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Date : 20200825


Dossier : T-717-19

Référence : 2020 CF 850

Ottawa (Ontario), le 25 août 2020

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

RENÉ POIRIER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Survol

[1]  M. René Poirier demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le directeur – autorité des griefs des Forces canadiennes, en sa qualité d’autorité de dernière instance du processus de grief des Forces armées canadiennes [Forces]. Le directeur a rejeté le grief de M. Poirier après avoir conclu qu’il a été traité équitablement et conformément aux règles, aux règlements et aux politiques applicables, lorsque rétrogradé et reclassé au poste de technicien en distribution électronique.

[2]  M. Poirier plaide que si le directeur avait tenu compte de la preuve médicale disponible, il aurait plutôt fait l’objet d’un reclassement obligatoire pour cause médicale et aurait eu droit au maintien de son grade et, partant, de ses conditions salariales.

II.  Faits

[3]  M. René Poirier s’enrôle dans les Forces en avril 1998 en tant que Navigateur aérien. À la suite d’un échec de formation en septembre 2000, il est reclassé comme officier de l’artillerie. En juillet 2004, il est promu au grade de capitaine.

[4]  En 2005 et 2006, il échoue à deux reprises le cours d’officier observateur avancé de l’artillerie, nécessaire à la progression de sa carrière d’officier d’artillerie de campagne.

[5]  Bien que le rapport de cours n’en fasse aucune mention, le demandeur indique que ses échecs seraient dus à des problèmes auditifs qui auraient affecté sa performance. Il allègue en avoir informé les responsables de la formation à l’époque et avoir demandé de subir un examen auditif. Or, on aurait plutôt conclu que M. Poirier tentait de se justifier et qu’il avait de la difficulté à accepter ses échecs.

[6]  Quoi qu’il en soit, cette situation mène le commandant de M. Poirier à demander qu’il soit soumis à un examen administratif afin de déterminer ses perspectives d’avenir au sein des Forces. À l’issue de cet examen, il est décidé que M. Poirier sera considéré pour un reclassement obligatoire et, à défaut de lui trouver une autre classification, il sera libéré des Forces.

[7]  M. Poirier se voit alors offrir la possibilité d’un reclassement volontaire comme agent de pastorale, ce qu’il accepte. On lui accorde quatre ans pour compléter le programme en théologie à l’Université Laval et deux ans pour compléter une formation en milieu de travail. Puisqu’un officier participant à ce programme est seulement muté au groupe professionnel des aumôniers après avoir complété le programme avec succès, M. Poirier demeure un officier d’artillerie de campagne pendant toute la durée de ses études.

[8]  M. Poirier commence ses études en août 2007, mais il n’est pas en mesure de les compléter à l’intérieur de la période de temps allouée.

[9]  En conséquence, le directeur de formation des aumôniers demande un examen administratif et M. Poirier est à nouveau affecté à un poste d’officier d’artillerie « selon les besoins ».

[10]  En novembre 2011, le commandant de M. Poirier demande un nouvel examen administratif suite à l’échec de 2006 et au retrait du programme de formation des aumôniers en 2011.

[11]  En mars 2012, le Directeur – Carrières militaires ordonne que M. Poirier fasse l’objet d’un processus de reclassement, puisque plus de cinq ans se sont écoulés depuis sa dernière évaluation par un officier de sélection du personnel.

[12]  Le 18 juin 2012, l’officier de sélection du personnel détermine que M. Poirier ne satisfaisait plus aux nouveaux prérequis pour être affecté à un métier d’officier d’artillerie, lequel nécessite maintenant un diplôme universitaire. M. Poirier se voit donc offrir le métier de Technicien en distribution électronique au grade de caporal non qualifié. Ce changement de grade de capitaine à caporal vient avec une baisse de salaire pour M. Poirier et la perte de sa commission (i.e. le titre délivré par Sa Majesté conférant le statut d’officier à un militaire).

[13]  C’est également en 2012 que M. Poirier insiste pour subir un test d’audition.

[14]  Il subit d’abord un audiogramme le 23 novembre 2012, dont les résultats démontrent une « discrimination de la parole, excellente dans le silence – en ajoutant du bruit […], [elle] devient bonne ». L’audiologiste ajoute que « les résultats et l’histoire de cas peuvent présager un trouble de l’audition centrale » et elle recommande que M. Poirier subisse un test d’audition centrale.

