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                                                                                                                                 Date : 19980130

                                                                                                                           Dossier : T-1714-95

TORONTO (Ontario), le vendredi 30 janvier 1998

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED

ENTRE :

                                                        PFIZER CANADA INC. et

                                                       PFIZER CORPORATION,

                                                                                                                                       requérantes,

                                                                          - et -

                                                                APOTEX INC. et

                MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ETRE SOCIAL,

                                                                                                                                               intimés.

                                                                ORDONNANCE

            La demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction, énoncée dans l'avis de requête introductive d'instance des requérantes daté du 10 août 1995, est rejetée.

                                                                                                                              B. Reed          

                                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

                                     

Suzanne Bolduc, LL.B.


Date : 19980205

Dossier : T-1714-95

ENTRE :

                                                        PFIZER CANADA INC. et

                                                       PFIZER CORPORATION,

                                                                                                                                       requérantes,

                                                                          - et -

                                                                APOTEX INC. et

                MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

                                                                                                                                               intimés.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

1           Les requérantes (parfois appelées collectivement Pfizer) sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer à l'intimée Apotex Inc. (Apotex) des avis de conformité pour des comprimés et des gélules de fluconazole. La demande est présentée conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Conformément aux dispositions du Règlement, Pfizer Canada Inc. a déposé une liste de brevets concernant les comprimés de 50 mg, de 100 mg et de 200 mg ainsi que les gélules 150 mg de fluconazole pour lesquels elle avait obtenu un avis de conformité. Cette liste contient les lettres patentes canadiennes no 1,187,076 (le brevet 176). Une injonction est demandée pour empêcher la délivrance à Apotex des avis de conformité relatifs au fluconazole qu'elle a l'intention de commercialiser avant l'expiration du brevet 076.

2           Le régime réglementaire qui a été établi par suite des modifications apportées à la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifié par L.C. 1993, ch. 2, et par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a été décrit dans diverses décisions. Voir, par exemple, Bayer A.G. et autre c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.), et Eli Lilly et Co. c. Novopharm Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.). Je me reporte à ces décisions pour les descriptions qui y ont été faites et que je ne reprendrai pas ici.

3           Conformément à ce régime réglementaire, Apotex a signifié à Pfizer, le 23 juin 1995, un avis d'allégation dans lequel elle indiquait qu'elle ne contreferait pas le brevet 076 en fabriquant, en construisant, en utilisant ou en vendant du fluconazole. Pfizer essaie de démontrer que cet avis d'allégation n'est pas justifié pour deux motifs : (1) aucun lien n'a été établi entre le procédé de fabrication qui, selon Apotex, sera utilisé pour fabriquer le fluconazole et la présentation de drogue nouvelle d'Apotex (PDN); (2) le procédé qui a été révélé contrefait le brevet.

Arguments concernant le lien

4           L'avis d'allégation porte que [TRADUCTION] « aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament » ne sera contrefaite. Suivant l'article 2 du Règlement, une « revendication pour le médicament en soi » est une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes. L'allégation d'absence de contrefaçon repose sur l'affirmation que le procédé qu'utilisera Apotex, pour la fabrication de son fluconazole, ne constitue pas une contrefaçon. L'alinéa 5(3)a) du Règlement exige qu'un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels se fonde l'allégation soit fourni.

5           La lettre du 23 juin 1995 ne donnait pas les détails de ce procédé, mais un engagement de les fournir, une fois une ordonnance de confidentialité en vigueur. Une telle ordonnance a été obtenue le 11 septembre 1995. M. Sherman a déposé, le 15 septembre 1995,

un affidavit révélant le procédé qui, selon lui, sera utilisé. M. Sherman a été contre-interrogé le 28 juin 1996. Au cours de ce contre-interrogatoire, des questions lui ont été posées au sujet du contenu de la PDN d'Apotex. Une mise en demeure de comparaître lui avait été signifiée et lui enjoignait d'apporter les renseignements relatifs au procédé de fabrication du fluconazole qui était exposé dans la PDN d'Apotex[1].

6           M. Sherman n'a pas produit les documents demandés. L'avocat d'Apotex était d'avis qu'il n'y avait rien dans la demande de Pfizer visant à obtenir une ordonnance interdisant la délivrance d'un avis de conformité qui rendait pertinents les documents se trouvant dans la PDN. Lors de son contre-interrogatoire, M. Sherman a dit qu'il ne pensait pas, de toute façon, que le procédé servant à produire du fluconazole sous forme de matière première devait faire partie d'une PDN :

[TRADUCTION] [...] dans ce pays, la présentation de drogue nouvelle concerne la forme posologique et non la matière première et, en fait, lorsque quelqu'un a un avis de conformité, il n'a même pas besoin d'un nouvel avis de conformité pour un procédé différent [...][2]

L'échange suivant a aussi été enregistré :

[TRADUCTION] Q. Mais vous avez aussi révélé, soit dans la présentation de drogue nouvelle soit par mention d'un dossier principal concernant le médicament, quel serait le procédé utilisé, n'est-ce pas ?

                R. Pas nécessairement parce que les règles ont été modifiées récemment et qu'en conséquence, on ne considère pas qu'un procédé fait partie intégrante d'une présentation. Par exemple, il n'est pas nécessaire d'obtenir un nouvel avis de conformité pour changer un procédé[3].

7           Avant ces commentaires, l'avocat de Pfizer et l'avocat d'Apotex ont échangé leurs points de vue. Comme il étayait une partie de l'argumentation de Pfizer, il est nécessaire de reproduire ici cet échange :

[TRADUCTION] M. RADOMSKI [avocat d'Apotex ] : [...] Soyons clair. Il n'y a rien dans votre avis de requête introductive d'instance où sont énoncés les motifs, où vous contestez l'allégation, où vous laissez entendre que la présentation de drogue nouvelle n'est aucunement pertinente. Vous avez soulevé deux motifs. L'un est l'article 55.1 de la Loi sur les brevets soit la contrefaçon, et vous avez allégué un deuxième motif. Il n'y a rien d'autre dans votre avis de requête introductive d'instance qui rende pertinente la présentation de drogue nouvelle.

M. MACKLIN [avocat de Pfizer] : Et bien, c'est peut-être le cas.

M. RADOMSKI : C'est mon point de vue.

M. MACKLIN : Je comprends. De toute façon, vous n'avez aucun des documents que l'on vous a demandé de produire aujourd'hui en vertu de la mise en demeure de comparaître ?

M. RADOMSKI : C'est exact.

M. MACKLIN : Vous êtes toutefois en mesure de les produire si on exige que vous le fassiez ?

M. RADOMSKI : Évidemment[4].

                                                                     . . . .

8           Pfizer a par la suite obtenu l'autorisation de modifier son avis de requête introductive d'instance. Celui-ci a été modifié le 28 novembre 1996 afin d'y inclure ce qui suit : l'allégation n'était pas justifiée parce que le procédé qu'Apotex allait utiliser devait se trouver dans sa PDN et que ce procédé n'a pas été fourni à Pfizer[5].

9           Le 21 février 1997, Pfizer a obtenu une ordonnance enjoignant à M. Sherman de se présenter à un nouveau contre-interrogatoire et d'apporter avec lui la partie de la PDN d'Apotex fournissant les données sur la chimie et la fabrication, en particulier, la partie traitant du procédé chimique grâce auquel Apotex a l'intention de fabriquer du fluconazole. Pfizer a demandé les documents se trouvant dans le dossier soumis au ministre lorsqu'Apotex a signifié son avis d'allégation le 23 juin 1995 ainsi que ceux qui étaient dans le dossier 46 jours après la signification de l'avis d'allégation, le 8 août 1995.

10         Le 7 mai 1997, M. Sherman a comparu de nouveau pour être contre-interrogé. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait apporté les documents que l'on cherchait à obtenir, il a déclaré que ces documents n'existaient pas[6]. Ils n'existaient pas parce que la PDN d'Apotex pour le fluconazole était une présentation par renvoi:

                [TRADUCTION] Notre présentation ne fournissait pas de données sur la chimie et la fabrication parce qu'il s'agit d'une présentation où l'on dit, s'il-vous-plaît donnez-nous une approbation sous réserve de l'approbation du produit d'un autre fabricant[7].

