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Date : 19990729

Dossier : IMM-3986-98

ENTRE :

                                                             HONG-YANG YAO,

                                                                                                                                   demanderesse,

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]         La demanderesse, Hong-Yang Yao, habite en Chine. Elle a un diplôme universitaire en administration des affaires, et elle a écrit six livres sur les affaires et l'économie, qui lui ont rapporté d'importants revenus en Chine. Elle a demandé à venir travailler au Canada à titre d'écrivain autonome. L'agent des visas de Hong Kong a rejeté la demande d'immigration de Mme Yao. Cette dernière demande le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]         La décision de l'agente des visas est fondée sur le fait que Mme Yao n'est pas visée par la définition de « travailleur autonome » de la Loi sur l'immigration, qui prévoit :

... un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et de contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.


[3]         La jurisprudence établit qu'une demande comme celle de Mme Yao ne peut être approuvée que si l'agent des visas est convaincu qu'elle satisfait à cette définition : Pourkazemi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] A.C.F. no 1665 (QL) (C.F. 1re inst.) et Oh c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] A.C.F. no 435 (QL) (C.F. 1re inst.).

[4]         Dans le contexte de la demande de Mme Yao, la définition de « travailleur autonome » est tributaire des trois questions suivantes, chacune devant recevoir une réponse affirmative :

1) Mme Yao a-t-elle l'intention d'établir une entreprise au Canada de façon à créer un emploi pour elle-même?

2) Mme Yao est-elle en mesure d'établir une telle entreprise?

3) Si l'entreprise de Mme Yao est établie, contribuera-t-elle de façon importante à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada?

[5]         En l'instance, la réponse à la première question est affirmative puisque le fondement même de la demande de Mme Yao est son intention d'établir une entreprise. L'agente des visas a conclu que les deux autres questions devaient recevoir une réponse négative. Le représentant de Mme Yao soutient que l'agente des visas a commis une erreur en traitant des deuxième et troisième questions.

Mme Yao est-elle en mesure de s'établir au Canada en tant qu'écrivain autonome

[6]         Le dossier indique que Mme Yao a démontré son aptitude à écrire des livres dans le domaine des affaires et de l'économie, travail pour lequel elle a reçu des sommes importantes en Chine. Elle a réalisé cela tout en occupant un ou plusieurs postes salariés à temps plein. Ses livres ont été publiés et vendus en Chine par l'entremise d'un agent, qui décide ce qui sera publié et qui s'occupe de la vente des livres ainsi que de toutes les questions fiscales et d'affaires.

[7]         Sur la question de savoir si Mme Yao est en mesure de travailler en tant qu'écrivain autonome au Canada, l'agente des visas a dit ceci :

                [traduction]

Vous n'avez jamais eu l'occasion de développer les aptitudes nécessaires pour devenir travailleur autonome au Canada. L'expérience dont vous vous prévalez comme « travailleur autonome » depuis 1987 consiste simplement à avoir écrit six volumes alors que vous aviez un emploi salarié à plein temps ou deux à temps partiel auprès de compagnies dans le Shanxi. Vous avez déclaré à l'entrevue que c'est votre agent qui décide ce qui sera publié et que ce dernier vous verse une somme nette d'impôt pour chacun des livres que vous écrivez. Le rôle limité que vous avez eu dans la publication de ces livres ne vous a pas permis de développer les compétences nécessaires pour créer un emploi pour vous-même au Canada. De plus, je ne suis pas convaincu que la recherche que vous avez effectuée relativement au marché où vous voulez établir votre entreprise au Canada vous permette de surmonter votre manque de compétences.

[8]         L'avocate de Mme Yao et celle du ministre donnent une interprétation différente à cette déclaration. L'avocate de Mme Yao dit que l'agente des visas dépréciait les réalisations incontestables de Mme Yao, et elle soutient que le défaut de l'agent des visas de bien évaluer la preuve l'a menée à une conclusion abusive. L'avocate du ministre soutient que la déclaration susmentionnée de l'agente des visas ne fait que refléter l'absence au dossier de toute preuve que Mme Yao possède, ou a cherché à obtenir, une connaissance de l'édition ou de la vente de livres au Canada, une connaissance des sources d'information à ce sujet, ou comment obtenir au Canada les services qu'elle obtient de son agent en Chine.

[9]         Au sujet des prétendues erreurs de fait, l'avocate de Mme Yao soutient que l'agente des visas avait l'impression erronée que celle-ci voulait établir une entreprise de dix employés, et qu'elle peut avoir conclu pour ce motif que Mme Yao avait l'intention d'établir une entreprise d'édition et non une entreprise d'écrivain. Dans son affidavit, Mme Yao nie avoir mentionné à l'agente des visas un personnel de dix employés. Elle soutient que sa demande est fondée sur son intention d'établir une entreprise de façon à créer un emploi pour elle-même.

[10]       Il y a une contradiction directe dans la preuve par affidavits présentée à ce sujet dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. L'agente des visas soutient dans son affidavit que Mme Yao a dit qu'elle voulait établir une entreprise de dix employés. L'agente des visas déclare aussi qu'elle savait que Mme Yao avait l'intention de travailler comme écrivain, et non comme éditeur.

[11]       L'affidavit de l'agente des visas s'appuie sur des notes qu'elle a prises au moment de l'entrevue. Pour ce motif, je considère son affidavit plus probant que celui de Mme Yao sur la question des dix employés. J'admets la possibilité d'un malentendu par suite d'une erreur d'interprétation, mais il n'y a aucun fondement qui me permettrait de conclure qu'une telle erreur a été faite. J'en conclus que l'agente des visas n'a pas commis d'erreur de fait quant à ce qu'on lui a dit au sujet de la taille et de la nature de l'entreprise que se proposait de créer Mme Yao.

