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Date : 2020 06 19

Dossier : DES‑5‑08

Référence : 2020 CF 715

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR];

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET Mohamed HARKAT

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE ROUSSEL

I.  Aperçu

[1]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [les ministres] demandent à la Cour de modifier les modalités et les conditions de la mise en liberté de Mohamed Harkat. Ils affirment que ce dernier a commis deux (2) violations : il a changé le mot de passe de son courriel sans en informer l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] et a effacé un certain nombre de ses courriels sans leur consentement. De plus, ils souhaitent faire clarifier les modalités et les conditions en ce qui touche l’utilisation par M. Harkat d’un téléphone mobile et d’un ordinateur à des fins d’emploi.

[2]  M. Harkat s’oppose à la requête des ministres. Il maintient qu’il n’a pas violé les conditions imposées par la Cour, du moins pas délibérément, et il demande à ce que les modalités et conditions de sa mise en liberté soient davantage assouplies.

[3]  Il n’est pas nécessaire, aux fins de la requête des ministres, de présenter un compte rendu exhaustif des faits, de l’historique procédural et des modifications apportées aux modalités et aux conditions de la mise en liberté de M. Harkat. Il suffit de mentionner que ce dernier fait l’objet d’un certificat de sécurité au titre de l’article 77 de la LIPR. Ce certificat a été jugé raisonnable par la Cour en 2010 (Harkat (Re), 2010 CF 1241). La Cour suprême du Canada a confirmé cette conclusion en 2014 (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37). Depuis sa libération en 2006, la Cour a contrôlé et modifié les modalités et les conditions de la mise en liberté de M. Harkat; le dernier contrôle remonte à novembre 2017 (Harkat (Re), 2018 CF 62 [Harkat 2018]). Le lecteur qui s’intéresse aux contrôles précédents est invité à consulter Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1034 [Harkat 2014]; Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 795 [Harkat 2013]; Harkat (Re), 2009 CF 1008; Harkat (Re), 2009 CF 241; Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 416; Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1105.

II.  Analyse

A.  Violation des conditions

1)  Suppression des courriels sans consentement

[4]  Selon ce qu’allèguent les ministres, un examen de l’ordinateur de M. Harkat effectué le 12 juin 2018 a révélé qu’il avait effacé un grand nombre de courriels sans l’autorisation de l’ASFC. Ils soutiennent que M. Harkat a violé l’alinéa 7a) des modalités et des conditions de sa mise en liberté énoncées à l’annexe A de l’ordonnance que j’ai rendue le 6 avril 2018 [l’ordonnance]. Cette condition prévoit que « M. Harkat, ou quiconque en son nom, ne doit pas modifier ou supprimer de son ordinateur les informations de suivi, [sans l’autorisation de l’ASFC], y compris, mais sans s’y limiter […] envoyer, recevoir ou rédiger un courrier électronique ».

[5]  Même s’il reconnaît avoir effacé des courriels, M. Harkat maintient qu’il était en droit de le faire. Lors de son témoignage devant la Cour, il a expliqué avoir cru comprendre, sur la foi d’un courriel reçu en décembre 2013, qu’il pouvait effacer ses courriels après inspection de son ordinateur par l’ASFC. En plus de cette autorisation permanente, une autorisation verbale lui était fournie lorsqu’il allait chercher son ordinateur au bureau de l’ASFC. Si cette dernière n’inspectait pas son ordinateur pendant un certain temps, un fonctionnaire de l’Agence lui envoyait un courriel environ tous les trois (3) mois l’autorisant à effacer les courriels échangés jusqu’à une certaine date.

[6]  Après avoir examiné la preuve des deux parties, je ne puis conclure, selon la prépondérance des probabilités, que M. Harkat a violé l’alinéa 7a) des modalités et des conditions de sa mise en liberté.

[7]  Michel Connelly, l’agent de l’ASFC chargé de surveiller l’observance des conditions par M. Harkat, indique dans son affidavit : [TRADUCTION] « un examen de l’ordinateur de M. Harkat effectué le 12 juin 2018 a révélé qu’il avait effacé un certain nombre de courriels » [non souligné dans l’original.] Il mentionne ensuite un courriel envoyé à M. Harkat le 21 juin 2018, l’informant que l’ASFC avait effectué une [TRADUCTION] « vérification de routine de [son] compte de courriel » [non souligné dans l’original] et remarqué qu’il avait [TRADUCTION] « effacé un grand nombre de courriels (dans le dossier ‘‘Récupérer les éléments supprimés’’) ».

[8]  La difficulté liée à cette preuve vient de ce qu’elle n’indique pas à quel moment l’ASFC a réellement consulté le compte de courriel de M. Harkat. Cette information est particulièrement pertinente, attendu que les courriels de ce dernier ne sont pas stockés sur son ordinateur, car il n’utilise pas de logiciel de courriel spécialisé [logiciel de courriel client] comme Microsoft Outlook. Il consulte plutôt son compte de courriel à partir du navigateur Web sur son ordinateur. Pour contrôler ce compte, l’ASFC se connecte à distance en utilisant son nom d’utilisateur et son mot de passe.

[9]  Il ressort de la preuve que M. Harkat a apporté son ordinateur à l’ASFC pour inspection le 7 mai 2018, et qu’il est allé le chercher le lendemain. Lorsqu’il est rentré chez lui, il l’a [TRADUCTION] « nettoyé » et a effacé certains courriels. Si l’ASFC n’a consulté son compte de courriel que lorsqu’elle a examiné la copie image de l’ordinateur en juin et non lorsqu’il lui a apporté l’ordinateur pour inspection au début mai, il est possible que M. Harkat eût alors déjà effacé les courriels.

[10]  J’estime que la preuve des ministres présente des lacunes excessives qui laissent trop de questions sans réponse. Pour commencer, la preuve établissant avec le moindre degré de certitude quand et comment l’ASFC fournissait une autorisation à M. Harkat est insuffisante. De plus, aucune preuve documentaire objective n’atteste la violation. Les témoins qui ont comparu devant moi n’avaient aucune connaissance personnelle des faits, et n’ont pu donner aucun renseignement supplémentaire au sujet de la violation. Aussi, je ne dispose d’aucune preuve quant à sa portée et à son ampleur. Même si j’avais conclu qu’une violation avait été commise, je serais incapable de déterminer la mesure qu’il conviendrait de prendre en conséquence, étant donné que je ne puis en évaluer la gravité.

[11]  Je prends également note du témoignage durant lequel M. Connelly a déclaré qu’il n’avait souvenance d’aucune suppression non autorisée de courriels avant ce prétendu incident. Il s’agit d’une considération importante, étant donné que cela fait plusieurs années que M. Harkat a un compte de courriel.

[12]  Enfin, je ne puis ignorer la réponse fournie par M. Connelly lorsqu’il a été prié d’indiquer durant son contre-interrogatoire comment il a découvert que M. Harkat avait effacé des courriels. Voici sa réponse :

[…] avec l’assistance de notre bureau chef de notre section, on est arrivé à la conclusion qu’il y avait une possibilité qu’il avait effacé ses courriels.

Alors j’ai envoyé l’information à Mme et M. Harkat concernant la possible infraction.

(Transcription de l’instance, vol. 1, no 44, p. 7 à 17)

[Non souligné dans l’original.]

[13]  Même si M. Harkat reconnaît avoir effacé certains courriels, je ne suis pas convaincue qu’une violation ait réellement été commise, compte tenu des termes employés par M. Connelly, qui évoque seulement la « possibilité » d’une violation, et vu le manque d’éléments de preuve détaillés sur la question.

2)  Modification du mot de passe

[14]  Les ministres allèguent que M. Harkat a violé les modalités et les conditions de sa mise en liberté lorsqu’il a omis d’informer l’ASFC que le mot de passe de son compte de courriel avait été modifié.

[15]  Dans son affidavit, M. Connelly déclare que l’ASFC a tenté, le 29 octobre 2018, de se connecter au compte de courriel de M. Harkat, sans succès. Le 8 novembre 2018, les avocats des ministres ont demandé par écrit son mot de passe à M. Harkat. Le 20 novembre suivant, son avocate a répondu que le mot de passe de M. Harkat n’avait pas changé. Le 4 décembre 2018, l’ASFC a écrit directement à M. Harkat, vu qu’elle ne pouvait toujours pas accéder à son compte de courriel. Ce jour‑là, M. Harkat a fourni le nouveau mot de passe à M. Connelly. Le lendemain, M. Harkat a confirmé ce nouveau mot de passe. Le 7 décembre 2018, l’ASFC a découvert, dans un dossier appelé « Poubelle » du compte de courriel de M. Harkat, un courriel de Microsoft indiquant que son mot de passe avait été modifié le 28 septembre 2018 à 21 h24.

[16]  Les ministres soutiennent qu’ils n’ont pas pu vérifier les courriels de M. Harkat pendant une période d’environ 60 jours parce que ce dernier n’a pas informé l’ASFC du changement de mot de passe. Ils demandent donc à la Cour d’enjoindre à M. Harkat de ne consulter son courriel que par le biais d’un logiciel de courriel client comme Microsoft Outlook ou Mozilla Thunderbird, plutôt que par le biais d’un navigateur Web comme il le fait actuellement. Un logiciel de courriel client offrira à l’ASFC une meilleure protection dans son contrôle des courriels de M. Harkat.