11         Avant cette explication, M. Sherman avait répondu de la manière suivante aux questions qui lui avaient été posées :

                                [TRADUCTION]

R : Si nous obtenons l'approbation sur le fondement de cette allégation [c'est-à-dire le procédé révélé par M. Sherman le 15 septembre 1995], et que nous fabriquons le produit en utilisant ce matériel, nous ne le ferons évidemment que s'il est aussi approuvé par la Direction générale de la protection de la santé. [...] En supposant que nous obtenions l'approbation et que nous satisfaisions au Règlement, nous fabriquerons le produit en utilisant le procédé tel qu'il vous a été exposé. Nous aurons aussi besoin de l'approbation de la Direction générale de la protection de la santé et cette approbation ne sera évidemment accordée que si nous convainquons la Direction générale de la protection de la santé grâce à la présentation qui lui a été faite par les personnes auxquelles nous nous fions. [...]

                                                                     . . . .

Q :Avez-vous soumis le procédé qui constitue la pièce I de votre affidavit dans votre présentation de drogue nouvelle ?

R :Notre présentation de drogue nouvelle ne contient pas le procédé. Il n'est pas pertinent pour la Direction générale de la protection de la santé. [...]

                                                                     . . . .

Q :S'il existe un autre procédé [dans la PDN par renvoi] [...] qui peut être approuvé, sera-t-il approuvé, M. Sherman ?

R :Il sera peut être possible d'obtenir l'approbation d'un procédé différent, mais si on n'obtient pas l'approbation pour ce procédé, nous ne serons pas en mesure de vendre le produit parce que c'est ce procédé que nous allons utiliser [...] Je vous ai donné cet engagement.

Q :Encore une fois, vous ignorez cependant de quel procédé il est question dans la présentation de drogue nouvelle à laquelle vous faites renvoi ?

R :Je ne sais même pas s'il est nécessaire qu'un procédé soit indiqué dans la présentation. C'est une présentation pour des comprimés. Ce n'est pas une présentation pour une matière première. Ce n'est peut être pas pertinent pour la Direction générale de la protection de la santé[8].

12 L'avocat de Pfizer a ensuite déposé une requête afin d'obtenir une ordonnance enjoignant à Apotex de produire les documents de la PDN relatifs au procédé, que ceux-ci se trouvent dans sa propre PDN ou dans la PDN par renvoi. Subsidiairement, il a demandé une ordonnance enjoignant au ministre de produire ces documents. En cas de défaut de produire ces documents, une ordonnance visant à faire radier du dossier les affidavits produits au soutien des arguments d'Apotex a aussi été demandée. Cette requête a été soumise à Madame le juge Tremblay-Lamer le 10 juin 1997. Elle a été retirée le même jour, sous réserve du droit de Pfizer de soulever l'une ou l'autre des questions [TRADUCTION] « à son choix, à titre de questions préliminaires à l'audience sur la demande d'interdiction » .

13 Si je me souviens bien de l'argument de l'avocat de Pfizer, celui-ci a indiqué que Madame le juge Tremblay-Lamer était d'avis que l'objet même de la requête était une question qui relevait du juge appelé à se prononcer sur le fond de la demande et, par conséquent, avait proposé que la requête soit retirée pour permettre que cette question soit examinée par ce juge. Le procès-verbal du greffier pour l'audience du 10 juin 1997 ne reflète toutefois pas une telle position. Il indique que le retrait de la requête a été préconisé pour donner aux parties l'occasion de trancher leur différend sans que la Cour n'intervienne. Un retrait sous réserve des droits pouvant exister comporte implicitement le droit de présenter une autre fois la requête ultérieurement. La requête n'a pas été présentée de nouveau et l'avocat ne m'a pas présenté de requête préliminaire afin d'obtenir une ordonnance exigeant la production des documents. L'avocat a simplement fait valoir qu'étant donné que les documents n'avaient pas été produits, les éléments de preuve déposés par Apotex devaient être radiés du dossier. Je ne suis pas disposée à accepter cet argument étant donné que Pfizer a retiré, auparavant, la requête visant à obtenir qu'Apotex ou, subsidiairement, le ministre, produise les documents.

14 Je souligne en outre qu'il n'est pas juste de considérer que la non-production des documents constitue une violation de l'ordonnance rendue par le juge Noël le 21 février 1997. Bien qu'il soit regrettable que l'inexistence des documents dans la PDN d'Apotex n'ait pas été révélée plus tôt et n'ait pas constitué un motif subsidiaire pour les refus du 28 juin 1996, le fait d'omettre de produire quelque chose qui n'existe pas ne peut pas constituer une violation de l'ordonnance du 21 février 1997.

15 L'avocat de Pfizer a attiré l'attention sur la réponse de M. Radomski exposée au paragraphe 7 ci-dessus. Il considère qu'il s'agit là d'un aveu que les documents existent et sont retenus. M. Radomski a indiqué à la Cour que lorsqu'il a dit « évidemment » , cela signifiait que lui-même et sa cliente pouvaient produire tout ce qui se trouvait dans la PDN d'Apotex. Il ne s'était pas préoccupé de savoir s'il y avait bel et bien des documents relatifs au procédé dans cette présentation. J'accepte cette explication.

16 Examinons maintenant l'argument de Pfizer suivant lequel par suite de la non-communication par Apotex des documents demandés, son avis d'allégation n'est pas justifié. L'avocat d'Apotex répond ce qui suit à cet argument : (1) il n'y a aucune obligation que le procédé soit exposé dans la PDN d'Apotex étant donné que la présentation est une présentation par renvoi; (2) rien dans la loi n'exige que le procédé destiné à fabriquer le fluconazole sous forme de matière première, par opposition aux données sur la fabrication et la composition chimique de la forme posologique, fasse partie d'une PDN; (3) le ministre peut, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il apprécie l'innocuité d'une substance, exiger la communication de tels renseignements - et il le fait probablement; (4) le Règlement n'exige pas que la PDN soit produite pour justifier l'avis d'allégation; (5) la PDN par renvoi sera elle-même nécessaire pour satisfaire à toutes les exigences du Règlement; (6) de toute façon, le procédé qui sera utilisé a été soumis à Pfizer et fait partie du dossier de la présente demande.

17 J'estime que ces arguments sont convaincants. Selon moi, les dispositions législatives pertinentes n'exigent pas l'inclusion dans la PDN du procédé suivi pour produire un ingrédient brut, en l'espèce le fluconazole. C'est ce qui ressort du texte de l'alinéa C.08.001.a) de la Loi des aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, en vertu duquel une nouvelle drogue est une substance qui n'a pas été vendue comme drogue au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir son innocuité et son efficacité[9]. La décision d'exiger que soient fournis des renseignements concernant le procédé utilisé pour créer la matière brute, en l'espèce le fluconazole, est laissée à la discrétion du ministre.

18 De plus, la présentation par renvoi sera elle-même assujettie au régime réglementaire établi dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Et, ce qui est plus important, le procédé qui sera utilisé a été divulgué.

19 L'avocat de Pfizer a indiqué qu'il avait projeté de soulever de nombreuses autres questions pour étayer la conclusion que l'avis d'allégation n'était pas justifié, mais que ces questions avaient été tranchées, du moins en ce qui concerne la Cour, par l'arrêt récent de la Cour d'appel fédérale Eli Lilly & Company c. Apotex (A-339-97, 29 septembre 1997). L'avocat a en même temps indiqué qu'il souhaitait qu'il soit bien clair qu'il se réservait le droit de contester ultérieurement ces questions devant une instance supérieure, s'il devenait approprié de le faire.

20 En résumé, il n'a pas été démontré que l'avis d'allégation d'Apotex n'était pas justifié par suite de la non-communication des documents relatifs au procédé dont Pfizer allègue l'existence et auxquels les arguments exposés ci-dessus se rapportent. Le procédé qui sera utilisé a été révélé.


Le procédé d'Apotex

21 Le procédé divulgué par M. Sherman, dans la pièce 1 de son affidavit, est décrit en termes de formules structurales des transformations successives, intervenant dans l'édification de la molécule de fluconazole. On appelle parfois enchaînement moléculaire ou schéma réactionnel ce type de représentation. Cette pièce se présente comme suit :

22 Les chiffres arabes désignent les composés et les chiffres romains représentent les diverses étapes du procédé.

23 Dans la représentation schématique utilisée par les chimistes organiciens pour communiquer, ceux-ci décrivent parfois les étapes individuelles des réactions ou les intermédiaires sous forme d'une seule réaction globale; mais, parfois ils ne procèdent pas ainsi. Par exemple, dans l'étape du procédé désignée ci-dessus comme étape II, il y a au moins trois et peut-être même six étapes individuelles de réaction[10]. D'autre part, les étapes du procédé désignées III et IV font partie d'une seule réaction, d'un seul schéma[11].

