Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19980408


Dossier : T-82-98

ENTRE :


RONALD VINCENT MORIN et ANNAMARIE GAIL DEMCHUK

agissant en son propre nom et au nom de membres non-résidents

de la nation crie de Enoch,


requérants,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord et

par le Procureur général du Canada, et la NATION CRIE DE ENOCH,


intimées.

     Je requiers que la transcription certifiée ci-jointe de l"ordonnance que j'ai rendue et des motifs d"ordonnance que j'ai exposés oralement à l"audience à Ottawa, par voie de téléconférence entre Ottawa et Edmonton, le 18 mars 1998, soient déposés en application de l"article 51 de la Loi sur la Cour fédérale .

                             " John D. Richard "

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA


SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


_________________________________


No du greffe : T-82-98

ENTRE :


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,


requérante


- et -


RONALD VINCENT MORIN ET AUTRES,


intimés


___________________________________


REQUÊTE


par téléconférence


le 18 mars 1998

entendue à la Cour fédérale du Canada

entre Edmonton (Alberta) et Ottawa (Ontario)


DEVANT :


Monsieur le juge Richard


ONT COMPARU

DEVANT :


Monsieur le juge Richard


_______________________________

Me Barbara S. Ritzen                  pour la requérante

Me D.B. Titosky

Me Karin E. Buss,                      pour Ronald Morin

Me R.C. Secord

Me R. Sharphead                      pour la nation crie de Enoch

_______________________________

K. Dobransky                      greffière (Edmonton)
L. Martel                          greffière (Ottawa)
C.R. Enders, CSR(A)                  sténographe judiciaire

*********************


TABLE DES MATIÈRES

PLAIDOIRIE DE Me RITZEN

PLAIDOIRIE DE Me BUSS

PLAIDOIRIE DE Me SECORD

ANALYSE

RÉPLIQUE DE Me RITZEN

DÉCISION

CERTIFICAT DE TRANSCRIPTION



LA COUR :      Par avis de requête introductive d"instance déposé devant la Section de première instance à Edmonton (Alberta) le 19 janvier 1998, Ronald Vincent Morin et Annamarie Gail Demchuk, agissant pour son propre compte et pour le compte des membres non-résidents de la nation crie de Enoch, requérants, sollicitent notamment de la Cour : premièrement, un jugement déclaratoire constatant l"invalidité ou l"illégalité du décret C.P. 1997-1915, en date du 17 décembre 1997;

     deuxièmement, une ordonnance enjoignant au ministre des Affaires indiennes de fournir une copie de son rapport et des recommandations;

     troisièmement, une ordonnance enjoignant aux intimés de leur communiquer les motifs de la décision par laquelle le Ministre a conclu qu"il y a eu infraction au paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens , ainsi qu"une ordonnance accordant à la nation crie de Enoch une exemption constitutionnelle à l"égard des conditions de résidence ordinaires prévues au paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens ou, subsidiairement, une ordonnance déclarant que, dans la mesure où il subordonne le droit de voter lors de l"élection d"un chef de bande à des conditions de résidence le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens est inopérant car il contrevient à l"article 15 de la Charte;

     enfin, une ordonnance de sursis à l'exécution du décret C.P. 1997-1915 jusqu'à ce qu"il soit statué sur le fond de la présente demande et une ordonnance enjoignant à la nation crie de Enoch de ne pas tenir l"élection partielle prévue pour le 29 janvier 1998 ni toute autre élection tant que la présente demande n'aura pas été entendue et tranchée par la Cour.

     Par l"intermédiaire de son avocat, le requérant Ronald Vincent Morin a déposé l'avis d'une requête qui a été entendue par monsieur le juge Rouleau par téléconférence entre Ottawa et Edmonton, le 26 janvier 1998. La requête sollicite de la Cour : premièrement, une ordonnance de sursis à l'exécution du décret C.P. 1997-1915 jusqu'à ce que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire déposée par le requérant le 19 janvier 1998;

     deuxièmement, une injonction interlocutoire enjoignant à la nation crie de Enoch de ne pas tenir l'élection partielle prévue pour le 29 janvier 1998 ni toute autre élection tant que la demande de contrôle judiciaire n'aura pas été entendue et tranchée par la Cour;

     troisièmement, toute autre réparation qu'elle jugera équitable.

