblé, battu et sommé de cesser ses activités politiques par les hommes de main de la Ligue Awani. Il est allé se plaindre à la police, mais cela n'a servi à rien. En fait, quelques mois plus tard, les policiers l'ont frappé à la tête pendant qu'il participait à une procession. Un avocat l'a averti qu'il serait arrêté en vertu de la Loi sur les pouvoirs spéciaux ou de la Loi sur la sécurité publique. C'est à ce moment-là que le demandeur a décidé de quitter son pays pour venir au Canada et qu'il a présenté une demande d'asile.

[5]                La Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés, a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.


[6]                Il arrive souvent que la situation d'un pays change. En octobre 2001, un autre parti politique, le Parti national du Bangladesh, a emporté les élections et a participé à la formation d'un nouveau gouvernement. Le Parti Jatiya s'est scindé en deux partis distincts. Apparemment, l'un d'eux appuie le Parti national du Bangladesh. Toutefois, la faction de M. Islam, le Parti Jatiya (Ershad), ne l'appuie pas.

[7]                En se fondant sur la preuve documentaire dont elle était saisie, la Commission a conclu que le Parti national du Bangladesh avait adopté d'importantes mesures pour améliorer la situation notamment en remplaçant les chefs de la police nationale et de la police de Dakha. Selon la Commission, il s'agit d'un changement de circonstances important. Après avoir essuyé une cuisante défaite, la Ligue Awani n'est plus une force majeure dont il faut tenir compte. La Commission a conclu que le demandeur n'avait plus aucune raison objective d'alléguer une crainte de persécution s'il devait retourner au Bangladesh.

[8]                L'avocat de M. Islam a présenté une analyse détaillée de la preuve et il a souligné que pour chaque conclusion de la Commission, il existait une preuve ou un document pouvant justifier une conclusion contraire. Il a peut-être raison. J'aurais pu accorder moins d'importance à une preuve documentaire quelconque ou j'aurais pu donner plus de poids à certains éléments de preuve qui confirmaient le bien-fondé des craintes de M. Islam s'il était forcé de retourner au Bangladesh ou encore, j'aurais pu rejeter ces éléments de preuve.

[9]                La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que M. Islam soit toujours visé par les hommes de main de la Ligue Awani ou par ceux du Parti national du Bangladesh et elle a également conclu qu'au Bangladesh, le demandeur pouvait obtenir la protection de l'État.


[10]            La Commission est un tribunal spécialisé. Les tribunaux ont maintes fois reconnu que les conclusions de fait, et il s'agit d'une affaire qui a été tranchée compte tenu des faits, doivent faire l'objet d'une très grande retenue. En fait, les conclusions ne doivent être modifiées que si elles sont manifestement déraisonnables (Aguebor c. Canada (MEI) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

[11]            Même si, comme je l'ai dit, j'aurais peut-être préféré une certaine preuve documentaire plutôt qu'une autre et que j'aurais accordé plus de poids au témoignage de M. Islam lui-même, je suis convaincu que la Commission a examiné toute la preuve et qu'elle n'a commis aucune erreur manifestement déraisonnable. Les propos du juge Blanchard dans le passage suivant du paragraphe 20 de la décision Meyer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 C.F. 878 sont très éloquents :

[...] Le demandeur soutient, pour l'essentiel, que la Commission a accordé beaucoup trop d'importance à la preuve documentaire et n'a pas suffisamment tenu compte du témoignage du demandeur. Je ne peux retenir cet argument. Rien n'indique que la Commission n'ait pas tenu compte des preuves présentées. Il est possible que le demandeur n'accepte pas les conclusions de la Commission mais il n'appartient pas à notre Cour d'apprécier à nouveau la preuve dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire. Il est également bien établi que la Commission, un tribunal spécialisé, a toute liberté pour préférer la preuve documentaire au témoignage d'un demandeur, lorsqu'elle apprécie la preuve. [Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. nE 1087 (QL)]. Compte tenu de la preuve présentée à la Commission, je ne pense pas que ses évaluations en matière de crédibilité et de vraisemblance soient manifestement déraisonnables.


[12]            La Commission n'était pas tenue d'expliquer les raisons pour lesquelles elle n'avait pas reconnu la valeur probante de quelques-uns des documents invoqués par le demandeur ni décidé de le confronter relativement à cette preuve (Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) et A.V. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 900.

[13]            Il n'était ni abusif ni manifestement déraisonnable que la Commission en arrive à la conclusion que M. Islam bénéficierait d'une certaine protection de l'État, au Bangladesh. Il n'y a aucune preuve convaincante que la police elle-même continue de vouloir le persécuter. Comme l'a décidé la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232, il n'est pas facile de s'acquitter du fardeau de démontrer qu'il est impossible de bénéficier de la protection de son propre État. Il s'agit d'un critère objectif et il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours protégé efficacement ses citoyens.

[14]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[15]            Aucune question d'importance générale qui sera certifiée pour la Cour fédérale d'appel.

                                                                              « Sean Harrington »              

                                                                                                     Juge                            

Ottawa (Ontario)

le 27 février 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4946-03

INTITULÉ :                                        MD ATIQ ISLAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Jean-Michel Montbriand                                    POUR LE DEMANDEUR

Marie-Claude Demers                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon & Montbriand                            POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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