24 La preuve diffère quant à la signification de l'étape IV du procédé. Elle est décrite comme une séparation d'isomères géométriques. Le résultat de l'étape III du procédé est la formation d'un mélange de deux isomères géométriques (désignés par les chiffres arabes 4 et 5). Cela est décrit dans le schéma réactionnel de M. Sherman par une ligne de liaison « gribouillée » entre le carbone central et le carbone en position 3[12], soit C3. Le résultat de l'étape IV du procédé est la séparation des isomères. Les deux isomères séparés (chiffres arabes 4 et 5) sont reconnaissables comme tels sur la pièce de M. Sherman, grâce aux différents angles sous lesquels l'azote du triazole est lié au carbone terminal.

25 M. Hendrickson, qui n'a eu comme information que le brevet 076 et la pièce jointe à l'affidavit de M. Sherman, a déclaré que les différents isomères n'avaient aucune importance, qu'il n'aurait pas présenté le schéma réactionnel de la façon dont il apparaît dans la pièce de l'affidavit de M. Sherman. M. McClelland, qui possédait de l'information plus détaillée sur le procédé Apotex a expliqué que, malgré la similitude des deux isomères du fait qu'ils sont composés des mêmes constituants, ils ont des propriétés physiques et chimiques différentes, car les divers constituants ne sont pas disposés de la même façon. Il a affirmé que [TRADUCTION] « il peut y avoir des différences quantitatives tout à fait significatives au niveau de la réactivité » , et que c'était en fait le cas avec les isomères en question. Il était d'avis que l'on préférait l'un des isomères pour l'obtention du fluconazole : [TRADUCTION] « l'étape d'époxydation est très différente selon qu'il s'agit du composé 4 ou du composé 5 ... le composé 4 peut également être converti en époxyde, mais les conditions sont différentes » [13].

26 Dans tous les cas, le procédé présenté dans l'affidavit peut être décrit comme suit : (étape I du procédé) un composé 1 (fluoroaromatique) est soumis à une alkylation[14]Friedel-Crafts pour former un composé 2 (un 2-arylpropane - un arylalcane); (étape II du procédé) le composé 2 est bromé trois fois pour former le composé 3 (un 2-aryl-1,2,3-tribromopropane - un tribromoalcane); (étape III du procédé) on fait réagir le composé 3, en présence d'une base, avec des fractions triazoliques pour former un mélange de deux isomères géométriques, les composés 4 et 5 (bis-triazolealcènes); et (l'étape IV du procédé faisant partie de la même opération que l'étape III) séparation des isomères géométriques pour isoler le composé 5; (étape V du procédé) conversion du composé 5 par époxydation de l'alcène pour former le composé 6 (un bis-triazoleépoxyde); (étape VI du procédé) réduction du composé 6 par réaction avec un agent réducteur (un hydrure) pour former le fluconazole. Ce sont l'étape III et les étapes ultérieures que Pfizer qualifie de particulièrement pertinentes pour la comparaison des revendications du brevet.

27 Il faut décrire deux composantes des schémas réactionnels avant de présenter d'autres motifs. On renvoie dans la preuve et dans ces motifs à une chaîne de trois carbones. Elle est représentée dans le schéma structural ci-dessus par                 . La ligne verticale inférieure est liée au fluoroaromatique. Les deux liaisons terminales portent, dans beaucoup des schémas, un brome ou un triazole, le triazole étant représenté par la structure             . On trouve également la chaîne à trois carbones avec quelques hydrogènes dans l'affidavit de M. McClelland, sous la forme -CH2-C-CH2-. Les carbones peuvent être décrits comme étant situés de gauche à droite en positions 3,2 ou 1 : soit les positions C3-C2-C1.

28 On renvoie souvent dans la preuve et dans ces motifs au cycle époxyde. Le cycle époxyde est la structure triangulaire qui est représentée dans la pièce 1 jointe à l'affidavit de M. Sherman par                  . C'est une structure à deux carbones et un oxygène, pouvant être représentée par              , l'atome de carbone possédant quatre liaisons, et l'oxygène deux.

29 Les étapes individuelles de la réaction en III et IV du procédé Apotex peuvent être décrites, en supposant que l'on ignore l'étape de séparation des isomères et les détails concernant le moment où les bromes fixés aux carbones terminaux quittent la molécule (le mécanisme par lequel il y a addition des triazoles), comme suit :

                                               


30 La séquence réactionnelle des étapes III et IV du procédé peut être décrite comme suit : élimination du brome du milieu de la chaîne de trois carbones; création d'une double liaison carbone-carbone (oléfine) et formation d'un 1,3-dibromopropène; réaction avec le premier triazole (par déplacement nucléophile allylique) de telle façon que le triazole se fixe à l'une des extrémités de la chaîne de trois carbones, le brome présent sur l'autre côté quittant la molécule; (4) ensuite, la double liaison se déplace (dans le schéma ci-dessus, elle passe de la position entre C1 et C2 à la position entre C2 et C3) et le triazole se fixe à l'autre carbone terminal; la double liaison carbone-carbone se replace à sa position initiale et le brome qui était présent de ce côté de la chaîne de trois carbones a quitté la molécule par suite du déplacement nucléophile allylique. Cela entraîne la formation des composés 4 et 5, isomères géométriques. MM. McClelland et Hendrickson ont décrit ces étapes individuelles de réaction, comme suit :

31 Comme on peut le voir dans le schéma ci-dessus, les chimistes organiciens non seulement divergent parfois quant au niveau de détails qu'ils présentent dans leurs schémas, mais ils divergent également au niveau du type de schéma qu'ils utilisent à un moment donné. Sur le diagramme élaboré par M. Sherman, il n'apparaît ni carbone ni hydrogène, représentés comme tels. Ils sont omis par convention, leur présence étant comprise par des lecteurs avertis. Ils existent, cependant, aux coins des diverses formes et arrangements géométriques. Parfois, des descriptions sont données par rapport à la formule moléculaire, plutôt que la formule structurale. Parfois, le schéma est une combinaison des deux.

32 La création de la molécule de fluconazole dans le procédé d'Apotex est complétée par deux réactions supplémentaires séparées, après celle décrite dans les étapes III et IV du procédé. L'étape V est la réaction du composé 5 (un bis-triazolealcène) avec un peracide, par exemple le peroxyde d'hydrogène. Cela introduit de l'oxygène et il y a création d'un cycle époxyde :

33 Enfin, l'étape VI consiste à faire réagir le composé 6 avec de l'hydrure d'aluminium et de lithium, puis d'ajouter un acide aqueux pour la protonation de l'anion fluconazole en fluconazole[15]:

L'étape VI du procédé est une réaction de réduction, et, bien que le schéma ci-dessus ne montre pas ce détail, elle se déroule en deux phases. La réaction a comme résultat d'insérer un hydrogène sur le carbone terminal du cycle époxyde; celui-ci s'ouvre en formant l'hydroxyle (OH) nécessaire pour compléter la molécule de fluconazole.

34 Le fait que j'aie relevé les différents schémas réactionnels qui interviennent dans le procédé d'Apotex ne doit pas induire en erreur et mener à la conclusion que la similarité ou l'équivalence des procédés chimiques dépend du fait qu'il y a un processus réactionnel continu ou un processus en plusieurs étapes.

Revendications relatives au brevet et au procédé de Pfizer

35 Voyons maintenant le brevet de Pfizer. Le brevet 076 comporte onze revendications. Toutes les revendications dépendent de la revendication 1. Cette revendication s'exprime comme suit :

[TRADUCTION]

1.              Un procédé pour préparer un composé de formule :

ou un de ses sels acceptables en pharmacie,

consistant

                a) à faire réagir le 1,2,4-triazole ou un de ses sels d'addition avec un acide, avec un composé de formule :

ou avec un de ses sels d'addition avec un acide;

                b) à faire réagir le 1,2,4-triazole ou un de ses sels d'addition avec un acide, avec un composé de formule IV

où Q est un groupe partant facilement; ou

                c) à faire réagir le 1,2,4-triazole ou un de ses sels d'addition avec un acide, avec un composé de formule V :

où Ha1 est un atome d'halogène;

et, selon les besoins, à convertir le composé de formule I en un de ses sels acceptables en pharmacie.

