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Date : 19981221


Dossier : IMM-290-98

ENTRE :          GABRIEL JOACHIM CHUNG,

     demandeur,

ET :              LE MINISTRE de la CITOYENNETÉ et de l'IMMIGRATION
             et le SECRÉTAIRE D'ÉTAT,

     défendeurs.

     O R D O N N A N C E

LE JUGE DENAULT

    

     La présente demande est accueillie, la décision rendue par l'agente des visas Kathleen O'Brien au Haut-commissariat du Canada à Kingston, en Jamaïque, le 23 octobre 1997, est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen, avec dépens en faveur du demandeur.

                                         PIERRE DENAULT

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


Date : 19981221


Dossier : IMM-290-98

ENTRE :          GABRIEL JOACHIM CHUNG,

     demandeur,

ET :              LE MINISTRE de la CITOYENNETÉ et de l'IMMIGRATION
             et LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par une agente des visas au Haut-commissariat du Canada à Kingston, en Jamaïque, le 23 octobre 1997, laquelle décision refusait au demandeur le statut de résident permanent. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l'agente des visas et soit une ordonnance obligeant le ministre à lui délivrer un visa d'immigrant soit une ordonnance renvoyant l'affaire à un autre agent pour nouvel examen.

[2]      Le demandeur et sa soeur ont quitté l'Inde parce qu'ils sont des Indiens d'origine chinoise. À ce titre, ils sont apparemment assujettis à des lois " différentes " ou " plus strictes " que les autres ressortissants indiens. Ils ont demandé le statut de réfugié au Canada, mais ce statut leur a été refusé. Au moment du dépôt d'une demande de résidence permanente, le demandeur était au Canada depuis déjà 9 ans. Il est actuellement coincé à Kingston, en Jamaïque; il n'a pas pu revenir au Canada depuis qu'il a assisté à l'entrevue relative à sa demande de résidence permanente qui a eu lieu en Jamaïque le 9 septembre 1997.

[3]      Sa soeur a également passé une entrevue en Jamaïque, peu de temps avant lui. Elle a obtenu le statut de résidente permanente à la suite de l'entrevue. Elle a été avisée, après l'entrevue, qu'il pouvait s'écouler jusqu'à 8 semaines avant qu'elle obtienne le droit d'établissement. Lorsqu'il a appris cela, son frère, qui était encore au Canada à cette époque, a entrepris des démarches auprès d'un député, M. Roy Cullen, d'Etobicoke. Avec l'aide de M. Cullen, la soeur du demandeur a obtenu le statut de résidente permanente plus tôt que l'intervieweur ne l'avait dit. La réaction que l'agente des visas aurait eue relativement à l'intervention du demandeur, par des voies politiques, au nom de sa soeur constitue l'un des motifs (c'est-à-dire la crainte raisonnable de partialité) des présentes demandes de contrôle judiciaire. Parmi les autres motifs, mentionnons la conviction du demandeur selon laquelle l'agente des visas a tiré des conclusions de fait d'une façon absurde ou arbitraire quant aux qualités personnelles, à l'instruction et à l'expérience du demandeur.

[4]      Le demandeur a obtenu 64 points selon la sélection administrative, dont 6 points pour l'expérience et 10 points pour l'instruction, mais aucun pour les qualités personnelles puisque celles-ci ne sont évaluées qu'au moment de l'entrevue. Après l'entrevue, le demandeur a reçu une lettre de refus, en date du 22 septembre 1997. Un peu plus tard, à la suite de lettres adressées par l'avocat du demandeur et par sa soeur, il a reçu une lettre de refus modifiée/mise à jour indiquant que, même si on lui avait accordé maintenant 5 points de bonification auxquels il avait droit quand sa soeur a reçu le statut d'immigrante admise, il ne possédait pas encore suffisamment de points pour réunir les conditions prescrites pour la résidence permanente.

[5]      Le demandeur allègue la mauvaise foi de l'agente des visas Kathleen O'Brien. Dans une lettre adressée à son avocat le jour même de l'entrevue, il prétend que l'agente des visas était en colère contre lui pour avoir obtenu l'aide d'un politicien en faveur de sa soeur. Il soutient que, par conséquent, il lui fut accordé seulement 3 points (sur 10) pour les qualités personnelles, seulement 5 points (sur 16) pour l'instruction et seulement 4 points (sur 8) pour l'expérience. En dernier lieu, il avance que l'agente a commis une erreur en ne prenant pas en considération l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il maintient qu'une telle prise en considération était appropriée et justifiée dans son cas puisque 1) sa soeur était une immigrante admise; 2) il vivait au Canada avec cette soeur depuis 9 ans; 3) il était stable, en ce sens qu'il s'était établi ici et avait un emploi; et 4) il était loin de l'Inde, où des lois strictes s'appliquent à lui, depuis 9 ans.