La demande se fonde sur les moyens suivants :

     Premièrement, il y a eu, le 12 juin 1997, une élection aux fonctions de chef et de conseiller de la nation crie de Enoch, à l"issue de laquelle le requérant Ronald Vincent Morin a été élu chef. Par lettre datée du 6 janvier 1998, Ronald Vincent Morin a reçu du ministère des Affaires indiennes et du Nord un avis officiel l"informant que l"élection à la fonction de chef avait été annulée par le décret C.P. 1997-1915.

     Deuxièmement, la nation crie de Enoch devait à l'origine, tenir une élection partielle en vue d"élire un chef le 28 janvier 1998, mais a reporté cette élection au 29 janvier 1998.

     Troisièmement, le 19 janvier 1998, les requérants ont déposé une demande de contrôle judiciaire faisant valoir que le décret C.P. 1997-1915 était nul car le Ministre n'avait pas respecté les principes de justice naturelle en menant son enquête et en prenant sa décision relativement à l'élection tenue par la nation crie de Enoch le 12 juin 1997, et qu'il était inopérant car il était incompatible avec l"article 15 de la Charte.

     Quatrièmement, si l"élection partielle a lieu le 29 janvier 1998, comme prévu, les requérants de la nation crie de Enoch subiront un préjudice irréparable, dont la violation du droit constitutionnel qu"ont les membres non-résidents de la bande de voter; la prépondérance des inconvénients va dans le sens du maintien de la situation actuelle, étant donné que la tenue d"une élection partielle avant que la Cour ne se soit prononcée sur la validité du paragraphe 77(1) et du décret C.P. 1997-1915 aurait pour effet d"invalider l"élection partielle et son résultat.

     L"ordonnance et les motifs d"ordonnance du juge Rouleau sont datés du 27 janvier 1998. Au paragraphe 4 de ses motifs, le juge Rouleau déclare :

     Il a été convenu que, compte tenu des difficultés éprouvées par la nation crie de Enoch à l"époque où s"était déroulée l'élection, il fallait parvenir à une solution pratique.         

Il a déclaré, au paragraphe 12 :

     Toutes les parties ont convenu qu"il y a lieu de suspendre la demande de contrôle judiciaire. Le décret en conseil en date du 17 décembre 1997 restera intégralement en vigueur en attendant le résultat du nouveau scrutin prévu pour l"élection du chef de la nation crie de Enoch.         

Au paragraphe 14, il a déclaré :

     Avec l"assentiment des parties présentes, il a également été convenu que tous les membres de la nation crie de Enoch actuellement inscrits et reconnus en tant que membres de la bande par le Bureau seront considérés comme des personnes qui " réside[nt] ordinairement " et auront à l"avenir le droit de voter dans les élections et les référendums organisés au sein de la réserve. Le Conseil de bande conservera cependant un pouvoir d"appréciation absolu en vertu duquel il pourra rayer ou ajouter des noms à la liste de bande sous réserve des dispositions de la Loi sur les Indiens , du Règlement sur les élections au sein des bandes d"Indiens et de la manière dont la Cour a interprété la définition de l"expression " réside ordinairement ".         

Puis, au paragraphe 15, il a déclaré :

     Il a été en outre convenu et, par la présente, ordonné par la Cour que l"élection du chef Morin soit annulée et qu"un nouveau scrutin pour l"élection du chef de la réserve de la nation crie de Enoch ait lieu le 20 mars 1998.         

Au paragraphe 11 de ses motifs, il a considéré comme fait établi que :

     [...] tous les membres inscrits de la bande de la nation crie de Enoch qui vivent hors la réserve sont considérés comme étant " temporairement absents " (par. 3d )) et qu"aux fins des élections, ils " réside[nt] ordinairement " sur le territoire de la réserve.         

     En conséquence, le juge Rouleau a ordonné qu"un avis de scrutin soit posté conformément au Règlement au plus tard le 6 février 1998, qu"une liste des électeurs soit disponible au Bureau de la bande et que tous les membres de la bande y aient accès et que, en même temps que l"élection du chef, ait lieu un référendum afin de décider si les membres de la bande entendent que les élections soient organisées conformément à la coutume de la tribu ou selon les modalités prévues par le Règlement sur l"élection au sein des bandes d"Indiens, pris en vertu de la Loi sur les Indiens.