36 Le texte complet est présenté en annexe de ces motifs. En résumé, les revendications 2 à 5 sont des revendications de procédé, dépendantes de la revendication 1, qui spécifient la nature de certains des réactifs intervenant dans les procédés de la revendication 1. Les revendications 6 et 7 sont des revendications de procédé, dépendantes de la revendication 1(a). La revendication 8 est une revendication de procédé, dépendante de la revendication 1(b). La revendication 9 est une revendication de procédé, dépendante de la revendication 1(b) ou de la revendication 8. La revendication 10 est une revendication de produit par un procédé, qui revendique le fluconazole lorsqu'il est préparé par un procédé correspondant aux revendications 1, 2 ou 3, ou un équivalent chimique manifeste. La revendication 11 est une revendication de produit par un procédé, qui revendique le fluconazole lorsqu'il est préparé par un procédé correspondant aux revendications 6, 7 ou 8, ou un équivalent chimique

manifeste.

37 M. McClelland décrit le processus global de la revendication 1(a) du brevet 076 comme étant la réaction d'un fluoroaromatique et d'un chlorure d'acide (revendication 7, exemple 2(A)), qui forme un dérivé de substitution α-halogéné de cétone (revendication 7). On fait réagir cette cétone avec le 1,2,4-triazole (revendication 7, exemple 2(B)) pour former un dérivé de substitution α-triazolique de cétone aromatique de formule III, lequel est converti en un époxyde de formule II (revendication 6, exemple 2(c)) puis en fluconazole (revendication 1(a), exemple 2(D)). Les étapes de procédé de la revendication 1(a) du brevet 076 comprennent une acylation Friedel-Crafts, un déplacement nucléophile d'un groupe partant, la formation d'un époxyde via un ylure de sulfonium et l'ouverture nucléophile du cycle de l'époxyde.

38 Il décrit le processus de la revendication 1(b) comme étant la réaction d'une dihalocétone avec un réactif organométallique (revendication 8, exemple 1(i)) pour former un dihaloalcool de formule IV, que l'on fait réagir avec deux molécules de 1,2,4-triazole (revendication 1(b), exemple 1(ii)) pour former le fluconazole. Le processus de la revendication 1(b) comprend l'addition d'un organométallique à une cétone et la réaction de ce composé avec un triazole (déplacement nucléophile ou réaction de substitution)[16].

39 Le processus de la revendication 1(c) selon M. McClelland est semblable à (b), excepté qu'un dérivé de substitution halométhylé d'époxyde intermédiaire (composé V) est isolé avant la réaction avec les deux molécules de 1,2,4-triazole (revendication 1(c)).


40 Voici ci-dessous un schéma réactionnel que M. McClelland a inclus dans son affidavit, et qui décrit la structure globale du fluconazole, selon le brevet 076.


41 Le schéma réactionnel de M. McClelland a été préparé avec référence aux exemples présentés dans le brevet, et comporte donc un « Q » dans l'encadré A sous le procédé 1(c), lié au troisième carbone. « Q » sert à indiquer dans le brevet un « groupe partant facilement » . Parmi les composés qui se classent dans cette catégorie, il y a par exemple le brome, le chlore et l'iode. De plus, comme le schéma a été préparé avec référence au brevet, on trouve le chlore (Cl) décrit dans des positions où, dans d'autres schémas de formules structurales faisant partie du dossier, apparaît le brome (Br). En comparant alors l'encadré A figurant sur ce schéma avec d'autres schémas présentés, il n'apparaît pas comme justifié de mettre en parallèle « Q » et les chlores (Cl) avec le brome (Br) que l'on trouve dans ces autres schémas.

42 L'encadré A à l'extrémité de chaque colonne décrit respectivement l'objet des revendications 1(a), 1(b) et 1(c). Celles-ci se chevauchent : la revendication 1(a) décrit la dernière partie du procédé revendiqué en 1(b). La revendication 1(b) ne décrit pas les étapes individuelles de la réaction ni les intermédiaires qui interviennent réellement dans l'étape du procédé correspondant à cette revendication. La revendication 1(c) est pratiquement identique à la revendication 1(b), excepté qu'elle commence après la formation de l'époxyde, mais avant l'addition d'un triazole.

43 Les étapes réelles intervenant dans la réaction peuvent être décrites en passant du composé IV (dans la revendication du procédé 1(b)) au composé V dans le procédé 1(c), au composé II dans la revendication 1(a), au composé I (fluconazole). Cela est décrit dans l'affidavit de M. McClelland :


44 En utilisant un schéma de même type que celui employé dans la pièce 1 jointe à l'affidavit de M. Sherman, le procédé peut être décrit comme suit :


45 J'ai décrit le procédé avec d'autres configurations pour la troisième transformation parce que la preuve ne montre pas tout à fait clairement si le premier triazole se fixe dans tous les cas par ouverture du cycle époxyde, plutôt que par déplacement d'un brome. Le témoignage de M. Fallis montrait que, lorsque le chlore sert comme groupe partant, le premier triazole se fixe par ouverture du cycle époxyde[17]. Cependant, dans le cas du brome, le résultat pourrait être mixte[18]. M. McClelland a montré clairement que dans les deux cas la fixation se faisait par ouverture du cycle époxyde[19]. Quelles que soient les conditions, le second triazole se fixe toujours par ouverture du cycle époxyde.

46 La représentation complète du procédé, décrite dans le brevet de Pfizer, incluant les revendications 6, 7 et 8, telle qu'elle apparaît dans les affidavits de MM. Hendrickson et McClelland, est énoncée dans l'annexe II des présents motifs.

47 La séquence réactionnelle pour le procédé revendiqué par 1(b) est alors une séquence où l'hydrogène dans le groupe hydroxyle (OH) part, comme le fait un brome, et un cycle époxyde est formé avec le carbone à l'une des extrémités de la chaîne de trois carbones. Ensuite, le triazole réagit soit avec le carbone terminal, qui fait partie de ce cycle époxyde, ou avec le brome sur l'autre côté de la chaîne de trois carbones. Dans le premier cas, le cycle époxyde s'ouvre pour permettre la fixation du triazole (décrit ci-dessus comme étant en C1), et la structure de l'époxyde se reforme de concert avec le carbone à l'autre extrémité de la chaîne de trois carbones, en position C3, le brome de ce côté ayant quitté la molécule. Dans tous les cas, le second triazole se fixe en ouvrant le cycle époxyde et en formant simultanément l'hydroxyle (OH) pour parachever la molécule de fluconazole.

48 Dans tous les cas, le procédé décrit dans les revendications 1(a), 1(b) et 1(c) introduit le second triazole dans la molécule par ouverture nucléophile du cycle. En d'autres termes, l'étape finale de la réaction (pouvant être isolée), qui est l'étape revendiquée en 1(a), comporte l'ouverture du cycle pour permettre la fixation du second triazole et la formation simultanée de l'hydroxyle, parachevant ainsi la molécule de fluconazole.

49 M. Hendrickson a décrit la revendication 1(a) comme étant la réaction d'un époxyde de formule II avec le 1,2,4-triazole, ce qui comporte l'ouverture du cycle époxyde lors d'une substitution nucléophile bimoléculaire, c.-à-d. une réaction SN2. La représentation schématique suivante décrit le mécanisme qui intervient :

Affidavits d'expert

50 Les affidavits d'expert de M. Hendrickson et de M. McClelland ont été déposés au nom de l'intimée Apotex. Les affidavits d'expert de M. Crawford et de M. Fallis ont été déposés au nom des requérantes. Comme on pouvait s'y attendre, les positions qui sont exposées sont diamétralement opposées. Les affidavits de MM. Crawford et Fallis, déposés au nom de Pfizer, portent que le schéma réactionnel d'Apotex (le procédé) fait partie du

procédé revendiqué dans le brevet 076 et que les schémas réactionnels (procédés) sont des équivalents chimiques manifestes. Les affidavits de MM. Hendrickson et McClelland, déposés au nom d'Apotex, portent que le procédé d'Apotex ne fait pas partie du procédé décrit dans les revendications du brevet et qu'il ne s'agit pas de deux équivalents chimiques manifestes.

51 Le témoignage de M. Crawford n'est pas convaincant. Il est directeur de la recherche sur les méthodes et du développement chez Pfizer Inc. Les réponses qu'il a données lors de son contre-interrogatoire démontrent qu'il n'était pas un déposant objectif. Il a semblé profiter de chaque occasion pour affirmer que les deux procédés étaient des équivalents chimiques sans se rendre compte que c'est le motif pour lequel il prétend qu'il y a équivalence qui attirera l'attention de la Cour plutôt que le nombre de fois qu'il le répète. Il ressort de son contre-interrogatoire qu'il pense que, plus souvent il peut répéter son opinion, plus celui-ci sera solidement établi. Ce n'est pas le cas.