[17]  M. Harkat reconnaît dans sa réponse que le mot de passe a été modifié. Cependant, il maintient que cette modification ne contrevient pas aux conditions auxquelles il est soumis étant donné que le changement n’était pas intentionnel. Il a déclaré durant son témoignage qu’après la tornade ayant frappé la Région de la capitale nationale en septembre 2018, il a eu des problèmes d’ordinateur. Le 26 septembre 2018, il a informé l’ASFC qu’il leur apporterait son ordinateur pour inspection, et qu’il le ferait ensuite réparer dans un commerce local. Il a apporté son ordinateur à l’ASFC le 27 septembre 2018 et est allé le chercher le lendemain. Avant de le faire réparer, il s’est déconnecté de son compte de courriel pour ne pas que les techniciens du magasin voient ses courriels. Comme le magasin de réparations était trop occupé, il est retourné chez lui et a tenté de se connecter à son compte de courriel. Il a essayé d’entrer son mot de passe à trois reprises, mais l’accès à son compte est demeuré bloqué. Il a déclaré durant son témoignage qu’il se souvenait avoir reçu un message lui demandant s’il avait oublié son mot de passe. C’est alors que le téléphone a sonné et il a reçu un code de sécurité pour entrer dans son compte et réinitialiser son mot de passe. Comme il ne voulait pas le changer, il a entré le même.

[18]  À ce que prétend M. Harkat, il n’a pas réalisé qu’il avait changé l’une des lettres du mot de passe, la mettant en minuscule plutôt qu’en majuscule. Il a expliqué que ce changement ne lui a pas posé de problème, car il restait connecté à son compte de courriel et n’avait donc pas à se souvenir du mot de passe. Il n’a réalisé le changement que lorsqu’il a reçu un courriel de l’ASFC au début décembre 2018 dans lequel M. Connelly lui indiquait que Microsoft avait envoyé un courriel, qui se trouvait dans le dossier « Poubelle », indiquant que le mot de passe avait été changé. Le même jour, M. Harkat a envoyé un courriel de plainte à Microsoft affirmant qu’il n’avait pas changé son mot de passe.

[19]  M. Harkat prétend qu’il n’a pas lu le courriel de Microsoft confirmant le changement de son mot de passe. Lorsqu’il a vérifié son dossier « Poubelle », le courriel en question était encore balisé comme s’il n’avait pas été lu. M. Harkat a expliqué avoir créé le dossier en question pour conserver les courriels qu’il voulait effacer en attendant que l’ASFC l’autorise à le faire.

[20]  Les trois (3) enquêteurs en criminalistique numérique qui ont comparu devant moi, dont le propre expert de M. Harkat, ont déclaré sans équivoque que les changements de mot de passe ne sont pas accidentels. Les utilisateurs ne peuvent changer le mot de passe d’un compte en ligne qu’en se connectant au compte en question et en modifiant les paramètres de sécurité, ou en utilisant la fonction de récupération « J’ai oublié mon mot de passe » accessible sur l’écran d’ouverture de session. L’expert en criminalistique numérique de M. Harkat, Stephen Ellwood, a également déclaré que le changement de mot de passe pouvait entraîner une certaine confusion. Ceux qui ne sont pas des spécialistes techniques ne comprennent peut-être pas l’importance des caractères en minuscules et en majuscules au moment d’établir un mot de passe, et s’imaginent alors que le nouveau mot de passe est le même que l’ancien.

[21]  Je peux comprendre que M. Harkat n’ait peut-être pas réalisé initialement qu’il avait changé le mot de passe de son courriel s’il ne devait pas se connecter à son compte de courriel, vu qu’il y était connecté en permanence sur son ordinateur. Cependant, lorsque lui et son épouse se sont rendu compte que le mot de passe qu’il avait fourni à l’ASFC ne fonctionnait pas, il aurait dû tenter de déterminer la cause du problème. Il aurait pu se déconnecter et essayer de se reconnecter à son compte, et il aurait réalisé à ce moment‑là que son ancien mot de passe ne fonctionnait pas. Il aurait pu vérifier quel mot de passe l’ASFC utilisait ou apporter son ordinateur pour inspection. S’il avait consulté son dossier « Poubelle », il aurait vu le courriel de Microsoft daté du 28 septembre 2018 qui n’avait pas été lu et qui indiquait que le mot de passe avait été changé. Même si ce changement s’est fait par inadvertance, M. Harkat aurait pu se montrer plus proactif pour tenter de résoudre le problème.

[22]  Je note aussi que l’information selon laquelle l’accès de M. Harkat à son compte de courriel était bloqué et qu’il a reçu un appel de Microsoft n’a jamais été communiquée à l’ASFC, et elle n’apparaît nulle part dans son affidavit ni dans celui de son épouse. Elle n’a été révélée que durant son témoignage.

[23]  Même s’il n’avait peut-être pas l’intention de changer son mot de passe, le fait demeure que M. Harkat l’a fait sans en informer l’ASFC. Par conséquent, je dois conclure qu’il a violé l’alinéa 7c) des modalités et conditions de sa mise en liberté. Il devait, au titre de cette condition, fournir à l’ASFC tous les mots de passe nécessaires pour accéder aux composantes de son ordinateur. Cela comprend notamment le mot de passe de son compte de courriel. J’aborderai plus loin dans ces motifs les conséquences de cette violation.

3)  Navigation privée

[24]  Avant de clore la question de la violation des conditions, il est important d’évoquer une autre prétendue violation à laquelle les ministres ont depuis renoncé. Lorsque la Cour s’est initialement saisie de cette affaire, les ministres n’alléguaient que les deux violations susmentionnées. Puis, après qu’ils eurent déposé leur dossier de requête, l’avocate de M. Harkat a reçu la copie d’un affidavit établi sous serment par Carl Létourneau à la fin mars 2019. M. Létourneau est un enquêteur en criminalistique numérique employé par l’ASFC. Il affirmait dans son affidavit que son enquête criminalistique et l’analyse des artéfacts Internet sur le disque dur de M. Harkat l’avaient amené à conclure que ce dernier avait utilisé la fonction « Navigation privée » d’Internet Explorer, en violation des modalités et des conditions de sa mise en liberté. Après en avoir reçu une copie, l’avocate de M. Harkat a indiqué qu’elle consentait au dépôt de cet affidavit tardif, à condition qu’elle puisse contre-interroger son auteur et obtenir son propre rapport d’expert, ce à quoi les ministres ont consenti. Le 24 avril 2019, l’ASFC a remis une copie image numérique du disque dur de M. Harkat à son avocate afin que son expert puisse l’examiner.

[25]  Le 4 juillet 2019, les ministres ont modifié leur dossier de requête et y ont inclus deux (2) affidavits établis sous serment par M. Létourneau concernant la violation alléguée liée à la fonction « Navigation privée », l’un daté du 25 mars 2019 et le second du 28 juin 2019. Dans ces affidavits, M. Létourneau explique la fonction « Navigation privée », son objet, l’empreinte qu’elle laisse et la manière de retracer son utilisation à l’aide d’outils de criminalistique numérique.

[26]  Le 23 août 2019, M. Harkat a déposé son dossier de requête en réponse, qui comprenait le rapport de M. Ellwood, son propre expert en criminalistique numérique. Ce dernier a conclu qu’aucune preuve n’établissait que l’ordinateur portatif avait été utilisé pour effectuer une « Navigation privée » à l’aide d’Internet Explorer. Il estimait plutôt qu’un malentendu lié à la fonction « Récupération automatique après blocage » d’Internet Explorer avait amené les enquêteurs de l’ASFC à tirer une conclusion inexacte.

[27]  Après avoir examiné les documents se rapportant à la requête des ministres ainsi que le dossier de requête déposé en réponse par M. Harkat, j’ai délivré à l’intention des parties une directive suivant laquelle la requête des ministres serait instruite oralement et la Cour entendrait la déposition des enquêteurs en criminalistique. Cinq (5) jours avant la date prévue d’audience, les ministres ont déposé un dossier en réponse qui contenait notamment un sommaire de la déposition de M. Létourneau ainsi qu’une copie du rapport en criminalistique numérique qu’il avait initialement élaboré et sur lequel il s’était appuyé pour conclure qu’une violation avait été commise. Cette nouvelle information a amené M. Ellwood à préparer plusieurs vidéos de simulation de l’ordinateur de M. Harkat afin de contester les conclusions tirées par M. Létourneau. Après avoir examiné les vidéos et les conclusions formulées par M. Ellwood, les ministres ont informé la Cour le 7 octobre 2019 que même si leur enquêteur en criminalistique numérique avait trouvé des traces d’artéfacts de navigation concordant avec une « Navigation privée », il ne pouvait plus confirmer avec certitude que cette fonction avait été utilisée par M. Harkat ou par l’ancien propriétaire de l’ordinateur. Les ministres ont donc indiqué qu’ils renonçaient à plaider cette prétendue violation et à leur demande de confiscation partielle du cautionnement en espèces déposé auprès de la Cour.

[28]  Bien que je n’aie pas l’intention de commenter davantage cette violation alléguée, je dois préciser que je trouve malencontreux que les ministres n’aient pas réévalué leur position plus tôt au cours de l’instance. En tout, deux jours et demi (2,5) d’audience ont été consacrés à l’interrogatoire et au contre-interrogatoire de trois (3) enquêteurs en criminalistique numérique. Si le rapport de M. Létourneau avait été joint à son affidavit établi sous serment le 25 mars 2019 au lieu d’avoir été introduit par le biais du sommaire de sa déposition le 13 septembre suivant, il est probable que cette question aurait été résolue avant que l’audience ne débute le 18 septembre 2019, ce qui aurait permis de la raccourcir.

B.  Examen des modalités et des conditions de la mise en liberté

[29]  Lors de mon dernier contrôle des modalités et des conditions de la mise en liberté de M. Harkat, j’ai indiqué que j’acceptais le cadre juridique établi par mon prédécesseur dans la décision Harkat 2014, au paragraphe 7, et dans la décision Harkat 2013, aux paragraphes 25 à 27 (voir aussi Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, aux par. 108, 109 et 119). J’ai énoncé aussi une liste non exhaustive de facteurs devant être considérés pour déterminer si la mise en liberté de M. Harkat constituait un danger pour la sécurité du Canada et, dans l’affirmative, si ce danger pouvait être neutralisé par l’imposition de modalités et de conditions (Harkat 2018, au par. 39). J’ai conclu en fin de compte que les conditions étaient disproportionnées par rapport au danger que représente M. Harkat et qu’elles devaient être assouplies.