[15]  Le 6 février 2014, M. Poirier subit un examen en audiologie dont les résultats démontrent :

  Sous la catégorie « Identification des monosyllabes en contexte de bruit », qu’« [e]n présence d’un bruit compétitif en présentation ipsilatérale, de même intensité que le signal de la parole, niveau conversationnel, les performances se situent hors normes » [caractères gras dans l’original];

  Sous la catégorie « conclusion audiologique », que « [l]’évaluation des habiletés de traitement auditif ne conclut pas à un trouble du traitement auditif »; que « [l]es performances hors normes dans l’épreuve d’identification de monosyllabes en contexte de bruit pourraient expliquer les difficultés de Monsieur Poirier à discriminer le message verbal à travers la radio dans une ambiance sonore bruyante […] dans ses fonctions d’artilleur »; et que, « [s]elon ce que monsieur a rapporté, cette difficulté de discrimination dans le bruit semble être présente, au moins, depuis son cheminement scolaire »;

  Finalement, sous la catégorie « Recommandations », que « [l]a difficulté à entendre dans le bruit bien que réelle et persistante ne semble pas causer d’obstacles dans la réalisation de ses activités et ses habitudes de vies actuelles. Toutefois, cette difficulté significative expliquerait pourquoi il ne pouvait pas rencontrer les exigences associées à son poste alors qu’il travaillait dans l’artillerie, tel que de discriminer le message verbal à travers la radio dans une ambiance sonore bruyante. »

[16]  Ce n’est que quelques années plus tard que M. Poirier apprend que sa condition correspond à une presbyacousie, soit « une condition auditive, souvent liée au vieillissement de l’individu, qui se manifeste comme une capacité réduite à percevoir ou à discriminer les sons ».

[17]  Dans un courriel du 3 juillet 2015 par lequel Dr Ricard du bureau du Directeur – Politique de santé des Forces fait rapport sur un problème d’épaule qu’aurait connu M. Poirier, il indique ce qui suit :

Si c’est le problème de discrimination du son, ceci semble non réglé dans le dossier pour ce qui est de recommandations finales. Soit conscient que si des évaluations ont démontré qu’il ne peut communiquer par radio de façon sécuritaire ceci serait une limitation qui brise l’universalité de service…

Donc, je suggère qu’au moment de le retourner à G2O2 pour l’épaule, que vous finalisiez la situation pour l’audition. Si pas de problème de fonctionnement dans ses taches militaires, G2O2. Si problèmes, laissez le O vide et soumettez à D Med Pol [Directeur – Politique de santé] pour ce qui deviendra un G2O3. Mais comme je dis, tout problème documenté avec l’aptitude à communiquer sécuritairement par radio causera un problème pour une décision favorable de RA(LEM). En autant que je suis concerné, c’est un problème pour un artilleur plus que pour un électricien…

[18]  Pour une meilleure compréhension de ce courriel, il est important de préciser que les autorités médicales des Forces établissent les normes médicales applicables à chacun des métiers. L’acuité auditive porte la cote H et le chiffre qui suit cette lettre représentant le niveau d’acuité auditive; la valeur minimale pour le métier d’artilleur est de 2. Une cote particulière liée au facteur professionnel est également attribuée sous la lettre O. La cote O2 est attribuée au militaire auquel aucune contrainte à l’emploi pour raisons médicales n’est imposée. La cote O3 est attribuée au militaire qui a une contrainte à l’emploi pour raisons médicales, pouvant être détaillée clairement et avec précision, et pouvant empêcher le militaire de participer pleinement aux tâches militaires communes.

[19]  Le 30 juin 2016, M. Poirier demande donc que sa condition médicale – non encore diagnostiquée lors de son échec de 2006 – soit reconnue rétroactivement pour justifier la cause de son reclassement. Un reclassement obligatoire pour cause médicale, plutôt que pour échec académique, lui permettrait de voir son salaire ajusté selon son ancien salaire de capitaine en conformité avec l’alinéa (2)b) des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux, article 204.03.

[20]  Cette demande est d’abord refusée le 14 septembre 2016 au motif que le reclassement de M. Poirier fait suite à son échec de 2006, lequel est clairement documenté comme étant dû à son manque de leadership, et au fait qu’il n’a pas été en mesure de compléter son diplôme universitaire pour devenir aumônier ce qui, de l’aveu de M. Poirier, n’a aucun lien avec sa condition médicale.