52 Le zèle excessif de M. Crawford à défendre la position de Pfizer est particulièrement bien illustré dans une partie de son contre-interrogatoire. Il a tenté de corroborer une analyse suivant laquelle le procédé d'Apotex n'était simplement qu'un réordonnancement des diverses étapes du processus de Pfizer et, par conséquent, que le premier procédé doit être l'équivalent chimique du deuxième. Dans son enthousiasme excessif, il a indiqué que l'étape IV du procédé d'Apotex était une réintroduction de l'époxyde ou de l'oxygène plus tard que ce n'est le cas dans le schéma réactionnel de Pfizer[20]. Il n'y a pas eu réintroduction de l'époxyde ou de l'oxygène étant donné l'absence de ceux-ci plus tôt dans le procédé. M. Crawford a corrigé ce qu'il avait dit lorsqu'il a été interrogé plus en détail par l'avocat de l'intimée.

53 Le contre-interrogatoire de M. Fallis dénote une attitude assez analogue en faveur des requérantes, comme c'est le cas de celui de M. McClelland, en faveur de l'intimée, mais on ne retrouve dans aucun de ceux-ci le même manque d'objectivité que celui qui a marqué le contre-interrogatoire de M. Crawford.

54 Tant l'affidavit de M. Crawford que celui de M. Fallis contiennent des affirmations qui amènent leur lecteur à s'interroger sur le bien-fondé de leurs positions. Par exemple, M. Fallis affirme dans son affidavit qu'étant donné que les deux schémas réactionnels mènent au même résultat, c'est-à-dire la création du fluconazole, il estime que le schéma réactionnel d'Apotex est un équivalent chimique manifeste et fonctionnel de la revendication 1 du brevet 076 et, en particulier, de la revendication 1(b)[21]. Un affidavit d'expert où l'on mentionne le fait que deux procédés mènent à la création du même composé pour étayer la conclusion que les deux procédés sont des équivalents chimiques alors que, par définition, ils doivent mener tous les deux à ce résultat n'inspire guère confiance au lecteur en ce qui concerne le point de vue avancé. En utilisant l'expression « par définition » , je veux dire que si les procédés ne créaient pas le même composé, le présent litige serait dénué de tout objet.

55 M. Crawford donne comme l'une des raisons permettant de conclure qu'il s'agit d'équivalents chimiques le fait que les deux procédés (dans les parties que Pfizer a indiqué comme pertinentes aux fins d'une comparaison) ont des composés initiaux dans lesquels tous les éléments constitutifs du fluconazole sauf un sont les mêmes. Le fait que tous les éléments constitutifs sauf un de la molécule soient identiques, lorsque l'étape du processus qui fait l'objet de la revendication du brevet est la dernière étape dans la création de cette molécule, ne constitue pas un argument convaincant.

56 Comme raisons de critiquer le point de vue de M. McClelland, M. Fallis indique que M. McClelland ne mentionne pas que les deux schémas réactionnels mènent tous les deux à la fabrication du fluconazole, et que les deux schémas réactionnels utilisent deux équivalents de triazole. Ces déclarations sont faites dans le cadre d'une analyse de deux procédés qui doivent mener à la création du fluconazole (ou il n'y aurait pas de litige), et à un composé, le fluconazole, qui doit avoir deux triazoles comme élément de sa structure. Il ne s'agit pas de critiques convaincantes.

57 J'estime que les témoignages de MM. Hendrickson et McClelland sont plus convaincants que ceux de MM. Crawford et Fallis.

Interprétation du brevet - Importance du cycle époxyde

58 Avant le 1er janvier 1994, le paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets interdisait la délivrance de brevets pour les substances destinées à la médication, sauf dans la mesure où elles étaient produites par des procédés particuliers de fabrication :


41. (1) In the case of inventions relating to substances prepared or produced by chemical processes and intended for food or medicine, the specification shall not include claims for the substance itself, except when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents.


41. (1) Lorsqu'il s'agit d'inventions couvrant des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l'alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne doit pas comprendre les revendications pour la substance même, excepté lorsque la substance est préparée ou produite par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués, ou par leurs équivalents chimiques manifestes.


                                                                                                                                     (italique ajouté)

59 Le brevet 076 se rapporte à [TRADUCTION] « un nouveau dérivé de bis-triazole constituant un agent antifongique utile dans le traitement des infections fongiques chez les animaux, notamment chez l'homme » . Par conséquent, il s'agit d'une invention qui, à l'époque où le brevet a été délivré, était visée par le paragraphe 41(1). Le titulaire du brevet pouvait évidemment revendiquer la fabrication de la substance par un grand nombre de procédés, et on peut présumer qu'il aurait demandé autant de procédés qu'il connaissait au moment où le brevet a été demandé.

60 Il n'y a aucun différend quant à la manière dont les revendications d'un brevet doivent être interprétées. Il faut leur donner une interprétation fondée sur l'objet plutôt qu'une interprétation purement littérale. Une telle interprétation nécessite l'interprétation réaliste du texte de la revendication qu'en ferait une personne versée dans l'art. Il ne faut pas faire une analyse trop littérale du brevet : Beecham Canada Ltd. c. Proctor and Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1, p. 10 (C.A.F.); Hoffman-LaRoche v. Minister of National Health and Welfare (1996), 70 C.P.R. (3d) 206, p. 215 à 217; AT & T Technologies Inc. c. Mitel Corp. (1989), 26 C.P.R. (3d) 238, (C.F. 1re inst.).

61 La revendication dont toutes les revendications dépendent et qui est particulièrement pertinente pour la présente demande est la revendication 1. Si on applique la méthode reconnue pour l'interprétation des brevets, et qui a été susmentionnée ci-dessus, la conclusion est que l'essentiel des trois procédés revendiqués dans la revendication 1 est la formulation du fluconazole par un procédé qui ajoute le deuxième triazole à la structure moléculaire préexistante par ouverture du cycle époxyde avec complétion simultanée de la molécule de fluconazole par la formation de l'hydroxyle.

62 Cette conclusion est tirée du « texte » des revendications. J'utilise le mot texte entre guillemets parce que les revendications ne sont pas uniquement rédigées à l'aide de mots. En effet, elles sont rédigées en partie avec ce que j'ai appelé la représentation schématique utilisée par les chimistes organiciens. Dans les revendications 1(a) et 1(c), la structure du cycle époxyde est un élément manifeste - il est spécifiquement décrit à la face même de la revendication. Ce n'est pas le cas dans la revendication 1(b), mais les témoignages d'expert indiquent que, bien que la représentation schématique utilisée par les chimistes organiciens pour décrire la revendication 1(b) ne définisse pas expressément le cycle époxyde, il s'agit néanmoins d'un élément nécessaire du procédé revendiqué dans 1(b).

63 Bien qu'il ne soit pas approprié de se reporter à la partie d'un brevet concernant la communication des éléments pour étendre ou restreindre la portée d'une revendication, il convient de se reporter à celle-ci pour expliquer le sens d'un terme (en particulier, un terme technique) dans une revendication[22]. La divulgation, aux pages 7b et 8 du brevet, étaye les conclusions de MM. Hendrickson et McClelland que le fonctionnement du cycle époxyde est un élément essentiel du procédé revendiqué dans la revendication 1(b) de même que ceux revendiqués dans les revendications 1(a) et 1(c).

64 Pour MM. Hendrickson et McClelland, la revendication 1, et en fait l'ensemble du brevet, a comme élément essentiel le cycle époxyde dont il est question plus haut. M. Hendrickson dit :

                                [TRADUCTION]

le rôle de l'époxyde dans le brevet de Pfizer constitue l'élément essentiel du brevet [...] et sert à assurer la réactivité permettant d'ajouter le triazole [...][23]

65 L'avocat des requérantes a invoqué souvent et énergiquement la décision du juge Richard dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex (T-2389-94, 18 août 1997). Le juge Richard a statué que l'essence même de l'invention à laquelle se rapporte le brevet est le fluconazole et ses propriétés thérapeutiques, et non le procédé par lequel il est créé. Il a donc statué que le procédé grâce auquel le fluconazole est fabriqué n'est pas un élément essentiel du brevet :

                N'eût été du paragraphe 41(1), le breveté aurait droit à une revendication relative au produit en soi concernant le composé de fluconazole alors fabriqué au moyen d'un procédé quelconque. Les types de réactions incluses dans les revendications étaient des réactions générales connues au moment du brevet de Pfizer et il n'y avait rien de créateur dans l'idée d'utiliser ces réactions. Ces réactions n'ont été incluses que pour se conformer au paragraphe 41(1) afin que les revendications du brevet incluent des limitations du procédé. Par conséquent, ces caractéristiques ne sont pas essentielles. Le fait que l'invention sous-jacente soit le fluconazole et, non le procédé revendiqué, appuie cette conclusion.