[30]  Ni les avocats des ministres ni M. Harkat ne se sont longuement attardés sur les facteurs que je devrais considérer dans le cadre de la présente requête. J’estime que la plupart de ces facteurs demeurent inchangés (Harkat 2018, aux par. 42 à 66), à quelques exceptions près.

[31]  Pour commencer, le 2 octobre 2018, un délégué supérieur d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [le délégué du ministre] a déterminé, au titre de l’alinéa 115(2)b) de la LIPR, que M. Harkat ne devrait pas être autorisé à rester au Canada, compte tenu de la nature et de la gravité des actes qu’il avait commis. M. Harkat sollicite le contrôle judiciaire de cette décision dans le dossier de la Cour no IMM‑5330‑18. Cette instance est en cours et son issue demeure pour le moment incertaine.

[32]  De plus, contrairement au contrôle précédent, M. Harkat ne s’est pas conformé à toutes les modalités et conditions de sa mise en liberté. Les ministres ont démontré qu’il a violé une des conditions qui lui était imposée. Cette violation soulève des questions de fiabilité et de crédibilité qui renvoient toutes deux à des considérations essentielles en ce qui touche le contrôle du caractère approprié des modalités et des conditions de la mise en liberté (Harkat 2013).

[33]  Comme par le passé, le passage du temps favorise l’assouplissement des conditions. Les ministres n’ont présenté aucune preuve établissant que M. Harkat a été mêlé à des activités liées à des menaces depuis mon dernier contrôle. Le fait que l’avis du délégué du ministre est basé sur la nature et la gravité des actes commis par M. Harkat dans le passé, plutôt que sur le danger qu’il représente aujourd’hui pour le Canada confirme que ce danger continue de se situer à l’extrémité inférieure du spectre.

[34]  Dans ce contexte, j’examinerai maintenant les changements et les précisions proposés par les parties.

1)  Téléphone mobile à des fins d’emploi

[35]  Lors de mon dernier contrôle des modalités et des conditions de la mise en liberté de M. Harkat, je l’ai autorisé à utiliser un téléphone mobile à des fins d’emploi, sous réserve des conditions suivantes :

  1. Le téléphone mobile fourni par l’employeur ne pouvait avoir de connexion Internet;

  2. M. Harkat devait s’engager par écrit à ce que le téléphone mobile serve uniquement à des fins d’emploi et reconnaître que toute utilisation non autorisée entraînerait une violation des conditions;

  3. M. Harkat devait informer son employeur de cette condition et lui demander de signaler toute utilisation non autorisée à l’ASFC;

  4. M. Harkat devait fournir à son employeur le nom et le numéro de la personne‑ressource à l’ASFC et fournir à l’ASFC le nom et le numéro de son superviseur au travail

(Harkat 2018, au par. 87)

[36]  Le 13 avril 2018, M. Harkat a fourni l’engagement signé concernant l’utilisation du téléphone mobile à des fins d’emploi.

[37]  D’après la preuve, M. Connelly a contacté la superviseure de M. Harkat par téléphone le 26 avril 2018 afin de vérifier que les conditions étaient respectées. Cette dernière a indiqué qu’elle préférait qu’il communique avec elle par écrit. M. Connelly lui a alors envoyé un courriel le lendemain lui demandant de confirmer que M. Harkat l’avait informée des conditions auxquelles il était soumis en ce qui touchait l’utilisation d’un téléphone mobile au travail, la marque et le modèle de ce téléphone, et que le téléphone en question n’avait pas de connexion Internet. La superviseure de M. Harkat n’a pas répondu au courriel. M. Connelly l’a renvoyé le 15 mai 2018. La superviseure de M. Harkat a répondu le jour même en indiquant qu’elle n’était pas liée par l’ordonnance.

[38]  Les ministres font valoir que comme l’ordonnance obligeait M. Harkat à fournir à l’ASFC le nom et le numéro de son superviseur au travail, elle autorisait tacitement les employés de l’ASFC à vérifier que l’engagement était respecté. Ils considèrent que les commentaires de la superviseure constituent une violation de l’ordonnance.

[39]  Les ministres demandent à ce que l’alinéa 4r) des modalités et des conditions, qui régit l’utilisation par M. Harkat d’un téléphone mobile à des fins d’emploi, soit modifié pour inclure ce qui suit :

[traduction

(i)  De plus, M. Harkat devra indiquer à l’ASFC s’il emportera le téléphone mobile chez lui, ou si le téléphone en question demeurera sur son lieu de travail; la marque et le modèle du téléphone mobile qu’il doit utiliser à des fins d’emploi (et tenir l’ASFC informée s’il utilise un téléphone mobile différent).

(ii)  M. Harkat devra également informer son employeur de cette condition et demander à ce dernier de signaler toute utilisation non autorisée à l’ASFC. Son employeur devra signer une déclaration reconnaissant que M. Harkat l’a informé des conditions et qu’il signalera toute utilisation non autorisée à l’ASFC.

[40]  M. Harkat est en désaccord avec l’interprétation de l’ordonnance retenue par les ministres et affirme qu’il en a respecté toutes les modalités et les conditions. Selon lui, rien dans l’ordonnance ne l’oblige à fournir la marque et le modèle du téléphone de l’employeur ni n’oblige ce dernier à répondre aux questions de l’ASFC. Aussi, rien n’indique qu’il ait jamais violé cette condition.

[41]  Je suis préoccupée par le fait que M. Harkat ne respecte pas l’esprit de l’ordonnance. À mon avis, le désaccord entre les parties aurait en grande partie pu être évité si M. Harkat avait simplement informé l’ASFC de la marque et du modèle du téléphone mobile. Aussi, dans les courriels datés des 19 et 22 août 2019, la superviseure de M. Harkat a finalement confirmé à Mme Harkat que le téléphone mobile n’avait aucune connexion Internet, qu’elle était au fait des conditions, et qu’elle signalerait toute violation. Ces courriels ont été déposés en pièces jointes à l’affidavit de Mme Harkat, lui-même contenu dans le dossier de requête de M. Harkat. Il est malencontreux que M. Harkat n’ait pas obtenu cette information plus tôt et qu’il ne l’ait pas communiquée à l’ASFC.

[42]  Malgré mes préoccupations, je ne suis pas disposée à ordonner que l’employeur actuel ou futur de M. Harkat signe une déclaration reconnaissant que M. Harkat l’a informé des conditions concernant le téléphone mobile. Si j’imposais une telle condition, M. Harkat aurait indubitablement du mal à trouver du travail.

[43]  Même s’il est possible que M. Harkat souhaite avoir un téléphone mobile doté d’une connexion Internet à des fins d’emploi, je ne suis pas disposée à consentir à ce changement. M. Létourneau a déclaré durant son témoignage qu’un téléphone doté d’une connexion Internet permet d’installer des applications pendant la journée de travail, de se connecter à des comptes différents et de communiquer avec d’autres personnes. Puis, à la fin de la journée de travail, l’employé peut effacer les applications et les communications. L’employeur ignorerait que l’employé a initié une communication et à moins que l’ASFC ne puisse inspecter le téléphone, elle n’en saurait rien non plus. Cette préoccupation existe, que l’accès Internet s’effectue par le biais de réseaux de données cellulaires ou de réseaux Wi‑Fi.

[44]  Dans la mesure où la marque et le numéro de modèle du téléphone mobile donneront à l’ASFC une idée des capacités du téléphone, y compris en termes de connexion Internet et de technologie d’emmagasinage des données, je suis disposée à ordonner à M. Harkat d’informer l’ASFC de la marque et du numéro de modèle du téléphone mobile. Cependant, je ne suis pas convaincue qu’il doive nécessairement informer l’ASFC s’il emporte chez lui le téléphone mobile fourni par l’employeur.

[45]  Par conséquent, l’alinéa 4r) des modalités et des conditions sera modifié pour y inclure le passage souligné suivant :

[traduction

4.  […]

r)  […] Dans la mesure où M. Harkat est tenu d’avoir un téléphone mobile pour son travail, il devra s’engager par écrit à ce que ce téléphone mobile ne soit utilisé qu’à des fins d’emploi, sauf s’il doit contacter son épouse ou que celle-ci doit le contacter, et toute utilisation non autorisée entraînera une violation des conditions. De plus, M. Harkat devra communiquer à l’ASFC la marque et le modèle du téléphone mobile qu’il doit utiliser à des fins d’emploi (et tenir l’ASFC informée s’il utilise un téléphone mobile différent). M. Harkat devra également informer son employeur de cette condition et lui demander de signaler à l’ASFC toute utilisation non autorisée. M. Harkat fournira à l’employeur le nom et le numéro de la personne‑ressource de l’ASFC et fournira à l’ASFC le nom et le numéro de son superviseur au travail.

[…]

2)  Utilisation d’un ordinateur à des fins d’emploi avec accès Internet

[46]  En novembre 2017, M. Harkat a sollicité l’autorisation d’utiliser un ordinateur avec une connexion Internet à des fins d’emploi. J’ai convenu avec lui que de restreindre son utilisation de la technologie, comme Internet, dans un contexte professionnel compliquait sa recherche d’un emploi à temps plein. J’ai fait remarquer que M. Harkat s’était conformé aux conditions qui lui avaient été imposées depuis sa mise en liberté en 2006, et que pour adopter pleinement les valeurs de son pays adoptif, il était important qu’il ait la possibilité d’occuper un emploi rémunéré.