[12]       Je partage l'avis de l'avocate de Mme Yao qu'il y a des failles dans le raisonnement formulé par l'agente des visas. Il n'est pas logique d'évaluer négativement l'aptitude de Mme Yao d'être un écrivain autonome au Canada parce qu'elle avait un emploi en Chine au moment où elle a écrit ses livres et que son agent s'occupait de l'édition et des affaires de l'entreprise en Chine. Il est clair que plusieurs écrivains autonomes au Canada ont aussi des emplois, et qu'ils utilisent des agents pour publier et vendre leurs livres.

[13]       J'hésite à accepter l'interprétation que l'avocate de Mme Yao donne à la décision de l'agente des visas. Je dois me limiter à ce que l'agente des visas a déclaré. Par ailleurs, il me semble que c'est la décision qui doit être contrôlée, et non seulement les motifs qui l'appuient. Je ne peux mettre de côté le fait qu'il n'y a pas de preuve au dossier au sujet des possibilités de réussite de Mme Yao en tant qu'écrivain au Canada : Liu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] A.C.F. no 195 (QL) (C.F. 1re inst.).

[14]       Il incombe à Mme Yao de présenter une preuve de nature à convaincre l'agente des visas de sa capacité à établir une entreprise d'écrivain au Canada. La preuve que Mme Yao a réussi en Chine n'est pas en soi une preuve qu'elle peut aussi réussir au Canada. Au vu de tout le dossier, la conclusion négative de l'agente des visas face à la deuxième question posée par la définition de « travailleur autonome au Canada » est justifiée. Je ne trouve aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour sur cette question.

La contribution potentielle au Canada de Mme Yao si elle s'établissait comme écrivain autonome

[15]       La troisième question posée par la définition de « travailleur autonome » est celle de savoir si, dans le cas où Mme Yao s'établissait comme écrivain autonome au Canada, elle pourrait contribuer de manière importante à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada. Une contribution potentielle à l'un de ces trois domaines suffirait pour justifier une réponse affirmative à la troisième question. À ce sujet, l'agente des visas a écrit ceci :

                [traduction]

Rien dans la preuve ne vient démontrer que vous feriez une contribution à la vie culturelle ou artistique en votre qualité d'écrivain en matière économique. Quant à votre contribution à la vie économique, vous n'avez pu me convaincre que votre entreprise ferait une contribution spécifique à la région où vous vous destinez du fait que vous n'avez fait que peu de recherches quant au marché qui existerait pour vos compétences au Canada.

[16]       L'avocate de Mme Yao soutient que l'agente des visas s'est trompée dans l'évaluation de la contribution potentielle au Canada du travail de Mme Yao en accordant trop de poids au fait que Mme Yao écrirait en chinois plutôt qu'en anglais ou en français. Elle soutient que l'agente des visas n'a pas tenu compte de la taille et de l'importance de la communauté de langue chinoise au Canada, surtout à Toronto où Mme Yao désirait se rendre. Dans son affidavit, l'agente des visas réfute cette interprétation de sa décision. Elle déclare que les questions qu'elle a posées à Mme Yao au sujet de sa capacité à écrire en anglais ou en français n'avaient pour but que de se renseigner sur la connaissance de cette dernière sur le marché pour son travail au Canada.

[17]       Je ne trouve rien à redire à la deuxième phrase susmentionnée de l'agente des visas en l'absence de preuve quant aux perspectives de travail autonome pour Mme Yao en tant qu'écrivain au Canada. Toutefois, je partage l'avis de l'avocate de Mme Yao que la première phrase indique que la conclusion est abusive. Étant donné qu'il y a une communauté importante de langue chinoise au Canada et que la preuve démontre que Mme Yao avait du succès comme écrivain en Chine, il n'est pas logique de conclure que rien dans la preuve n'indique qu'elle a le potentiel pour contribuer à la vie culturelle du Canada. J'en conclus donc que l'agente des visas a commis une erreur relativement à la troisième question.

Conclusion

[18]       Mme Yao ne peut avoir gain de cause que si je conclus que l'agente des visas s'est trompée au sujet des troisième et quatrième questions posées par la définition de « travailleur autonome » . Comme je n'ai trouvé aucune erreur quant à la seconde question, la demande doit être rejetée.

Dépens

[19]       Les deux parties ont demandé les dépens. Je ne vois aucune raison de faire exception à la règle normale qui veut que les dépens suivent l'issue de l'affaire. Le ministre a donc droit aux dépens, que je fixe à 1 000 $.


Question certifiée

[20]       Je remets la délivrance de l'ordonnance à plus tard afin de permettre aux parties de présenter leurs arguments sur une question certifiée. Si l'avocate de Mme Yao veut présenter de tels arguments, ceux-ci devront être signifiés et produits avant le 11 août 1999. Toute réponse de la part de l'avocate du ministre devra être signifiée et produite avant le 18 août 1999.

                                                                                                                          « Karen R. Sharlow »        

                                                                                                                                                     Juge             

Winnipeg (Manitoba)

Le 29 juillet 1999

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                   NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           IMM-3986-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Hong-Yang Yao c. Le Ministre de la Citoyenneté et

de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 27 juillet 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE LA COUR :                                              Madame le juge Sharlow

EN DATE DU :                                               29 juillet 1999

ONT COMPARU

Mira Thowpour la demanderesse

Tracey Harwood-Jones

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Zaifman Associates

191, avenue Lombard, 5e étage

Winnipeg (Manitoba)

R3B 0X1pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canadapour le défendeur

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