[21]  C’est ce refus qui fait l’objet du grief de M. Poirier.

[22]  Le 20 juillet 2017, l’autorité initiale chargée du traitement du grief conclut que M. Poirier a été traité équitablement et dans le respect des politiques applicables. Elle note que M. Poirier ne s’est jamais vu assigner de contrainte à l’emploi pour raisons médicales permanentes et que, par le fait même, il ne pouvait être admissible à un reclassement pour raisons médicales. Elle fait également remarquer que M. Poirier a bénéficié de plusieurs reclassements de carrière, dont l’un a nécessité d’importants investissements financiers de la part des Forces. C’est lui qui n’a pas rempli sa part du marché en complétant, avec succès et en temps utile, ses études universitaires subventionnées.

[23]  L’affaire est donc soumise au directeur – autorité des griefs des Forces canadiennes, en sa qualité d’autorité de dernière instance du processus de grief des Forces, lequel a choisi de mandater un Comité externe d’examen des griefs militaires, conformément au paragraphe 29.12(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 [LDN]. La fonction de ce comité est d’examiner les griefs dont il est saisi et de transmettre, par écrit, ses conclusions et recommandations au directeur et au plaignant (LDN, art 29.2(1)). Le plaignant a alors l’occasion de répondre au rapport du comité, lequel ne lie aucunement le directeur.

[24]  Le 26 avril 2018, le comité recommande que le grief soit rejeté, notant notamment ce qui suit :

Bien qu'il n’y ait aucun diagnostic de presbyacousie concernant le plaignant avant 2014, il n’est pas impossible que ses échecs à la formation de navigateur aérien et au cours d’officier observateur avancé puissent être reliés à cette condition. Cependant, il m’apparaît difficile de conclure ainsi, même selon la balance des probabilités, puisque le plaignant n’apporte aucun élément de preuve concernant l’environnement sonore lors de sa formation de navigateur aérien ou lors du cours d’officier d’observateur avancé. Logiquement, l’environnement sonore lors de sa formation élémentaire d’officier d’artillerie de campagne, qu’il a réussie, devait être semblable à celui du cours d’officier d’observateur avancé qu’il a pourtant échoué. Nonobstant, ceci n’explique pas l’incapacité du plaignant de réussir, dans les délais prescrits, ses études universitaires en théologie.

[25]  Après l’émission du rapport du comité et après que M. Poirier ait eu l’occasion de le commenter, un suivi est fait sur le courriel du 3 juillet 2015 du Dr Ricard; la catégorie médicale de M. Poirier est modifiée le 22 août 2018. Le nouveau rapport médical donne à M. Poirier la cote H1O3. Le rapport précise que M. Poirier ne « devrait pas assumer de fonctions qui l’amène à être régulièrement exposé à des bruits forts (tirs, machinerie, moteurs d’avion, etc.) sauf si les besoins opérationnels ou l’instruction le justifient ». Le facteur numérique correspondant à l’acuité auditive demeure H1, mais la cote tenant compte du facteur professionnel passe de O2 à O3.

[26]  M. Poirier est informé de ce rapport contenant sa nouvelle catégorie médicale permanente en début septembre 2018 et le transmet au directeur dans les jours qui suivent en demandant qu’il en tienne compte dans sa décision finale.

[27]  Dans sa décision du 19 mars 2019, le directeur accepte essentiellement les conclusions et les recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires comme étant les siennes, notant que ce dernier a « fourni une analyse approfondie des questions qui [préoccupent M. Poirier] ». La portion principale de l’analyse faite par le directeur (exclusion faite de l’analyse des arguments complémentaires ou subsidiaires de M. Poirier) est relativement courte et mérite d’être reprise au long :

Vous posez l’hypothèse selon laquelle vos échecs du cours OOA étaient liés à un problème de discernement vocal et non pas à votre manque de leadership, comme stipulé par la chaîne de commandement de l’École d’artillerie de campagne. Vous dites que vous ne pouviez discerner les ordres qui vous étaient communiqués par radio et que ce problème de discernement n’avait pas été identifié avant le 6 février 2014, à la suite d’un examen audiologique. Je ne souscris pas à cette hypothèse.