66 Je m'interroge sur un argument qui demande à un juge de considérer que les conclusions d'un autre juge dans une autre affaire sont déterminantes pour une question en litige. Les éléments de preuve dont a été saisi l'autre juge ne sont pas les éléments de preuve produits dans la deuxième affaire. Le juge Richard a conclu qu'en ce qui concerne le procédé d'Apotex qu'il examinait, l'allégation n'était pas justifiée parce qu'il y avait « comportement fonctionnel similaire et parallèle » (à la page 16) entre les schémas réactionnels de Pfizer et d'ACIC. « Le groupement fonctionnel sulfate cyclique de la voie de synthèse [schéma réactionnel] d'ACIC est un équivalent chimique et fonctionnel manifeste et très bien connu du groupement époxyde de la revendication no 1a) de la voie de synthèse de Pfizer » (à la page 19).

67 Selon moi, l'argument de l'avocat veut dire qu'il faut considérer que les motifs du juge Richard signifient que le procédé utilisé pour fabriquer le fluconazole est un élément non essentiel des revendications et, par conséquent, que la fabrication de ce composé grâce à un procédé différent ne peut pas constituer une contrefaçon du brevet. Ce n'est pas mon interprétation des motifs du juge Richard. En effet, une telle interprétation signifierait que l'ensemble de la revendication 1, par exemple, dont dépendent toutes les autres revendications, était un élément non essentiel. De plus, cela signifierait qu'il existerait un brevet pour le médicament en soi, c.-à-d. le fluconazole, résultat qu'empêchait le texte de la Loi sur les brevets telle qu'elle était alors rédigée.

68 Quoi qu'il en soit, compte tenu de la preuve dont j'ai été saisie, un élément essentiel de tous les alinéas de la revendication 1 est le fonctionnement du cycle époxyde. Cet élément ne fait pas partie du procédé d'Apotex. Une conclusion que la revendication 1 comporte comme élément essentiel l'ouverture du cycle époxyde pour ajouter les triazoles et, concurremment, parachever la molécule par la formation de l'hydroxyle ne met pas fin à l'analyse qui doit être faite. Comme l'a indiqué le juge Richard, il faut se demander, en raison de la revendication 10 et, en l'espèce, des revendications 11 et 6, si le procédé de l'intimée constitue un équivalent chimique manifeste du procédé de Pfizer. Les équivalents chimiques manifestes sont visés par les revendications du brevet. Même s'ils n'avaient pas été revendiqués expressément, ils seraient néanmoins protégés en vertu de l'application de l'article 41 de la Loi sur les brevets.

Équivalence - Jurisprudence

69 Une question qui se pose est celle de savoir si « l'équivalence » revendiquée dans les revendications 10 et 11 n'est qu'une simple formulation des résultats qu'entraînerait de toute façon une interprétation fondée sur l'objet du brevet. Dans McPhar Engineering v. Sharpe Investments[24], le président Thorson fait référence à l'historique de la doctrine de l'équivalence. Il a conclu que cette doctrine a continué d'être applicable à l'interprétation des brevets même après 1883 lorsque l'inclusion des revendications dans la description d'un brevet est devenue nécessaire[25].

70 Il décrit la doctrine comme [TRADUCTION] « une application particulière de la doctrine générale suivant laquelle il est possible de contrefaire un brevet en reprenant l'essentiel même de l'invention » [26]. Il renvoie à la décision Graver Tank & Mfg. Co., Inc., et al. v. Linde Air Products Co.[27].

71 S'exprimant au nom de la Cour dans Graver Tank, le juge Jackson a décrit l'objectif de la doctrine comme étant d'empêcher [TRADUCTION] « le copieur sans scrupules [de faire] des changements sans importance et des substitutions dans le brevet qui, même s'ils n'ajoutent rien, seront suffisants pour soustraire les éléments copiés à l'application de la revendication » [28]. Après avoir fait remarquer que, pour déterminer s'il y a équivalence, il faut se demander au sujet d'un système qui serait contrefait [TRADUCTION] « s'il a essentiellement la même fonction et s'il fonctionne sensiblement de la même manière pour donner le même résultat » [29], il ajoute :

                                [TRADUCTION]

[...] Au début, la doctrine était habituellement appliquée dans les cas où il s'agissait de dispositifs pour lesquels il y avait équivalence dans les éléments mécaniques. Par la suite toutefois, les mêmes principes ont aussi été appliqués aux compositions, lorsqu'il y avait équivalence entre les ingrédients chimiques. Aujourd'hui, la doctrine s'applique aux équivalents mécaniques ou chimiques dans les compositions ou les dispositifs. Voir les analyses et décisions rassemblées dans 3 Walker on Patents (Deller's ed. 1937) § § 489-492 Ellis; Patent Claims (1949) § § 59-60.

Il faut déterminer l'équivalence en fonction du contexte du brevet, de l'antériorité et des circonstances particulières de l'affaire. En droit des brevets, l'équivalence n'est pas captive d'une formule ni un absolu à examiner dans l'abstrait. Elle ne nécessite pas une identité complète pour chaque but et à chaque égard. Des choses équivalentes à une même chose peuvent ne pas être égales l'une à l'autre et, donc, des choses différentes à maints égards peuvent parfois être des équivalents. Il faut tenir compte du but pour lequel un ingrédient est utilisé dans un brevet, des propriétés qu'il possède lorsqu'il est combiné aux autres ingrédients et le rôle qu'il est appelé à jouer. Un important facteur dont il faut tenir compte est celui de savoir si des personnes versées dans l'art auraient été au courant du fait qu'un ingrédient non contenu dans le brevet était interchangeable avec un autre qui y était prévu[30].

72 Ces décisions sembleraient assimiler la revendication de l'équivalence chimique à une interprétation fondée sur le but des revendications auxquelles elle se rapporte.

73 J'estime que je dois aussi me demander si l'article 41 de la Loi sur les brevets étend la protection déjà existante par suite de la revendication d'équivalents chimiques manifestes dans les revendications 10 et 11 du brevet. Il se peut que cette expression ait été incluse dans la Loi sur les brevets pour qu'une interprétation fondée sur le but et non une interprétation littérale soit appliquée aux revendications de procédé dont dépend la protection du brevet. Dans Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 417, le juge Richard a indiqué qu'il estimait que l'expression « équivalent chimique manifeste » à l'article 41 assurait une protection plus large qu'une simple interprétation fondée sur l'objet visant des variables mineures (aux pages 437 et 438). Aux fins de la présente espèce, je reconnais que tel est le cas. L'analyse devient néanmoins factuelle : le procédé d'Apotex est-il l'équivalent chimique manifeste des procédés revendiqués dans le brevet.

Équivalence chimique - Pfizer et Apotex

74 Pfizer allègue que le procédé d'Apotex est un équivalent chimique manifeste : 1) la seule différence dans le composé de départ est qu'un atome de brome, au lieu d'un hydroxyle, est fixé au carbone central de la chaîne de trois carbones; 2) la double liaison carbone - carbone (oléfine), créée après élimination du brome central, joue le même rôle que celui de l'ouverture du cycle époxyde - permettant la fixation des triazoles; 3) les processus sont semblables en ce sens qu'il y a d'abord addition d'un triazole, puis, consécutivement, de l'autre, et, dans les deux cas, un halogène (le brome étant un halogène) est remplacé par un triazole; 4) dans les deux processus, il y a une structure époxyde et formation d'hydroxyle. Ainsi, on allègue qu'il y a équivalence fonctionnelle dans les étapes, avec un certain réordonnancement de celles-ci, et le procédé d'Apotex est un équivalent chimique manifeste et fonctionnel.

75 M. Fallis définit la similarité comme un simple réordonnancement des étapes du procédé, à savoir les étapes suivantes dans le procédé Pfizer : 1) l'époxydation; 2) la substitution d'un brome par un triazole; 3) la substitution du second brome par un triazole, simultanément avec 4) l'ouverture du cycle époxyde pour former l'hydroxyle et ainsi parachever la molécule. Il définit le procédé d'Apotex comme étant : 1) la substitution d'un brome par un triazole; 2) la substitution de l'autre brome par un second triazole; 3) la création de l'époxyde par époxydation; 4) l'ouverture du cycle pour former l'hydroxyle et parachever la molécule.