     Enfin, tous les membres inscrits de la bande devraient à l"avenir avoir le droit de voter à l"occasion de toute élection aux fonctions de chef et de conseiller de la nation crie de Enoch, quelle que soit l"issue du référendum.

     Le 5 février 1998, l"intimée Sa Majesté la Reine du chef du Canada a présenté une requête devant la Cour, laquelle a été entendue en téléconférence par le juge Nadon, qui a rendu l"ordonnance suivante :

     [TRADUCTION] Le délai dans lequel peut être interjeté appel de l"ordonnance du juge Rouleau datée du 27 janvier 1998, est prorogé jusqu"au 13 février 1998 en ce qui concerne la partie de la demande se rapportant à la tenue d'un nouvel examen de cette ordonnance, et la Cour ordonne que la demande soit portée devant le juge Rouleau avant le 13 février 1998.         
         La partie de la demande visant à obtenir une ordonnance empêchant l'envoi d"un avis de scrutin le 6 février 1998 au plus tard est rejetée. En ce qui concerne la suspension des élections prévues pour le 20 mars 1998, les parties ne m'ont soumis aucun argument. Les requérants entendent contre-interroger Marcel Boutet sur son affidavit. Après cet interrogatoire, la Couronne pourra, si elle le souhaite, demander à être entendue sur cette question.         

     Il ressort des dossiers de la Cour que Sa Majesté la Reine du chef du Canada a interjeté appel de l"ordonnance du juge Rouleau datée du 27 janvier 1998 en déposant, le 12 février 1998, un avis d"appel devant la Cour d'appel fédérale.

     Le dossier contient également une note indiquant que le juge Rouleau avait fait savoir qu"il serait disposé à entendre la demande de réexamen à son retour, le vendredi 3 avril 1998, si l"appel n"avait pas encore été entendu.

     Dans une lettre datée du 12 mars 1998 et adressée au bureau local du Greffe de la Cour fédérale du Canada à Edmonton (Alberta), Sa Majesté la Reine, conformément à l'ordonnance du juge Nadon, a demandé d'être entendue sur la question de la tenue des élections du 20 mars 1998. Or, comme vous le savez, le juge Nadon avait déclaré dans son ordonnance :

     [TRADUCTION] En ce qui concerne la suspension des élections prévues pour le 20 mars 1998, les parties ne m'ont soumis aucun jugement. Les requérants entendent contre-interroger Marcel Boutet sur son affidavit. Après cet interrogatoire, la Couronne pourra, si elle le souhaite, demander à être entendue sur cette question.         
     En conséquence, la demande présentée par Sa Majesté a été entendue en ma présence à Ottawa par téléconférence entre Edmonton et Ottawa.         

     Les avocats des parties s"entendent sur le fait que la demande de sursis a été déposée en vertu de l"article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, laquelle prévoit que la Cour peut, lorsqu"elle est saisie d"une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu"elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

     L"avocat de Sa Majesté la Reine du chef du Canada demande à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance du juge Rouleau, particulièrement à l'exécution de la partie de cette dernière qui prévoit la tenue d'un scrutin pour l'élection du chef et celle d'un référendum en même temps le 20 mars, et il demande à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette partie de l'ordonnance jusqu'à ce que le juge Rouleau ait entendu la requête en réexamen ou encore que la Cour d'appel fédérale ait entendu l'appel. Selon moi, il faut attendre que la Cour d'appel entende l'affaire à moins, bien entendu, que celui-ci s'avère purement théorique par suite de la tenue d'un nouvel examen.

     Il est bien établi en droit que le critère à trois volets énoncé dans la décision Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Limited, (1987) 1 F.C.R. (1) 10, s"applique aux demandes de sursis. À la première étape, le requérant doit établir l"existence d"une question grave qui mérite d"être tranchée. Pour appliquer ce critère, la Cour se fondera généralement sur le bon sens et n"examinera que très rapidement les arguments de fond. Le critère n"est guère exigeant.

     À la seconde étape, le requérant doit établir que si la réparation ne lui est pas accordée, il subira un préjudice irréparable. La troisième étape exige une évaluation de la prépondérance des inconvénients.

     La partie requérante, Sa Majesté la Reine, a déposé deux affidavits à l"appui de sa requête, soit celui de Marcel Boutet, directeur du bureau régional d"Edmonton du ministère des Affaires indiennes et du Nord, et celui de Gaëtan Pilon, fonctionnaire fédéral qui occupe le poste de gestionnaire des élections (Direction de l"administration des bandes et des successions) au ministère des Affaires indiennes et du Nord.