[47]  Même si les ministres étaient disposés à assouplir cette condition, ils se sont opposés à la demande d’« approbation générale » en raison du risque de communications non surveillées et anonymes. Ils ont proposé que chaque demande soit examinée individuellement, et ont convenu que l’approbation de l’ASFC ne devait pas être indûment retenue.

[48]  J’ai donc indiqué dans mes motifs que j’étais encline à accorder à M. Harkat le droit d’utiliser un ordinateur, y compris Internet, à des fins d’emploi, sous réserve de certaines restrictions. Après examen par les parties, la condition a été formulée comme suit :

[traduction

7.  […]

[…]

i)  M. Harkat peut, avec le consentement de l’ASFC et si son employeur l’exige, utiliser un ordinateur de bureau ou un ordinateur portatif avec connexion Internet uniquement à des fins professionnelles. Les parties doivent définir au préalable les types de technologies dont M. Harkat pourra se servir. S’il envisage d’occuper un emploi, M. Harkat doit informer l’ASFC du nom de son employeur prospectif, des fonctions qu’il sera appelé à remplir, de la technologie qu’il devra utiliser et à laquelle il devra avoir accès dans le cadre de son emploi, y compris Internet, l’usage qu’il en fera, et le nombre d’heures par semaine qu’il devra l’utiliser. Sur avis de M. Harkat, l’ASFC examinera sans tarder son emploi prospectif et lui répondra rapidement et avec diligence. Si les parties ne parviennent pas à un consensus, elles peuvent s’adresser à la Cour pour obtenir une décision. Dans tous les cas, M. Harkat devra signer un engagement portant qu’il n’utilisera la technologie ou Internet qu’à des fins d’emploi et que toute utilisation non autorisée entraînera une violation des conditions auxquels il est soumis. M. Harkat devra également informer son employeur de cette condition et lui demander de signaler à l’ASFC toute utilisation non autorisée. M. Harkat fournira à l’employeur le nom et le numéro de la personne-ressource à l’ASFC et fournira à l’ASFC le nom et le numéro de son superviseur au travail.

[…]

[49]  Les ministres demandent à présent à ce que cette condition soit supprimée, et ce pour plusieurs raisons. Ils soutiennent que M. Harkat a commis deux violations graves des modalités et des conditions imposées par la Cour, qui concernent toutes deux (2) son utilisation personnelle d’Internet. Aussi, l’employeur de M. Harkat a montré jusqu’à présent qu’il n’avait nullement l’intention de coopérer avec l’ASFC. Les ministres font valoir qu’il est impossible d’appliquer une condition exigeant la coopération d’une tierce partie qui a fait savoir qu’elle ne coopérera pas avec l’ASFC.

[50]  Les ministres ne m’ont pas convaincue que M. Harkat ne devrait pas être autorisé à utiliser un ordinateur avec une connexion Internet à des fins d’emploi.

[51]  Comme je l’indiquais lors de mon dernier contrôle, je crois qu’il existe très peu d’emplois qui ne requièrent aucune forme de technologie ni n’imposent d’utiliser Internet. Je pense également que l’incapacité à obtenir un emploi rémunéré peut être une source de frustration. Cette frustration peut à son tour affecter la santé mentale et causer d’autres problèmes. La Cour suprême du Canada a décrit l’accès à Internet comme un « élément de plus en plus essentiel à la vie quotidienne » (R c KRJ, 2016 CSC 31, au par. 54).

[52]  La preuve qui m’a été présentée concernant les conditions précises d’emploi de M. Harkat et son accès à un ordinateur avec connexion Internet est très négligeable. Durant l’audience, son avocate a fait valoir que lorsqu’il travaille de nuit à son emploi actuel, personne n’est là pour le surveiller donc, en théorie, il pourrait utiliser l’ordinateur à proximité s’il voulait surfer sur Internet. Selon elle, soit la Cour lui fait confiance soit elle ne lui fait pas confiance.

[53]  Si M. Harkat doit utiliser un ordinateur avec une connexion Internet dans son emploi actuel, je crois qu’une option permettant de résoudre cette question consisterait à l’autoriser à apporter son ordinateur portatif personnel au travail, pour autant qu’il ne contienne aucun disque à circuits intégrés [SSD]. D’après la preuve fournie par les enquêteurs en criminalistique numérique des ministres, la présence d’un SSD sur l’ordinateur de M. Harkat compromettrait la valeur probante des données copiées pour inspection. Un SSD réalise un certain nombre de fonctions de systèmes qui effaceront certaines données servant aux analyses criminalistiques. Comme les SSD tendent à avoir des capacités moindres que les disques durs traditionnels, ils augmentent également la probabilité que les données soient écrasées. Une fois qu’elles le sont, elles pourraient ne pas être récupérables par la suite.

[54]  La preuve au dossier pour ce qui est de savoir si l’ordinateur de M. Harkat contient déjà un SSD est contradictoire. Jeremy Fernando, l’autre enquêteur en criminalistique numérique qui a témoigné pour le compte des ministres, affirme dans son affidavit qu’il a été informé et croit que M. Harkat a obtenu un SSD en août 2017. Sa preuve concorde avec le prédécesseur de M. Connelly, qui avait établi un affidavit sous serment et témoigné durant le dernier contrôle de M. Harkat. Cependant, M. Létourneau a déclaré ce qui suit :

[traduction

Q.   S’agissant du type d’ordinateur que possède M. Harkat, savez-vous si c’est un SSD ou un ordinateur à plateau?

R.   C’est un disque rotatif.

Q.   Donc, c’est un ordinateur à plateau?

R.   Oui.

(Transcription de l’instance, vol. 2, aux p. 248 et 249)

[55]  M. Létourneau est chargé de créer des images de l’ordinateur de M. Harkat et de les analyser. Durant le contre-interrogatoire mené relativement à son affidavit, il a expliqué que l’une des premières choses qu’il fait lorsqu’il reçoit l’ordinateur de M. Harkat est d’examiner le type de disque dur qu’il contient. Comme il est le mieux placé pour savoir quel type de dispositif d’emmagasinage se trouve dans l’ordinateur de M. Harkat, je présume qu’il a raison et que l’ordinateur personnel de M. Harkat ne comporte actuellement pas de SSD.

[56]  Si M. Harkat est autorisé à utiliser son ordinateur portatif personnel à des fins d’emploi, l’ASFC pourra, grâce à ses procédures actuelles d’inspection, surveiller l’usage qu’il en fait au travail. Elle ne peut faire de même à l’égard de l’ordinateur de l’employeur.

[57]  Si l’ordinateur de M. Harkat contient déjà un SSD, il ne pourra pas l’apporter au travail, car vu la preuve dont je dispose, je crains que l’utilisation accrue n’augmente le risque que des données ne soient écrasées.

[58]  Au cas où M. Harkat serait obligé d’utiliser un ordinateur de l’employeur doté d’une connexion Internet à des fins d’emploi, actuel ou futur, la condition demeurera la même, sauf qu’il devra également fournir les renseignements suivants à l’ASFC :

  le nom de l’employeur prospectif;

  les fonctions qu’il sera tenu de remplir;

  la technologie qu’il devra utiliser et à laquelle il aura accès dans le cadre de son emploi, y compris la marque et le modèle de l’ordinateur, son accès à Internet, l’usage qu’il en fera, le nombre d’heures par semaine qu’il devra s’en servir;

  les programmes qu’il devra utiliser pour s’acquitter de ses tâches;

  la question de savoir s’il devra envoyer ou recevoir des courriels;

  la question de savoir si l’usage de son ordinateur sera contrôlé ou supervisé;

  la politique de l’employeur concernant l’usage personnel de l’ordinateur;

[59]  Même si je conçois que cette liste de renseignements à fournir puisse paraître accablante au premier coup d’œil, elle est importante parce qu’elle permettra à l’ASFC d’évaluer si des problèmes risquent de survenir. Compte tenu de la relation agressive entre les parties, il est nécessaire d’inclure autant de renseignements que possible pour éviter les « va‑et‑vient ». Si M. Harkat envisage de recourir à une technologie dotée d’une connexion Internet à des fins d’emploi, des renseignements exhaustifs devront être fournis d’emblée pour éviter de retarder indûment le processus d’évaluation de l’ASFC.

[60]  Obéissant à la nécessité d’une résolution rapide, l’ASFC devra aussi considérer les renseignements fournis par M. Harkat et lui transmettre une réponse dans les trois (3) jours ouvrables. Même si aucun délai précis n’était mentionné dans l’ordonnance précédente, il ressort de la preuve que l’ASFC a mis du 24 mai au 13 juin 2018 pour informer M. Harkat qu’elle avait refusé sa demande d’utilisation d’un ordinateur doté d’une connexion Internet au travail.

[61]  Si les parties sont incapables de parvenir à un accord, elles peuvent demander à la Cour de rendre une décision. Avant cela, je les encourage à tenter de trouver une autre forme de résolution des différends, par voie privée ou avec l’assistance de la Cour.

[62]  Enfin, pour les mêmes motifs que ceux que j’ai fournis concernant l’utilisation d’un téléphone mobile à des fins d’emploi, je ne suis pas disposée à ordonner que l’employeur, actuel ou futur, de M. Harkat signe une déclaration reconnaissant que ce dernier l’a informé des conditions régissant l’utilisation d’un ordinateur avec connexion Internet. Dans la mesure où les parties parviendront à un accord sur l’usage par M. Harkat d’une technologie ayant une connexion Internet, il suffira à ce dernier de signer un engagement portant qu’il utilisera la technologie ou Internet uniquement à des fins d’emploi et que toute utilisation non autorisée constituera une violation des conditions auxquelles il est soumis. M. Harkat devra également informer son employeur de cette condition et lui demander de signaler à l’ASFC toute utilisation non autorisée. M. Harkat indiquera à l’employeur le nom et le numéro de téléphone de la personne‑ressource à l’ASFC, et fournira à l’ASFC le nom et le numéro de téléphone de son superviseur au travail.

