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Date : 20060623

Dossier : IMM-6201-05

Référence : 2006 CF 803

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

FLORIDE NYIRASUKU, LUCKY EXAUSEE DUKUZUMUREMYI

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de M. Michel Faure, un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 28 septembre 2005, dans laquelle la SPR a conclu que Mme Floride Nyirasuku (la demanderesse) n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en raison d’une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité.

 

[2]               L’audience devant la SPR a eu lieu en français par vidéoconférence. Pour la présente demande, les actes de procédure sont en anglais et l’audition du contrôle judiciaire aura lieu en anglais. Par conséquent, la langue originale des motifs et de l’ordonnance sera l’anglais.

 

[3]               La demanderesse est née le 25 août 1978 à Gisenyi au Rwanda et est une citoyenne de ce pays. Lucky Exausée Dukuzumuremyi est la fille mineure de la demanderesse et est, elle aussi, une demanderesse.

 

[4]               En avril 1994, le génocide au Rwanda a débuté.

 

[5]               Le 5 mai 1994, la mère de la demanderesse a été assassinée par les « interahamwes ».

 

[6]               Au début de juillet 1994, des représentants du président Habyarimana ont ordonné aux Rwandais de quitter le Rwanda et de se rendre en République démocratique du Congo.

 

[7]               La demanderesse a vécu en République démocratique du Congo dans un camp de réfugiés pendant plus de deux ans avec son père et son frère.

 

[8]               En novembre 1996, le camp de réfugiés où habitait la demanderesse a été attaqué. La demanderesse et sa famille sont retournés au Rwanda, où ils ont découvert que leur maison était occupée par des soldats. Cette occupation s’est terminée en juillet 1999.

 

[9]               En août 1999, la demanderesse s’est renseignée auprès d’un prêtre catholique au sujet de possibilités de financement pour les études. L’Église catholique a payé pour les études en sciences infirmières de la demanderesse. Elle a terminé ces études en juillet 2000.

 

[10]           Le 26 janvier 2001, le père et le frère de la demanderesse ont été assassinés par l’armée rwandaise.

 

[11]           Le voisin de la demanderesse étant trop effrayé pour l’aider, la demanderesse a dû prendre un autobus pour se rendre à Kigali, au Rwanda, où elle a emménagé avec un ami.

 

[12]           En juin 2001, on a informé la demanderesse que des militants occupaient la maison de sa famille à Gisenyi, au Rwanda. Les militants cherchaient à savoir où elle se trouvait.

 

[13]           En juillet 2001, un ami de la demanderesse lui a dit qu’il l’aiderait à quitter le Rwanda pour se rendre au Canada. La demanderesse a présenté une demande de visa pour le Canada, mais il lui a été refusé.

 

[14]           En septembre 2001, la demanderesse a appris que les militants savaient qu’elle se trouvait à Kigali. Elle devait quitter le Rwanda parce qu’elle craignait pour sa sécurité.

 

[15]           Le 25 octobre 2001, la demanderesse a quitté le Rwanda pour se rendre en Tanzanie et s’est retrouvée au Zimbabwe quelques semaines plus tard.

 

[16]           Dans un camp de réfugiés au Zimbabwe, la demanderesse a fait la connaissance de M. Tharcisse Dukuzumuremyi.

 

[17]           Le 7 février 2003, le couple a eu une fille, Lucky Exausée.

 

[18]           Le 13 avril 2003, le couple s’est marié.

 

[19]           Le 25 avril 2004, le gouvernement du Zimbabwe a arrêté son mari et elle n’a plus eu de nouvelles à son sujet depuis.

 

[20]           La demanderesse a appris que le gouvernement du Zimbabwe la recherchait dans le camp de réfugiés. Elle a quitté le Zimbabwe.

 

[21]           La demanderesse a payé 3000 $ pour qu’on l’aide à entrer clandestinement au Canada.

 

[22]           La demanderesse est arrivée au Canada le 10 septembre 2004. Elle a déposé une demande d’asile le même jour, fondée sur les motifs de la Convention, et a allégué qu’elle était une personne à protéger parce que, selon les craintes qu’elle a exprimées, sa vie serait en danger si elle retournait au Rwanda.

 

[23]           Il a été conclu, en date du 17 mai 2002, que la demanderesse était une réfugiée au Zimbabwe à l’encontre du Rwanda.

 

[24]           La SPR a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse, justifiée par des motifs de trois pages.

 

[25]           La SPR a conclu correctement que la preuve de la demanderesse était incohérente (témoignage, formulaire de renseignements personnels (FRP) et formulaires d’immigration) et qu’elle ne pouvait pas être acceptée.

 

[26]           La SPR a conclu qu’il existait des contradictions au sujet de la date de départ du Rwanda, des activités de la demanderesse au Zimbabwe, de l’adresse du camp de réfugiés au Zimbabwe, d’autres renseignements quant à des adresses, la date de son mariage et la date de son arrivée au Zimbabwe.

 

[27]           La présente demande soulève principalement une question : la SPR a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable au sujet de la crédibilité?

 

[28]           Il est bien établi en droit que c’est la décision manifestement déraisonnable qui s’applique comme norme de contrôle aux conclusions sur les faits et la crédibilité; voir Chowdhury c. MCI, 2006 CF 139 (7 février 2006, juge Noël) :

 

[12]            La décision de la SPR quant au droit du demandeur d'obtenir l'asile est principalement fondée sur la crédibilité de ses allégations. Il est bien établi que la norme de contrôle en matière d'appréciation de la crédibilité d'un demandeur par la SPR est la décision manifestement déraisonnable (voir Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F. no 1866 (C.A.F.), au paragraphe 10; Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4).