76 En ce qui concerne les composés de départ, comme on l'a noté, le brome a été choisi par Pfizer pour pouvoir comparer le procédé Pfizer et le procédé d'Apotex. Ainsi, le composé de départ pour la revendication 1(b), utilisé à des fins de comparaison pour cette demande, est un dibromoalcool. Le composé de départ dans l'étape III du procédé d'Apotex est un tribromoalcane. Une différence apparemment minime dans les composés chimiques peut signifier une très grande différence dans les propriétés chimiques et dans le comportement du composé. Le témoignage de M. Hendrickson veut que la différence entre un brome et un groupe hydroxyle fixé au carbone central constitue une différence majeure[31]. Les composés résultants ne se comportent pas chimiquement de la même façon.

77 En ce qui concerne l'allégation voulant que la double liaison carbone-carbone (oléfine) joue le même rôle que le cycle époxyde, soit de permettre la fixation des triazoles, j'accepte la preuve qu'en dépit du fait que cela peut être vrai de façon générale et à un niveau très superficiel, les deux processus n'interviennent pas selon un mode chimique équivalent. Les mécanismes de fixation des triazoles sont très différents du fait que l'un correspond à un déplacement nucléophile allylique, alors que l'autre consiste en une ouverture nucléophile du cycle (déplacement).

78 L'avocat de Pfizer soutient que cette analyse est trop mécaniste, qu'elle se concentre sur les détails des réactions chimiques plutôt que sur les fonctions générales qu'elles servent. La description des mécanismes de réaction peut toutefois être pertinente tout dépendant des procédés qui sont comparés. Il s'agit là d'un aspect du contexte global pertinent à l'évaluation de l'équivalence chimique. De même, dans certains cas, les précurseurs des procédés qu'une partie désire comparer peuvent être pertinents et, dans d'autres cas, ne pas l'être[32]. En l'espèce, la description des mécanismes est utile pour évaluer l'équivalence chimique.

79 Le fait que, dans les deux procédés, on ajoute tout d'abord un triazole et ensuite l'autre, ne prouve pas l'équivalence chimique. Il est très important que dans le procédé de Pfizer la fixation des triazoles entraîne directement le parachèvement d'une molécule de fluconazole. Ce n'est pas le cas dans le procédé d'Apotex.

80 En ce qui concerne le quatrième argument, en dépit du fait qu'il y a une structure époxyde dans les deux schémas réactionnels et qu'ils conduisent tous deux à la formation de l'hydroxyle et au parachèvement de la molécule, la fonction de l'époxyde dans le brevet de Pfizer est très différent de celle qui intervient dans le processus d'Apotex. Dans le procédé de Pfizer, le cycle époxyde fournit la réactivité pour l'addition du triazole, alors que dans le procédé d'Apotex, l'époxyde est utilisé par un processus en deux étapes pour convertir une double liaison en groupe hydroxyle, et ce après les fixations de triazoles[33]. Comme le note M. Hendrickson, on peut certainement trouver un époxyde dans chaque schéma, mais les fonctions de l'époxyde sont très différentes dans les deux procédés[34]. Dans l'un, l'ouverture du cycle est nucléophile, dans l'autre elle est réductrice. Dans l'un, un triazole est introduit, alors que dans l'autre, c'est un hydrogène[35]. De plus, l'introduction de l'époxyde se fait par des mécanismes chimiques complètement différents dans les deux procédés. Dans le brevet de Pfizer, les époxydes sont formés par des réactions de déplacement, catalysées par une base. Dans le procédé d'Apotex, l'époxyde est formé par époxydation avec utilisation...d'un agent oxydant de type peracide - [TRADUCTION] « il y a chimiquement une très grande différence... » [36].

81 J'en viens ensuite à la caractérisation du procédé d'Apotex par M. Fallis comme représentant un simple réordonnancement des étapes du procédé de Pfizer, car chacune comporte la formation d'un cycle époxyde, la substitution d'un brome par un triazole (deux fois), et l'ouverture d'un cycle époxyde pour parachever la molécule. Ce sont là des descriptions très générales des étapes du procédé. Un tel niveau de généralité peut masquer une différence chimique. Par exemple, la description d'un procédé comme étant une réaction de « substitution » ou une réaction de substitution nucléophile, même si aucun autre détail n'est requis, obscurcit encore plus le procédé chimique. Par exemple, M. Crawford a admis qu'une réaction de substitution nucléophile est une réaction très, très courante, s'appliquant à un grand nombre de réactions en chimie[37]. M. McClelland a parlé de l'expression « déplacement nucléophile » et indiqué qu'en dépit du fait que le triazole était introduit dans les deux cas par des réactions qui sont officiellement des déplacements nucléophiles [TRADUCTION] « rien ne permet de dire que les deux réactions pourraient être considérées comme équivalentes l'une par rapport à l'autre » [38].

82 Le témoignage présenté par M. Hendrickson montrait qu'à l'exception du composé fluoroaromatique, les deux procédés passaient par différents précurseurs de structures et de classes fonctionnelles différentes; les réactions intervenant avec les précurseurs du fluconazole sont toutes différentes, utilisent différents réactifs et appartiennent à différentes classes réactionnelles. Bien que le résultat final soit le fluconazole, les étapes individuelles dans le procédé d'Apotex ont toutes une fonction et un rôle différents de ceux des étapes individuelles du brevet 076.

83 Dans le cas présent, en me fondant sur la preuve, j'en arrive à la conclusion que les deux procédés ne sont pas des équivalents chimiques.

Équivalence chimique manifeste

84 Dans les motifs qui précèdent, il est question de l'absence d'équivalence chimique sans aucune analyse de la question de savoir si les deux procédés sont des équivalents chimiques manifestes. Ayant conclu qu'il ne s'agit pas d'équivalents chimiques, il n'est pas nécessaire, à strictement parler, d'examiner leur caractère manifeste.

85 Je souligne néanmoins que, lors de son contre-interrogatoire le 28 juin 1996, M. Sherman a produit les lettres patentes canadiennes no 2,106,032 (le brevet 032). Ce brevet a été délivré le 7 novembre 1995, après que les affidavits d'expert d'Apotex eurent été déposés. Les éléments suivants du schéma réactionnel d'Apotex sont revendiqués comme invention dans le brevet 032 : (1) les composés 4 et 5 font l'objet des revendications 69 et 70; (2) le procédé de fabrication des composés 4 et 5 à partir du composé 3 fait l'objet des revendications 54 et 55; (3) le procédé de fabrication du composé 3 à partir du composé 2 fait l'objet des revendications 52 et 53; (4) le procédé de fabrication des composés 4 et 5 à partir des composés 1, 2 et 3 fait l'objet de la revendication 14[39].

86 Apotex indique aussi que les deux dernières étapes de son procédé font actuellement l'objet d'une demande de brevet de sa part. Elle affirme que ces procédés ne sont pas révélés dans l'état actuel de la technique : [TRADUCTION] « [ces] procédés ont été mis au point en surmontant les obstacles découlant des effets de l'encombrement stérique et de l'ouverture non désirée de l'époxyde du composé 6 » . Par conséquent, il est allégué que ces étapes du procédé ne peuvent pas être des équivalents chimiques manifestes des étapes du procédé revendiqué dans le brevet 076 de Pfizer.

87 L'avocat de la requérante a fait valoir que le brevet 032 ne devait pas être considéré pertinent pour la présente instance : il n'a pas été introduit avec un affidavit d'expert; on ne peut pas attendre de la Cour qu'elle l'interprète sans le témoignage d'un expert; de toute façon, il se rapporte aux procédés intermédiaires et antérieurs à ceux qui sont pertinents aux fins de la présente espèce.

88 Il ne s'agit pas d'examiner aux fins de la présente demande l'inventivité du procédé de Pfizer ni l'inventivité du procédé d'Apotex mais plutôt s'il s'agit de deux « équivalents chimiques manifestes » . L'absence d'inventivité est évidemment l'une des exigences d'un brevet valide. Il faut espérer qu'un examinateur de brevets d'invention n'approuverait pas la délivrance d'un brevet pour une « invention » qui était manifeste. Toutefois, cela peut se produire. Tout ce que l'on peut dire de l'existence du brevet 032 est qu'il y a certaines raisons de croire qu'il existe de nouveaux intermédiaires et procédés dans la partie du procédé d'Apotex visé par ce brevet.

89 Les témoignages les plus convaincants concernant l'absence de caractère manifeste sont toutefois ceux de MM. Hendrickson et McClelland. Ils confirment que les deux procédés ne sont pas des équivalents chimiques manifestes[40].

Conclusion

90 L'intimée, Apotex, déclare dans son avis d'allégation que le procédé qu'elle utilisera pour produire le fluconazole n'est pas contrefait. La requérante n'a pas démontré que cette allégation n'est pas justifiée.