3)  Changements concernant l’utilisation par M. Harkat de son ordinateur

[63]  Les ministres sollicitent un certain nombre d’adaptations des conditions liées à l’utilisation d’un ordinateur par M. Harkat. Elles peuvent être regroupées selon les catégories suivantes : a) matériel informatique; b) applications et sites Web de médias sociaux; c) navigateurs Internet et d) comptes de courriel.

a)  Matériel informatique

[64]  L’ASFC souhaite avoir l’autorité d’approuver au préalable la marque et le modèle de l’ordinateur personnel de M. Harkat. Elle sollicite également l’ajout d’une condition prévoyant que l’ordinateur de bureau ou ordinateur portatif de M. Harkat ne doit pas contenir de « lecteur SSD, de lecteur flash SSD, de lecteur hybride ou de périphérique de stockage flash ». L’ASFC avait présenté cette requête lors du dernier contrôle, mais je l’avais refusée au motif que la preuve justifiant d’imposer une telle condition était insuffisante.

[65]  Comme je l’expliquais précédemment, les enquêteurs en criminalistique numérique des ministres ont attesté que la présence d’un SSD dans l’ordinateur de M. Harkat compromettrait la valeur probante des données copiées aux fins d’inspection. Comme leurs capacités tendent à être plus faibles que celles des disques durs traditionnels, les SSD sont associés à un risque accru que les données soient écrasées et qu’elles deviennent irrécupérables. Les disques durs traditionnels sont associés à de meilleures capacités de récupération des données, car les données effacées demeurent souvent intactes sur le plateau du disque.

[66]  Comme j’autorise M. Harkat à emporter son ordinateur au travail, il est important que les données liées à l’usage qu’il fera de cet ordinateur ne soient pas écrasées. Par conséquent, je fais droit à la demande des ministres pour que l’ordinateur de M. Harkat ne contienne aucun périphérique de stockage flash, y compris lecteur SSD, lecteur flash SSD ou lecteur hybride. Je ne ferai pas droit à la demande visant à faire approuver au préalable la marque et le modèle de l’ordinateur de M. Harkat par l’ASFC, attendu qu’ils ne m’ont pas convaincue que cette condition était nécessaire.

b)  Applications et sites Web de médias sociaux

[67]  La seconde catégorie d’adaptations sollicitées par les ministres concerne l’utilisation par M. Harkat d’applications ou de sites Web de médias sociaux. L’ASFC demande à ce que l’accès de M. Harkat aux applications ou sites Web de médias sociaux, comme Facebook et Twitter, ainsi qu’aux applications et aux sites Web facilitant les clavardages vidéo en ligne, comme Skype, soient soumis aux conditions suivantes :

  • (i) il ne peut obtenir qu’un (1) compte par application ou site Web respectif;

  • (ii) il doit obtenir l’approbation de l’ASFC avant de créer un compte sur les applications ou sites Web facilitant les clavardages vidéo en ligne autres que Skype;

  • (iii) il doit fournir à l’ASFC, immédiatement après avoir créé un compte, son nom d’usager, son mot de passe et toute mise à jour s’y rapportant;

  • (iv) il doit consentir à ce que l’ASFC, ou toute personne désignée par elle, ait accès à ses comptes sans préavis;

  • (v) il ne doit ni altérer ni effacer les relevés d’activités ou de communications sur les sites Web ou applications;

  • (vi) il ne peut accéder à Skype qu’à l’aide de l’application bureautique, et il doit s’assurer de régler ses paramètres Skype de manière à ce que tout l’historique des clavardages et des appels soit sauvegardé pour toujours;

  • (vii) il doit notifier à l’ASFC les noms et adresses Skype des individus avec qui il souhaite communiquer, un mois avant d’engager de telles communications, mais il ne devra fournir un tel avis qu’une seule fois à l’égard de la même personne;

  • (viii) M. Harkat ne doit prendre part à aucune communication sur ces applications ou sites Web à l’égard de laquelle il peut revendiquer le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif au litige.

[68]  Les ministres font valoir que la capacité de l’ASFC de superviser les communications échangées sur Internet et d’autres réseaux sociaux est limitée. Compte tenu de l’évolution rapide et constante des technologies et des services de réseaux sociaux, ils soutiennent qu’il est nécessaire de restreindre l’utilisation des médias sociaux par M. Harkat afin de permettre à l’ASFC de remplir valablement son rôle de supervision.

[69]  M. Harkat soutient en réponse que le fait de restreindre son usage de médias sociaux est futile et injustifié. Il affirme que la Cour ne peut imposer des conditions que si elles sont justifiées et les ministres n’ont fourni aucune raison justifiant ces mesures additionnelles.

[70]  Je ne suis pas de cet avis. Lorsque j’ai été saisie de cette affaire en septembre 2019, les ministres alléguaient que M. Harkat avait violé trois (3) conditions de sa mise en liberté. Ils ont depuis renoncé à leurs allégations entourant la fonctionnalité « Navigation privée » sur son ordinateur, et j’ai conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que M. Harkat avait effacé des courriels sans l’autorisation de l’ASFC. Le fait demeure néanmoins qu’il a violé l’une des conditions de sa mise en liberté.

[71]  Même si le danger associé à M. Harkat a diminué au fil du temps et qu’il se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Harkat 2018, aux par. 50 et 51), des conditions continuent d’être nécessaires pour neutraliser ce danger. L’ASFC doit s’assurer que M. Harkat respecte les modalités et les conditions de sa mise en liberté. Entre-temps, la technologie grand public évolue rapidement et il devient de plus en plus difficile de surveiller l’usage qu’il en fait. Les comptes de médias sociaux facilitent encore davantage les communications non repérables. D’après M. Fernando, il est très facile d’altérer ou d’effacer les communications échangées sur ces comptes, ou de contourner les procédures de contrôle de l’ASFC sans laisser de trace.

[72]  L’ASFC peut déjà accéder au compte de courriel de M. Harkat à distance. Elle contrôle ses communications pour veiller à ce qu’il ne soit pas en contact avec des personnes qui pourraient prendre part à des activités liées à des menaces. Comme son compte de courriel, les comptes de médias sociaux sont accessibles sur Internet et permettent d’établir des communications. Refuser à l’ASFC l’accès aux comptes de médias sociaux de M. Harkat, alors qu’elle a déjà accès à son compte de courriel serait non seulement incohérent, mais permettrait aussi à M. Harkat de rediriger ses communications vers des voies qui ne seraient autrement pas contrôlées.

[73]  Pour ces motifs, je suis disposée à faire droit à la demande des ministres contenue aux alinéas i) à vi) et viii) précités. S’agissant de l’alinéa vii), j’estime que leur demande est déraisonnable. Ils n’ont pas démontré pourquoi il serait nécessaire que M. Harkat notifie à l’ASFC les noms et adresses Skype des individus avec qui il souhaite communiquer.

c)  Navigateurs Internet

[74]  La troisième catégorie d’adaptations sollicitées par les ministres concerne son usage d’un navigateur Internet. Ils demandent à ce que M. Harkat soit uniquement autorisé à utiliser le navigateur Web Internet Explorer, et qu’il lui soit interdit d’installer tout autre navigateur sur son ordinateur. Ils demandent également à ce que tous les navigateurs existants ou installés au préalable soient désinstallés de son ordinateur.

[75]  Compte tenu de la preuve dont je dispose, les ministres n’ont pas réussi à me convaincre que la restriction qu’ils sollicitent est justifiée.

[76]  D’après M. Létourneau, du point de vue de la criminalistique numérique, Internet Explorer est le navigateur le plus adapté pour contrôler le respect des conditions par M. Harkat parce qu’il laisse la meilleure empreinte criminalistique. La fonctionnalité « Navigation privée » d’Internet Explorer laisse de meilleurs artéfacts sur le disque dur, ce qui est dû à la manière dont il met en mémoire les activités de navigation. Les ministres soutiennent donc que de limiter M. Harkat à ce navigateur facilitera la détection future par l’ASFC d’incidents de « Navigation privée », et ajoutent que l’impact de cette restriction sur l’expérience utilisateur est négligeable.

[77]  Durant l’audience, j’ai demandé à M. Létourneau de comparer Internet Explorer à Microsoft Edge. Il a répondu qu’ils étaient [TRADUCTION] « en quelque sorte très similaires » et que la différence tenait [TRADUCTION] « juste à la manière dont l’historique – les données sont emmagasinées »; il a précisé en outre qu’il n’avait pas eu la possibilité de tester Microsoft Edge. S’agissant des autres navigateurs, comme Google Chrome et Mozilla Firefox, il a déclaré qu’ils étaient plus sécurisés et qu’ils laissaient une empreinte moindre parce qu’ils écrasent les données à un moment donné, ce qui complique alors l’examen par l’ASFC de l’historique. Il a ajouté que la création plus fréquente d’images de l’ordinateur de M. Harkat, par exemple tous les mois au lieu de tous les trois (3) mois, comme le prévoient les conditions actuelles, réduirait le risque que l’information soit écrasée. Cependant, du point de vue de la charge de travail, il a ajouté qu’une telle fréquence serait [TRADUCTION] « cauchemardesque », parce qu’elle l’obligerait à travailler 24 heures sur 24.

[78]  Comme Internet Explorer et Microsoft Edge laissent une empreinte semblable, je ne vois pas pourquoi M. Harkat ne peut pas utiliser Microsoft Edge. Quant aux autres navigateurs, je conçois qu’il puisse, dans certains cas, vouloir les utiliser pour des raisons de compatibilité. Par exemple, il est possible que certains sites Web ne fonctionnent pas correctement dans des navigateurs particuliers. D’après la preuve, ces autres navigateurs laissent des empreintes criminalistiques, quoique non optimales aux fins d’un contrôle criminalistique. Dans la mesure où M. Harkat souhaite utiliser ces autres navigateurs régulièrement, il devra accepter que l’ASFC veuille probablement inspecter son ordinateur plus souvent. Dans l’état actuel des choses, la preuve démontre que l’ASFC ne se prévaut pas de son droit d’inspecter son ordinateur tous les trois (3) mois. D’ailleurs, au cours des dernières années, elle a attendu un an entre les inspections.