[6]      Quant à la question de la mauvaise foi, le défendeur invoque l'affidavit de l'agente des visas qui reconnaît avoir discuté de l'intervention du député avec le demandeur, mais qui dit l'avoir fait seulement pour lui préciser le fait qu'il n'était pas le " répondant " de sa soeur (comme il l'avait dit au député) et pour l'informer que le député ne le représentait pas réellement, puisque celui qui le représentait était en Inde. Reconnaissant avoir mené l'entrevue du 9 septembre 1997 sans rien dissimuler, l'agente des visas maintient qu'elle n'était ni hostile ni en colère et insiste pour dire que ce que la soeur du demandeur affirme dans son affidavit doit être apprécié avec une certaine latitude car ce n'est que du oui-dire, étant donné que la soeur n'a jamais assisté à l'entrevue de son frère concernant sa demande de résidence permanente. Elle explique ensuite comment elle a évalué chacun des facteurs requis pour qu'un demandeur puisse obtenir le statut de résident permanent.

[7]      À l'appui de la demande du demandeur, sa soeur déclare dans son affidavit qu'elle s'est rendue avec son frère au Haut-commissariat du Canada, le 9 septembre 1997, pour l'entrevue de ce dernier, qu'elle se trouvait à l'extérieur de la salle d'entrevue et qu' [traduction] " au moment d'entrer dans la salle, Mme O'Brien était très visiblement fâchée et a commencé à crier après mon frère en disant qu'il n'avait pas le droit d'aller voir le député au sujet de mon cas ". (Dossier de la demande du demandeur, page 12, paragraphe 13).

[8]      Le critère de la crainte raisonnable de partialité qui est approuvé depuis longtemps par la Cour suprême du Canada a été énoncé par le juge De Grandpré dans l'arrêt Committee for justice and liberty et al c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 : une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[9]      Dans l'arrêt Newfoundland Telephone c. Terre-Neuve (Public Utilities Bd.), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 636, la Cour suprême du Canada a indiqué :

     Tout corps administratif, quelle que soit sa fonction, est tenu d'agir équitablement envers les personnes assujetties à la réglementation, sur les intérêts desquelles il est appelé à statuer.
     ...
     Bien que tous les corps administratifs soient soumis à l'obligation d'agir équitablement, l'étendue de cette obligation tient à la nature et à la fonction du tribunal en question. Voir Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602. L'obligation d'agir équitablement comprend celle d'assurer aux parties l'équité procédurale, qui ne peut tout simplement pas exister s'il y a partialité de la part d'un décideur. Il est évidemment impossible de déterminer exactement l'état d'esprit d'une personne qui a rendu une décision d'une commission administrative. C'est pourquoi les cours de justice ont adopté le point de vue que l'apparence d'impartialité constitue en soi un élément essentiel de l'équité procédurale. Pour assurer l'équité, la conduite des membres des tribunaux administratifs est appréciée par rapport au critère de la crainte raisonnable de partialité. Ce critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur.

[10]      En l'espèce, je suis convaincu, selon la prépondérance de la preuve, que l'agente des visas, non contente de l'intervention du demandeur et de celle d'un député fédéral dans le cas de sa soeur, a fait montre d'hostilité envers lui. Cette hostilité soulève, à mon avis, une crainte raisonnable de partialité qui a mené à une évaluation inéquitable de la revendication du demandeur.

[11]      À cause de la conclusion à laquelle je suis arrivé relativement au premier argument soulevé par le demandeur, je n'aurai pas besoin d'examiner davantage l'argument concernant l'évaluation de certains des facteurs de la revendication.

[12]      La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la décision de l'agente des visas sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[13]      Il n'y a aucune question grave d'importance générale à certifier conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration.

                                         PIERRE DENAULT

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-290-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Gabriel Joachim Chung c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              le 3 décembre 1998
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          MONSIEUR LE JUGE DENAULT
DATE DES MOTIFS :              le 21 décembre 1998

ONT COMPARU :

Rocco Galati                      POUR LE DEMANDEUR
Andrea M. Horton                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati                      POUR LE DEMANDEUR
Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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