     Dans son affidavit, M. Pilon déclare que, depuis 1953, la nation crie de Enoch organise ses élections conformément aux dispositions électorales de la Loi sur les Indiens. Il déclare également qu'en ce qui concerne les conditions de résidence auxquelles sont assujetties les personnes voulant prendre part au processus électoral, les bandes ne comptent pas automatiquement les membres habitant hors réserve parmi les électeurs, et il cite certains chiffres qui démontrent que plusieurs bandes ont même subordonné la reconnaissance de la qualité d"électeur à des conditions encore plus sévères.

     Dans son affidavit, M. Boutet déclare, au paragraphe 6, que l"avocat de Sa Majesté intimée n"avait pas pour instruction de consentir à une décision qui consisterait à dire quels seraient les membres de la nation crie de Enoch devant être considérés comme résidents ordinaires et habilités à ce titre à voter. De plus, au paragraphe 9, M. Boutet déclare :

     [TRADUCTION] Plusieurs membres de la nation crie de Enoch m"ont contacté et je pense effectivement que la question de savoir si l"on doit permettre aux membres de la nation crie de Enoch qui vivent hors de la réserve de voter lors de l"élection a créé des dissensions au sein de la bande.         

Il déclare, au paragraphe 10 :

     [TRADUCTION] Plusieurs membres de la nation crie de Enoch m"ont indiqué, et je crois que c"est effectivement le cas, que la tenue de l"élection le 20 mars 1998, comme prévu, engendrera de nouvelles dissensions au sein de la bande.         

Il déclare également au paragraphe 12 :

     [TRADUCTION] Si une élection a lieu le 20 mars 1998, comme prévu, je pense que l"issue du scrutin sera contestée.         

     M. Boutet a été contre-interrogé sur son affidavit, et on lui a demandé s"il connaissait les personnes qui lui auraient dit qu"une élection créerait des dissensions au sein de la bande; sans reprendre textuellement ici la réponse qu"il a donnée lors du contre-interrogatoire, je fais remarquer que M. Boutet a convenu qu"il ne connaissait effectivement pas ces personnes. J"estime donc que ses conclusions sont, au mieux, conjecturales.

     Ses conclusions ne sont d"ailleurs pas partagées par M. Morin, auteur d"un affidavit fait le 17 mars 1998 dans le cadre de la présente procédure. Il déclare, au paragraphe 2 de cet affidavit :

     [TRADUCTION] Je me souviens très bien que tous les conseillers de la bande qui ont pris la parole et que tous les avocats qui ont fait de même au nom des membres de la bande £ et j"ouvre ici une parenthèse. Il parle en l"occurrence de la téléconférence entre Ottawa et Edmonton le 26 janvier 1998; et maintenant je continue¤ s"entendaient pour dire qu"étant donné la situation tout à fait particulière qui est celle de la bande crie de Enoch, il était souhaitable de voir tous les membres de la bande voter lors de l"élection partielle qui devait se dérouler.         
     Cela, je crois, renvoie aux motifs du juge Rouleau qui a déclaré, au paragraphe 10 :         
     Il a également été convenu qu"en raison de la pénurie de logements, qui perdure depuis de nombreuses années dans cette réserve, et en raison du fait que de nombreux membres inscrits de la bande sont obligés de vivre hors de la réserve [...] la Cour va devoir interpréter l"expression " réside ordinairement " définie à l"article 3 du Règlement sur les élections au sein des bandes d"Indiens.         

     Au paragraphe 11 il dit que les circonstances ont donné naissance à un problème (la pénurie de logements) qui ne semble pas avoir été envisagé par l"article 3 du Règlement.

     M. Morin déclare, au paragraphe 6 de son affidavit :

     [TRADUCTION] Au cours de la dernière semaine, la nation crie de Enoch a organisé deux assemblées de la bande, et une réunion d"information communautaire et j"estime, après avoir parlé aux membres de la bande qui ont participé à cette réunion, ainsi qu"à d"autres membres, que tous les membres de la bande veulent que l"élection se déroule comme prévu le 20 mars 1998.         