[79]  En plus de la restriction liée à son usage d’un navigateur Internet, les ministres sollicitent également le droit de contacter le fournisseur d’accès Internet [FAI] de M. Harkat afin d’obtenir un relevé de son activité Internet. Ils demandent également à ce qu’il soit ordonné à M. Harkat de consentir à ce que l’ASFC, ou toute personne désignée par elle, obtiennent le relevé de son FAI.

[80]  À mon avis, cette demande est infondée et non corroborée par la preuve. Lorsque les ministres auront des motifs raisonnables de demander un relevé de l’activité Internet de M. Harkat, ils pourront solliciter l’autorisation judiciaire d’un juge désigné de notre Cour.

d)  Compte de courriel

[81]  La dernière catégorie d’adaptations sollicitées par les ministres concerne le compte de courriel de M. Harkat. Ils demandent que M. Harkat ne soit autorisé à n’avoir qu’un (1) seul compte de courriel, suivant les conditions suivantes :

  • (i) Le compte de courriel doit être en ligne;

  • (ii) M. Harkat ne doit pas consulter ses courriels par le biais d’un navigateur Web, mais seulement à l’aide d’un logiciel de courriel client comme Outlook ou Thunderbird, installé sur son ordinateur à domicile. Quel que soit le logiciel utilisé, il est interdit de le configurer de manière à autoriser l’accès à des applications de clavardage.

  • (iii) M. Harkat doit, immédiatement après avoir ouvert le compte de courriel, fournir à l’ASFC l’adresse courriel, son nom d’usager et son mot de passe. M. Harkat doit tenir l’ASFC informée de toute mise à jour concernant son compte de courriel dès qu’il fait des changements;

  • (iv) M. Harkat doit consentir à ce que l’ASFC, ou toute personne désignée par elle, aient accès sans préavis à son compte de courriel, y compris à son mot de passe complet et correct en tout temps.

  • (v) M. Harkat doit s’assurer que personne d’autre, hormis lui et l’ASFC ou les agents de l’ASFC, n’ait accès à son compte;

  • (vi) M. Harkat ne doit ni altérer ni modifier les courriels envoyés ou reçus et il ne doit effacer aucun brouillon de courriel ou courriel envoyé ou reçu sans l’autorisation expresse et écrite des responsables de l’ASFC;

  • (vii) M. Harkat ne doit prendre part à aucune communication par courriel à l’égard de laquelle il peut invoquer le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif au litige.

[82]  À mon avis, les conditions énumérées aux alinéas (i) et (iii) à (vii) ne représentent pas un changement marqué par rapport à la situation actuelle. Le compte de courriel de M. Harkat est déjà accessible en ligne et l’ASFC a accès à son adresse courriel, à son nom d’usager et à son mot de passe. M. Harkat doit fournir à l’ASFC les mots de passe requis pour accéder aux différentes composantes de son ordinateur. J’ai déjà indiqué que ces composantes comprenaient son compte de courriel. Les conditions auxquelles il est actuellement soumis lui interdisent également d’altérer ou de modifier les courriels envoyés ou reçus, et d’effacer les brouillons de courriels ou les courriels envoyés ou reçus sans l’autorisation expresse et écrite des responsables de l’ASFC.

[83]  Le changement le plus significatif sollicité par les ministres veut que M. Harkat ne soit en mesure d’accéder à son compte de courriel que par le biais d’un logiciel de courriel client comme Microsoft Outlook ou Mozilla Thunderbird. D’après les ministres, un tel logiciel garantirait un certain degré de protection qui permettra aux fonctionnaires de l’ASFC de contrôler les courriels de M. Harkat.

[84]  D’après la preuve des enquêteurs en criminalistique numérique des ministres, les outils logiciels en criminalistique numérique de l’ASFC permettent de télécharger certaines informations nuagiques, mais les renseignements récupérés ne sont pas aussi détaillés que les données issues de l’analyse d’une copie du disque. La capacité de l’ASFC d’extraire des données en ligne se limite aux dossiers qui sont actifs, ce qui veut dire qu’elle ne peut récupérer des éléments effacés des « sources infonuagiques ». La personne qui accède à son compte de courriel à l’aide d’un navigateur Web peut altérer ou effacer des messages en laissant peu ou pas de trace. D’après M. Fernando, il est très improbable que les outils de contrôle de l’ASFC puissent retrouver les messages altérés ou effacés, sans parler d’indiquer qu’une communication a été effacée ou altérée.

[85]  D’un autre côté, celui qui accède à son compte de courriel à l’aide d’un logiciel de courriel client, comme Microsoft Outlook ou Mozilla Thunderbird, aura beaucoup plus de difficulté à altérer ou à effacer des messages courriel sans laisser de trace. Cela s’explique par le fait que les logiciels de courriel client sont habituellement configurés de manière à enregistrer les messages localement sur l’ordinateur de l’utilisateur. Un logiciel de courriel client peut également être configuré de manière à conserver les messages intacts sur le serveur de courriel et à désactiver les fonctions prévues pour supprimer des messages à des fins de nettoyage ou de gestion de la capacité de stockage. L’ASFC pourra ainsi facilement accéder au compte de courriel de M. Harkat par son processus actuel d’inspection.

[86]  M. Ellwood a laissé entendre que l’ASFC pouvait obtenir des résultats semblables en appliquant une politique de conservation appelée « préservation de la preuve », ajoutant que l’ASFC pouvait être l’administratrice du compte de courriel associé que M. Harkat pourrait alors utiliser. D’après lui, la préservation de la preuve serait peu coûteuse et assez facile à mettre en place.

[87]  Vu que les deux (2) prétendues violations reprochées à M. Harkat concernent l’utilisation de son compte de courriel, j’estime que la demande des ministres est non seulement justifiée, mais qu’elle est aussi raisonnable. Comme les courriels de M. Harkat seront stockés localement sur son ordinateur jusqu’au prochain contrôle de l’ASFC, un logiciel de courriel client éviterait à l’avenir des problèmes potentiels et mettrait M. Harkat à l’abri d’allégations infondées de violation des conditions. Comme les ministres n’ont pas signalé de préférence entre Microsoft Outlook et Mozilla Thunderbird, je laisserai le choix à M. Harkat.

[88]  S’agissant de la demande des ministres visant à limiter M. Harkat à un (1) compte de courriel, je ne suis pas convaincue que cette restriction soit justifiée. Je peux penser à plusieurs raisons pour lesquelles il pourrait être souhaitable d’avoir plus d’un (1) compte de courriel. Par exemple, un compte secondaire pourrait être utilisé pour détourner les courriels non sollicités du compte principal. Un autre compte peut également être créé par le biais des employeurs ou des établissements d’enseignement. Si M. Harkat décide d’utiliser d’autres comptes de courriel, je suis convaincue que les préoccupations de l’ASFC seront atténuées pour autant qu’il en communique les caractéristiques et que les autres conditions prévues s’appliquent à chacun de ses comptes de courriel. M. Harkat devra se limiter à trois (3) comptes de courriel au maximum.

4)  Autres questions en suspens soulevées par M. Harkat

[89]  Hormis les adaptations examinées précédemment, M. Harkat propose des changements qui concernent son utilisation d’un téléphone mobile, les lieux où il peut utiliser son ordinateur portatif, les inspections de son ordinateur, les conditions de reddition de comptes auxquelles il est soumis, ses déplacements à l’extérieur de la Région de la capitale nationale, les personnes qui résident avec lui et la surveillance de l’ASFC.

a)  Téléphone mobile

[90]  M. Harkat propose d’être autorisé à avoir un téléphone mobile pour son usage personnel. Il n’y emmagasinerait pas de renseignements visés par le secret professionnel de l’avocat, et le soumettrait à l’inspection de l’ASFC à des intervalles raisonnables. Les conditions actuelles liées au « téléphone mobile » continueraient de s’appliquer, notamment l’obligation pour M. Harkat 1) de n’autoriser personne à utiliser son téléphone mobile; ii) de fournir à l’ASFC le nom du fournisseur de services, le numéro de téléphone et les mots de passe pour accéder au téléphone; 3) de consentir à ce que l’ASFC, ou toute personne désignée par elle, obtienne du fournisseur de services les relevés des communications téléphoniques et des messages textes et les soumette à un contrôle; 4) de consentir à ce que l’ASFC obtienne les ordonnances de la Cour qui pourraient être requises pour obtenir ces relevés de communications.

[91]  Les ministres soutiennent que rien n’étaye cette demande, compte tenu des prétendues violations. M. Harkat est autorisé à utiliser un téléphone mobile à des fins personnelles depuis 2014, au titre des ordonnances rendues par le juge Simon Noël le 31 octobre 2014 et le 16 janvier 2015. De plus, lors du dernier contrôle en novembre 2017, M. Harkat a informé la Cour qu’il ne sollicitait aucun changement des modalités et des conditions associées au téléphone mobile pour usage personnel. Les ministres soutiennent que si M. Harkat veut commencer à utiliser un téléphone mobile à des fins personnelles, il peut le faire conformément à l’article 4 des modalités et des conditions.