Une révision de votre dossier médical a été menée par un responsable du bureau du Directeur – Politique de santé (D Pol San). Celui-ci, a fait appel à un expert en audiologie pour étudier le résultat du rapport audiologique daté du 6 février 2014. Il confirme que votre problème d’ouïe ne présentait pas un danger imminent lors de communications par radio. Après considération, l’équipe D Pol San a déterminé que votre catégorie médicale H1 demeurerait inchangée, puisque vous ne représentiez pas un risque éminent.

En considération de ces informations, j’ai passé en revue votre Rapport de cours OOA daté du 2 juin 2006. Ce rapport indique que vous aviez de la difficulté à donner des ordres et à déplacer votre véhicule, notamment, lors de situations plus complexes. Vous éprouviez de la difficulté à prioriser les tâches et à donner des ordres clairs et précis. Vous avez aussi démontré de la difficulté à résoudre les problèmes tactiques et à produire des recommandations logiques. Je note que votre rapport de cours fait état de vos difficultés de commandement et de contrôle tout au long du cours, plus spécifiquement lors de situations tendues. Je constate que votre rapport de cours indique que vous éprouviez des problèmes qui ne découlaient pas uniquement de situations reliées à la communication radio.

Selon la prépondérance des probabilités, le bruit ambiant n’était pas un facteur pertinent dans vos échecs du cours OOA. Vous aviez à votre disposition des moyens pour atténuer le bruit. Quoique vous affirmiez le contraire, je suis d’avis que les outils et l’équipement à votre disposition vous permettaient de fonctionner adéquatement dans le bruit ambiant. Par conséquent, je n’attribue pas vos échecs du cours OOA à une limitation de discernement, mais plutôt à des échecs scolaires.

[28]  C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[29]  La seule question soulevée en l’instance est celle de savoir si le directeur a erré en rejetant le grief du demandeur.

[30]  La norme de contrôle applicable à l’analyse du traitement d’un grief militaire par l’autorité de dernière instance des Forces est celle de la norme de la décision raisonnable (Voir Snieder c Canada (Procureur général), 2013 CF 218 au para 20; voir aussi Beddows c Canada (Procureur Général), 2019 CF 671 au para 17).

[31]  Ce choix de norme s’impose toujours depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[32]  Lorsqu’elle analyse une décision sous l’angle de la décision raisonnable, la Cour doit examiner les motifs fournis par le décideur avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi pour en arriver aux conclusions retenues. La décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85).

IV.  Analyse

[33]  Le demandeur, qui se représente seul, fait valoir plusieurs frustrations résultant du traitement de son grief, certaines pertinentes et supportées par la preuve, d’autres non.

[34]  Il soulève toutefois un élément qui à mon sens est déterminant et justifie l’intervention de la Cour.

[35]  Le directeur invoque deux motifs principaux pour rejeter le grief du demandeur :

  1. Il conclut que le grief n’est pas fondé puisqu’après une révision du dossier médical du demandeur, le Directeur – Politique de santé des Forces a maintenu sa catégorie médicale permanente à H1;

  2. En considération de ce fait, le directeur a examiné le rapport de cours de 2006 et conclut que le demandeur éprouvait des problèmes qui ne découlaient pas uniquement de situations reliées à la communication radio.

[36]  Le premier problème que je vois avec ces motifs, c’est le fait que le directeur passe complètement sous silence le volet « facteur opérationnel » du rapport médical, lequel a fait l’objet d’une réserve exprimée par le Dr Ricard dans son courriel du 3 juillet 2015 (dont le contenu est reproduit au paragraphe 17 des présents motifs), ainsi que d’un changement de catégorie médical de O2 à O3 le 22 août 2018 (accompagné des commentaires reproduits au paragraphe 25 des présents motifs).

[37]  Le directeur a admis s’en être largement remis aux conclusions et recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires. Or, le rapport du comité est émis le 26 avril 2018 alors que la classification médicale du demandeur n’est modifiée que le 22 août de la même année. Tel qu’indiqué plus haut, le demandeur en est informé en début septembre et il communique immédiatement avec le bureau du directeur pour que ce dernier en tienne compte dans sa décision finale, laquelle n’est rendue que le 19 mars 2019.