91 Pour les motifs donnés, la demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction est rejetée.

                                                                                                                                                 B. Reed                      

                                                                                                                        Juge

OTTAWA (ONTARIO)

5 février 1998

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                                  A N N E X E I

LES VERSIONS DE L'INVENTION POUR LESQUELLES UNE PROPRIÉTÉ EXCLUSIVE OU UN PRIVILÈGE SONT REVENDIQUÉS SONT DÉFINIES CI-DESSOUS :

1.Un procédé pour préparer un composé de formule :

ou un sel de ce composé acceptable en pharmacie,

consistant

a)              à faire réagir le 1,2,4-triazole ou l'un de ses sels d'addition avec un acide, avec un composé de formule :

ou avec un de ses sels d'addition avec un acide;

b)             à faire réagir le 1,2,4-triazole ou l'un de ses sels d'addition avec un acide, avec un composé de formule IV

où Q est un groupe partant facilement; ou

c)              à faire réagir le 1,2,4-triazole ou l'un de ses sels d'addition avec un acide, avec un composé de formule V :

où Hal est un atome d'halogène;

et si c'est nécessaire, à convertir le composé de formule I en un de ses sels acceptables en pharmacie.

2.              Un procédé selon la revendication 1, où le 1,2,4-triazole est ajouté sous la forme d'un sel d'addition avec un acide.

3.              Un procédé selon la revendication 1, où le composé de formule II est ajouté sous la forme d'un sel d'addition avec un acide.

4.              Un procédé selon la revendication 1, 2 ou 3, où la réaction est effectuée en présence d'une base.

5.              Un procédé selon la revendication 1, 2 ou 3, où la réaction est effectuée en présence de carbonate de potassium ou d'hydrure de sodium .

6.              Un procédé selon la revendication 1(a), où le composé de formule II est obtenu par réaction d'une cétone de formule III

avec le méthylure de diméthyloxosulfonium, préparé à partir d'iodure de triméthylsulfoxonium et de cétrimide/hydroxyde de sodium.

7.              Un procédé selon la revendication 6 où la cétone de formule III est obtenue par réaction de 1, 3-difluorobenzène avec du chlorure de chloroacétyle en présence de trichlorure d'aluminium, suivie d'une réaction avec le 1,2,4-triazole en présence d'une base.

8.              Un procédé selon la revendication 1(b) où Q est un halogène, le composé de formule IV étant obtenu par réaction d'une 1,3-dihaloacétone avec l'iodure de 2, 4-difluorophénylmagnésium, le bromure de 2, 4-difluorophénylmagnésium ou le 2, 4-difluorophényllithium.

9.              Un procédé selon la revendication 1(b) ou 8, où Q est un chlore ou un brome.

10.            Le composé de formule I tel que défini dans la revendication 1, ou l'un de ses sels acceptables en pharmacie, lorsqu'ils sont préparés par un procédé selon la revendication 1, 2 ou 3, ou un équivalent chimique évident.

11.            Le composé de formule I, tel que défini dans la revendication 1, ou l'un de ses sels acceptables en pharmacie, lorsqu'ils sont préparés par un procédé selon la revendication 6, 7 ou 8, ou un équivalent chimique évident.


                                                                 A N N E X E II


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                             

T-1714-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :            

PFIZER CANADA INC. et PFIZER CORPORATION

c.

APOTEX INC. et MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE

LIEU DE L'AUDIENCE :                

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              

27 OCTOBRE 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE REED EN DATE DU 5 FÉVRIER 1998

ONT COMPARU :                           

ANTHONY G.CREBER

POUR LES REQUÉRANTES

et

JOHN R. RUDOLPH

HARRY S. RADOMSKI

et

POUR L'INTIMÉE

Apotex Inc.

IVOR M. HUGHES

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING STRATHY & HENDERSON

OTTAWA (ONTARIO)         

POUR LES REQUÉRANTES

GOODMAN, PHILLIPS & VINEBERG

TORONTO (ONTARIO)

POUR L'INTIMÉE

Apotex Inc.

HUGHES ETIGSON

THORNHILL (ONTARIO)

POUR LES REQUÉRANTES

Apotex Inc.



     [1]La partie pertinente du document lui donne comme directive d'apporter :

[TRADUCTION] une copie de la section dans la présentation de drogue nouvelle d'Apotex concernant les données sur la chimie et la fabrication [...] notamment tous les fichiers principaux mentionnés, invoqués ou inclus dans ladite présentation de drogue nouvelle, qui précisent le fabricant et le procédé qui doit servir à fabriquer ledit fluconazole; les renseignements contenus dans la PDN d'Apotex relativement au ou aux procédés de fabrication du fluconazole et la date à laquelle le ou les procédés ont été soumis à la Direction générale de la protection de la santé dans le cadre de la PDN d'Apotex.

                                                (non souligné dans l'original)

Dossier de la demande des requérantes, p. 100.

     [2]Id., p. 87 et 88, Q. 58.

     [3]Id., p. 93, Q. 82.

     [4]Id., p. 81.

     [5]La modification qui a été apportée à l'avis de requête introductive d'instance prévoit notamment ce qui suit :

[TRADUCTION] [...] Apotex ne s'est pas conformée au Règlement en ne fournissant pas un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels se fonde l'allégation au moment où l'avis d'allégation a été signifié. En l'absence de ces renseignements, il faut présumer que la formule de composition, les procédés et les méthodes qu'utilise Apotex pour fabriquer son fluconazole contreferont les revendications du brevet.

Le procédé révélé par Apotex et qui, d'après son avis d'allégation, sera utilisé pour produire le fluconazole n'est pas le même que celui qui a été précisé dans la présentation de drogue nouvelle qu'Apotex a soumise au ministre de la Santé pour obtenir un avis de conformité à la date de son avis d'allégation et, comme tel, l'avis d'allégation est faux et trompeur, et il est nul parce qu'il ne respecte pas les exigences du Règlement sur les médicaments brevetés (avis ou conformité).

     [6]Dossier de la demande des requérantes, p. 188, Q. 124 et ss.

     [7]Id., p. 194, Q. 144.

     [8]Id., p. 190 à 193.

     [9]Le paragraphe C.08.002.(2) indique les renseignements qui doivent être inclus dans une PDN :

a)une description de la drogue nouvelle et une mention de son nom propre ou, à défaut, de son nom usuel;

b)une mention de la marque nominative de la drogue nouvelle ou du nom ou code d'identification projeté pour celle-ci;

c)la liste quantitative des ingrédients de la drogue nouvelle et les spécifications relatives à chaque ingrédient;

d)la description des installations et de l'équipement à utiliser pour la fabrication, la préparation et l'emballage de la drogue nouvelle;

e)des précisions sur la méthode de fabrication et les mécanismes de contrôle à appliquer pour la fabrication, la préparation et l'emballage de la drogue nouvelle;

     [10]Dossier de la demande des requérantes, p. 402.

     [11]Id., p. 241, 255.

     [12]Une explication des positions C3, C2 et C1 se trouve plus loin à la page 15.

     [13]Dossier de la demande des requérantes, p. 409 à 413.

     [14]Id., p. 401.

     [15]Id., p. 415 à 418, 564.

     [16]Id., p. 467.

     [17]Id., 1099 à 1101 ss.

     [18]Id., p. 1153.

     [19]Voir généralement, id., p. 429 à 435. Si un choix s'avérait nécessaire, je donnerais la préférence au témoignage de M. McClelland.

     [20]Id., p. 709.

     [21]Id., p. 998 et 1003.

     [22]TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 132 N.R. 161 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée par la C.S.C. 139 N.R. 400.

     [23]Dossier de la demande des requérantes, p. 294 et 295.

     [24](1960), 35 C.P.R. 105 (C. de l'É.) p. 157 ss.

     [25]Id., p. 163 et 164.

     [26]Id., p. 164.

     [27](1950), 85 U.S.P.Q. 328 (U.S. Sup. Ct.).

     [28]Id., p. 330.

     [29]Ibid.

     [30]Id., p. 330 et 331.

     [31]Id., p. 456.

     [32]Par exemple, dans Bayer A.G. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien­-être social) (1996), 65 C.P.R. (3d) 203, p. 209, le juge MacKay a estimé qu'il était important de ne pas se contenter de comparer les étapes finales des deux procédés examinés.

     [33]Dossier de la demande des requérantes, p. 295.

     [34]Id., p. 252.

     [35]Id., p. 462.

     [36]Id., p. 296.

     [37]Id., p. 754.

     [38]Id., p. 462 et 463.

     [39]Id., p. 85 et 86; 683 à 686; 382.

     [40]Id., p. 476 à 480, 286.

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