[92]  J’ai indiqué lors de mon dernier contrôle que comme M. Harkat ne demandait plus d’avoir un téléphone mobile avec connexion Internet, la condition 4 demeurerait inchangée, sous réserve de quelques modifications. J’ai également précisé que les parties pouvaient revenir devant la Cour lorsque M. Harkat serait prêt à avoir un téléphone mobile doté d’une carte SIM avec connexion Internet, et que je m’attendais qu’il démontre à ce moment‑là pourquoi il avait besoin d’un téléphone mobile avec connexion Internet, comment il avait l’intention de l’utiliser et à quelles fins. Pour ce qui est des ministres, j’ai indiqué que je m’attendais à ce qu’ils produisent des éléments de preuve démontrant comment le contrôle de l’utilisation Internet sur un téléphone mobile diffère de celui effectué sur un ordinateur, si des modèles particuliers avaient une plus grande capacité d’emmagasinage et quel type de supervision serait requise pour autoriser l’utilisation d’un téléphone mobile avec connexion Internet.

[93]  D’après la preuve des ministres, il est difficile de surveiller l’usage des téléphones mobiles. Ces téléphones conservent généralement moins de données que les ordinateurs personnels et à ce titre, il est plus probable que les données effacées soient écrasées sur un téléphone mobile que sur un ordinateur personnel. La capacité de récupérer des données effacées est plus limitée sur un téléphone mobile à la fois en raison de la quantité de données pouvant être récupérées et de l’intervalle plus restreint à l’intérieur duquel elles peuvent l’être. Les ministres n’ont fourni aucune preuve indiquant si des modèles particuliers avaient une plus grande capacité d’emmagasinage ou quel type de supervision serait requise pour surveiller efficacement l’utilisation de M. Harkat.

[94]  L’épouse de M. Harkat a fourni un témoignage écrit indiquant que son mari souhaite continuer à utiliser le téléphone mobile fourni par son employeur, lequel n’est pourvu d’aucune connexion Internet, parce qu’il en a besoin pour son travail et pour communiquer avec elle. Il aimerait aussi obtenir l’autorisation d’utiliser d’autres téléphones mobiles et téléphones fixes pour pouvoir rendre des comptes à l’ASFC ou s’en servir en cas d’urgence pendant ses déplacements.

[95]  M. Harkat a déclaré durant son témoignage qu’il s’est rendu dans de nombreux commerces pour acquérir un « simple téléphone », mais il prétend qu’il est impossible de trouver un téléphone mobile sans connexion Internet pouvant être activé par un fournisseur de services.

[96]  Je suis encline à faire droit à la demande de M. Harkat d’accès à un téléphone mobile avec connexion Internet pour un certain nombre de raisons. Premièrement, je conviens avec lui que l’évolution de la technologie grand public rend de plus en plus difficile de trouver un téléphone mobile sans connexion Internet, que ce soit par le biais de réseaux de données cellulaires ou Wi‑Fi. Deuxièmement, même si son employeur actuel est en mesure de confirmer que le téléphone qu’il lui fournit n’a aucune connexion Internet, l’ASFC n’exerce aucun contrôle sur ce téléphone. Elle ne peut l’inspecter et il semble que M. Harkat n’en soit pas le seul utilisateur. Troisièmement, l’ASFC aura accès aux comptes de médias sociaux et autres comptes en ligne de M. Harkat afin de contrôler ses communications. Quatrièmement, l’ASFC continuera de surveiller ses courriels, et la nouvelle condition l’obligeant à utiliser un logiciel de courriel client sur son ordinateur facilitera ce contrôle. Enfin, sa capacité à utiliser un téléphone mobile personnel avec connexion Internet sera soumise à un certain nombre de conditions, à déterminer, afin de s’assurer que l’ASFC puisse contrôler efficacement ce téléphone. En fait, l’avocate de M. Harkat indique dans ses observations que son client est disposé à faire inspecter son téléphone une fois par semaine si nécessaire.

[97]  Comme l’a démontré la preuve, un certain nombre de facteurs sont susceptibles d’influencer ou d’affecter la capacité de contrôle par l’ASFC d’un téléphone mobile. Par conséquent, avant d’obtenir un tel téléphone, M. Harkat doit communiquer à l’ASFC la marque et le numéro de modèle du téléphone mobile qu’il a l’intention d’utiliser, ses capacités d’emmagasinage, le nom du fournisseur de services, et des détails relatifs au plan de service sans fil qu’il a l’intention d’utiliser. Dans les cinq (5) jours ouvrables de la réception de ces renseignements, l’ASFC devra informer M. Harkat de la fréquence à laquelle les inspections devront avoir lieu pour veiller à ce que les données ne soient pas écrasées. En même temps, l’ASFC indiquera quelles conditions doivent être imposées pour surveiller l’utilisation par M. Harkat du téléphone, au‑delà de celles qu’il a proposées à la page 58 de son dossier de requête. Si les parties ne peuvent s’entendre sur la fréquence des inspections et les conditions d’utilisation, elles peuvent demander l’assistance de la Cour.

[98]  D’ici là, sous réserve des commentaires que j’ai formulés dans le paragraphe précédent, les conditions régissant l’utilisation par M. Harkat d’un téléphone mobile à des fins personnelles demeureront inchangées. Pour plus de certitude, cela n’affecte pas la modification susmentionnée à l’alinéa 4r) des conditions, qui régit son utilisation d’un téléphone mobile à des fins d’emploi. Les ministres ont également proposé deux (2) autres modifications (alinéas 4t) et 4u)) des conditions, mais celles‑ci ne seront semble-t-il pertinentes que lorsque M. Harkat voudra utiliser un téléphone mobile avec connexion Internet à des fins personnelles.

b)  Ordinateur portatif

[99]  M. Harkat demande à la Cour de supprimer les mots « à sa résidence » qui se trouvent au début de l’article 7 des modalités et des conditions de manière à ce qu’il puisse utiliser son ordinateur portatif à l’extérieur de chez lui.

[100]  Lors de mon dernier contrôle, les ministres se sont opposés à la demande qu’avait présentée M. Harkat de pouvoir utiliser l’ordinateur portatif à l’extérieur de chez lui au motif que l’ASFC ne pourrait pas surveiller ses communications ni veiller à ce qu’il ne participe pas à des communications irrégulières ou non autorisées. Dans mes motifs, j’avais indiqué que si M. Harkat souhaitait utiliser l’ordinateur portatif à l’extérieur de chez lui, il devait se préparer à démontrer pourquoi il avait besoin de le faire. J’ai également précisé que l’ASFC devait se préparer à démontrer, par des détails suffisants, pourquoi la demande de M. Harkat ne pouvait pas être ménagée.

[101]  Les observations soumises par M. Harkat dans le cadre du présent contrôle n’abordent pas explicitement cette question. De plus, peu d’éléments de preuve ont été présentés pour satisfaire aux instructions formulées lors de mon dernier contrôle. Même si j’ai décidé d’autoriser M. Harkat à utiliser son ordinateur portatif personnel au travail, je ne suis pas disposée à ce moment‑ci à prévoir d’autres exceptions. Par conséquent, les mots « à sa résidence » demeureront à l’article 7 des conditions.

c)  Inspections de l’ordinateur

[102]  Les ministres ont initialement demandé à accroître la fréquence des inspections de l’ordinateur de M. Harkat de manière à ce qu’elles aient lieu tous les mois au lieu de tous les trois (3) mois. Cependant, le 15 octobre 2019, ils ont modifié leur demande parce qu’ils n’avaient pas pu démontrer que M. Harkat avait utilisé la fonction « Navigation privée » d’Internet Explorer. Ce faisant, ils ont renoncé à leur demande d’inspection mensuelle.

[103]  M. Harkat demande pour sa part à ce que la fréquence soit réduite aux six (6) mois.

[104]  Je ne peux faire droit à la demande de M. Harkat de réduire la fréquence des inspections. L’ASFC doit être en mesure de surveiller efficacement l’utilisation qu’il fait de son ordinateur, compte tenu en particulier de l’évolution de la technologie grand public combinée à son accès à présent étendu à différents navigateurs Web et comptes en ligne. Pour ces motifs, la condition liée à la fréquence des inspections prévoira encore des inspections aux trois (3) mois.

d)  Conditions de reddition de comptes

[105]  Lors de mon dernier contrôle, la fréquence en matière de reddition de comptes par M. Harkat a été allégée, passant de toutes les deux (2) semaines à une fois par mois, au jour et à l’heure déterminés par un représentant de l’ASFC. La condition prévoyait également que les exigences en matière de reddition de comptes pouvaient être allégées par l’ASFC sans qu’elle ait à demander l’autorisation de la Cour.

[106]  M. Harkat souhaite faire modifier cette condition de manière à ce qu’il ne soit tenu de rendre des comptes à l’ASFC qu’une fois aux trois (3) mois.

[107]  Comme je ne dispose d’aucune preuve sur la fréquence de la reddition de comptes et ses modalités, je ne suis pas disposée à modifier cette condition.

e)  Déplacements

[108]  Lors de mon dernier contrôle, j’ai élargi les opportunités de déplacement de M. Harkat qui a été autorisé à se rendre n’importe où en Ontario et au Québec sans avoir à en aviser l’ASFC. J’ai estimé qu’une fenêtre de soixante-douze (72) heures était à la fois proportionnée et raisonnable, vu l’observance passée des conditions par M. Harkat et le risque minimal associé à l’assouplissement de cette condition. Cela a permis à M. Harkat et à sa famille de se déplacer avec plus de flexibilité et de rendre visite à des amis et à de la famille lors de longues fins de semaine sans avoir à s’inquiéter de devoir rendre des comptes quotidiennement à l’ASFC, surtout lorsqu’il n’avait pas accès à un téléphone, comme lorsqu’ils sont allés au chalet de la sœur de Mme Harkat.