     Le 9 mars 1998, et cela se retrouve au paragraphe 7 :

     [TRADUCTION] Nous avons organisé une assemblée de la bande pour discuter précisément de la question du droit de vote lors des élections de la bande, y compris à l"occasion de l"élection partielle qui doit avoir lieu le 20 mars 1998. Lors de cette assemblée, huit des neuf conseillers ont pris la parole devant les quelque 50 membres de la bande qui étaient présents. Cinq des membres du Conseil étaient d"avis qu"il convenait de permettre à tous les membres de la bande de voter, y compris lors du scrutin du 20 mars 1998. Deux membres du Conseil se sont opposés à l"idée. Un membre du Conseil a exprimé un avis ambivalent, et un membre était absent.         
         Les membres du Conseil favorables à l"idée de laisser voter tous les membres de la bande ont été chaleureusement applaudis par les membres de la bande présents à l"assemblée.         

     Au paragraphe 8, il déclare :

     [TRADUCTION] Lors de la réunion d"information communautaire qui a eu lieu le 16 mars 1998, chaque fois que la question du scrutin à venir et de la reconnaissance du droit de vote à tous les membres de la bande a été évoquée, les applaudissement ont fusé.         

     Il poursuit, au paragraphe 13 :

     [TRADUCTION] Je ne vois pas quel pourrait être le préjudice irréparable que subirait la bande si elle tenait à l"élection le 20 mars 1998. L"annulation de cette élection ne fera d"après moi que renforcer le mécontentement qu"inspirent aux membres de la bande les ingérences du ministère des Affaires indiennes. Au cours des récentes assemblées de la bande, on a, à maintes reprises, manifesté ce sentiment devant moi.         
         D"ailleurs, l"annulation de l"élection et du référendum prévus pour le 20 mars 1998 ne fera qu"accroître l"actuel climat d"incertitude et d"insatisfaction politique puisqu"un chef ne sera pas élu, que la bande n"aura donc pas vraiment de dirigeant et que, en l"absence de référendum, nous ne pourrons pas procéder à l"adoption d"un code électoral qui, une fois pour toute, nous permettrait de régler la question entre nous.         

     Il poursuit, au paragraphe 14 :

     [TRADUCTION] Nous avons, à l"heure actuelle, un chef intérimaire qui n"a pas été élu par l"ensemble des membres et qui ne jouit pas, auprès du Conseil et de l"ensemble des membres de la bande, de l"autorité qu"aurait un chef élu. Aux yeux de la nation crie de Enoch, un chef intérimaire ne peut pas prendre de décisions susceptibles d"affecter la politique de la bande ni ses droits tels qu"ils découlent des traités. Le chef intérimaire n"a qu"un rôle limité qui est un peu celui d"un chef d"entreprise.         

     Enfin, il poursuit, au paragraphe 15 :

     [TRADUCTION] J"estime qu"un référendum sur les coutumes électorales de la bande doit avoir lieu en même temps que l"élection partielle du chef. Généralement, dans notre bande, peu d"électeurs participent aux référendums, à moins que ceux-ci n"aient lieu en même temps qu"une élection ou élection partielle aux fonctions de chef et de conseillers.         

     Notons que lors de l"élection partielle prévue, seul le chef sera élu. Or, le Conseil est composé de huit conseillers élus. L'élection prescrite par le juge Rouleau qui doit avoir lieu le 20 mars 1998 ne cherche donc qu"à pourvoir un seul poste du conseil, celui de chef. Ainsi, la nation crie de Enoch n"aura pas, à cette occasion, à voter pour le renouvellement intégral du conseil.

     Je n"ai pas le moindre doute que la requérante, auteure de la requête, en l"espèce Sa Majesté la Reine, a démontré qu"il existe effectivement une question grave qui mérite d"être tranchée. La question concernant l"interprétation de l"article 3 du Règlement sur les élections au sein des bandes d"Indiens est une question importante. Il s"agit d"interpréter les expressions " réside ordinairement ", " résidence ordinaire ", " absence temporaire ", et l"auteure de la requête m"a convaincu qu'il a été satisfait au premier volet du critère applicable.

     Cela dit, l"auteure de la requête, Sa Majesté la Reine, ne m"a pas convaincu au regard du second volet du critère, et elle n"a notamment pas établi qu"elle subira un préjudice irréparable si la réparation ne lui est pas accordée, et les affidavits cités plus haut n"étayent guère l"argument du préjudice irréparable.