[38]  La première version du dossier certifié du tribunal déposé à la Cour en mai 2019 ne contient pas ce document. Un addendum à ce dossier, qui contient la nouvelle classification médicale et le courriel du demandeur, est toutefois produit en juillet 2019. Cela confirme de façon non équivoque que cette information se trouvait devant le directeur lorsqu’il a émis sa décision finale.

[39]  Il est bien connu qu’un décideur administratif n’a pas à faire état de tous les éléments de preuve déposés par une partie (Vavilov au para 128). Cependant lorsqu’un de ses conclusions principales tend à contredire un élément de preuve passé sous silence, il y a lieu de se questionner à savoir si cet élément de preuve a été dûment considéré.

[40]  Dans le cas qui nous occupe, le directeur se fonde d’abord sur le fait que le Directeur – Politique de santé a maintenu la classification H1 du demandeur pour rejeter son grief. Tel qu’indiqué plus haut, le facteur de l’acuité auditive n’était pas le seul à considérer; le directeur devait également considérer le facteur opérationnel représenté par la lettre O ou, s’il le jugeait non pertinent, justifier en quoi la mise en garde de juillet 2015 et la nouvelle catégorie permanente octroyée en août 2018 n’avaient aucun impact sur sa décision. L’absence d’une telle explication rend sa décision intrinsèquement irrationnelle.

[41]  Le second problème que je vois avec les motifs du directeur, c’est qu’il est difficile de savoir quel aurait été le résultat de son analyse du rapport de cours de 2006 s’il avait considéré la nouvelle catégorie médicale du demandeur (O3) et les commentaires qui l’accompagnent. On y lit que M. Poirier ne « devrait pas assumer de fonctions qui l’amène à être régulièrement exposé à des bruits forts (tirs, machinerie, moteurs d’avion, etc.) sauf si les besoins opérationnels ou l’instruction le justifient ».

[42]  N’ayant pas l’expertise militaire du directeur, la Cour ne peut que spéculer quant à ce que cela signifie exactement et quant à l’impact qu’une telle recommandation, faite en août 2018 après que la nécessité de réévaluer le facteur opérationnel ait été soulevée en juillet 2015, peut avoir sur l’analyse du directeur.

[43]  La Cour se voit également forcée de spéculer sur ce sur quoi le directeur s’est fondé pour conclure que le demandeur éprouvait des problèmes qui ne découlaient pas uniquement de situations reliées à la communication radio. Chose certaine, il est permis de penser que les problèmes étaient en partie dus aux situations reliées à la radio.

[44]  Cela dit, puisque le directeur fonde en partie sa décision sur le maintien de la catégorie médicale du demandeur par le Directeur – Politique de santé des Forces, sans mentionner qu’au contraire elle a été modifiée suite à une recommandation formulée en 2015, il est permis de penser qu’il n’a pas tenu compte de cette modification dans son analyse du grief du demandeur.

[45]  Il s’ensuit que la décision du directeur n’est pas justifiée au regard des contraintes factuelles auxquelles il était assujetti. Elle n’est pas non plus intrinsèquement logique puisqu’elle requiert que la Cour spécule sur l’impact de cette preuve sur les conclusions du directeur.

V.  Conclusion

[46]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accordée et le dossier est retourné au directeur – autorité des griefs des Forces pour une nouvelle détermination.

[47]  Les dépens, au montant de 1 500,00 $, sont accordés au demandeur.

[48]  Finalement, c’est à bon droit que le défendeur demande que l’intitulé de la cause soit modifié pour substituer le Procureur Général du Canada au chef d’état-major de la défense comme défendeur.


JUGEMENT dans T-717-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie;

  2. La décision du directeur – autorité des griefs des Forces armées canadiennes, en date du 19 mars 2019, est cassée et le dossier lui est retourné pour une nouvelle détermination;

  3. L’intitulé de la cause est modifié pour substituer le Procureur général du Canada au Chef d’état-major de la défense comme défendeur;

  4. Les dépens, au montant de 1 500,00 $, sont accordés au demandeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-717-19

 

INTITULÉ :

RENÉ POIRIER c CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE QUÉBEC, Québec ET OTTAWA, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 juin 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 AOÛT 2020

 

COMPARUTIONS :

René Poirier

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Ami Assignon

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le défendeur

 

 

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