[109]  M. Harkat demande à présent à la Cour l’autorisation de se déplacer à l’intérieur de l’Ontario et du Québec pour une période allant jusqu’à cent vingt (120) heures, sans avoir à en aviser l’ASFC. Dans son affidavit, Mme Harkat affirme que le changement en 2018 a été très positif pour eux et pour toute leur famille, et elle précise les endroits où ils ont pu aller. Bien que le changement ait été positif, elle a expliqué durant son témoignage qu’elle a de la famille au nord du Québec, mais qu’à cause de la distance, ils perdent un jour pour s’y rendre en voiture et un autre jour pour en revenir. Elle ajoute également que sa famille a des propriétés en temps partagé en Ontario où ils aimeraient aller.

[110]  Les ministres font valoir qu’il n’est pas justifié d’assouplir davantage les conditions en raison des violations.

[111]  Même si j’ai conclu que M. Harkat a violé l’une des conditions liées à l’utilisation de son ordinateur, je ne dispose d’aucune preuve établissant qu’il a fait un mauvais usage de la condition assouplie liée aux déplacements. Je trouve ses raisons convaincantes et je suis donc disposée à lui accorder un délai additionnel de 24 heures pour se déplacer à l’intérieur de l’Ontario et du Québec sans avoir à en aviser l’ASFC. Cela donnera à M. Harkat deux (2) jours complets pour rendre visite à la famille de son épouse, après avoir pris en compte la durée de déplacement.

f)  Résidence

[112]  M. Harkat propose d’éliminer l’exigence suivant laquelle les autres occupants de sa résidence doivent signer une entente autorisant l’ASFC à y entrer. En dehors de Mme Harkat, il n’y a actuellement pas d’autre occupant, et il n’est pas prévu qu’il y en ait.

[113]  Aux termes des modalités et des conditions de mise en liberté, tous les autres occupants de la résidence ou tout nouvel occupant doivent signer un document, sous une forme acceptable pour les avocats des ministres, attestant qu’ils acceptent de s’y conformer. Il semble que M. Harkat demande à ce que seule sa femme, la seule autre occupante actuelle de la résidence, soit tenue de signer le document.

[114]  Je ne suis pas disposée à supprimer cette condition. Si de nouveaux occupants ne sont pas prévus, personne ne subit d’inconvénient. Si les Harkat décident d’ajouter d’autres occupants, l’ASFC a intérêt à s’assurer qu’ils acceptent de se conformer aux conditions de la mise en liberté de M. Harkat.

g)  Surveillance

[115]  Lors de mon dernier contrôle, j’ai fait part de mes préoccupations liées au degré d’intrusion de la surveillance physique exercée par l’ASFC et à l’absence du moindre cadre permettant de s’assurer et de vérifier que cette surveillance s’effectue de la manière la moins importune possible. L’ASFC a accepté d’examiner son processus de contrôle afin d’assurer le maintien d’un équilibre adéquat entre le risque que représente M. Harkat et la nécessité de veiller à ce que les modalités et les conditions soient respectées. J’ai vivement conseillé à l’ASFC d’adopter un processus de contrôle qui ne soit pas le moindrement arbitraire, qui assure la proportionnalité, l’orientation et les examens périodiques. J’ai également ordonné que les modalités et les conditions de M. Harkat soient modifiées pour que la question du contrôle soit spécialement abordée.

[116]  La condition actuelle concernant la surveillance est la suivante :

[traduction

20.  La surveillance effectuée par l’ASFC devra se faire de la manière la moins importune possible et ne pas être disproportionnée par rapport au danger que représente M. Harkat. L’ASFC doit veiller à ce que ses agents reçoivent des orientations quant au calendrier et aux modalités de la surveillance physique, et s’assurer que les mesures de contrôle mises en place sont soumises à des examens périodiques pour en évaluer le caractère approprié;

[117]  M. Harkat demande à présent que l’ASFC ne mène ses activités de surveillance que s’il continue de causer un réel danger. Il demande également à ce que l’ASFC soit tenue de rendre des comptes à la Cour une (1) fois par an 1) sur les efforts qu’elle déploie en matière d’orientation en ce qui touche le calendrier et les modalités de la surveillance physique et 2) sur ses examens périodiques du caractère approprié des mesures de contrôle.

[118]  M. Connelly a décrit durant sa déposition les modalités de la surveillance, déclarant que l’ASFC en avait réduit la fréquence et la durée et qu’elle avait établi un cadre de suivi de la surveillance.

[119]  Mme Harkat a déclaré durant son témoignage que d’après ses estimations, l’ASFC effectuait une surveillance en moyenne deux (2) à trois (3) fois par semaine. M. Harkat a affirmé durant son témoignage que la fréquence était plutôt de trois (3) fois par mois. Son témoignage concorde davantage avec le sommaire mensuel de contrôle fourni par l’ASFC à l’avocate de M. Harkat et à la Cour.

[120]  Lors de mon dernier contrôle, j’ai reconnu qu’un contrôle était nécessaire pour veiller à ce que M. Harkat respecte les modalités et les conditions de sa mise en liberté. Il ressort de la preuve que l’ASFC pourrait avoir interprété cette déclaration comme l’obligeant à mener une surveillance. Ce n’est pas le cas. Le contrôle peut prendre différentes formes, la surveillance physique n’étant que l’une d’elles. Par exemple, l’usage par M. Harkat de son ordinateur est contrôlé grâce à l’inspection de son ordinateur et à la vérification à distance de son compte de courriel. S’agissant de la surveillance physique, elle pourrait le dissuader de poser ou de dissimuler une activité prohibée, mais elle doit avoir pour objet une activité précise que M. Harkat doit ou ne doit pas faire aux termes des modalités et des conditions de sa mise en liberté. Dans tous les cas, la surveillance doit être la moins importune possible, et ne pas être disproportionnée par rapport au danger représenté par M. Harkat. Je recommanderais également que toute surveillance future veille autant que possible à éviter de stigmatiser davantage M. et Mme Harkat auprès de leurs parents, amis et voisins.

[121]  Cela étant dit, je ne suis pas convaincue que la surveillance doive seulement avoir pour objet de débusquer un danger réel et positif posé par M. Harkat, comme l’a fait valoir son avocate. Même si je reconnais que la surveillance peut être importune, je réitère qu’elle une conséquence malheureuse pour celui visé par un certificat de sécurité.

[122]  Je ne suis pas disposée à autoriser les changements proposés par M. Harkat, notamment celui qui obligerait l’ASFC à rendre compte de ses mesures de contrôle à la Cour sur une base annuelle. Cependant, aux fins des contrôles futurs, je m’attends à ce que l’ASFC présente une preuve détaillée des efforts qu’elle a déployés pour veiller à ce que ses mesures de contrôle soient le moins importunes possible et demeurent proportionnées par rapport au danger posé. Cette preuve doit également, dans la mesure du possible, être communiquée à l’avocate de M. Harkat.

5)  Résolution informelle

[123]  Durant leurs observations, les avocats ont proposé la mise en place d’un mécanisme permettant une meilleure résolution des différends entre les parties dans un cadre non contentieux. D’après l’avocate de M. Harkat, des rencontres ont initialement été organisées avec l’ASFC pour établir un cadre régissant le déroulement de ces instances. Elle a également indiqué que dans une autre affaire de certificat de sécurité à laquelle elle était mêlée, le juge a mis en place une forme d’arbitrage ou de médiation dans le cadre duquel les parties s’expriment [TRADUCTION] « de manière non officieuse ». À ce qu’elle prétend, cela a été très efficace. À son avis, une démarche semblable ne poserait aucun problème en l’espèce et pourrait être adoptée soit avec l’assistance de la Cour ou par les parties qui tenteraient dans un premier temps de résoudre les questions qui continuent de les diviser.

[124]  Je félicite les avocats d’avoir reconnu que de nombreuses questions peuvent être résolues de manière proactive si les parties sont en mesure d’en discuter en dehors d’un contexte contradictoire. Je suis du même avis. Les parties sont encouragées à résoudre leurs différends en recourant à des processus moins coûteux et moins agressifs, ce qui pourrait comprendre une médiation privée, une médiation assistée par la Cour ou d’autres formes de résolution de litiges.

III.  Conclusion

[125]  Compte tenu des motifs qui précèdent, je conclus que les adaptations évoquées précédemment suffisent à neutraliser le danger que représente M. Harkat et sont proportionnelles par rapport au risque qu’il pose. Les autres modalités et conditions demeurent inchangées.

[126]  Suivant la réception de ces motifs, les ministres auront dix (10) jours pour rédiger les nouvelles modalités et conditions de la mise en liberté de M. Harkat, conformément aux décisions énoncées dans les présents motifs, et les soumettre à l’approbation de l’avocate de M. Harkat. Si elles sont incapables de se mettre d’accord sur le libellé d’une version préliminaire des modalités et conditions révisées, les parties pourront revenir devant la Cour pour obtenir une décision. Une fois approuvées par les parties et la Cour, les modalités et les conditions révisées constitueront une annexe à l’ordonnance que la Cour devra délivrer à une date ultérieure. Les modalités et les conditions révisées prendront effet à la signature de cette ordonnance. Les ministres prendront sur‑le‑champ les mesures nécessaires pour donner effet aux nouvelles modalités et conditions.

[127]  Les parties sont invitées à soumettre des questions graves de portée générale au titre de l’article 82.3 de la LIPR. Elles auront dix (10) jours pour ce faire et disposeront de cinq (5) jours additionnels pour commenter les questions soumises, le cas échéant.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 juin 2020

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de juillet 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES‑5‑08

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ET Mohamed Harkat

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE EN PERSONNE À toronto (ontario) et PAR VIDÉOCONFÉRENCE DEPUIS ottawa, (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 18, 19 ET 20 SEPTEMBRE 2019

LES 15 ET 16 OCTOBRE 2019

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 19 JUIN 2020

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR MOHAMED HARKAT

Nadine Silverman

Kevin Spykerman

POUR LES MINISTRES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR MOHAMED HARKAT

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES MINISTRES

 

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