 

 

 

[29]           La demanderesse présente trois observations.

 

[30]           Premièrement, la SPR a commis une erreur de fait manifestement déraisonnable lorsqu’elle a affirmé que la demanderesse avait répondu « non » à la question : « si la police ou les militaires la recherchent dans quelque pays que ce soit », parce que la SPR n’a pas tenu compte de la déclaration que la demanderesse avait faite à l’agent d’immigration.

 

[31]           Deuxièmement, il était manifestement déraisonnable de conclure qu’il était improbable que la demanderesse survive après qu’elle se fut enfuie par une fenêtre.

 

[32]           Troisièmement, la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a traité des questions accessoires au sujet du Zimbabwe. En d’autres mots, la SPR a commis une erreur susceptible de révision en rejetant « une demande uniquement en raison de l'absence de crédibilité de questions […] accessoires, sans évaluer la crédibilité de la preuve portant sur l'essence même de la demande ». La décision de la SPR ne peut pas s’appuyer sur des points accessoires.

 

[33]           Le défendeur présente une observation principale.

 

[34]           Le défendeur soutient que la SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable manifestement déraisonnable au sujet de la crédibilité. La SPR a appuyé sa conclusion sur de nombreux exemples.

 

[35]           En l’espèce, la question à trancher est la suivante : la SPR a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable au sujet de la crédibilité.

 

[36]           La SPR a donné de nombreux exemples pour appuyer sa conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Elle n’a simplement pas cru la majorité du récit de la demanderesse et a conclu qu’elle n’avait pas de raison de craindre de retourner au Rwanda.

 

[37]           La SPR a relevé de nombreuses incohérences, par exemple au sujet de la date de départ du Rwanda, des activités de la demanderesse au Zimbabwe, de l’adresse du camp de réfugiés au Zimbabwe, d’autres renseignements quant à des adresses, la date de son mariage et la date de son arrivée au Zimbabwe.

 

[38]           L’ensemble de ces incohérences a porté la SPR à conclure que la demanderesse n’a pas de raison de craindre de retourner au Rwanda. La SPR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

 

[39]           Le temps que la demanderesse a passé au Zimbabwe n’est pas une question accessoire. Bien que la demanderesse craigne de retourner au Rwanda, l’analyse de la crédibilité est un processus continu.

 

[40]           La demanderesse soutient qu’il est « bizarre » qu’on ait conclu qu’elle était une réfugiée au Zimbabwe à l’encontre du Rwanda, mais que la SPR ne le mentionne pas dans ses motifs. Cette allégation est inexacte, parce que la SPR mentionne ce fait à la page 4 de ses motifs.

 

[41]           La jurisprudence établit que la crédibilité du demandeur doit être analysée dans son ensemble.

 

[42]           Dans une décision récente, soit Abdullah Shah c. MCI, 2006 CF 627, rendue le 29 mai 2006, le juge Noël mentionne que :

 

[24]            Ce n'est pas dans tous les cas que des erreurs de fait doivent donner lieu au renvoi du dossier à la SPR. Plusieurs erreurs prises ensemble peuvent cependant mener à un tel résultat, même si prises isolément, chacune des erreurs de fait ne permettrait pas d'accueillir une demande de contrôle judiciaire (Salamat c. Canada (Commission d'appel de l'Immigration), [1989] A.C.F. No. 213 (C.A.F.); Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. No. 1532, au para. 7 (C.F.)). Dans l'affaire Zhuo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1271 (C.F.), le juge Phelan écrit :

¶ 7 [...] Le défaut d'expliquer comment on en est arrivé à cette conclusion, une appréciation fondamentalement erronée des faits et le poids cumulatif des conclusions contestables sont des facteurs qui donnent ouverture à ce degré de contrôle judiciaire. [...]

[...]

¶ 21       Bien qu'il eût été possible de confirmer l'une ou l'autre des conclusions de la SPR au motif qu'elles sont déraisonnables sans être toutefois manifestement déraisonnables, certaines d'entre elles contredisent de toute évidence la preuve, et l'accumulation d'un nombre aussi important de conclusions déraisonnables, inexpliquées ou inexplicables justifie à elle seule la Cour de conclure que la décision de la SPR est manifestement déraisonnable.

¶ 22       Par conséquent, la décision de la SPR sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la CISR pour que celui-ci procède à une nouvelle audition.

Cependant, les erreurs prises ensemble doivent être suffisamment importantes pour affecter les conclusions centrales de la SPR : il ne doit pas s'agir de questions de fait périphériques. Dans l'affaire Usta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1525, au para. 17, le juge Phelan écrit:

Alors que le demandeur invoque un certain nombre d'erreurs dans la décision de la Commission, notamment la confusion quant aux dates, quant à certain nombre d'incidents et quant à un certain nombre d'explications soumises, aucune de ces erreurs ne touche le cœur de la décision de la Commission. Aucune de ces erreurs (dans la mesure où elles existent) ne constitue un déni de justice naturelle.    

 

 

[43]           La conclusion au sujet de la crédibilité n’était pas fondée sur une question mineure ou accessoire, parce que la SPR a souligné les incohérences relevées directement dans le FRP et dans le témoignage de la demanderesse, incohérences qui avaient trait à sa demande de protection contre le Rwanda.

 

[44]           En fin de compte, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas participé au génocide et qu’elle n’avait pas de raison de craindre de retourner au Rwanda. Je suis convaincu que le raisonnement de la SPR était correct.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été énoncée pour la certification.

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6201-05

 

INTITULÉ :                                       FLORIDE NYIRASUKU, LUCKY EXAUSEE DUKUZUMUREMYI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LES DEMANDERESSES

Janet Chisholm

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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