     À supposer que l"élection du chef soit ultérieurement contestée, la Loi sur les Indiens comprend des dispositions prévoyant ce cas de figure. La Loi sur les Indiens contient une disposition qui prévoit en effet un recours permettant à un candidat ou à un électeur d"adresser une pétition à cet égard au Ministre. C"est d"ailleurs ce qui a été fait après l"élection de M. Morin, et le simple fait qu"une élection puisse être contestée ne constitue pas en soi la preuve d"un préjudice irréparable.

     L"avocat de Sa Majesté a invoqué la décision rendue dans l"affaire Batchewana . Dans cette affaire, le juge Stone de la Cour d"appel fédérale avait accordé un sursis jusqu'à ce qu"il soit statué sur une demande d"autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Il s"agit en l"espèce d"une élection, ou plus précisément d"une élection partielle à la fonction de chef, et non pas du renouvellement intégral du Conseil de la bande, et l"appel interjeté devant la Cour d"appel fédérale par l"auteure de la requête ne sera probablement pas tranché, et cela pour des raisons que l"on comprend fort bien, aussi rapidement que ne le serait une demande d"autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Cela voudrait donc dire que la bande crie de Enoch et son Conseil devraient, pendant un laps de temps plus ou moins long, se passer de chef, du moins de chef élu.

     Je relève également que la bande comprend 680 membres dont, semble-t-il, 440 qui résident ordinairement dans les limites de la réserve et 220 qui habitent hors de la réserve; c'est donc dire que 30 p. 100 des membres de la bande habitent hors de la réserve.

     Le référendum que le Conseil envisage d"organiser doit permettre, si l"on se fie aux documents versés au dossier et aux arguments développés par l"avocat de la partie intimée, de consulter les membres de la bande. En fait, cela devient encore plus évident lorsque l'on consulte le dossier soumis à la Cour. Voici le libellé des questions devant être posées lors du référendum.


     La première question comporte deux parties :

     [TRADUCTION] Un, elle se divise en deux parties a) Pensez-vous que le chef et le conseil devraient être élus en vertu de règles et de procédures élaborées par la bande et approuvées par une majorité des membres de la bande ou b) Pensez-vous que la nation crie de Enoch devrait adopter, pour l"élection du chef et du conseil, un règlement électoral fondé sur les coutumes de notre tribu?         

     Voici la deuxième question :

     [TRADUCTION] Pensez-vous que tous les membres de la nation crie de Enoch, y compris ceux qui ne vivent pas dans les limites de la réserve, devraient pouvoir voter lors de l'élection du chef et du Conseil?         

     L"avocat de Sa Majesté m"a cité la politique du Ministère en matière de retour aux coutumes de la tribu, mais le référendum qui est envisagé n"a pas pour but, si je comprends les arguments développés devant la Cour, de proposer l"adoption d"un code électoral précis; il s"agit simplement de consulter la population sur deux questions d"ordre assez général. Il est clair que la prépondérance des inconvénients ne penche clairement ni en faveur de l'auteure de la requête, ni en faveur de la partie intimée, mais j"estime que, s"agissant de la présente requête, elle penche plutôt en faveur de cette dernière.

     L"avis de scrutin a été envoyé conformément à l"ordonnance du juge Nadon. L"avocat de l"intimée m"a fait savoir que la campagne électorale pour l"élection du chef bat son plein et que l"élection partielle doit avoir lieu le vendredi 20 mars. Or, nous sommes aujourd"hui le 18 mars.


     Par conséquent, la demande de sursis est rejetée.

LA GREFFIÈRE, Mme MARTEL : La présente audition extraordinaire de la Cour fédérale par téléconférence entre Edmonton et Ottawa est maintenant terminée.

(L'AUDITION S'EST TERMINÉE À 12 H 20)

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-82-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Ronald Vincent Morin et autres c.
                         Sa Majesté la Reine et autre
LIEU DE L"AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 18 mars 1998
MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR      Monsieur le juge Richard
EN DATE DU :                  7 avril 1998

ONT COMPARU :

MMe Karin E. Buss                  au nom des requérants

M. Richard C. Secord

Mme Barbara Ritzen                  au nom de l"intimée - Sa Majesté la Reine

M. Douglas B. Titosky

M. Robert Sharphead              au nom de l"intimée - La nation crie de Enoch

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ackroyd, Piasta, Roth & Day          au nom des requérants

Edmonton (Alberta)

George Thomson                  au nom de l"intimée - Sa Majesté la Reine

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.